Dans cette affaire des demoiselles du téléphone, qui, à d’autres points de vue, avait occupé les tribunaux judiciaires (V. Cass. 11 févr. 1905, aff. Belloche, S. et P. 1906.1.529, et la note de M. Roux; Pand. Pér., 1905.1.100. V. égal., Trib. corr. de la Seine, 1er juin 1904, 2e espèce, aff. Sylviac, Gaz. Pal., 1904.1.718), le Conseil d’Etat nous paraît avoir abusé de la fin de non-recevoir tirée de l’existence d’un recours parallèle. Et comme, dans la matière des contributions indirectes, dont relève la redevance des téléphones, il a, d’une manière générale, tendance à se décharger sur l’autorité judiciaire (V. sur le droit pour l’autorité judiciaire d’apprécier, en matière de taxes assimilées aux contributions indirectes, la légalité des mesures prises par l’Administration, Cons. d’Etat, 4 déc. 1903, Barthe, Jaudet et autres, S. et P. 1904.3.137, et le renvoi, Adde, comme application, Cass. 7 déc. 1904, 3 arrêts, S. et P. 1907.1.309; Pand. pér., 1er arrêt, 1905.1.255), des difficultés qui se présentent, l’occasion est bonne pour examiner la question.
Mme Chauvin, dite Sylviac, déférait au Conseil d’Etat une décision, en date du 30 mars 1904, notifiée le 6 avril suivant, par laquelle le directeur de l’exploitation électrique, agissant pour le sous-secrétaire d’Etat au ministère du commerce, des postes et télégraphes, avait suspendu sa communication téléphonique avec le réseau de Paris. Cette mesure disciplinaire était prise par application de l’art. 52 de l’arrêté ministériel du 8 mai 1901, aux termes duquel, « en cas d’inexécution des clauses du contrat, ou si des difficultés provenant du fait de l’abonné venaient à entraver la marche du service, notamment si des paroles blessantes ou injurieuses pour l’Administration ou son personnel étaient prononcées à partir du poste de cet abonné, l’Administration pourrait, d’office, suspendre la communication téléphonique ».
Une première objection aurait pu être faite au recours, à savoir que le directeur de l’exploitation électrique n’avait pas qualité pour prendre une décision exécutoire qui pût être déférée au Conseil d’Etat. Mais le Conseil ne s’est pas arrêté à cette fin de non-recevoir, parce que le ministre, dans ses observations sur le pourvoi, a déclaré s’approprier, si besoin était, la mesure prise par son subordonné. Ainsi endossée, par le ministre, la mesure devenait incontestablement une décision exécutoire susceptible de recours pour excès de pouvoir.
Le Conseil d’Etat s’est alors abrité derrière la fin de non-recevoir tirée de l’existence d’un recours parallèle. « Considérant qu’il n’appartient qu’aux tribunaux judiciaires de statuer les difficultés qui s’élèvent entre l’Etat et les abonnés au téléphone, débiteurs, à raison de l’usage qu’ils font de mode de communication, de redevances assimilées à des contributions indirectes; que la compétence ainsi attribuée à l’autorité judiciaire lui donne le droit d’apprécier, au point de vue même de leur légalité, les mesures prises par l’Administration; qu’il suit de là que le recours pour excès de pouvoir… n’est pas recevable » (Sur la compétences des tribunaux judiciaires en matière de contestations relatives aux redevances téléphoniques, V. Cons. d’Etat, 21 nov. 1890, l’Etat, S. et P. 1892.3.137, les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Le Vavasseur de Précourt, et la note de M. Hauriou; Pand. pér., 1891.4.20; 16 nov. 1900, Min. du commerce, S. et P. 1903.3.32. V aussi, Nancy, 9 mai 1896, S. et P. 1898.2.281, et la note).
Cette jurisprudence paraît libérale au premier abord, et les partisans du tout aux tribunaux civils ne manqueront pas d’y applaudir.
En réalité, elle constitue un déni de justice, et, de plus, elle n’est pas fondée.
I. — Cette jurisprudence n’est pas libérale. Quelle satisfaction les tribunaux judiciaires peuvent-ils accorder à un abonné au téléphone, victime d’une mesure disciplinaire plus ou moins justifiée, et dont la communication a été suspendue ? Remarquons qu’il ne s’agit pas du paiement de la redevance. L’abonné ne demande pas à ne pas payer; il ne conteste pas la légalité de la taxe; il conteste la légalité d’une mesure disciplinaire qui n’a aucun rapport avec la taxe. Il demande que la communication lui soit rendue, ou tout au moins que, la décision du ministre étant annulée, la conduite de l’Administration à son égard soit censurée, de telle sorte que celle-ci soit juridiquement obligée à lui restituer la communication et à ne pas recommencer à l’avenir dans les mêmes conditions. Or, cela n’a rien de commun avec la redevance. Sans doute, les considérants plus haut reproduits prétendent que « la compétence ainsi attribuée à l’autorité judiciaire (à propos des redevances) lui donne le droit d’apprécier, au point de vue de leur légalité, les mesures prises par l’Administration ». Mais nous craignons que, sous cette formule trop générale, le Conseil d’Etat n’ait visé des hypothèses qui ne sont pas la nôtre.
