La presse nationale s’est déjà fait l’écho d’un jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 7 novembre 2013, M. AB c. Directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (TA Grenoble, 7 novembre 2013, M. AB c. Directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, requête numéro 1302502). La subite et méritée notoriété de ce jugement provient du fait que le Tribunal déclare illégal le refus d’un directeur de prison de servir aux détenus des repas halal.
Il est inutile de revenir sur les enjeux et l’actualité des questions de laïcité dans l’espace public, ni dans le cadre du service public. Les questions vestimentaires occupent traditionnellement plus de place que les questions alimentaires. Il n’existe pas d’obligation, dans les cantines scolaires, de servir des repas confessionnels.
Le Tribunal administratif de Grenoble semble avoir pris en compte une caractéristique qui n’est pas partagée par les cantines en milieu scolaire et qui justifie une différence d’approche : la contrainte.
Selon le TA, » il est constant que les repas servis quotidiennement au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier ne comportent pas de viandes hallal alors que les détenus sont des usagers de service public dans une situation contrainte« .
Il en découle qu’en refusant de servir des repas halal, alors que les détenus sont en situation contrainte et alors que cette solution est mise en oeuvre dans d’autres établissements, ce qui prouve qu’elle n’est pas déraisonnable, le directeur de l’établissement a violé l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 26 de la loi du 24 novembre 2009 et l’article R. 57-9-3 du code de procédure pénale (ce qui fait beaucoup pour un seul homme).
Le Tribunal adopte ainsi une position très audacieuse, et qui doit être saluée. La juridiction a invoqué les mannes du Conseil d’Etat qui a rappelé, dans une décision du 5 juillet 2013 Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (Conseil d’Etat, SSR., 5 juillet 2013, Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA), requête numéro 361441) que « s’il résulte du principe de laïcité que celui-ci impose l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et le respect de toutes les croyances, ce même principe impose que la République garantisse le libre exercice des cultes ; que, par suite, la possibilité de déroger à l’obligation d’étourdissement pour la pratique de l’abattage rituel ne porte pas atteinte au principe de laïcité« .
Le jugement s’inscrit également dans le prolongement de la décision Jakóbski c. Pologne (Cour EDH, 4e Sect. 7 décembre 2010, Req. n° 18429/06. Sur cette décision Nicolas HERVIEU, Actualités droits-libertés du 7 décembre 2010).
En d’autres termes, la laïcité ne doit pas être entendue comme un principe d’effacement des différences, mais bien un principe de liberté, qui impose à l’Etat des efforts dans une mesure raisonnable.
Il sera intéressant de suivre la trajectoire de cette jurisprudence qui est (sauf erreur de notre part) nouvelle et pourrait déchaîner quelques passions en raison du fait qu’elle porte atteinte à certaines dogmatiques.