Les politiques de stationnement mises en place par les collectivités territoriales répondent à des objectifs à la fois de sécurité et d’optimisation de l’espace public, devenu rare et coûteux, de manière à assurer le bon fonctionnement global de la ville et la qualité du cadre de vie urbain. Plusieurs rapports ont cependant souligné les dysfonctionnements qui affaiblissent l’action de ces politiques de stationnement en raison, notamment, de la dispersion de compétences entre les orientations nationales et les réglementations locales. La gestion du stationnement impayé en est une illustration.
Sous l’impulsion du sénateur Jean-Jacques FILLEUL, auteur d’un amendement en ce sens déposé lors de la discussion parlementaire relative au projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, et en réponse à une revendication ancienne des communes, l’article 63 de la loi devenue loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 (dite loi « MAPTAM) organise la dépénalisation et la décentralisation de la gestion du stationnement payant sur la voirie.
Si le maire et le conseil municipal, chacun en ce qui le concerne, restent compétents pour organiser la gestion du stationnement payant sur la voirie, ces dispositions législatives substituent au régime actuel de sanction pénale un forfait de post-stationnement dont le montant peut être fixé par les communes (I). Les enjeux de renforcement de l’efficacité des politiques de régulation urbaine sont au cœur de la dépénalisation du stationnement payant sur la voirie. Pour autant, les conditions de mise en œuvre de cette réforme restent dans une large mesure à préciser (II).
I. – Des compétences du maire et du conseil municipal en matière de gestion du stationnement sur la voirie renforcées par un article de la loi « MAPTAM »
Le conseil municipal et le maire sont compétents, chacun selon son domaine d’attribution, pour instituer une redevance de stationnement pour les portions de voirie publique réservées à cet effet (A). L’article 63 de la loi MAPTAM supprime la pénalisation du non-paiement du stationnement sur la voirie et décentralise sa gestion au profit de la commune ou du groupement de communes compétent en la matière (B).
A. – La gestion du stationnement de la voirie : une compétence partagée entre le maire et le conseil municipal
La circulaire du 15 juillet 1982 relative au stationnement payant rappelle les principes du régime juridique du stationnement payant sur la voie publique, selon lesquels son institution est subordonnée à deux conditions cumulatives de procédures.
En premier lieu, le conseil municipal doit approuver le principe de la taxe et fixer son taux. C’est le sens de l’article L.2333-87 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), au titre duquel « le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale ou du syndicat mixte compétents pour l’organisation des transports urbains, lorsqu’il y est autorisé par ses statuts, peut établir sur des voies qu’il détermine une redevance de stationnement ».
En second lieu, selon l’article L.2213-6 du CGCT, le maire peut, en vertu de ses pouvoirs de police spéciale en matière de circulation sur les routes situées à l’intérieur de l’agglomération, décider de rendre payant le stationnement sur une portion de la voirie publique. Il y procède par la prise d’un arrêté dument motivé.
Le fait pour un usager de ne pas s’acquitter du montant de la redevance au titre des droits de stationnement accordé est considéré, en l’état actuel du droit, comme une violation aux obligations édictées par un arrêté de police. Celle-ci est punie d’une amende prévue pour les contraventions de première classe (art. R.610-5 du Code pénal).
La Cour administrative d’appel de Bordeaux a pu rappeler, pour sa part, dans un arrêt du 16 novembre 1998, « que le maire ne saurait faire échec aux règles concernant la constatation et la répression des contraventions résultant de l’usage irrégulier du domaine public et de la violation des règlements de police municipale » (CAA Bordeaux, 16 novembre 1998, Commune de Marmande, requête numéro 96BX01439). En l’espèce, un arrêté pris par le maire de Marmande, aux fins de substituer aux amendes prévues par le code pénal une nouvelle catégorie de sanction, avait été jugé par la CAA de Bordeaux comme dépourvu de base légale.
Ainsi, compétent pour soumettre au paiement d’une redevance le stationnement de véhicules sur la voirie de son territoire, le maire ne l’est pas pour instituer des amendes pénales en cas de défaut ou insuffisance de paiement pour le stationnement sur la voirie. Et les contentieux liés aux contraventions à la réglementation de la voirie relèvent du tribunal de police, juridiction judiciaire.
En dépénalisant les contraventions aux règles de stationnement payant sur la voirie publique, l’article 63 de la loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 « MAPTAM » modifie cette situation.
