La France a été condamnée par la CEDH, le 26 juin 2014, pour violation de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, dans deux affaires de refus de retranscription d’actes d’état civil pour des enfants nés par gestation pour autrui (CEDH, 5e sec., 26 juin 2014, Labassee c. France, req. n° 65941/11 et Menesson c. France, req. n° 65192/11). Il lui sera désormais difficile de continuer à opposer à un enfant son mode de conception ou sa naissance même, pour lui refuser le bénéfice de ses droits les plus élémentaires.
Par ses deux décisions, la Cour rappelle sans surprise la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant sur l’intérêt général : la France a le droit, du fait de la marge de manœuvre laissée aux États, d’interdire la GPA sur son territoire, mais elle ne peut pas porter atteinte à « l’identité » des enfants nés de mères porteuses à l’étranger en refusant de les reconnaître.
1. GPA : un cadre juridique très hétérogène
Pour des raisons morales et éthiques, les Etats sont libres de prohiber ou légaliser la gestation pour autrui. Nombreux sont ceux qui déclarent nulles les conventions de maternité pour autrui : la France (Loi de bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 introduisant dans le Code civil les articles 16-7 et 16-9.), mais aussi l’Allemagne (Loi sur la protection de l’embryon du 13 décembre 1990 [Gesetz zum Schutz von Embryonen, Embryonenschutzgesetz -ESchG], entrée en vigueur en 1991.), l’Espagne (Loi n° 14/2006 du 26 mai 2006[Ley sobre técnicas dereproducción humana asistida], entrée en vigueur le 28 mai 2006.), l’Italie (Loi n° 40 du 19 février 2004 [Norme in materia di procreazione medicalmente assistita]).), la Suisse (Art. 119 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999, entrée en vigueur le 1er janvier 2000 ; articles 4 et 31 de la Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée du 18 décembre 1998, entrée en vigueur le 1er janvier 2001.), la Turquie (Règlement n° 24359 relatif à la procréation médicalement assistée du 31 mars 2001 [Uremeye yardimci tedavi merkezleri yönetmeligi]), la Pologne (Loi du 6 novembre 2008, entrée en vigueur le 13 juin 2009, sur la modification du Code de la famille et de la tutelle), la Belgique (Par l’interprétation jurisprudentielle des dispositions relatives à l’établissement légal de la maternité et à la validité des contrats) et le Luxembourg (Par l’interprétation jurisprudentielle de la conception nationale de l’ordre public) notamment.
Cette interdiction peut découler d’une loi, spécifique ou non, ou de la jurisprudence.
D’autres autorisent le recours à des « mères porteuses », notamment la Californie ou le Minnesotta comme en l’espèce.
Cette variété de situations selon les États résulte du fait qu’aucun texte contraignant sur le plan international n’a été adopté, depuis l’abandon1 du projet de rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe visant à encadrer la gestation pour autrui afin d’en autoriser la pratique en cas de stérilité2.
En théorie, en vertu de la Convention de la Haye de 1961, dont la France est signataire, l’État destinataire ne peut pas contester la véracité d’un acte de naissance étranger. Si cet acte, apostillé ou légalisé, est traduit par un traducteur assermenté, il doit être pris en compte par l’administration française. Cependant, cela ne signifie pas que cette dernière soit contrainte de valider le contenu de l’acte si cela est contraire à ses lois domestiques.
Sur le plan pénal, la gestation pour autrui est réprimée, en France, comme portant atteinte à l’état civil de l’enfant. Elle est assimilée à une supposition d’enfant, qui est constitutive d’un délit passible de trois années d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (Article 227-13 du Code pénal).
Sur le plan administratif, le Conseil d’Etat prend une position opposée à la Cour de cassation en considérant que l’intérêt supérieur de l’enfant doit prévaloir : « la circonstance que la conception de ces enfants par [le père biologique français] et [la mère biologique indienne] aurait pour origine un contrat entaché de nullité au regard de l’ordre public français serait, à la supposer établie, sans incidence sur l’obligation, faite à l’administration par les stipulations de l’article 3-1 de la convention relative aux droits de l’enfant, d’accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Dans ce sens, le Conseil d’Etat indique, dans un arrêt rendu le 25 juin 2014, que les stipulations du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention internationale, relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier 1990, qui peuvent être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir, sont applicables aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d’enfants mineurs, mais aussi à celles qui ont pour effet d’affecter, de manière suffisamment directe et certaine leur situation (CE SSR., 25 juin 2014, requête numéro 359359,, publié au recueil Lebon) (Sur l’applicabilité directe en voie interne des stipulations du paragraphe 1 de l’article 3 précité voir Conseil d’Etat, SSR, 22 septembre 1997, Cinar, requête numéro 161364, publié au recueil. V. aussi Conseil d’Etat, ORD., 4 mai 2011, Ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, req. n° 348778)).
