Si le droit français métropolitain se caractérise par une relative homogénéité lié au caractère unitaire de l’Etat (Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958), le droit de l’outre-mer est multiple et asymétrique (Articles 73 et s. de la Constitution) ce qui permet aux juridictions qui ont à en connaître de rendre des décisions atypiques pouvant préfigurer des évolutions de jurisprudence.
C’est ainsi que le Conseil d’Etat a été saisi directement de plusieurs requêtes tendant à l’annulation d’une « loi du pays » modifiant la fiscalité polynésienne (« Loi du pays » n° 2013‑21 du 16 juillet 2013 portant modification du code des impôts de la Polynésie française, Journal officiel de la Polynésie française du 16 juillet 2013 p. 1606) qui avait été adoptée par l’Assemblée de la Polynésie française. Après avoir joint les différentes instances présentes devant lui pour y statuer par une même décision, le juge administratif suprême va annuler partiellement la « loi du pays » litigieuse.
La décision rendue par les 9e et 10e sous-section du contentieux présente à cet égard un intérêt multiple tant sur la détermination du bloc de légalité ultramarine, qui diffère de celui applicable en métropole, que sur celui de la mise en œuvre de certains principes administratifs en matière fiscale.
Il était invoqué la rétroactivité de la « loi du pays » litigieuse ; le Conseil d’Etat indiquera qu’il est parfaitement possible de modifier les effets futurs de situations passées sur le plan fiscal tant que cela ne concerne pas des situations intégralement passées, tel un exercice clos, faisant ainsi une application de sa jurisprudence la plus classique en la matière (CE Ass., 16 mars 1956, Garrigou, Rec. p. 121-122) qui a été consacrée par le juge constitutionnel (CC, 29 décembre 2012, « Loi de finances pour 2013 », n° 2012‑665 DC, obs. Ch. de La Mardiere Constitutions 2013 n° 2013‑1 p. 88).
Mais le moyen qui retient l’attention du lecteur, principalement du fait qu’il a été retenu par le Conseil d’Etat comme justifiant l’annulation partiellement de la « loi du pays » déférée, est le détournement de pouvoir dont on sait la rareté des applications positives.
A cette occasion, la Haute juridiction a pu préciser les conditions dans lesquelles s’exerce le contrôle juridictionnel des « lois du pays » (I) ainsi que les modalités suivant lesquelles le détournement de pouvoir « législatif » se devait d’être examiné (II).
I. La « loi du pays » : un instrument juridique atypique ultramarin
Les « lois de pays » constituent une curiosité juridique ultramarine français dont le régime juridique n’est pas uniforme.
1°) En Nouvelle-Calédonie, les « lois du pays » résultent de l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998 et de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 (Loi constitutionnelle n° 98‑610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie, JO p. 11143 ; J.‑Y. Faberon, « La Nouvelle-Calédonie », folio n° 1952, Encyclopédie des collectivités locales, Dalloz) et peuvent intervenir dans certaines matières énumérées par la loi organique (Articles 99 et s. de la loi organique n° 99‑209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, JO p. 4197). Leur procédure d’adoption est volontairement sans précédent pour des actes adoptés par une collectivité territoriale et se trouve être une adaptation de la procédure prévue pour les lois adoptées par le Parlement. En préalable, le Conseil d’Etat, en formation administrative, est obligatoirement consulté sur les projets et propositions de lois de pays pour avis (Cette compétence est normalement réservée aux actes adoptés par l’Etat notamment législatifs et décretaux (Articles L.112‑1 et L.123‑1 et s. du code de justice administrative) ; les projets de « lois du pays » sont ensuite soumis au conseil du gouvernement local. Ensuite, le Congrès de Nouvelle-Calédonie adopte les « lois du pays » qui sont alors promulguées et publiées. Toutefois, le Conseil constitutionnel peut être saisi, avant promulgation, par une saisine directe de certaines autorités (Article 104 de la loi organique du 19 mars 1999) ou après promulgation, par la voie d’une QPC (Article 107 de la loi organique du 19 mars 1999) de leur constitutionnalité dans des conditions proches de celles applicables aux lois parlementaires.
