Nous réunissons ici trois affaires, dans lesquelles, en l’espace de quatre mois, une évolution de jurisprudence s’est achevée sur la grave question de savoir si des fonctionnaires d’un certain ordre ont qualité pour attaquer, pour fausse application de la loi, les nominations des fonctionnaires du même ordre, faites en violation des règlements. On sait que la fausse application de la loi, qui constitue la quatrième ouverture du recours pour excès de pouvoir, présente, avec les trois autres, une différence importante. Tandis que, pour invoquer les vices d’incompétence, de violation des formes ou de détournement de pouvoir, il suffit au requérant de justifier de l’intérêt qu’il aurait à l’annulation de l’acte, pour invoquer la fausse application de la loi, il faut justifier d’un droit qui aurait été violé la personne du requérant en même temps que la loi. Cette condition rigoureuse, que l’on peut analyser en une condition de recevabilité (V. Cons. d’Etat, 17 nov. 1899, D’Argent de Deux-Fontaines, S. et P. 1902.3.19; Cfr. Hauriou, Précis de dr. admin., 5e éd., 291 et s., et 11e éd., p. 424 et s., et note, sous Cons. D’Etat, 1er févr. 1901, Descroix, S. et P. 1901.3.41), est un obstacle au développement du recours dans cette direction. Le Conseil d’Etat doit désirer d’autant plus assouplir cette condition de recevabilité que la fausse application de la loi est un vice dangereux; d’autant plus encore que la voie de nullité spéciale instituée par les art. 63 et s. de la loi municipale contre les délibérations des conseils municipaux admet tous les intéressés à demander la nullité d’une délibération pour violation de la loi, sans exiger la condition du droit acquis (V. la note précitée de M. Hauriou, sous Cons. d’Etat, 1er févr. 1901, Descroix, précité), et qu’il est assez singulier que les moyens de recours contre une délibération du conseil municipal soient plus largement ouverts que contre une décision de l’administration centrale, ou, si l’on veut, que le recours pour excès de pouvoir, voie de nullité générale, soit moins largement organisé qu’une voie de nullité spéciale.
Il est dans la logique des choses que la condition du droit violé disparaisse entièrement, que le droit violé soit ramené à n’être plus qu’un intérêt direct et personnel, comme dans les autres ouvertures de l’excès de pouvoir, comme dans la voie de nullité de la loi municipale, et M. Arrivière, commissaire du gouvernement, l’a dit dans ses conclusions sur l’affaire Lot (1er espèce) : « Les intérêts et les droits, c’est ici la même chose. » Pourtant, nous ne croyons pas que l’on en soit à cette dernière étape, et ce que semblent plutôt consacrer nos arrêts, c’est un élargissement de la notion du droit violé, consistant à ne plus exiger que le droit soit acquis, ou, si l’on veut, à considérer comme acquis, au sens de la recevabilité du recours, seraient tout de même des droits.
Nous examinerons plus loin ces nuances; mais, avant de nous enfermer dans la discussion juridique, il est bon de signaler toutes les raisons extrinsèques de l’évolution du Conseil d’Etat. Il n’y a pas que la préoccupation d’élargir le recours pour excès de pouvoir; il y a aussi celle, plus immédiate, d’offrir aux fonctionnaires de carrière un moyen de se défendre contre les perturbations de plus en plus fréquentes apportées à la marche régulière de l’avancement par des nominations de personnages politiques. Il y a toute une catégorie de fonctionnaires politiques; ce sont avant tout les chefs de cabinet et les attachés au cabinet des ministres, ce sont aussi les préfets, sous-préfets, secrétaires de préfecture. Dans nos trois affaires, on trouve des deux. Ce personnel, dont la situation est brillante, mais instable, et souvent tout à fait éphémère, a la préoccupation de s’assurer l’avenir par la nomination, après un certain temps d’exercice de ses fonctions, à des emplois tranquilles, et, comme on dit, de tout repos. Le malheur est que les emplois ambitionnés sont en général des fins de carrière, qu’ils sont plus ou moins dus à des catégories de fonctionnaires civils très méritants, et que nos fonctionnaires politiques, en s’y faisant nommer d’emblée, causent un tort très sensible à quantité de gens et découragent de bons serviteurs. Ces pratiques sont de natures à désorganiser l’Administration. C’est en grande partie pour se protéger contre ces méfaits de la politique et d’autres du même genre que, depuis la loi du 1er juillet 1901, les fonctionnaires fondent des associations de défense mutuelle, connues sous le nom d’amicales, et nous savons un département où les instituteurs primaires, ayant organisé des amicales, ont fait savoir aux hommes politiques de la région qu’ils eussent à ne pas se mêler de leurs affaires, sous peine d’avoir affaire à eux, instituteurs.