B. – Dépénalisation et transfert aux collectivités locales compétentes de la gestion du défaut ou insuffisance de paiement pour stationnement sur la voirie publique
L’article 63 ne modifie pas le premier alinéa de l’article L.233387 du code général des collectivités territoriales ; l’autorité administrative et l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement public compétent, restent compétents, chacun en leur domaine, pour établir sur les voies qu’ils déterminent une redevance de stationnement.
En revanche, il modifie substantiellement le contenu de la délibération institutive des tarifs de stationnement et, partant, rend compétent l’organe délibérant pour instituer un forfait de post-stationnement pour défaut ou insuffisance de paiement et pour en fixer le tarif. Le législateur considère ainsi que l’acte de ne pas acquitter la redevance de stationnement ne relève plus d’une infraction, de nature contraventionnelle, passible de sanction pénale. Ce faisant il dépénalise et « déjudiciarise » le non-paiement du stationnement sur la voirie publique.
Il convient de noter que le ministère de la Justice s’est en revanche opposé à ce que la gestion de l’arrêt ou du stationnement dans son ensemble fasse l’objet d’une décentralisation. Ainsi, à titre d’exemple, le stationnement ou l’arrêt jugés dangereux, gênant ou abusif, au sens de l’article R.417-9 du code de la route, parce qu’ils sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité d’autrui, restent dans le carcan pénal et demeurent passibles d’une peine d’amende prévue par les articles L.131-13 et R624-1 du Code pénal.
Devenue un service public décentralisé, le stationnement non-payé sur la voirie publique quitte le champ pénal pour investir celui du domaine public et de son utilisation privative, une redevance d’occupation du domaine public se substituant à une sanction à caractère contraventionnel.
La loi propose ainsi au conducteur deux manières de s’acquitter des droits d’occupation de la voirie public pour stationner son véhicule : soit spontanément au début du stationnement – on parle alors de paiement au réel –, soit a posteriori selon un forfait de post-stationnement. Dès lors que la redevance correspondant à la totalité de la durée du stationnement n’est pas réglée dès le début ou est insuffisamment réglée, l’agent assermenté de la commune, ou de l’EPCI ou du syndicat mixte compétent, notifiera à l’usager un avis de paiement. Cet avis pourra être notifié soit par son apposition sur le véhicule concerné, soit par envoi postal au titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule concerné, cette dernière démarche étant effectuée par un établissement public spécialisé de l’État.
Fixé par la commune, ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunal, le montant du forfait de post-stationnement se voit toutefois limité : il ne peut en effet être supérieur au montant de la redevance due pour la durée maximale de stationnement prévue par le barème tarifaire de paiement immédiat en vigueur dans la zone concernée.
Si, en dépénalisant et en décentralisant la gestion du stationnement impayé, le législateur a souhaité renforcer l’efficacité des politiques de mobilité urbaine définies par les collectivités territoriales, la mise en œuvre de la réforme suscite nombre d’interrogations portant notamment sur ses incidences juridiques et institutionnelles aussi bien que sur son impact budgétaire pour l’État comme pour les collectivités.
II. – Un nouvel instrument pour renforcer l’efficacité des politiques de mobilité urbaine mais une mise en œuvre différée au regard des incidences juridiques et budgétaires de la réforme
Ce nouvel instrument conféré aux collectivités pour développer ou harmoniser leurs politiques de mobilité urbaine (A) nécessite toutefois d’être précisé dans ses modalités de mise en œuvre tant juridique que technique (B). Son impact budgétaire aussi bien pour l’État que pour les collectivités territoriales n’est pas à négliger (C).
A. – Adaptation du montant du forfait de post-stationnement : un enjeu de report modal
L’automobile restant le mode principal de déplacement urbain, la régulation de son stationnement est un facteur essentiel de la mobilité dans les villes, de leur bon fonctionnement et de la qualité de leur cadre de vie. Le stationnement des véhicules en centre-ville est dès lors regardé comme un instrument mis au service des politiques des collectivités en matière de déplacement. Sa régulation, dans un souci d’optimisation de l’occupation de l’espace public, favorise la rotation des véhicules, limite la place des véhicules dans le centre-ville, ou, à l’inverse, attire ces véhicules de manière à créer une dynamique de soutien au développement économique.
