L’arrêt ci-dessus recueilli est beaucoup moins intéressant par la question qu’il tranche que par une autre qu’il soulève et qu’il laisse en suspens.
I. — La question tranchée est relative à la compétence du conseil de préfecture. Notre arrêt affirme une fois de plus qu’en matière administrative, les conseils de préfecture n’ont qu’une compétence d’attribution, et qu’il faut un texte formel.
Il s’agissait d’un litige entre l’expéditeur d’un colis postal et une Compagnie de chemins de fer, au sujet de dommages-intérêts à raison d’un retard dans la livraison du colis. Le conseil de préfecture du Gers avait cru pouvoir se déclarer compétent, en s’appuyant sur un texte, l’art. 10 de la convention du 2 novembre 1880, passée entre l’Etat et les Compagnies de chemins de fer en vue d’assurer le service des colis postaux, convention approuvée par la loi du 3 mars 1881 (S. Lois annotées de 1882, p. 335; P. Lois, décr., etc., de 1882, p. 545).
Disons en passant que cette convention et cette loi ont été abrogées depuis notre arrêt, par une nouvelle convention du 15 janvier 1892, approuvée par la loi du 12 avril 1892 (S. Lois annotées de 1893, p. 441; P. Lois, décr., etc., de 1893, p. 441); mais la question se poserait toujours dans les mêmes termes, attendu que l’art. 17 de la nouvelle convention reproduit identiquement l’art. 10 de l’ancienne. Cet art. 10 était ainsi conçu : « Toutes les contestations auxquelles pourront donner lieu entre l’Administration, les Compagnies et les tiers, l’exécution et l’interprétation de la présente convention, seront jugées par les tribunaux administratifs. »
Le conseil de préfecture du Gers avait ainsi raisonné : cet article de la convention attribue compétence pour tous les litiges aux tribunaux administratifs; cette expression ne peut désigner que les conseils de préfecture, attendu qu’un tribunal, c’est une juridiction composée de plusieurs personnes; et, en ce sens, il n’y a pas d’autres tribunaux administratifs que les conseils de préfecture; le ministre est bien une juridiction administrative, mais, étant juge isolé, il ne saurait être désigné par l’expression tribunal. Le conseil de préfecture oubliait qu’il y a un autre tribunal composé de plusieurs personnes et qui par conséquent répond a la définition, c’est le Conseil d’Etat.
Quoi qu’il en soit, le Conseil d’Etat dans notre arrêt déclare simplement que le conseil de préfecture n’est pas compétent, parce qu’il n’y a pas de texte. Est-ce parce qu’il estime que l’art. 10 de la convention de 1880 ne vise pas les conseils de préfecture? N’est-ce pas plutôt parce qu’il pense que cet art. 10 n’a pas de valeur au point de vue de l’attribution des compétences? C’est ce que nous verrons dans un instant.
II. — La question qui reste en suspens maintenant est celle-ci : quelle est la juridiction compétente? Est-ce la juridiction administrative? Alors, avec la doctrine actuellement admise sur le juge de droit commun en matière administrative (V. Cons. d’Etat, 13 déc. 1889, Cadot, S. 1892.3.17; P. 1892.3.17), ce serait le Conseil d’Etat lui-même, à condition toutefois que le réclamant commençât par provoquer une décision du ministre compétent pour créer le contentieux. Est-ce au contraire la juridiction ordinaire, c’est-à-dire le tribunal civil? Ainsi posée, la question n’est pas neuve; elle s’est présentée il y a quelques années devant plusieurs tribunaux de première instance, plusieurs Cours d’appel, et enfin devant la Cour de cassation.
Les tribunaux de première instance s’étaient en général montrés favorables à la juridiction ordinaire (V. Trib. de Nogent-sur-Seine, 23 févr. 1882, S. 1882.2.231; P. 1882.1.1119). Les Cours d’appel au contraire s’étaient montrées favorables à la compétence administrative (V. Toulouse, 16 avril 1883 et Paris 27 août 1884, S. 1884.2. 219; P. 1884.1.1139). Et finalement la Cour de cassation se ralliait à cette dernière opinion, dans un arrêt du 11 février 1884 (Gerbaud c. Comp. du Midi, S. 1884.1.385; P. 1884.1.969), à la suite d’un rapport de M. le conseiller Dareste (V. le rapport et la note, ubi supra).
A cette époque où la théorie du ministre juge de droit commun était encore dominante (V. à cet égard, la note in initio, sous Cons. d’Etat, 13 déc. 1889, précité), on pensait généralement que le litige était de la compétence du ministre en premier ressort, du Conseil d’Etat en appel.
Le Conseil d’Etat a-t-il adopté sans le dire la jurisprudence de l’arrêt de cassation du 11 février 1884, avec cette modification, bien entendu, que la décision du ministre ne serait plus contentieuse, mais seulement administrative? Dans tous les cas, ce ne serait pas par les motifs qui avaient décidé la Cour de cassation.
