Les règles applicables au choix des modalités de gestion des services publics à caractère économique, soit les services d’intérêt économique général du droit de l’Union, ont connu de nombreuses évolutions dans le droit italien ces dernières années. Par l’arrêt n° 762 du 11 février 2013, il est revenu au Conseil d’État d’écrire un nouvel épisode dans cette histoire.
Cet arrêt suit de quelques mois la décision par laquelle la Cour constitutionnelle[1] avait déclaré inconstitutionnelle et procédé à l’abrogation de la dernière réforme en date, qui prévoyait des restrictions à la possibilité pour les collectivités locales de faire application de l’exception in house, posée par la Cour de justice dans l’arrêt Teckal (CJCE, 18 novembre 1999, Teckal srl c .Comune di Viano, aff. C-107/98), qui leur permet de confier, sans publicité et mise en concurrence, la gestion d’un service public local à une entité sur laquelle elles exercent un contrôle analogue et qui exerce l’essentiel de son activité avec elles.
C’est la situation dans laquelle se trouvait la collectivité territoriale dans les faits de l’espèce, qui, dans cet arrêt, sont des plus classiques : une entreprise privée était intéressée par l’attribution d’une concession pour la gestion du service public de traitement des déchets et d’assainissement. L’établissement public de coopération intercommunal compétent décide de confier le service à une société à capitaux entièrement publics, en application de l’exception in house. L’entreprise potentiellement candidate conteste devant le juge administratif les actes par lesquels l’établissement de coopération a attribué la gestion du service à l’entité in house, en soutenant que l’attribution de la concession ne pouvait être faite en absence de toute mesure de publicité et mise en concurrence. En particulier, le potentiel candidat entendait se prévaloir des dispositions législatives qui avaient restreint la possibilité pour une collectivité de recourir à l’exception in house. Cet arrêt intervient donc utilement pour préciser les conclusions qui doivent être désormais tirées de l’abrogation de cette restriction, en reprenant des considérations que la Cour constitutionnelle avait déjà mises en avant dans sa décision du 20 juillet 2012.
Un bref rappel de l’évolution du cadre juridique s’impose.
Au cours des années ’90, le législateur italien a fait sienne la distinction du droit de l’Union entre services d’intérêt économique général et service d’intérêt général, en introduisant dans le droit interne les deux catégories, respectivement, des service publics à caractère économique et des services publics à caractère non économique. Un sort particulier a été réservé, dans les réformes qui se sont succédé ces quinze dernières années, aux services publics à caractère économique, dans la perspective d’une plus grande ouverture à la concurrence[2]. Pour atteindre ce but, le législateur italien est parti du postulat qu’il était nécessaire d’imposer la gestion de ces services par des sociétés de droit privé, en interdisant la gestion en régie personnalisée. Dans cette première phase, les collectivités locales donc ont essayé d’utiliser les critères in house pour éviter la mise en concurrence des services publics qu’ils géraient en régie.
Depuis 2008, le législateur italien a voulu réduire le champ de la gestion in house des services publics locaux : le but de cette démarche était de favoriser le développement de la concurrence dans ce secteur. Le recours aux entités in house n’était permis que dans des conditions particulières du point de vue économique, géographique et environnemental, sur lesquelles l’autorité de la concurrence devait donner son avis. Ces restrictions ont été introduites à deux reprises dans le droit italien. La première fois, par l’article 23 bis de la loi du 6 août 2008 (article 23-bis du décret-loi du 25 juin 2008, n° 112, ratifié, avec modifications, par la loi du 6 août 2008, n° 133), qui a été abrogé en 2011 par un référendum populaire[3]. La deuxième fois, dans des termes très proches, par l’article 4 de la loi du 14 septembre 2011 (article 4 du décret-loi du 13 août 2011, n° 138, ratifié, avec modifications, par la loi du 14 septembre 2011, n° 148), qui a été déclaré inconstitutionnel par la Cour constitutionnel dans la décision du 20 juillet 2011 précitée et, par conséquent, abrogé. L’intérêt de cet arrêt du Conseil d’État du 11 février 2013 réside également dans la reprise, par le juge administratif, des principes dégagés par la Cour dans sa décision et par l’alignement de la jurisprudence constitutionnelle et administrative en matière de services publics locaux.
En particulier, la question posée dans cet arrêt était celle de l’existence d’éventuelles limites au recours à l’exception in house dans le choix du gestionnaire d’un service public local. Le Conseil d’État devait préciser les conditions dans lesquelles les principes de publicité et mise en concurrence peuvent être écartés et établir dans quels cas les actes par lesquels une collectivité confie à une entité in house la gestion du service sont conformes au droit interne et européen.
Dans cet arrêt, le Conseil d’État reprend le « mode d’emploi » de la gestion des services publics locaux dressé par la Cour constitutionnelle (I) et précise les contours de la liberté de choix des collectivités locales et du contrôle exercée sur leurs décisions par le juge administratif (II).
