Le grand port maritime de la Martinique avait engagé une procédure adaptée concernant un marché de prestation de sécurité incendie et d’assistance à personne pour la gare maritime quai ouest. Par un courrier en date du 1er août 2013, la société antillaise de sécurité a reçu notification du rejet de son offre au motif qu’elle était inacceptable. Il lui était également précisé le nom du candidat retenu ainsi que le délai de suspension de la signature du contrat que le pouvoir adjudicateur entendait respecter. L’entreprise écartée a saisi le tribunal administratif par une requête datée du 6 août 2013. La signature du contrat ayant eu lieu le 29 juillet 2013, elle a transformé son recours précontractuel en référé contractuel. Le Tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté la demande (TA de Fort-de-France, 23 août 2013, n°1300494), la société requérante s’est donc pourvue en cassation.
Devant le Conseil d’État se pose la question du respect, par l’acheteur, d’un délai minimum entre la communication de la décision d’attribution du marché et la signature de celui-ci.
Ni le Code des marchés publics (I), ni aucun principe du droit (II) n’oblige le pouvoir adjudicateur à appliquer, en procédure adaptée, un délai de « standstill ».
I. L’article 80 du CMP et le délai de « standstill » en MAPA
Conformément à la directive 2007/66/CE, l’article 80 du Code des marchés publics impose un délai entre la notification du rejet des offres et la signature du contrat aux seuls « marchés et accords-cadres passés selon une procédure formalisée autre que celle prévue au II de l’article 35 ». Le Conseil d’Etat a logiquement déduit de cet article que le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu dans le cadre d’un marché public passé en procédure adaptée d’informer un candidat du rejet de son offre et de respecter un délai de « standstill » (CE, 19 janvier 2011, grand port maritime du Havre, n°343435). Il a depuis eu l’occasion de confirmer sa position (Conseil d’Etat, 29 mai 2013, Société Delta Conseil, n°365954). Cette jurisprudence surprend puisqu’elle réduit fortement pour les candidats l’accès au juge du contrat. En effet, une fois le marché signé, le référé précontractuel est irrecevable, seul peut être formé un recours contractuel dont les moyens invocables sont plus restreints et le succès incertain. Le requérant peut seulement invoquer l’absence « des mesures de publicité requises », la méconnaissance « des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique » et la « signature du contrat en méconnaissance de l’obligation de suspension résultant de l’introduction d’un référé précontractuel ». Pour ce dernier moyen, il faut en outre que le pouvoir adjudicateur ait bien été informé du dépôt de la requête (Conseil d’Etat, 1er mars 2012, n°355560, OPAC du Rhône ; Conseil d’Etat, 30 septembre 2011, n°350148, Cne de Maizières-les-Metz) et réunir les deux conditions posées à l’article 551-18 du CJA. Dans l’arrêt grand port maritime de la Martinique, le Conseil d’Etat maintient sa jurisprudence même si en l’espèce l’acheteur s’était volontairement soumis à cette obligation (la solution aurait sans doute été différente si cette mention avait été inscrite au règlement de la consultation), sans pour autant la respecter. On peut noter que son respect n’aurait pas fermé la porte du référé contractuel, car seule a ce pouvoir la publication au JOUE d’une intention de conclure le contrat assorti du respect d’un délai de 11 jours entre cet envoi et la signature du contrat (article 80-1-3° du Code des marchés publics).
La position retenue par le Conseil d’Etat depuis 2011 s’avère moins favorable pour le candidat évincé que celle dégagée dans sa jurisprudence SIAEP (CE, 19 décembre 2007, SIAEP du Confolentais, n°291487). Le juge administratif déduisait de l’article 76 du CMP alors en vigueur, l’obligation pour la personne responsable du marché de respecter un délai entre la décision de rejet et la signature du marché public afin de garantir « l’effectivité du recours au juge du référé précontractuel ». Cette jurisprudence s’inscrivait dans la droite ligne de celle de la CJCE qui impose qu’un candidat évincé ait la possibilité de procéder à un recours juridictionnel contre la décision d’attribution (CJCE, 28 octobre 1999, Alcatel Austria, aff C-81/98). La décision du Conseil d’Etat se comprenait aisément puisqu’avant 2007, le référé précontractuel était le seul recours efficace dont disposaient les candidats non-retenus.