Or, actuellement et jusqu’à l’entrée en vigueur des articles mentionnés, le non-paiement de la redevance pour le stationnement sur la voirie reste une infraction sanctionnée par une amende de 1ère classe. Le montant de l’amende, du fait du caractère unitaire de la sanction pénale, est fixé à l’échelle nationale et donc identique sur tout le territoire quel que soit le tarif de stationnement pratiqué. Pourtant, bien que relevé de 11 à 17 euros par le décret n°2011-876 du 25 juillet 2011, le montant de la sanction, au regard des tarifs horaires de stationnement pratiqués par certaines villes, ne paraissait cependant plus remplir son rôle de dissuasion : soit qu’il était excessif pour les villes de tailles moyennes ou petites, soit qu’il était insuffisamment dissuasif pour les grandes agglomérations comme Paris où le prix pour une journée de stationnement (de 9h à 19h) peut atteindre 36 €.
De plus, le caractère pénal de la sanction implique que la contravention à la réglementation soit constatée par un agent assermenté par le pouvoir judiciaire. Le nombre de ces agents, qu’ils soient de gendarmerie, de police nationale ou municipale, les moyens mis à leur disposition et leur affectation à des missions de priorité plus aigüe, conduisent à un faible taux de verbalisation confortant le sentiment d’impunité de nombre de conducteurs. Ainsi, différents rapports (rapport de synthèse sur l’évolution du stationnement payant, dit rapport Bolliet, juin 2005, rapport sur la dépénalisation et la décentralisation du stationnement du sénateur Louis Nègre, novembre 2011) ont révélé un taux de paiement spontané des redevances par les automobilistes aux horodateurs compris entre 10% et 30%. Le groupement des autorités responsables de transport (GART) relève quant à lui que « seuls 39% des automobilistes paient d’une manière ou d’une autre (horodateur ou amende) leur stationnement ».
La démarche de dépénalisation du stationnement impayé transfert aux collectivités la compétence de fixer le montant du forfait de post-stationnement. Celui-ci, pouvant être modulé et adapté aux situations et aux politiques locales de régulation du stationnement, confie aux collectivités, outre des gains économiques substantiels, un instrument réglementaire plus efficace par son pouvoir de dissuasion retrouvé et son potentiel incitatif auprès des automobilistes pour s’acquitter de la redevance horaire.
Toutefois, si ce dispositif de régulation de stationnement redevient, dans une certaine mesure, le levier d’une politique de mobilité urbaine tel qu’il avait été conçu à l’origine, son efficacité reste toutefois subordonnée à la résolution de certaines difficultés d’ordre juridique, technique ou organisationnel notamment.
B. – Une mise en œuvre de la réforme reportée à des ordonnances et décrets ultérieurs
Ainsi, le système de paiement du stationnement sur la voirie public ne pourra retrouver sa pleine efficacité dès lors que le mécanisme de constat de non-paiement de la redevance de stationnement, en remplacement du relevé d’infraction, aura également été renforcé.
D’une part, cela suppose un accroissement du nombre de policiers municipaux, la majorité étant affectée prioritairement à des missions autres que celle du contrôle du paiement du stationnement. D’autre part, cela suppose l’élargissement des compétences et des prérogatives des policiers municipaux, la modification des bases légales et réglementaires encadrant les compétences des agents de surveillance de la voirie publique (ASVP) et, le cas échéant, l’organisation des modalités d’assermentation des salariés privés dans le cadre d’une délégation de service public, celle-ci ayant été prévue par la loi. En effet, l’assermentation des agents procédant au constat de non-paiement, un temps supprimée du projet de loi, a été réintroduite par amendement de manière à renforcer la force probante du constat, seul dispositif susceptible de réduire les risques de contentieux. La loi renvoie à des décrets ultérieurs la mise en œuvre de ces dispositions.
S’agissant de la gestion de la contestation si, en raison de la création d’une redevance forfaitaire d’occupation du domaine public en substitution d’une amende pénale, son contentieux apparaît bien relever maintenant de la compétence de la juridiction administrative, le législateur a toutefois entendu préserver ses tribunaux d’une massification de la contestation.