Il faut espérer que le mouvement offensif, dessiné depuis quelques années par la politique contre la régularité du recrutement des carrières administratives, sera arrêté par ces deux vigoureux éléments de défense, qui, d’ailleurs, se combinent, les associations de fonctionnaires et la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui va mettre à leur disposition le recours pour excès de pouvoir pour violation de la loi. Il ne sera pas dit qu’un stage politique quelconque vaut un stage professionnel régulier.
Sur l’interprétation libérale de la condition du droit violé dans la quatrième ouverture du recours pour excès de pouvoir, nos trois décisions ne sont pas sans quelque précédent. — Une décision du Conseil d’Etat du 9 mai 1893, Joubert de la Mothe (S. et P. 1895.3.79), relative à un commissaire répartiteur de la ville de Paris, qui, après avoir été classé n. 1 dans un concours, n’avait pas été nommé par le préfet de la Seine, avait admis la recevabilité du recours du candidat, bien que la situation d’un candidat classé ne puisse pas précisément être considérée comme lui droit acquis à être nommé. — L’art. 24 du statut des agrégations, confirmé par l’art. 42 du décret du 28 décembre 1885, dispose qu’ « un délai de dix jours est accordé à tout concurrent qui a pris part à tous les actes d’un concours pour se pourvoir devant le ministre contre les résultats dudit concours »; en conséquence, une décision du Conseil d’Etat du 21 juin 1895, Legrain (Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 514) a déclaré recevable en principe (irrecevable seulement à cause de l’expiration du délai) le recours d’un candidat, et ici le droit que la candidat qui a subi toutes les épreuves d’un concours peut avoir à être classé et peut bien être qualifié de droit éventuel, puisqu’il est subordonné à la condition du succès dans les épreuves. — Les sous-officiers rengagés, en vertu de la loi du 18 mars 1889, art. 13 et s., ont droit à certains emplois civils, lorsqu’ils figurent sur une liste de classement; ils ont donc qualité pour attaquer les nominations des fonctionnaires civils qui seraient faites en violation de leur droit. Toutefois, la seule décision qui ait été rendu sur cette question jusqu’à présent (Cons. d’Etat, 24 mai 1901, Laffaret, S. 1904.3.40), l’a été sur recours du rengagé inscrit sur la liste de classement avec le n. 1, qui par conséquent, avait, en vertu de son numéro, droit acquis à être nommé au premier emploi vacant d’une certaine catégorie. Elle ne tranche pas la question de savoir si le rengagé, inscrit sur la liste de classement avec le n. 2 ou le n. 3, qui, par suite, n’aurait pas eu droit acquis au prochain emploi, mais seulement éventuel (en cas de décès ou de renonciation du n. 1), aurait eu, lui aussi, qualité pour former le recours. Avec la jurisprudence de nos trois arrêts, il aurait qualité. Jusqu’à présent, il ne paraissait pas l’avoir.
Nous ne faisons pas état de deux décisions (Cons. d’Etat, 11 nov. 1887, Lefebvre, S. 1889.2.48 ; P. chr., et 17 nov. 1899, D’Argent de Deux-Fontaines, précité), dans lesquelles la qualité pour réclamer a été déniée à des candidats à des examens ou à des concours, mais dont le commentaire nous entraînerait trop loin.
En somme, comme on le voit, il y avait quelques travaux d’approche en vue d’assouplir la condition du droit acquis et de faire entrer en ligne de compte le droit éventuel, mais on était bien loin de cette conception en vertu de laquelle tous les fonctionnaires d’un certain ordre, à tous les degrés de la hiérarchie, seraient considérés comme ayant un droit éventuel aux emplois supérieurs. Ce sont bien nos trois décisions qui, délibérément, ont fait faire ce pas en avant. Suivant une politique à peu près invariable dans ses évolutions de jurisprudence de quelque hardiesse, le Conseil d’Etat a procédé par étapes. Dans les deux premières décisions, rendues le même jour, il a tranché par l’affirmative la question de la recevabilité du recours des fonctionnaires, mais il ne leur a pas donné gain de cause au fond, c’est-à-dire qu’il n’a pas annulé les nominations arguées d’excès de pouvoir, bien que la violation de la loi fut très soutenable. Dans la troisième décision, rendue quatre mois plus tard, il a annulé des nominations.