II. Les principes du droit et le délai de « standstill » en MAPA
Les juges du fond s’inspirent de la jurisprudence SIAEP pour s’opposer à la position du juge suprême, comme en témoigne de récents arrêts. Tout en respectant la jurisprudence grand port maritime du Havre, plusieurs Cours Administratives d’Appel (CAA Marseille, 19 déc. 2011, n° 09MA02011 ; CAA Bordeaux, 3e ch., 7 juin 2011, n° 09BX02775) l’ont contournée, en déduisant des principes de la commande publique (CAA Nancy, 18 novembre 2013, n°12NC01181) et du droit au recours juridictionnel effectif (CAA de Nantes n°11NT03159 du 28 mars 2013) l’obligation de respecter un délai de « standstill » en procédure adaptée. Face à cette fronde, le Conseil d’Etat a précisé « que les principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats ainsi que la règle de transparence des procédures qui en découle, n’imposent aux pouvoirs adjudicateurs ni d’indiquer aux candidats évincés les motifs du rejet de leurs offres ni de respecter un délai raisonnable entre la notification de ce rejet et la conclusion du contrat» (Conseil d’Etat, 29 juin 2012, Société PRO 2C, n°357976). Même si cette décision concerne un contrat conclu à l’étranger et exécuté hors du territoire français, la solution se transpose facilement à la procédure adaptée. D’ailleurs, dans la jurisprudence grand port maritime de la Martinique, les juges du Palais Royal dépassent l’article 80 du CMP, en confirmant sans ambigüité « qu’aucune obligation de respect d’un délai minimal entre la notification de la décision d’attribution et la signature du contrat » ne s’applique au pouvoir adjudicateur en MAPA.
En posant une limitation supplémentaire au principe de transparence des procédures, qui ne saurait être absolu (F.Linditch, Des limites du principe de transparence : 6 précisions pratiques du Conseil d’Etat, JCP A, n°6, 02/2013), le Conseil d’Etat affirme sa volonté de maintenir l’esprit de la procédure adaptée, qui se caractérise par sa rapidité et la liberté offerte à la personne publique. Si les principes de la commande publique, notamment celui de transparence des procédures, pourraient légitimement justifier une telle obligation, comme le suggère une partie des praticiens (Recours ouverts aux entreprises à l’encontre des marchés à procédure adaptée, Brigitte Roman-Séquense, Contrats et Marchés publics n°3, Mars 2013, comm. 92 ; Délai raisonnable en MAPA : la résistance continue, Emmanuel Maupin, 10 janvier 2014, achatpublic.com), ce n’est en revanche pas le cas du droit au recours juridictionnel (Conseil d’Etat, 24 septembre 2010, Decurey, n°341685). En effet, la décision du juge administratif ne méconnait point ce principe constitutionnel (Conseil Constitutionnel, n° 96-373 DC du 9 avril 1996, loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française), les candidats à un marché public n’étant pas privés de recours (Conseil d’Etat, 15 février 2013, Sté Novergie, n°364325, 364491 et 364549). Ainsi, ils peuvent exercer un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat (Conseil d’Etat, Ass. 16 juillet 2077, Société tropic travaux signalisation Guadeloupe, n°291545) assorti d’une demande de suspension (Conseil d’Etat, 6 mars 2009, Société Biomérieux, n°324064). En l’espèce, cette voie de droit aurait sans doute eu toutes les chances de prospérer, puisque la justification du caractère inacceptable de l’offre n’est pas fondée. En effet, il est reproché à l’acheteur de s’être basé, pour écarter l’offre de la société antillaise, sur un document d’information économique et non sur la convention collective et d’avoir pris en compte le coût global de revient de la main d’œuvre proposée par le candidat et non le coût salarial. Malheureusement, ces manquements ne sont pas recevables en référé contractuel.
Dans la décision commentée, l’acheteur avait un intérêt à signer rapidement le contrat. Cependant il est préférable pour le pouvoir adjudicateur de s’imposer un délai de « standstill » afin de maintenir la confiance avec les opérateurs économiques, d’autant plus que les motivations de la lettre de rejet peuvent être succinctes (Conseil d’Etat, 18 décembre 2012, Métropole Nice Côte d’Azur, n°363342).
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