On voit là une volonté claire du pouvoir constituant de mettre la Nouvelle-Calédonie dans une situation proche de celle de l’Etat en adoptant des actes « ayant force de loi » (Ibid. ; TA Nouvelle-Calédonie, 25 juillet 2002, Waïa c. Congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Voir également C. Gindre-David, Essai sur la loi du pays calédonienne. La dualité de la source législative dans l’Etat unitaire français, L’Harmattan, 2008, 656 p).
Cependant, ce statut sui generis (O. Gohin, « L’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie », AJDA 1999 p. 500 ; « La nouvelle Calédonie est-elle une collectivité territoriale », JCP (A) 2007.2004) a donné lieu à des revendications en partie similaire dans le territoire d’outre-mer voisin de Polynésie française (On notera d’ailleurs que le territoire d’outre-mer de Wallis-et-Futuna n’a pas vu de réforme similaire).
Néanmoins, il était juridiquement impossible pour la Polynésie française de disposer de compétences matériellement et formellement législatives. En effet, si l’article 74 de la Constitution (dans sa rédaction d’origine ou dans celle issue de la réforme de 2003) (Loi constitutionnelle n° 2003‑276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, JO p. 5568), permet aux collectivités d’outre-mer de disposer d’attributions en matière législative (Cf. J.‑Y. Faberon (dir), Le statut du territoire de Polynésie Français, Economica-PUAM, 1996, 287 p. ; F. Luchaire et al. (dir), La Constitution de la République française, 3e éd., Economica, 2008, 2126 p. ; R. Fraisse, « Les collectivités territoriales régies par l’article 74 », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 2‑2012 p. 37), ce n’est qu’à la condition qu’elles soient exercées sous la forme d’actes à valeur réglementaire (CC, 2 juillet 1965, « Régime de retraite des marins du commerce », n° 65‑34 L, obs. L. Hamon D. 1967.J.613).
2°) Afin de satisfaire la volonté politique de pouvoir adopter des actes de forme législative, le législateur organique (Loi organique n° 2004‑192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, JO p. 4183 (ci après « loi organique ») a instauré des « lois de pays » de la Polynésie française. Toutefois, l’absence de fondement constitutionnel direct à celles-ci a imposé le recours à divers artifices juridiques dans la mesure où le pouvoir constituant a refusé de consacrer cette possibilité à l’occasion de l’adoption de la réforme de 2003 (Loi constitutionnelle n° 2003‑276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, op. cit). En conséquence, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont qualifié ces actes comme étant administratifs (CC, 12 février 2004, « Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française », n° 2004‑490 DC, obs. A. Roux RFDC 2004 p. 370 ; CE Sect., 1er février 2006, Commune de Papara, n° 286584) indépendamment de leur intitulé trompeur.
Il a ainsi été instauré la possibilité pour l’Assemblée de la Polynésie-française d’adopter des « lois du pays » (Les guillemets sont présents dans la loi organique statutaire ce qui est révélateur d’une certaine précaution quant à l’emploi de cette expression). La consultation préalable du Conseil d’Etat, en formation administrative, n’était pas prévue et a été remplacée par celle d’un Haut conseil de la Polynésie française (Rédaction initiale de l’article 89 de la loi organique) avant que le Parlement ne supprime finalement cet organe consultatif (Article 39 de la loi organique n° 2011‑918 du 1er août 2011 relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française, JO p. 13225) sorte d’Ersatz du Palais royal.
Toutefois celui-ci peut être saisi, en premier et dernier ressort, par certaines autorités (Articles 176 et s. de la loi organique) d’un « recours juridictionnel spécifique » (Il est prévu que l’instance est régie par les règles de procédure suivies en matière de recours pour excès de pouvoir) pour lequel le principe de légalité a fait l’objet d’aménagement dérogatoires (Article 176 III de la loi organique. Sur les aspects théoriques : cf. L. Favoreu, « Les normes de référence applicables au contrôle des délibérations des assemblées territoriales des territoires d’outre-mer : principes généraux du droit ou normes constitutionnelles ? », RFDA 1995 p. 1240 ; J.‑Y. Faberon, « Nouvelle-Calédonie et Polynésie française : des autonomies différentes », RFDC n° 68‑2006 p. 691) puisque seuls peuvent être invoqués la violation de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit (On notera, à cet égard, qu’il s’agit là de l’une des consécrations législatives de l’existence même des principes généraux du droit). Cette action peut être intentée également, après une première publication à titre d’« information », par toute personne intéressée dans un délai d’un mois (Article 176 II de la loi organique). En cas de succès de l’action, la « loi du pays » ne peut être promulguée (Article 177 de la loi organique).