I. — Il est donc inutile d’examiner longuement au fond les décisions Lot et Molinier (1re et 2e espèces); on verra suffisamment par le dispositif des arrêts ce dont il s’agit.
Dans l’affaire Lot, la nomination attaquée était celle du directeur des Archives nationales, les titulaires des emplois, autres que ceux de commis, fussent pris parmi les archivistes-paléographes (Décr., 14 mai 1887, art. 7); le nouveau directeur nommé ne remplissait pas cette condition. L’Administration a soutenu que le directeur des Archives ne faisait pas partie du corps des employés, qu’il était hors cadres, et, qu’ainsi, la condition d’origine ne lui était pas applicable. Cette interprétation du règlement était soutenable; le directeur des Archives ressemble de très près à un directeur de ministère; or, il est d’une pratique administrative courante que les directeurs de ministère n’appartiennent pas nécessairement au corps d’employés qu’ils ont à diriger; c’est ainsi qu’à la direction des domaines et de l’enregistrement, on a vu justement un archiviste-paléographe succéder à un professeur de droit. On comprendrait très bien une organisation administrative dans laquelle les hauts postes, qui à raison de leur caractère unique, ne pouvant pas être ambitionnés sérieusement par les gens de la carrière, seraient attribués à des membres de l’enseignement, auxquels ils fourniraient l’occasion de se compléter par les expériences de la pratique; il y a quelque chose de cela en Allemagne. Le Conseil d’Etat a traduit cette pratique administrative en une sorte de règle de droit, par une distinction entre les fonctions qu’il n’appartient qu’au chef de l’Etat de conférer et les emplois auxquels nomme le ministre; il y aurait, dans le fait que la nomination est réservée au chef de l’Etat, l’indication que la Puissance publique jouit d’une liberté plus grande dans ces choix, ce qui n’est point déraisonnable. Il faudrait donc, dans l’administration centrale, distinguer soigneusement la hiérarchie et la spécialité des cadres. La hiérarchie remonte nécessairement jusqu’aux emplois les plus élevés, et même jusqu’au ministre; la spécialité des cadres ne remonterait pas aussi haut; d’abord, il en faut affranchir les ministres, à raison des nécessités constitutionnelles; il en faudrait également affranchir les hauts employés des ministères à la nomination du chef de l’Etat. Tout cela est très défendable.
Dans l’affaire Molinier, il s’agissait de la nomination d’un inspecteur général des bibliothèques, et, au fond, cela soulevait la question de la signification d’une fusion opérée par la loi des 19-20 mars 1884 et le décret de 21 mars 1884 entre les inspecteurs généraux des archives et les inspecteurs généraux des bibliothèques. Si c’était une fusion de droit, il en résultait que, désormais, tous les inspecteurs devaient porter le double titre d’inspecteurs des bibliothèques et des archives, et, en conséquence, devaient avoir la qualité d’archivistes-paléographes, parce que certainement, avant la fusion, l’inspection des archives était réservée aux archivistes (DD. 6 avril 1880 et 31 mars 1883). Mais l’Administration soutenait que ce n’était qu’une fusion de fait, pour la commodité du service, et qu’en conséquence, on avait parfaitement pu nommer un inspecteur des bibliothèques qui n’eût pas dans son service l’inspecteur des archives, et qui n’eût pas besoin du diplôme d’archiviste-paléographe. Le Conseil d’Etat a adopté cette théorie de la fusion de fait, en employant cette formule : il ne résulte pas, de ce qu’un service a été transféré d’un ministère à un autre et rapproché d’un autre service similaire, qu’il y ait eu réunion des deux services.
Ce qu’il est intéressant d’étudier dans ces deux affaires, c’est la question de la recevabilité des pourvois; elle est la même dans les deux, puisque les requérants étaient également des archivistes-paléographes, et qu’ils fondaient également leur qualité, pour attaquer la légalité des nominations faites, sur les droits que leurs diplômes leur donnaient ou semblaient leur donner aux postes en litige.