Nous montrerons plus loin que les mesures administratives dont la légalité peut être appréciée par le juge du contentieux de la redevance sont seulement celles par lesquelles sont établies les redevances. Mais, à supposer que nous nous trompions sur ce point et que toutes sortes de mesures administratives relatives à l’opération puissent être appréciées par le juge du contentieux de la redevance, ce ne pourrait être cependant qu’à l’occasion d’un procès sur la redevance. Et voilà donc un abonné au téléphone, qui veut faire censurer une mesure disciplinaire prise contre lui, obligé de prendre un détour et de former une demande en restitution de taxe, ou toute autre, relative à la redevance. Nous ne supposons pas que le Conseil ait entendu viser une demande en indemnité portée devant le tribunal civil à raison de la mesure disciplinaire. Ce serait un peu loin de la base juridique de la compétence qui est la redevance.
Pourtant cet abonné aurait droit à être protégé contre l’arbitraire de l’Administration par des procédés plus directs. Il n’y a pas de raison pour qu’il ne jouisse pas des mêmes garanties que le citoyen ordinaire. Ce n’est pas subir une capitis deminutio que de s’abonner au téléphone. Il est vrai qu’on se soumet à un pouvoir disciplinaire spécial. Raison de plus pour qu’on ait à sa disposition le recours pour excès de pouvoir, remède ordinaire contre les excès de pouvoir disciplinaire de l’Administration.
Comment ! l’Administration impose le monopole des téléphones, elle impose à l’abonné des mesures disciplinaires, elle le suspend comme un simple fonctionnaire, elle le met en retenue pour avoir prononcé des paroles un peu vives, non seulement à l’adresse du personnel, mais encore à l’adresse de l’Administration (Arr. minist., 8 mai 1901, art. 52). (On ne pourra plus dire, du moment que l’Administration est susceptible d’être blessée ou injuriée, qu’elle n’est pas une personne morale). — Tout cela est déjà exorbitant dans un service industriel, bien que ce soit le droit commun de la Puissance publique. Pour comble, le Conseil d’Etat repousserait le recours pour excès de pouvoir, c’est-à-dire le seul moyen pratique de réclamation !
En se plaçant au seul point de vue de la politique jurisprudentielle qu’il suit dans la question des recours parallèles, le Conseil d’Etat se doit à lui-même de libérer ici le recours pour excès de pouvoir. Il a déjà, dans d’autres hypothèses, renoncé à imposer aux réclamants des détours de procédure qui ne sont dignes ni d’eux, ni de lui. Dans la matière des règlements de police, il avait aussi pendant longtemps donné de bons conseils aux intéressés; il leur disait : Vous vous plaignez d’un règlement municipal illégal, et vous me demandez de l’annuler; mais vous avez un autre moyen bien simple : laissez-vous poursuivre en contravention, et le juge de paix, reconnaissant l’illégalité du règlement, vous relaxera de la poursuite; le règlement se trouvera ainsi moralement frappé d’inefficacité. Le malheur est que les intéressés ne trouvaient ce moyen détourné, ni simple, ni plaisant, qu’ils ont persisté à former des recours pour excès de pouvoir, et que le Conseil d’Etat a fini par céder à leurs instances et par leur accorder le recours direct, ce dont il a été grandement loué (V. Cons. d’Etat, 29 nov. 1872, Baillergeau, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 670; 20 déc. 1872, Billette, S. 1874.2.222; P. chr.; Pand. chr.; Adde, les décisions citées dans la note, 6e col., de M. Hauriou sous Cons. d’Etat, 24 juill. 1903, Comm. de Massat, et 7 août 1903, Chabot et autres, S. et P. 1904.3.1. V. encore, comme application, Cons. d’Etat, 17 févr. 1905, Paul David et Adrien Cancel, S. et P. 1907.3.15 ; Pand. pér., 1906.4.11; 3 mars 1905, Lebourg, S. et P. 1907.3.28; Pand. pér., 1905.4.59; 10 mars 1905, Charvier, S. et P. 1907.3.30; 8 déc. 1905, Raveau C. Maire du Havre, S. et P. 1907.3.141; Pand. pér., 1906.4.82. V. au surplus sur l’évolution de la jurisprudence, Laferrière, Tr. de la jurid. admin., 2e éd., t. II, p. 482 et s.).