De multiples distinctions avec le recours pour excès de pouvoir sont ici notables :
Le « bloc de légalité » est aménagé puisque les lois et règlements nationaux (mêmes applicables en Polynésie française) ne sont pas invocables (Article 176 III de la loi organique) ;
Les délais de procédure sont abrégés (1 mois à compter de la première publication en lieu et place du délai de 3 mois applicable en outre-mer) (Articles R.421‑6 et 7 du code de justice administrative) ;
Le Conseil d’Etat doit statuer dans un bref délai de 3 mois (Article 177 de la loi organique) ;
Le déclenchement du délai d’action ne débute pas à compter de la publication de l’acte promulgué mais de la prépublication informative (Article 176 II de la loi organique) ;
Le bien fondé du recours fait obstacle à la promulgation et ne procède donc pas à une annulation contentieuse rétroactive (Article 177 de la loi organique ; CE, 26 décembre 1925, Rodière, Rec. p. 1065).
En théorie, nulle autre action n’est possible après la promulgation de la « loi du pays » ce qui fait donc obstacle à l’exercice d’un recours pour excès de pouvoir (Cf. en ce sens le raisonnement tenu par le Conseil d’Etat dans son arrêt Dame Lamotte (CE Ass., 17 février 1950, Ministre de l’Agriculture c. Dame Lamotte, Rec. p. 110). Le parallèle formel et procédural avec le contrôle de la constitutionnalité des lois devant le Conseil constitutionnel a priori est donc parfaitement volontaire (Article 61 de la Constitution).
Il convient cependant de préciser, pour mémoire, qu’une question préjudicielle de légalité peut être posée au Conseil d’Etat par toute juridiction devant laquelle l’« illégalité » (sic) de la « loi du pays » est invoquée (Les dispositions de l’article R.312‑3 du code de justice administrative, prohibant les questions préjudicielles au sein de l’ordre administratif, sont donc ici mises en échec) ce qui ouvre la voie d’un contrôle juridictionnel a posteriori.
Mais en matière fiscale, la procédure dérogatoire prévue à l’encontre des « lois de pays » a été aménagée en 2011 (Loi organique n° 2011‑918 du 1er août 2011 relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française, JO p. 13225) afin de faire débuter le délai de saisine des autorités publiques et des personnes y ayant un intérêt à compter de la publication qui suit la promulgation (Articles 180‑1 et s. de la loi organique modifiée) ce qui implique, en ce cas, une annulation contentieuse « classique » (CE, 26 décembre 1925, Rodière, op. cit).
C’est cette procédure spéciale qui déroge à la procédure d’exception prévue par la loi organique du 27 février 2004 modifiée qui a été ici mise en œuvre.
II. Le détournement de pouvoir, motif de censure de la « loi du pays »
1°) C’est le juge administratif qui a consacré, en premier, la notion de détournement de pouvoir dès le second Empire à l’encontre des actes adoptés par les autorités locales (CE, 19 mai 1858, Vernhes, Rec. p. 399 ; CE, 25 février 1864, Lesbats, concl. L’Hôpital Rec. p. 209) avant de systématiser son invocabilité envers les actes administratifs émanant de l’Etat (CE, 26 novembre 1875, Pariset, Rec. p. 934, GAJA n° 4 ; CE, 26 novembre 1875, Laumonnier-Carriol, Rec. p. 936). Le détournement de pouvoir est désormais classiquement admis dans trois hypothèses.