Pour circonscrire le problème, il fallait d’abord déterminer la condition des archivistes-paléographes, savoir s’ils étaient bien des fonctionnaires appartenant à un cadre et pouvant invoquer un droit éventuel aux emplois de ce cadre, ou bien s’ils n’étaient que des citoyens investis d’un diplôme attestant un savoir spécial. Ce point a été particulièrement étudié par M. le commissaire du gouvernement Arrivière dans ses conclusions sur l’affaire Lot : « Nous croyons, dit-il, qu’ils sont plus que des diplômés; ce sont des fonctionnaires d’une nature spéciale. Nous ignorions hier leur qualité exacte; mais, d’un examen un peu sérieux des textes, lois, ordonnances, décrets, voici ce qui se dégage sur la condition exacte des archivistes-paléographes : « Au commencement du siècle, après la fondation de l’Ecole des Chartes, en 1820, ils étaient en très petit nombre. Leur nombre s’est élevé peu à peu. Il a diminué ensuite; mais, à la suite d’une ordonnance de 1846, qui a réorganisé l’Ecole des Chartes, ils se sont reconstitués si bien comme fonctionnaires qu’une sorte de crédit leur a été alloué. Il leur a été attribué, à leur sortie de l’Ecole des Chartes, un traitement, qui n’était que de 600 francs, mais ce fait seul en faisait déjà des fonctionnaires. De 1820 à 1846, le nombre des « élèves pensionnaires » a varié; leur traitement a été augmenté ou diminué selon les lois de finances. Mais, à partir de 1846, on leur a toujours réservé un certain nombre d’emplois dans les archives, dans les bibliothèques publiques de l’Etat. L’art. 19 de l’ordonn. du 31 décembre 1846 dispose que le diplôme d’archiviste-paléographe donne le droit de demander un poste d’archiviste du département (cfr. Déc., 4 févr. 1850; et L. 10 août 1874, art. 45). Les archivistes-paléographes sorties de l’Ecole des Chartes n’étaient donc plus de simples diplômes, comme un licencié ou un docteur, mais des citoyens investis d’une fonction publique, — à laquelle était attaché un traitement plus ou moins élevé, — et auxquels on réservait un certain nombre d’emplois des archives départementales, des Archives nationales, de la Bibliothèque nationale. Mais ce caractère de fonction publique s’est, pour ainsi dire, cristallisé au moment de la loi militaire de 1872, qui a réduit le nombre des archivistes-paléographes, en même temps qu’elle leur accordait l’exemption du service militaire. Le nombre des élèves a été alors fixé à vingt (V. L. 27 juill. 1872, art. 20, et S. Lois annotées de 1872, note 30, p. 251; P. Lois, décr., etc., de 1872, p. 430, note 30). Nous croyons dès lors qu’on peut considérer les archivistes-paléographes comme des fonctionnaires assez analogues à ces secrétaires d’ambassade, plus ou moins en disponibilité, mais enfin comme des fonctionnaires au point de vue de la recevabilité. Cette situation de fonctionnaire, — telle que nous venons de la définir, — constitue donc un droit suffisant pour former un recours pour excès de pouvoir. »
Le Conseil d’Etat semble avoir adopté cette opinion, car il évite de parler du diplôme des archivistes-paléographes; il dit : « les archivistes-paléographes », « la qualité d’archiviste-paléographe » (affaire Lot), comme s’il y avait corps de fonctionnaires.