Sur le plan civil, l’article 16-7 du Code civil français, qui prévoit que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle », et ce de nullité absolue, consacre la solution qui fut dégagée par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 31 mai 1991, rendu sur pourvoi formé dans l’intérêt de la loi par le Procureur général, au visa des articles 6, 1128 et 353 du Code civil et aux termes duquel «la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes» (Ass. plén. 31 mai 1991, Bull. ass. Plén. 1991, n° 4 ; JCP 1991, II, 21752, concl. Dontenwille, note F. Terré ; D. 1991, p. 417, rapp. Y. Charrier, note D. Thouvenin ; RTD civ. 1991. 517, obs. D. Huet-Weiller).
Depuis, la jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de cassation reste constante sur le sujet3.
Et ce, en dépit de tentatives ponctuelles de Cours d’appel prenant en considération l’intérêt supérieur de l’enfant à voir son lien de filiation établi avec son parent biologique4.
2. Le périple judiciaire de deux familles
Dans les deux affaires que la CEDH a eu à juger, elle a été saisie, le 6 octobre 2011, par deux couples français, pour atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale.
Suite à une convention de gestation pour autrui, ces deux couples stériles, les époux L…. et les époux M…. ont été, aux Etats-Unis, judiciairement déclarés comme parents d’enfants nés de mères porteuses américaines. Souhaitant faire transcrire sur les registres de l’état civil de Nantes les actes de naissance étrangers, pour que les filiations établies entre eux et les enfants aux États-Unis soient reconnues, ils se sont heurtés à un refus les conduisant à entamer une procédure judiciaire.
Dans le cas des époux L…. , pour lequel le mari a été déclaré « père génétique » de l’enfant et l’épouse « mère légale », le ministère public a demandé l’annulation de la transcription de l’acte d’état civil français en son entier.
Dans le cas des époux M…. , la transcription de l’acte d’état civil américain de l’enfant sur les registres français ayant été refusée par le consulat, les époux ont obtenu du juge des tutelles, à leur retour en France, un acte de notoriété constatant la possession d’état pour leurs jumelles, dont ils ont demandé en justice la transcription sur les registres des actes d’état civil.
Après un long périple judiciaire, les deux couples finirent par se pourvoir parallèlement en cassation. Deux questions essentielles étaient ainsi posées à la Cour de cassation :
– la conception française de l’ordre public international s’oppose-t-elle à la reconnaissance, en France, d’actes d’état civil d’enfants issus d’une gestation pour autrui régulièrement mise en œuvre à l’étranger ?
– dans l’affirmative, les impératifs des conventions internationales sur l’intérêt supérieur de l’enfant (article 3 § 1 de la Convention de New-York) ou sur le droit à une vie de famille (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme) permettent-ils ou non d’écarter les effets de cette contrariété à l’ordre public ?
La première chambre civile décidait, le 6 avril 2011, par les deux arrêts concernant ces affaires (Civ. 1re, 6 avr. 2011, no 10-19.053 et Civ. 1re, 6 avr. 2011, no 09-17.130, D. 2011, p. 1064, obs. X. Labbée), « qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public ». La Cour étendait cette impossibilité d’effets, en France, d’une possession d’état invoquée pour l’établissement de la filiation, dès lors qu’elle est la conséquence d’une telle convention quand bien même elle serait licite et reconnue dans le pays étranger.
La haute juridiction jugeait, en outre, que le refus de transcription de l’acte de naissance ne privait pas ces enfants de la filiation paternelle et maternelle que leur reconnaît le droit étranger et ne portait pas non plus atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale dans la mesure où ce refus ne les empêcherait pas de vivre avec les parents.