A cette fin, plusieurs dispositifs ont été institués par la loi. Tout d’abord, l’article 63-I-3° substitue le rôle de filtrage du contentieux, actuellement joué par l’Officier du ministère public des tribunaux de police, par la mise en place d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) auprès de la commune, de l’EPCI ou du syndicat mixte compétent. De plus, toujours aux fins de limiter les recours, sans préjudice des deux derniers alinéas de l’article L.1617-5-1° du CGCT, l’introduction d’un recours devant l’autorité administrative ou devant la juridiction compétente ne suspend pas la force exécutoire du titre. Enfin, le contentieux sera attribué à une juridiction administrative spécialisée qui devrait statuer, suivant les recommandations faites par la Mission commune d’évaluation des conséquences de la dépénalisation des amendes de stationnement, dans son rapport remis en juillet 2013, selon une procédure adaptée (statuer en juge unique, décision rendue en premier et dernier ressort, dispense du ministère d’avocat…).
Là encore, le texte législatif renvoie à des décrets et ordonnances ultérieurs les modalités d’application du recours administratif préalable obligatoire ainsi que, d’une part, les obligations auxquelles seront soumise les personnes chargée de statuer sur ces recours et, d’autre part, les dispositions destinées à définir les règles constitutives de la juridiction administrative spécialisée prévue.
C. Un impact budgétaire certain tant pour l’État que pour les collectivités
Enfin, ces dispositions auront un impact budgétaire non négligeable pour l’État et pour les collectivités territoriales.
Ainsi, sous un rapport favorable, l’augmentation du taux de paiement spontané par les automobilistes en raison du renforcement des contrôles effectués par les agents devrait, selon le GART, induire un accroissement de recettes pour les collectivités. Le GART, qui indique que la recette annuelle issue de l’acquittement immédiat du stationnement payant est actuellement de 540 millions d’euros hors taxes, rappelle qu’une réforme identique de dépénalisation du stationnement payant a permis d’augmenter ce taux à 70% à Madrid et à 90% à Gand. Pour sa part, M. Olivier DUSSOPT, rapporteur de la loi, notait « qu’en faisant l’hypothèse que le montant total des futures redevances de post-stationnement équivaudra à celui des amendes forfaitaires et forfaitaires majorées actuelles, les collectivités territoriales considérées dans leur ensemble, récupèreront sous forme de redevance ce montant de 195,5 millions d’euros ».
Toutefois, selon la Mission commune, ces gains seraient dans une large mesure atténués par la création de nouvelles charges directes pour les collectivités territoriales. Celles-ci tiendraient à trois postes : en fonctionnement, la constitution d’équipes d’agents de constatation dans l’hypothèse où les compétences des policiers municipaux et des ASVP n’étaient pas élargie ; la mise en place d’un service de gestion de précontentieux rendu nécessaire par l’institution du recours administratif préalable obligatoire ; en investissement, l’acquisition de matériel de constatation.
S’agissant de l’Etat, la loi du 27 janvier 2014 renvoie aux dispositions communes du Code général de la propriété des personnes publiques la procédure de perception et de recouvrement du forfait de post-stationnement (Livre III, titre II). Elle s’assimile donc à la procédure de recouvrement des titres de recette émis par les collectivités territoriales ou les établissements publics. Dès lors, la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) pourrait faire face à un accroissement d’activité en raison du traitement de perception et de recouvrement des forfaits de post-stationnement. Pour la Mission commune, sauf à instituer « une fonction comptable centralisatrice unique, à l’instar de celle instituée pour les amendes de circulation » et exercée par l’Agence Nationale de Traitement Automatisé des Infractions (ANTAI), cette charge nouvelle de travail nécessiterait, pour être absorbée, une augmentation d’agents comptables de l’ordre de 700 équivalents temps plein (ETP).
Enfin, la dépénalisation du stationnement payant aura sans doute pour conséquence une rupture des équilibres entre strates de collectivités, les communes de moins de 10 000 habitants ainsi que le Conseil régional d’Ile-de-France et le Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif) bénéficiant actuellement d’une part du produit des amendes de stationnement, respectivement 10,4 millions et 22 millions d’euros. Ces amendes forfaitaires et amendes forfaitaires majorées disparaissant, un mécanisme d’ajustement ou de stabilisation devra être envisagé.
En tout état de cause, si les communes ou organismes compétents bénéficieront bien du produit de la redevance qu’elles devront affecter à l’amélioration de la mobilité urbaine, la loi du 27 janvier 2014, dans son article 63-VI prévoit d’ores et déjà une compensation par la prochaine loi de finances des pertes nettes de recettes constatées pour l’Etat, évaluées par les services de Bercy à 91,9 millions d’euros.
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