La même histoire s’est reproduite dans la matière des sectionnements électoraux, et là elle date d’hier. Les électeurs d’une commune injustement sectionnée formaient un recours contre la délibération du conseil général. Patience, leur répondait le Conseil d’Etat; laissez donc faire la prochaine élection municipale sur la base de ce sectionnement, et alors vous ferez annuler l’élection municipale, et, de cette façon, le sectionnement qui aura causé cette annulation des opérations électorales sera moralement condamné. Mais les électeurs, qui estimaient avec raison qu’il serait plus simple d’annuler tout de suite le mauvais sectionnement de façon à éviter l’annulation de l’élection, se sont là encore obstinés, et ils ont réussi; le Conseil leur a octroyé le recours pour excès de pouvoir (V. Cons. d’Etat, 7 août 1903, Chabot et autres, précité, et la note de M. Hauriou; 25 mars 1904 [15 arrêts], Bonhier et autres, sol. implic., 25 févr. 1905, Elect. de l’Ile-Bouchard, sol. implic., 27 févr. 1905, Elect. de Teillet, sol. implic., 15 mars 1905, Elect. de Caillac, sol. implic., 20 mars 1905, Elect. de Monléon-Magnoac, sol. implic., 26 juill. 1905, Elect. de Capvern, sol. implic., S. et P. 1906.3.90).
Ainsi, déjà plusieurs fois, le Conseil d’Etat a sacrifié la fin de non-recevoir, reconnaissant qu’il était abusif d’imposer aux réclamants des détours de procédure, qui, d’ailleurs, n’aboutissaient pas au vrai résultat désirable, l’annulation de l’acte erga omnes. Il serait convenable qu’il renouvelât ce sacrifice en ce qui concerne les mesures disciplinaires par les régies de l’Etat, en matière de contributions indirectes.
II. — Non seulement ce serait désirable, mais nous estimons que ce serait un retour à la légalité, car le Conseil d’Etat force les textes relatifs à la matière quand il prétend en déduire cette conséquence que « la compétence attribuée à l’autorité judiciaire (sur les contributions indirectes) donne à celle-ci le droit d’apprécier, au point de vue même de leur légalité, les mesures prises par l’Administration », et lorsqu’il entend cela de toute sorte de mesures, même de mesures disciplinaires n’ayant aucun rapport ni avec l’établissement de la taxe ni avec sa perception. Nous estimons, quant à nous, que les mesures administratives dont l’autorité judiciaires a la de droit d’apprécier la légalité sont uniquement celles relatives à l’établissement ou à la perception de la taxe. Les lois des 7-11 septembre 1790 (S. 1er vol. des Lois annotées, p. 61), et 5 ventôse an XII (S. 1er vol. des Lois annotées, p. 661), qui ont établi cette compétence, visent uniquement la perception des contributions, et Laferrière pose en principe que les tribunaux judiciaires sont incompétents sur les contestations administratives étrangères à la perception de la taxe (op. cit., t. I, p. 699). Il est d’avis aussi que la fin de non-recevoir, tirée de l’existence d’un recours parallèle, est applicable à tous les recours formés contre les actes administratifs qui servent de vase à des taxes indirectes (op. cit., t. II, p. 488). Mais il ne va pas au-delà (V. comme application de cette fin de non-recevoir, Cons. d’Etat, 3 févr. 1899, Botella, S. et P. 1901.3.84, et les renvois; 28 avril 1899, Pinoteau, S. et P. 1901.3.116; 4 déc. 1903, Barthe, Jaudet et autres, précité). Notons d’ailleurs que, même pour les actes établissant la taxe, le Conseil d’Etat serait parfaitement libre de renoncer à la fin de non-recevoir; il y aurait tout simplement deux recours parallèles. C’est ce qu’il a fait un certain nombre de fois. (V. notamment, Cons. d’Etat, 15 [et non 9] févr. 1895, Leboucher, Tostain et autres, S. et P. 1897.3.89; Pand. pér., 1897.4.35. Adde sur la question, la note de M. Hauriou, in fine, sous Cons. d’Etat, 21 déc. 1900, Trotin et autres, S. et P. 1903.3.57).
A plus forte raison le doit-il faire dans notre hypothèse, car la mesure disciplinaire consistant à suspendre la communication d’un abonné au téléphone n’est relative ni à l’établissement ni à la perception de la taxe.