En premier lieu, le détournement de pouvoir peut être constitué lorsque l’administration a agi dans un but qui est étranger à l’intérêt général qui constitue sa mission. C’est notamment le cas lorsque le but poursuivi est de nature privée (CE, 23 juillet 1909, Fabrègue, Rec. p. 727, obs. M. Hauriou S. 1911.III.121) comme une volonté de nuire (CE, 25 mai 1998, Fédération française d’haltérophilie, obs. Lapouble JCP (G) 1999.II.10001) ou, au contraire, une « faveur » qui n’est prévue ou autorisée par aucun texte (CE, 5 mars 1954, Soulier, Rec. p. 139).
En deuxième lieu, le détournement de pouvoir est présent lorsque l’administration adopte un acte dans un but d’intérêt différent de celui prévu par la législation mise en œuvre (CE, 26 novembre 1875, Pariset, op. cit). Cela couvre notamment l’hypothèse où la motivation réelle de l’administration est financière (CE, 24 juin 1987, Bes, Rec. p. 568).
En troisième lieu, le détournement de pouvoir peut être constitué sous la forme particulière du détournement de procédure lorsque l’administration use volontairement d’une procédure qui n’est pas destinée à l’usage qui en est fait (CE Sect., 21 février 1947, Guillemet, Rec. p. 66 ; CE Ass., 3 février 1956, Keddar, Rec. p. 46).
On notera que si le détournement de pouvoir apparaît souvent retenu dans le contentieux des actes individuels, les actes réglementaires peuvent être également emprunts de ce vice même si cela demeure exceptionnel (CE, 15 décembre 1926, Taron, Rec. p. 1106).
2°) Le Conseil constitutionnel va transposer le raisonnement tenu par le juge administratif en l’adaptant toutefois aux impératifs de son office.
Dans une décision Entreprises de presse (CC, 10‑11 octobre 1984, « Entreprises de presse », n° 84‑181 DC, obs. J.‑J. Bienvenu AJDA 1984 p. 689, GDCC p. 455), le Conseil constitutionnel a été amené à répondre au grief du détournement de pouvoir, formulé par les députés saisissants (Saisine §. 14, JO 19 novembre 1986, p. 13770), qui estimaient qu’en réalité la loi déférée ne visait qu’à démanteler le groupe de presse Hersant. Pour y procéder il va y répondre au fond sanctionnant ainsi implicitement l’article 13 de la loi en litige au titre du détournement de pouvoir.
Dans une seconde décision Découpage électoral (CC, 18 novembre 1986, « Découpage électoral », n° 86‑218 DC, obs. B. Genevois AIJC 1986 p. 449, obs. L. Favoreu RDP 1989 p. 458), le Conseil sera également amené à statuer sur un tel moyen fondé sur le gerrymanderingallégué (Sur l’actualité cette problématique : cf. CE, 21 mai 2014, M. B., RGD n° 06‑2014 p. 11). Toutefois, il l’écartera implicitement en indiquant que : « Considérant que, quelle que puisse être la pertinence de certaines critiques adressées par les députés (…) à l’encontre de la délimitation des circonscriptions opérée par la loi, il n’apparaît pas, en l’état du dossier, et compte tenu de la variété et de la complexité des situations locales pouvant donner lieu à des solutions différentes dans le respect de la même règle démographique, que les choix effectués par le législateur aient manifestement méconnu les exigences constitutionnelles ». Ainsi, la Haute juridiction reconnaît que si certains arbitrages législatifs sont sujets à caution, le Parlement n’a pas suivi ce seul objectif. Il reconnaît donc implicitement la présence d’un détournement de pouvoir mais qui n’atteint pas un seuil de gravité tel qu’il justifierait la censure de la loi ; la réserve traditionnelle du Conseil constitutionnel apparaît clairement ici transposant la jurisprudence de son voisin sur la pluralité de buts poursuivis par l’administration (CE, 30 octobre 1942, Compagnie générale des eaux, Rec. p. 302).
En revanche, le juge constitutionnel n’hésite pas à examiner explicitement le détournement de procédure pour l’écarter (D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, 10e éd., LGDJ, 2013, p. 140 et s). Non pas que ce grief soit inopérant, mais tout simplement parce que les conditions dans lesquelles il a été invoqué ne pouvait permettre de le retenir eu égard à la marge d’appréciation dont dispose tant le Parlement que le Gouvernement dans leurs compétences constitutionnelles respectives (G. Vedel, « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 1‑1996 p. 57 et n° 2‑1997 p. 77).