3. Un contexte politique et jurisprudentiel en constante évolution
Peu de temps après, en mai 2011, le Ministère des Affaires étrangères autorisait la délivrance d’un « document de voyage» permettant aux parents d’entrer sur le territoire national avec l’enfant né d’une convention de mère porteuse, au nom du droit à la vie privée et familiale, sur le fondement d’une ordonnance du Conseil d’État en date du 4 mai 2011 (Conseil d’Etat ORD., 4 mai 2011, Ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, requête numéro 348778).
Le Conseil estimait, effectivement, que constitue une atteinte grave et manifestement illégale à l’intérêt supérieur de l’enfant le refus des autorités françaises d’admettre sur le territoire des enfants nées à l’étranger d’un ressortissant français, fût-ce d’une gestation pour autrui.
En 2012, un pas supplémentaire aurait même pu être franchi, lorsque le Sénat a présenté une proposition de loi autorisant la transcription à l’état civil français des actes de naissance des enfants nés à l’étranger du fait d’une gestation pour autrui. Ce projet prévoyait l’intégration dans le Code civil de l’article 336-2 ainsi rédigé : « Lorsque l’état civil de l’enfant a été établi par une autorité étrangère en conformité avec une décision de justice faisant suite à un protocole de gestation pour autrui, cet état civil est transcrit dans les registres français sans contestation possible aux conditions que la décision de justice soit conforme aux lois locales applicables, que le consentement libre et éclairé de la femme qui a porté l’enfant soit reconnu par cette décision et que les possibilités de recours contre cette décision soient épuisées »5.
Bien qu’aucune suite n’ait été donnée à ce projet de loi, une circulaire, en date du 25 janvier 2013, d’application immédiate, était adressée par la Ministre de la Justice aux greffiers en chef des tribunaux d’instance, ainsi qu’aux procureurs généraux et aux procureurs de la République6 afin de faciliter la délivrance de certificats de nationalité française (CNF) aux enfants nés à l’étranger de français « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ».
Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, cette circulaire a pour objectif de sécuriser la situation des enfants nés à l’étranger dans des circonstances dont ils ne sont pas maîtres afin que, dès lors qu’un lien de filiation est établi, ils puissent voir leur nationalité française reconnue.
Cependant, le cabinet de la ministre précisait que : «La circulaire ne concerne pas la transcription des actes d’état civil étrangers sur le registre d’état civil français.» La filiation, sur le livret de famille notamment, ne sera donc pas établie pour ces enfants.
La première chambre de la Cour de cassation a, ainsi, pu durcir sa position, par ses deux arrêts du 13 septembre 2013. Elle y fait pour la première fois référence à une fraude à la loi pour refuser toute transcription, dès lors que la naissance de l’enfant est « l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public » (Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-30.138 et 12-18.315 : AJ fam. 2013. 579, obs. Chénedé, Haftel et Domingo).
La Cour va jusqu’à préciser « qu’en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués ».
En d’autres termes, l’intérêt de l’enfant est écarté au motif que des valeurs plus importantes entrent en contradiction avec lui.
En effet, l’admettre comme valeur supérieure conduirait « à exclure toute législation d’ordre public en droit de la filiation puisqu’à l’arrivée le sort de l’enfant conduira à écarter tous les effets de l’interdiction, donc l’interdiction elle-même »7.
Comme l’explique Marie-Xavière CATTO : « La gestation pour autrui est aujourd’hui interdite essentiellement sur le fondement de deux arguments d’ordre public : l’indisponibilité de l’état des personnes et l’indisponibilité du corps humain, qui relèvent tous deux d’une conception naturaliste de la famille. Écarter ces registres argumentatifs revient à constater qu’il y a, de fait, conflit entre l’intérêt de l’enfant qui est celui de voir établir son double lien de filiation, et les droits des femmes. L’invocation de l’intérêt de l’enfant contre les refus de transcription des actes établis à l’étranger justifie, dans certains discours, la neutralisation des effets de l’interdiction. Cela revient à accepter bien volontiers une pratique à l’étranger pourtant prohibée en France. Force est alors de constater que l’intérêt de l’enfant né du désir d’être parents l’emporte sur le risque d’exploitation des femmes à l’étranger » (M-X. Catto, « La gestation pour autrui : d’un problème d’ordre public au conflit d’intérêts ?», in séminaire Droit des femmes face à l’essor de l’intérêt de l’enfant, La Revue des Droits de l’Homme n°3, juin 2013. http://revdh.files.wordpress.com/2013/06/7seminairecatto1.pdf).