On voit bien le raisonnement spécieux qui peut être échafaudé et dont les linéaments transparaissent dans les observations du ministre. A base de la taxe des téléphones, il y a le contrat d’abonnement. Ce contrat est l’acte en vertu duquel la taxe est due pour chaque abonné; par suite, ce contrat est de la compétence de l’autorité judiciaire. Or, le pouvoir disciplinaire de l’Administration est stipulé dans le même contrat; donc l’exercice de ce pouvoir disciplinaire est lui-même sous le contrôle de l’autorité judiciaire, parce qu’il est d’origine contractuelle.
Ce raisonnement n’est que spécieux et ne nous convainc pas. Non, le contrat d’abonnement n’est pas l’acte administratif placé à la base de la taxe, ou, du moins, il n’est pas l’acte essentiel. L’acte essentiel est le tarif décrété par le chef de l’Etat. Le contrat d’abonnement n’est qu’une mesure d’exécution par rapport au tarif antérieurement arrêté. Il en est de même en ce qui concerne les pouvoirs disciplinaires; ils sont antérieurs au contrat; ce sont les pouvoirs habituels de la Puissance publique dans la gestion des services. Ils sont rappelés dans le contrat d’abonnement au téléphone, mais ils ne procèdent point du contrat. Spécialement en ce qui concerne la suspension du service, la Puissance publique a un pouvoir général d’interrompre ses services quels qu’ils soient et vis-à-vis de qui que ce soit, sauf, bien entendu, la limite de l’excès du pouvoir et celle de l’indemnité.
Le contrat d’abonnement n’est pas un acte juridique novateur. Il n’est qu’un contrat d’adhésion, et peut-être même faudrait-il supprimer le mot contrat, et dire un acte d’adhésion à un service organisé. Un tel acte n’a pas la vertu de nover les éléments juridiques du service et d’en former un tout qui serait exclusivement contractuel. Les éléments du service restent réglementaires et d’ailleurs dissociés. Les mesures disciplinaires restent distinctes des actes relatifs à la perception de la taxe; elles ne sont pas de la compétence de l’autorité judiciaire; elles suivent leur nature propre, qui les rend justiciables du recours pour excès de pouvoir (V. au surplus, sur les caractères du contrat d’abonnement au téléphone, Nancy, 9 mai 1896, précité, la note et les renvois).
Au reste, le Conseil d’Etat, dans le dispositif de l’arrêt, se garde bien d’invoquer le contrat d’abonnement et son prétendu caractère judiciaire; il garde sur ce point un silence prudent. Au contraire, il rappelle que l’interruption des communications a été prononcée par application de l’art. 52 de l’arrêté ministériel du 8 mai 1901. Plus loin, il rappelle que les abonnés au téléphone sont soumis à l’application de la législation spéciale aux communications télégraphiques, et, en outre, « en vertu des clauses des contrats passés entre eux et l’Administration, à l’observation des règlements en vigueur ». Ainsi, le principal effet du contrat est de soumettre l’abonné à des règlements et à un pouvoir réglementaire, à un pouvoir disciplinaire et à des mesures disciplinaires; mais règlements et mesures disciplinaires ne deviennent point des actes contractuels, ils conservent leur nature unilatérale et pour ainsi dire sauvage d’actes de la Puissance publiques. L’abonné a consenti à ce qu’ils s’exercent envers lui, mais à ce qu’ils s’exercent en conservant leur nature.
Les contrats d’adhésion ou actes d’adhésion ont été jusqu’ici peu étudiés; leur théorie est encore à faire. Cependant des auteurs très autorisés s’en sont préoccupés au point de vue des principes d’interprétation qui leur sont applicables. Voici ce qu’en dit le plus autorisé de tous, M. Saleilles (De la déclaration de volonté, n. 90, p. 230) : « L’interprétation devrait s’en faire comme celle d’une loi proprement dite, en tenant compte beaucoup moins de ce qu’a pu croire ou vouloir, soit l’ouvrier, qui adhère aux conditions générales de l’engagement dans telle ou telle usine, soit le voyageur qui, en prenant son billet, adhère aux conditions et à la loi fixées par la Compagnie, que de ce que ces chartes générales doivent être dans l’intérêt de la collectivité à laquelle elles s’adressent. Ce qui doit constituer l’interprétation, ce n’est plus la recherche d’une volonté moyenne qui pourra représenter la volonté commune des deux contractants, — ces procédés ne sont de mise que là où les deux volontés ont un rôle égal à jouer, — mais bien l’interprétation de la seule volonté qui a été prédominante, qui, seule, a formé l’engagement…, et qui doit être appliquée dans le sens de ce qu’exigent et la bonne foi et les rapports économiques et jeu… » (V. aussi, Dollat, Les contrats d’adhésion, p. 133 et s., Paris, 1905). Cela revient à dire que l’opération se décompose en l’émission d’une volonté réglementaire à laquelle une autre volonté vient adhérer. C’est la volonté réglementaire seule qui compte au point de vue de l’interprétation. C’est elle seule aussi qui compte au point de vue de la nature des recours qui peuvent être intentés.