3°) En réalité, le Conseil d’Etat va opérer dans sa décision du 12 mai 2014 une application positive des principes issus des décisions du Conseil constitutionnel relatives au détournement de pouvoir normatif, ce qui lui était facilité car il s’agissait d’un acte local à valeur réglementaire bien que qualifié de « loi du pays ». La finalité du normateur ne se trouvait bien évidemment pas dans le corps même de la « loi du pays » et le Conseil d’Etat n’a pu l’admettre en l’espèce qu’en suivant une méthodologie déterminée par le Conseil constitutionnel dans le cadre de l’examen du bien fondé de l’invocation du détournement de pouvoir (CC, 10‑11 octobre 1984, « Entreprises de presse », n° 84‑181 DC, op. cit).
« Souvent allégué, rarement admis » est une formule qui qualifie avec justesse les motifs usuels des décisions contentieuses en la matière. Cependant, ce n’est pas une hostilité de principe du juge administratif qui en est la source mais les conséquences tirées de la charge de la preuve qui incombe principalement au requérant et de l’ordre d’examen des moyens par le juge administratif ou constitutionnel. La preuve est bien évidemment libre et peut résulter (J.‑M. Auby et R. Drago, Traité de contentieux administratif, tome II, 2e éd., LGDJ, 1975, p. 412 et s) de la rédaction même de l’acte attaqué (CE, 4 février 1955, Ligue des contribuables de la Martinique, Rec. p. 635), des pièces du dossier contentieux (CE, 16 novembre 1900, Maugras, Rec. p. 617, concl. Romieu et obs. M. Hauriou S. 1901.III.57), des allégations non contredites du requérant (CE, 23 octobre 1957, Chailloux, Rec. p. 518), d’un faisceau de présomptions (CE, 18 juin 1926, Rodière, Rec. p. 624 concl. Cahen-Salavador RDP 1926 p. 694) ou même d’éléments extérieurs au dossier (CE, 2 février 1957, Castaing, Rec. 78).
Au cas présent, le Conseil d’Etat va relever quatre éléments cumulatifs en faveur du détournement de pouvoir dans la droite lignée de la décision Entreprises de presse (CC, 10‑11 octobre 1984, « Entreprises de presse », n° 84‑181 DC, op. cit) de son voisin du Palais royal.
En premier lieu, le Conseil va relever que seules deux sociétés sont concernées par la mesure fiscale litigieuse.
En deuxième lieu, l’impact de cette mesure fiscale est très faible pour le budget général de la Polynésie française alors qu’il met en péril directement l’équilibre financier des périodiques d’information en cause. Or l’objectif du pluralisme politique (Ibid) ne saurait être méconnu par une autorité publique eu égard à son importance dans la démocratie : la filiation avec la jurisprudence constitutionnelle est presque parfaite.
En troisième lieu, le président de la Polynésie avait déclaré qu’il pourrait utiliser des moyens de lutte politique contre l’un des journaux visés par la « loi du pays » dont la ligne éditoriale ne lui était pas favorable.
En quatrième et dernier lieu, le Conseil d’Etat va noter que l’absence de défense sur la réalité des deux précédents points pouvait être regardée, dans les circonstances de l’espèce, comme s’approchant d’une absence de dénégation des faits (Sur l’admission de principe du procédé de l’acquiescement aux faits en l’absence de défense : cf. article R. 612‑6 du code de justice administrative). En l’absence de pièces contredisant cette réalité dans le dossier, le Conseil d’Etat les a estimés comme établis.
L’annulation partielle de cette « loi du pays » constitue donc le prolongement de jurisprudences anciennes du Conseil constitutionnel qui consacraient un examen discret et implicite du détournement de pouvoir à l’égard de la loi parlementaire. Dans le cadre rénové du contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori par la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil d’Etat semble avoir ici indiqué aux justiciables que ce grief, théoriquement invocable, pourrait parfaitement l’être en pratique tant à l’égard des lois parlementaires que des « lois du pays » néo-calédoniennes.
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