Dans cet esprit, la Cour de cassation a, une fois de plus, confirmé sa position, par son arrêt du 19 mars 2014, en faisant une appréciation globale de l’opération et parlant de « processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour autrui »8.
4. Une décision qui prône l’intérêt supérieur de l’enfant
C’est dans ce contexte que la CEDH, qui a été saisie par les époux L… et M…, a condamné la France par ses deux arrêts en date du 26 juin 2014, pour avoir refusé la transcription des actes de naissance des enfants nés de mères porteuses à l’étranger9.
4.1 Violation partielle de l’article 8 de la CESDH
La juridiction européenne a, toutefois, considéré que s’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme s’agissant du droit des époux L… et M… ainsi que leurs enfants au respect de leur vie privée, il n’y a pas eu violation de cette disposition s’agissant du droit au respect de leur vie familiale.
En effet, bien que leur père biologique soit français, ces enfants, nés d’une GPA, sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française en application de l’article 18 du Code civil. Pareille indétermination a donc été considérée comme de nature à affecter négativement la définition de leur propre identité.
En outre, la Cour a noté que l’absence de reconnaissance de la filiation en droit français, avec leur père biologique et leur mère d’intention, a des conséquences sur leurs droits successoraux de ceux-ci. Ces enfants ne peuvent hériter de leur parent que si ce dernier les a institués légataires. Les droits successoraux de l’enfant sont alors calculés comme pour un tiers (60%). Il s’agit là encore d’un élément lié à l’identité filiale dont ces enfants se trouvent privés.
La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des enfants, que l’État français est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation.
4.2 La primeur de l’intérêt supérieur de l’enfant réaffirmée
Certaines voix se sont déjà élevées contre cette condamnation lourde de conséquences. Selon Muriel FABRE-MAGNAN « On peut dire que cela en est fini à terme de la prohibition de la gestation pour autrui mais aussi, par un effet collatéral majeur, de la prohibition de l’établissement des filiations incestueuses. La décision de la CEDH nous oblige, à terme, à lever la prohibition de l’inceste, plus précisément à supprimer l’interdiction d’établir une filiation incestueuse »10.
Cette interprétation semble, selon nous, pour le moins hâtive : estimer que la condamnation de la CEDH, prônant l’intérêt supérieur de l’enfant, obligera la France à inscrire, sur l’état civil des enfants nés d’une relation incestueuse, leur filiation avec leur deux parents est en effet contradictoire. Sauf à considérer que l’intérêt de l’enfant soit que tout un chacun ait connaissance de son origine incestueuse…
La question est donc ici, une fois de plus, celle de la conception de l’intérêt de l’enfant qui diffère selon que la juridiction soit nationale ou internationale. Les textes internationaux donnent une considération primordiale à l’intérêt supérieur de l’enfant11. L’intérêt est dit « supérieur » car il doit prévaloir sur tout autre intérêt : selon l’article 3 de la CIDE, pour toutes les interventions touchant les enfants12, le critère général de l’intérêt supérieur de l’enfant doit systématiquement être appliqué comme unité d’appréciation de la décision à prononcer. L’expression « toutes décisions », qui dans sa version anglaise est « all actions », désigne bien toutes les interventions, tant judiciaires qu’administratives ou législatives. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies justifie cette supériorité par le fait que « les enfants diffèrent des adultes par leur degré de développement physique et psychologique, ainsi que par leurs besoins affectifs et éducatifs »13.
La Cour européenne des droits de l’Homme avait déjà affirmé et réaffirmé, dans diverses situations opposant l’intérêt de l’enfant à l’intérêt général, l’ordre public ou l’intérêt d’un adulte, la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant14. Dans ce sens, elle a régulièrement rappelé que l’Etat doit agir de manière à permettre au lien familial de se développer et à accorder une protection juridique rendant possible l’intégration de l’enfant dans sa famille15. En invoquant l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui stipule que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale16, la CEDH confirme ainsi sa jurisprudence par cette condamnation de la France.