Une autre opinion a été émise, qui, si l’on peut dire, est furieusement contractuelle. Elle se trouve dans le travail, d’ailleurs distingué, de M. Dereux sur l’interprétation des actes juridiques (Paris, 1905) : « Une observation exacte des faits, dit cet auteur, nous conduit à distinguer dans les contrats d’adhésion deux sortes de clauses : celles qui sont essentielles et sur lesquelles s’est certainement portée l’attention des deux parties lors de la convention (celles-là ne diffèrent point de n’importe quelle autre espèce de pacte), et celles qui sont accessoires ou du moins que l’une des parties a dû considérer comme telles; celles-là ne peuvent que préciser les premières; la bonne foi interdit qu’on s’en serve pour dénaturer les clauses essentielles du contrat » (p. 216 et s.).
Or, sait-on quelles clauses l’auteur considère comme essentielles et quelles il considère comme accessoires ? Il l’a expliqué auparavant (V. not. p. 201). Il faut se placer au point de vue de l’individu faible et isolé qui traite avec une puissante organisation; les clauses essentielles pour cet individu seront les plus particulières, celles qui règlent son cas en ce qu’il a de particulier; s’il s’agit d’une police d’assurance, ce seront les stipulations manuscrites relatives à l’évaluation de ses risques et au montant de sa prime; s’il s’agit de l’abonnement au téléphone, ce sera l’indication du montant de son abonnement. Au contraire, les clauses secondaires au point de vue de l’abonné seront toutes les clauses générales imprimées dans la police d’assurance ou dans la police d’abonnement; elles sont tellement secondaires pour lui qu’il ne se donne seulement pas la peine de les lire. Assurément ce sont les clauses les plus importantes pour la Compagnie d’assurances ou pour l’Administration, et, à considérer l’opération objectivement, ce sont les plus importantes pour l’opération. N’importe. Du moment que, dans la pensée de l’abonné, elles ont été secondaires, elles resteront secondaires.
Et pourquoi ce renversement des valeurs réelles des choses et ce véritables contresens ? Parce que la donnée contractuelle l’exige. On n’est dans la donnée du contrat qu’autant que les volontés en présence sont égales et également éclairées sur l’effet de leur consentement. Il n’y a donc en réalité dans un contrat d’adhésion que ce qu’a pu y voir la partie la moins documentée, c’est-à-dire l’abonné. La volonté de l’abonné sera la mesure du contrat. Or, l’abonné ne voit que les clauses qui lui sont particulières; il ignore les clauses générales.
Cela ne manque pas de logique. A notre avis, si l’on tire les actes d’adhésion du côté des contrats, c’est à cela qu’on aboutit. C’est une solution inacceptable. A ce compte, dans un marché de travaux publics, le cahier des clauses et conditions générales devient un élément secondaire et négligeable et il ne reste plus que le devis et le détail des prix. C’est là simplement la condamnation de la théorie. Les actes d’adhésion n’ont de contractuel que le nom. Ce sont des adhésions à des actes de nature réglementaire, et, en matière administrative, les actes de nature réglementaire comportent le recours pour excès de pouvoir. Le prétendu contrat ne saurait les en défendre.
Ainsi, le Conseil d’Etat fera bien de renoncer à opposer la fin de non-recevoir tirée de l’existence du recours parallèle aux recours formés contre les mesures disciplinaires infligées aux abonnés du téléphone. Toutes les raisons juridiques derrière lesquelles il s’abrite sont mauvaises, et, d’autre part, il y a des garanties à donner au public. Nous ne nous préoccupons pas ici des répercussions qu’une évolution de jurisprudence pourrait avoir sur d’autres cas d’application de la même fin de non-recevoir. En cette matière, le Conseil ne se pique point d’une logique rigoureuse; il suit une politique jurisprudentielle; il a déjà abandonné bien des retranchements qu’il occupait jadis; il peut abandonner celui-là maintenant, s’il juge le moment venu. Cela ne l’empêchera pas de conserver d’autres positions fortifiées. Nous ne disons pas que la fin de non-recevoir tirée du recours parallèle doive disparaître totalement. Nous constatons simplement que, dans le cas particulier, elle est devenue gênante.