Contexte : Cette décision rendue le 13 décembre 2012 montre que, contrairement à certaines idées reçues, la faute de surveillance d’un établissement spécialisé en psychiatrie n’est pas plus sévèrement appréciée que celle d’un établissement de soins ordinaires en cas de suicide d’un patient au cours de son hospitalisation.
Litige : Le 20 octobre 1998, une jeune femme âgée de 25 ans est hospitalisée à la demande d’un tiers dans un Centre hospitalier spécialisé en psychiatrie en raison de son état délirant. A son entrée, elle est vue par le médecin de garde. Elle est placée, vêtue d’une simple chemise de nuit, sans affaire personnelle, dans une chambre d’isolement stricte décrite comme sans meuble sinon un lit fixe, fermée à clef,. Une surveillance nocturne régulière est effectuée. Le lendemain, à 8h30, elle est découverte décédée. Elle s’est suicidée par strangulation au moyen d’un drap torsadé et noué autour du cou. Son compagnon et sa mère déposent une plainte avec constitution de partie civile contre l’établissement hospitalier qui aboutit à une décision de non-lieu. Sa mère recherche ensuite la responsabilité civile de l’association regroupant plusieurs centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie, parmi lesquels se trouve celui dans lequel sa fille a été hospitalisée. Les juges du fond rejettent sa demande en paiement de la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts. Elle se pourvoit en cassation.
Solution : La première chambre civile écarte le pourvoi en jugeant « que la cour d’appel, après avoir retenu, par des motifs non critiqués par le pourvoi, que le personnel de l’établissement n’avait commis aucune faute de surveillance, a constaté que la malade avait été examinée la veille par un médecin du CHU de Clermont-Ferrand, lequel lui avait administré un médicament anti-psychotique et prescrit un sédatif seulement » si agitation « , puis que Valérie Y… avait eu un entretien à son réveil, à 5 heures, avec une infirmière, laquelle l’avait trouvée inquiète, mais que, lors des visites ayant précédé celle où le décès avait été constaté, à 7 heures 30 et à 8 heures, elle était calme ou avait semblé dormir, a pu en déduire, sans encourir aucun des griefs du moyen, que le reproche de l’absence d’un autre entretien verbal à 7 heures 30 ou à 8 heures ne pouvait être, en l’absence de signe manifeste, tenu pour fautif ».
Analyse : En l’espèce, les faits s’étant déroulés avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, la responsabilité de la clinique supposait la constatation d’un manquement aux obligations contractuelles qui lui incombaient en vertu du contrat d’hospitalisation et de soins la liant à sa patiente.
Il est souvent enseigné que la responsabilité des cliniques psychiatriques est plus facilement admise car celles-ci seraient tenues d’une obligation de moyens dite « renforcée ». En réalité, ces établissements ne sont soumis à aucun régime dérogatoire et comme la présente espèce le rappelle, leur responsabilité est subordonnée à la constatation d’une faute qui n’est nullement présumée mais dont la preuve incombe, conformément au droit commun, à la victime du dommage. Ainsi que l’énonce la Cour de cassation, « les cliniques psychiatriques ne sont tenues à l’égard des malades qui leur sont confiés que d’une obligation de moyens, consistant à assureur leur surveillance, et à leur donner des soins d’après les prescriptions du médecin traitant » (Cass. 1re civ., 17 janvier 1967 : Bull. I, n° 25.- Cass. 1e civ., 29 juin 1982, n° 81-12040 : Bull. I, n° 245).
Dans cette perspective, un établissement spécialisé en psychiatrie est tenu de prendre « les mesures nécessaires pour veiller à sa sécurité, les exigences afférentes à cette obligation étant fonction de l’état du patient » (Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, n° 99-12135 : Bull. I, n° 221 ; RTD civ. 2001, p. 146, obs. P. Jourdain). Lorsque le patient présente des risques suicidaires qui ont été décelés par le médecin psychiatre (V. au cas contraire, Cass. 1re civ., 1er mars 2005, n° 03-18481 : Bull. I, n° 104), l’établissement doit se montrer particulièrement vigilant.
Sa faute sera retenue lorsque, par exemple, un malade qui a été laissé sans surveillance, tente de se suicider en mettant le feu avec un briquet au matelas sur lequel il avait été ligoté en raison de la gravité de sa crise (Cass. 1re civ., 18 juill. 2000, précit.) ou lorsqu’une personne chargée du nettoyage ouvre la fenêtre d’une chambre, non munie de barreaux, en présence d’un malade interné à la suite d’une tentative de suicide par défenestration (Cass. 1re civ., 26 janv. 1971, n° 69-11568 : Bull. I, n° 28). Il en est également ainsi lorsque un patient, qui avait manifesté son intention de mettre fin à ses jours, est laissé sans surveillance suffisante et qu’il n’a pas prévu pour le service de neurologie où il était admis, situé au premier étage, un dispositif de sécurité pour empêcher qu’un malade puisse se jeter par la fenêtre des toilettes (Cass. 1re civ., 2 mai 1978, n° 76-14528 : Bull. I, n° 164 ; JCP 1978, II, 18928, note R. Savatier).
En revanche, lorsque la clinique a pris toutes les précautions nécessaires pour prévenir le dommage, elle n’est pas tenue pour responsable du suicide du patient (Cass. 1re civ., 5 déc. 1978, n° 77-13588 : Bull. I, n° 373.- Cass. 1e civ., 29 juin 1982, précit.). En l’espèce, la patiente avait été vue par l’infirmière à 5h, à 7h30 et à 8h et cette dernière avait jugé que son état ne nécessitait pas l’administration d’un tranquillisant. On peut, en effet, comprendre qu’il ne puisse pas être imposée aux cliniques psychiatriques de surveiller en permanence leur patient. La Cour de cassation a d’ailleurs précisé que la notion de surveillance constante, imposée en cas d’hospitalisation à la demande d’un tiers de personnes atteintes de troubles mentaux, signifie qu’une personne soignante, engagée dans un projet thérapeutique, doit pouvoir intervenir à tout moment auprès du patient, en cas de besoin (Cass. 1re civ., 13 oct. 1999, n° 97-16216 : Bull. I, n° 274). Il n’est pas non plus concevable de reprocher à la clinique de ne pas avoir laisser totalement « nue » et « sans drap » la patiente. Il existe bien des vêtements en papier « anti-suicide », spécialement en usage dans les établissements pénitenciers, mais leur efficacité apparaît contestée.
Sauf à inciter indirectement les établissements spécialisés en psychiatrie à adopter des mesures attentatoires à la dignité de la personne humaine, on ne peut qu’approuver la Cour de cassation d’adapter ainsi sa jurisprudence à la difficulté que rencontrent ces établissements dans l’exercice de leur mission face à des patients parfois très déterminés, comme l’était manifestement cette patiente.