4.3 Vers une politique de discrimination positive ?
La France est ainsi invitée à revoir sa copie s’agissant de la transcription à l’état civil des enfants nés d’une GPA, mais plus largement, à modifier sa conception de l’intérêt de l’enfant, qui doit être supérieur à tout autre intérêt.
Il semblerait donc, selon nous, que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait recouvrir une politique judiciaire, administrative et légale de discrimination positive. Ce moyen, éphémère de par l’état temporaire d’enfant, pallierait ainsi une inégalité inhérente à une situation de fait.
Comme le souligne Gilles LEBRETON, « l’infériorité de l’intérêt de l’enfant par rapport à l’intérêt général est d’ailleurs une constante imposée par les États, (…). Même lorsqu’il est appliqué par les juges nationaux, « l’intérêt supérieur » de l’enfant doit fréquemment passer sous les fourches caudines de l’intérêt général » (G. Lebreton, Le droit de l’enfant au respect de son « intérêt supérieur ». Critique républicaine de la dérive individualiste du droit civil français, CRDF (Les cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux), n° 2, 2003, p. 84).
La route sera donc longue si on considère combien le législateur français peine à admettre cette suprématie et prône (à une exception près17) une logique d’équilibre entre les intérêts de l’enfant et ceux des parents, ou l’intérêt général18. On peut donc s’attendre à d’autres condamnations de la France.
- Le 16 décembre 2005, jour où devait être adopté l’avant-projet de résolution, la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, a décidé, de mettre un terme à ses travaux sur le rapport intitulé « pour une reconnaissance et un encadrement de la maternité de substitution, une alternative à la stérilité ». Cf. « Maternité de substitution : la commission des questions sociales ne poursuivra pas ses travaux» : http://assembly.coe.int/ASP/APFeaturesManager/defaultArtSiteVoir.asp?ID=357 [↩]
- AS/Soc (2005) 9 révisé 2, 5 juillet 2005 « Pour une reconnaissance et un encadrement de la maternité de substitution, une alternative à la stérilité », Rapporteur : M. Hancock, Royaume-Uni, LDR. [↩]
- Civ. 1re, 19 mars 2014, n° 13-50.005 : AJ fam. 2014. 244, obs. Chénedé, D. 2014, AJ, p. 722, D. 2014, Jur. p. 905, note H. Fulchiron et Ch. Bidaud-Garon, , JCP 2014, 380, act. A. Mirckovic ; Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-30.138, 12-18.315: AJ fam. 2013. 579, obs. Chénedé, Haftel et Domingo; Civ.1re, 6 avr. 2011 no 09-66.486, Civ. 1re, 6 avr. 2011, no 10-19.053 et Civ. 1re, 6 avr. 2011, no 09-17.130: D. 2011, p. 1064, obs. X. Labbée ; RTD civ. 2011, p. 340, obs. J. Hauser ; Civ.1re, 17 déc. 2008, Bull. 2008, I, n° 289, pourvoi n° 07-20.468, D. 2009, p. 332, avis de D. Sarcelet, note L. Brunet ; Civ. 1e, 29 juin 1994, D., 1994, jur., p. 581. [↩]
- Rennes, 6e Chb. A, 21 fév. 2012, Ministère public c. M. X, R.G n° 11/02758, arrêt n°43 ; Paris, 1re Chb., Section C, 25 oct. 2007, Ministère public c. M. et M., R.G n° 06/00507. [↩]
- Sénat, proposition de loi autorisant la transcription à l’état civil français des actes de naissance des enfants nés à l’étranger du fait d’une gestation pour autrui, n° 736, session extraordinaire de 2011-2012, enregistré le 31 juillet 2012, http://www.senat.fr/leg/ppl11-736.html [↩]
- Circ. 25 janvier 2013 relative à la délivrance des certificats de nationalité française – convention de mère porteuse – État civil étranger, NOR : JUSC1301528C, BO MJ n°2013-01 du 31 janvier 2013; J-R. Binet, Circulaire Taubira. Ne pas se plaindre des conséquences dont on chérit les causes, JCP n° 7 11 févr. 2013. 161I ; N. Mathey, Entre illusions et contradictions, JCP n° 7, 11 févr. 2013.162 ; I. Corpart, La controversée délivrance de certificats de nationalité aux enfants nés à l’étranger après une gestation pour autrui, RJPF mars 2013. [↩]
- Note J. Hauser, sous TGI Lille, 22 mars 2007, RTD civ. 2007 p. 557 ; idem A. Mirkovic, note sous Rennes, 21 fév. 2012, D., 2012, p. 878 ; M. Fabre-Magnan, « La gestation pour autrui. Fictions et réalité », Paris, Fayard, 2013, p. 67. [↩]
- Civ. 1re, 19 mars 2014, n° 13-50.005 : AJ fam. 2014. 244, obs. Chénedé, D. 2014, AJ, p. 722, D. 2014, Jur. p. 905, note H. Fulchiron et Ch. Bidaud-Garon, , JCP 2014, 380, act. A. Mirckovic. [↩]