Ce premier point réglé, restait à apprécier si ces fonctionnaires avaient droit aux emplois des Archives nationales, dans le sens où la quatrième ouverture du recours pour excès de pouvoir exige qu’il y ait droit acquis. La solution est affirmative : « Considérant que les dispositions de l’art. 7 du décret du 14 mai 1887, qui exigent qu’aux Archives nationales, les titulaires des emplois autres que ceux des commis soient pris parmi les archivistes-paléographes, confèrent à ces derniers un droit exclusif à l’obtention de ces emplois » (affaire Lot). Mais cette rédaction appelle cependant des réserves. On peut l’entendre en ce sens qu’il y aurait, au profit du corps des archivistes-paléographes, un monopole collectif lui assurant tous les emplois des Archives nationales; c’est la signification ordinaire de l’expression « droit exclusif » elle équivaut à monopole (V. toute la jurisprudence relative au monopole de l’éclairage). En tant que collectif, ce monopole constituerait bien un droit acquis véritable, c’est-à-dire actuel. Dès lors, la solution de notre arrêt peut s’entendre de deux façons : ou bien le droit acquis est réalisé au profit de la collectivité des archivistes, et chacun d’eux est recevable à invoquer le droit acquis collectif, parce qu’il a un intérêt personnel à défendre les prérogatives du corps; ou bien il n’y a pas à s’occuper de la collectivité des archivistes, et chacun d’eux peut invoquer individuellement un droit éventuel. A l’appui de la première interprétation, on pourrait invoquer la suite des considérants : « qu’ainsi, en sa qualité d’archiviste-paléographe, le sieur Lot a un intérêt personnel, et est par suite recevable à demander l’annulation de toute nomination faite contrairement aux dispositions qui précèdent ». Ce serait l’intérêt personnel d’un membre d’un corps à défendre les prérogatives du corps. Ce recours de l’archiviste-paléographe serait du même ordre que le recours du contribuable de la commune, ou, plus exactement, il serait du même ordre que le recours d’un membre d’un conseil général ou d’un conseil municipal défendant les prérogatives de l’assemblée, recours qui, d’ailleurs, n’est pas recevable. (V. Cons. d’Etat, 24 janv. 1896, Crosnier et autres, S. et P. 1898.3.36; 25 mai 1900, Gaudin et autres, S. et P. 1902.3.91, et les renvois; Laferrière, Tr. de la jurid. admin., 2e éd., t. II, p. 443).
Si nous n’avions que la décision Lot, nous pourrions être tentés d’entrer dans cette voie et de classer notre arrêt parmi ceux qui élargissent la recevabilité du recours des membres des collectivités. Mais notre troisième décision (affaire Savary) nous oriente, croyons-nous, décidément vers le droit individuel éventuel du fonctionnaire (quant à la décision Molinier, elle ne statue pas sur la recevabilité, adoptant implicitement les considérants de la décision Lot).
II. — L’affaire Savary est relative à une série de nominations faites dans le personnel du service des enfants assistés en violation du décret du 8 mars 1887, qui contient l’énumération des divers fonctionnaires pouvant être nommés inspecteurs, et qui dispose aussi que les inspecteurs seront, à leur entrée en service, placés dans la quatrième classe des cadres. Au fond, la violation de la loi n’était pas discutable. Aussi l’annulation des nominations a-t-elle été prononcée. Ce qui nous intéresse le plus ici encore, c’est la formule employée sur la recevabilité.
A la date des arrêts ministériels attaqués, le requérant était sous-inspecteur de deuxième classe des enfants assistés du département du Rhône; à la date du 5 septembre 1903, c’est-à-dire antérieurement à la décision du Conseil d’Etat, il a été nommé inspecteur du même service dans le territoire de Belfort. Notre décision commence par constater que cette circonstance n’a pas fait disparaître son intérêt personnel à demander l’annulation des arrêtés attaqués. Cela signifie sans doute que, si les nominations contestées ne pouvaient plus l’empêcher d’être nommé lui-même inspecteur, elles pouvaient encore lui porter préjudice au point de vue des promotions de classe, étant antérieures à la sienne. Mais les considérants ajoutent ceci : « indépendamment de ce qu’elle (cette circonstance) n’a pu préjudicier à son droit, de contester les nominations irrégulières ». Ici, on voit que le droit du fonctionnaire aux divers emplois de sa carrière est nettement individualisé, car c’est ce même droit qui lui permet de contester les nominations irrégulières, et on l’appelle son droit. Cette précision énergique fait disparaître l’incertitude qui pourrait planer sur la formule de la décision Lot; il ne s’agit pas du droit collectif d’un groupe de fonctionnaires que chacun d’eux pourrait défendre, il s’agit bien d’un droit réalisé en la personne de chacun.
En résumé, tout fonctionnaire appartenant aux cadres d’une administration régulière a un droit éventuel personnel aux emplois de la carrière, et ce droit éventuel est de ceux dont la violation donne qualité pour invoquer la quatrième ouverture du recours pour excès de pouvoir, c’est-à-dire la fausse application de la loi.