I. L’application directe du droit de l’Union confirmée
Comme la Cour constitutionnelle, le Conseil d’État considère que, après l’abrogation référendaire de la loi de 2008 et la déclaration d’inconstitutionnalité de la loi la réintroduisant en 2011, le droit de l’Union doit être directement appliqué. En particulier, le Conseil d’État considère que les dispositions abrogées avaient érigé en véritable principe la règle selon laquelle le recours à la gestion in house ne pouvait être qu’exceptionnel : à la suite de l’abrogation intervenue en droit positif, « le principe d’exceptionnalité de la gestion in house des services publics locaux, poursuivi par ces réformes, a été abandonné ».
Par conséquent, le Conseil d’État fait application de la jurisprudence européenne. En particulier, il adopte la même solution que la Cour de justice en ce qui concerne le contrôle analogue : dans l’espèce, en effet, le capital de l’entité in house était détenu par un établissement public de coopération intercommunal et d’autres collectivités locales. Le Conseil fait donc expressément référence à la jurisprudence récente de la Cour de justice (CJCE, 13 nov. 2008, Coditel Brabant SA, C-324/07 ; CJUE, 29 nov. 2012, Econord S.p.A., C-182-11 et 183-11), pour rappeler que « si, en cas de recours de plusieurs autorités publiques à une entité commune aux fins de l’accomplissement d’une mission commune de service public, il n’est, certes, pas indispensable que chacune de ces autorités détienne, à elle seule, un pouvoir de contrôle individuel sur cette entité, il n’en demeure pas moins que le contrôle exercé sur celle-ci ne saurait reposer sur le seul pouvoir de contrôle de l’autorité publique détenant une participation majoritaire dans le capital de l’entité concernée et ce sous peine de vider de son sens la notion même de contrôle conjoint »[4]. Une attention particulière est donc employée par le juge dans l’examen des statuts de la société, qui, conformément à la jurisprudence antérieure du Conseil, sont l’instrument pour vérifier que les personnes publiques exercent un strict contrôle de gestion et financier sur l’entité (Cons. St., sect. VI, 25 janv. 2005, n° 168 ; Cons. St., sect. V, 8 janv. 2007, n° 5 ; Cons. St., sect. V, 11 mai 2007, n° 2334). Cet examen conduit le Conseil, dans son office de juge d’appel, à considérer que le critère du contrôle analogue est rempli en l’espèce, compte tenu des pouvoirs des collectivités publiques en termes de nomination et de révocation des organes dirigeants, de détermination de la stratégie et des objectifs de l’entité in house, des pouvoirs d’inspection et de vérification périodique.
Après avoir fait coïncider le cadre juridique italien en matière de services publics locaux avec les règles dictées par les traités et la jurisprudence européens, le Conseil d’État précise l’étendue du contrôle du juge sur les choix opérés par les collectivités locales.
II. La liberté retrouvée des collectivités locales
Il apparaît tout à fait logique que, une fois que les verrous posés par le législateurs ont sauté, les collectivités locales retrouvent une plus grande liberté dans le choix des modalités de gestion de service public. Ce principe est confirmé par le Conseil d’État dans cet arrêt.
Le Conseil considère que, après l’abrogation des restrictions législatives au recours à la gestion in house, les collectivités locales ont retrouvé la liberté de choix sur les modalités d’organisation des services publics locaux, et en particulier sur l’option entre in house et mise en concurrence. Ce choix doit être fondé sur les paramètres traditionnels de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration, c’est-à-dire :
– un bilan comparatif de tous les intérêts publics et privés en jeu ;
– l’identification du modèle le plus efficient et le moins couteux ;
– le respect des règles relatives au déroulement de la procédure administrative et à la motivation.
L’exercice de ce pouvoir n’est pas soustrait au contrôle du juge, qui est un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Le choix de la collectivité locale ne peut être remis en cause que s’il est fait en absence d’instruction et de motivation, s’il est fondé sur une dénaturation des faits ou s’il est manifestement illogique et irrationnel. Pour le reste, les collectivités locales retrouvent leur liberté d’effectuer ce choix selon des considérations d’opportunité, fondées sur la réalité politique et sociale des communautés de citoyens qui vivent dans leur territoire.
L’objectif qui avait animé les opposants aux réformes des services publics locaux en 2008 et 2011 semble désormais atteint. Conforme au droit de l’Union, le droit italien ne sera pas moins protecteur du principe de libre concurrence, sans pour autant limiter le libre choix des collectivités locales.
[1] Cour const., 20 juillet 2012, n° 199 ; v. notre article « Inconstitutionnalité d’une loi réintroduisant des dispositions abrogées par référendum » dans cette Revue.
[2] Loi du 15 mai 1997, n° 127 ; loi du 28 décembre 2001, n° 448 ; décret loi du 30 septembre 2003, n° 269, ratifié, avec modifications, par la loi du 24 novembre 2003, n° 326.
[3] Comme le prévoit l’article 75 de la Constitution, ces dispositions ont été soumises à un référendum abrogatif populaire, sous la pression d’associations et mouvements politiques qui considéraient cette réforme comme l’annonce d’une privatisation massive des services publics locaux, et notamment du service public de distribution de l’eau.
[4] Le Conseil d’Etat italien reprend ici les termes mêmes de l’arrêt Econord S.p.A. de la Cour de justice (§ 30). Dans cet arrêt la Cour considère en outre que la condition du contrôle analogue est remplie « lorsque chacune de ces autorités participe tant au capital qu’aux organes de direction de ladite entité ».
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