- CEDH, 5e sec., 26 juin 2014, Labassee c. France, req. n° 65941/11, http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001145180*#{%22itemid%22:[%22001-145180*%22]}, Menesson c. France, req. n° 65192/11, http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001145179*#{%22itemid%22:[%22001-145179%22]} [↩]
- M. Fabre-Magnan, « Les conséquences vertigineuses de l’arrêt de la CEDH sur la GPA », le 26 juin 2014 sur : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/06/26/31003-20140626ARTFIG00356-les-consequences-vertigineuses-de-l-arret-de-la-cedh-sur-la-gpa.php et le 27 juin 2014 sur : http://ac.matra.free.fr/FB/20140627GPA.pdf [↩]
- La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) dite aussi « Convention de New York », adoptée par l’Organisation des Nations Unies le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur, en France, le 2 septembre 1990, dans laquelle la notion d’intérêt supérieur de l’enfant apparaît sept fois dans six articles différents (les articles 3-1, 9-1, 18, 21, 37 et 40). L’article 3-1 pose d’ailleurs cette notion comme un des principes fondamentaux sur lesquels s’appuie la Convention : « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » ; la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale; la Convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant du 25 janvier 1996 (Bien qu’elle ait été signée le 4 juin 1996 par la France, cette convention, qui comporte sept références à l’intérêt supérieur de l’enfant, n’a été ratifiée par la France que le 1er août 2007) ; la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, dont l’article 24, alinéa 2, énonce : « Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » ; la Résolution « Vers une stratégie européenne sur les droits de l’enfant », adoptée par le Parlement européen le 16 janvier 2008, qui souligne que « toute stratégie sur les droits de l’enfant devrait se fonder sur les valeurs et les quatre principes fondamentaux inscrits dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant : protection contre toutes les formes de discrimination, intérêt supérieur de l’enfant comme considération primordiale, droit à la vie et au développement et droit d’exprimer une opinion, qui soit prise en considération, sur toute question ou dans toute procédure l’intéressant ». [↩]
- Qu’« elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs », comme le précise l’article 3 de la CIDE. [↩]
- Comité des droits de l’enfant des Nations Unis, Observation générale n° 10, CRC/C/GC/10, 25 avr. 2007, p. 5. [↩]
- CEDH, 28 juin 2007, aff. 76240/01, Wagner et J.M.W.L c/ Luxembourg : La Cour a estimé que la décision de refus d’exequatur d’une adoption plénière effectuée à l’étranger par les juridictions nationales se fondant sur les règles de conflit de lois nationales « omet de tenir compte de la réalité sociale de la situation ». En n’admettant pas l’existence juridique des liens familiaux créés par l’adoption, les juridictions nationales ont fait subir à l’adoptant et l’adopté des inconvénients dans leur vie quotidienne. « L’enfant ne se voit pas accorder une protection juridique rendant possible son intégration complète dans la famille adoptive ». Or, l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer. CEDH, 16 déc. 2011, aff. 115297/09, Kanagaratnam c/ Belgique : Compte tenu de « la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant », la Cour a, par ailleurs, condamné la Belgique s’agissant de la détention d’une mère et de ses enfants dans « un centre fermé pour illégaux » en faisant expressément référence à l’intérêt supérieur de l’enfant « tel qu’il est consacré par l’article 3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant qui doit prévaloir y compris dans le contexte d’une expulsion ». [↩]
- CEDH, série A, 27 oct. 1994, Mutatis mutandis, Kroon et autres c. Pays-Bas, n° 297-C, § 32. [↩]
- CEDH, 1ère sect., 3 mai 2011, Négrepontis-Giannisis c. Grèce, req. n° 56753/08. [↩]
- L’article L. 221-1 du Code de l’action sociale et des familles prévoit « que les liens d’attachement noués par l’enfant avec d’autres personnes que ses parents soient maintenus, voire développés, dans son intérêt supérieur ». [↩]
- Liste des textes français se référant à la notion d’« intérêt de l’enfant » : La loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l’adoption (art. 353 CC), le décret n°99-818 du 16 septembre 1999 modifiant le code de procédure pénale (deuxième partie. Décrets en Conseil d’Etat) et le nouveau code de procédure civile et relatif aux modalités de désignation et d’indemnisation des administrateurs ad hoc (art. 1210-1 CPC), la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale (articles L321-1 et L224-8 CASF), la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat (articles 353-1 CC), la loi n°2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale (articles 373-2-7, 371-1, 373-2, 373-3 du CC), le décret n°2002-798 du 3 mai 2002 relatif à la commission départementale de l’accueil des jeunes enfants (art. D214-1 CASF), la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance (article 375-1 du CC), la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce (articles 232, 250-2, 264, 268 CC), le décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V (dispositions réglementaires) du code de la santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code (articles R4127-43 et R4127-306 CSP), le décret n°2004-1136 du 21 octobre 2004 relatif au code de l’action sociale et des familles (article D312-140 et R147-22 CASF), le décret n°2004-1158 du 29 octobre 2004 portant réforme de la procédure en matière familiale (art. 1099 et 1100 CPC), l’ordonnance réformant la filiation le 4 juillet 2005 (articles 350, 57, 311 et 337 CC et articles L225-2, L226-2-1, L226-2-2 CASF), le décret n°2005-1588 du 19 décembre 2005 relatif à la prestation de compensation à domicile pour les personnes handicapées et modifiant le code de l’action sociale et des familles et le code de la sécurité sociale (art. R541-5 CSS), le décret n°2006-256 du 2 mars 2006 portant application des articles L. 621-7 et L. 621-18-2 du code monétaire et financier (art. R.621-43-1 CMF), la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration (art. L.411-4 CESEDA), le décret n°2006-981 du 1 août 2006 relatif à l’agrément des personnes souhaitant adopter un pupille de l’Etat ou un enfant étranger et modifiant le code de l’action sociale et des familles (art. R225-4 CASF), le décret n°2006-1378 du 14 novembre 2006 relatif à la partie réglementaire du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (art. R.421-3 CESEDA), la Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance (article 371-4, 375-5, 388‐1, 477 CC et articles L112-4 CASF), la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (art. L423-33 CASF), le décret n° 2008-244 du 7 mars 2008 relatif au code du travail (art. R7124-34 Code du travail), le décret n° 2008-1135 du 3 novembre 2008 portant code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes (art. R4321-89 CSP), le décret n° 2009-378 du 2 avril 2009 relatif à la scolarisation des enfants, des adolescents et des jeunes adultes handicapés et à la coopération entre les établissements (art. L. 351-1 du CEESMS et art. D312-59-14 CASF), la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (art. L222-5 CASF), l’ordonnance n° 2009-1752 du 25 décembre 2009 modifiant le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre (articles L.475 et L.477 CPMIVG), le décret n° 2009-572 du 20 mai 2009 relatif à l’audition de l’enfant en justice (articles 338-4, 338-9 et 338-12 CPC), la loi n° 2010-625 du 9 juin 2010 relative à la création des maisons d’assistants maternels et portant diverses dispositions relatives aux assistants maternels (art. L421-14 CASF), la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (articles 373-2-6, 373-2-1, 373-2-9 et 375-7 CC), l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports (articles L5785-4 et L5795-5 Code du tourisme), la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (art. 348-3 CC), le décret n° 2010-1635 du 23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le code de procédure pénale (art. D.401 CPP), la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique (art. L2141-10 CSP) et la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées (art. L.611-1-1 CESEDA). [↩]
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