La Cour de cassation avait été fortement impressionnée en 1884 par la disposition de l’art. 10 de la convention du 2 novembre 1880, approuvée par la loi du 3 mars 1881. Cet article, on s’en souvient, établissait conventionnellement que toutes les contestations qui pourraient s’élever entre l’administration, les Compagnies et même les tiers au sujet de l’exécution de la convention relative aux colis postaux, seraient jugées par les tribunaux administratifs.
Il ne parut pas douteux à ce moment que ce texte ne fût attributif de compétence pour la juridiction administrative, alors même que les principes généraux n’auraient pas conduit au même résultat. Cet art. 10 avait été approuvé par une loi. Or, disait-on, une loi, même spéciale, peut déroger aux principes généraux de compétence. C’est évidemment ce que pensait aussi le conseil de préfecture du Gers, puisqu’il avait fondé sur cet art. 10 l’arrêté annulé par notre arrêt.
Il nous paraît très douteux que le Conseil d’Etat ait aujourd’hui la même opinion; et nous croyons bien que, si notre arrêt déclare qu’aucun texte n’attribue compétence au conseil de préfecture, dans l’espèce, c’est qu’il ne considère pas cet art. 10 comme un texte ayant pouvoir d’attribuer compétence. Ce qui nous le ferait croire, ce sont les réserves que formule dans ses conclusions M. le commissaire du gouvernement Valabrègue, toutes les fois qu’il est amené à parler de cet art. 10. Pour sa part, il ne croit pas que cet article ait pu être attributif de juridiction. Notre sentiment sur ce point est, partagé, si nous ne nous trompons, par M. Chareyre, dans le commentaire qu’il a donné de notre arrêt (Rev. gén. d’administr., 1891, t. II, p. 50). C’est qu’il y a loi et loi. II y a des lois qui ne sont au fond que des actes d’administration. Ce sont des approbations données par le Parlement à titre d’assemblée délibérante à des conventions passées par le pouvoir exécutif; à part une valeur de forme spéciale, ces lois sont au fond de même nature qu’une délibération de conseil municipal qui approuve un marché passé par un maire, c’est-à-dire qu’elles donnent force à la convention, mais que leur portée ne va pas au delà de la convention.
Or, il est de principe que les lois de compétence sont d’ordre public, et qu’on n’y déroge point par des conventions; une convention passée par un ministre, fût-elle approuvée par une loi, est toujours une convention, la loi approbative n’ayant là que la valeur d’un acte d’administration. Nous croyons que, sur ce point, qui touche à la théorie de l’acte d’administration, le droit administratif a fait depuis dix ans beaucoup de progrès (V. M. Laferrière, Tr. de la juridiction admin. et des recours contentieux, t. II, p. 15 et s.), et le Conseil d’Etat a dû en tenir compte.
Mais alors, si l’art. 10 de la convention de 1880 n’était pas attributif de compétence pour la juridiction administrative, notre question subsidiaire reste entière; et elle demeure actuelle, puisque l’art. 17 de la convention du 19 janvier 1892, approuvée par la loi du 12 avril 1892 (ubi supra), est identique a l’art. 10 de la convention de 1880 et n’a pas plus de valeur.
Il faut donc se demander maintenant si, au point de vue des principes généraux de la compétence et du contentieux administratif, les litiges relatifs au transport des colis postaux doivent être attribués aux juridictions administratives ou aux juridictions ordinaires.
Il devient indispensable ici de rappeler ce qu’est le service des colis postaux et comment il a été organisé. Le service des colis postaux est un service d’Etat, annexé aux services des postes, ainsi que son nom lui-même l’indique. II a été crée en 1880 après entente entre divers Etats. C’est l’Administration des postes de chaque pays qui devait se charger du transport des colis. Cependant, il était convenue que, dans les pays où la poste ne pourrait pas se charger de la manutention des colis postaux, le service serait assuré par les Compagnies de chemins de fer et de navigation. C’est ce qui fut fait en France par la convention du 2 novembre 1880.
Le service des colis postaux étant un service public qui, régulièrement, devrait être assuré par l’Administration des postes, il y a lieu de déterminer la condition juridique des Compagnies de chemins de fer en tant qu’elles assurent ce service.
Il nous paraît difficile de ne pas dire que les Compagnies de chemins de fer sont ici substituées a une administration de l’Etat. Si elles ne prennent pas tout a fait, au point de vue dont il s’agit, le caractère de fonctionnaires de l’Etat, c’est en grande partie parce qu’elles apparaissent en leur qualité de personnes morales et qu’on ne saurait guère qualifier une personne morale de fonctionnaire. Nous ne croyons pas qu’on puisse dire non plus, comme le fait M. Picard (Traité des ch. de fer, t. IV, p. 1027), que les Compagnies soient les préposés de l’Administration des postes. Une personne morale peut-elle bien avoir la qualité de préposé? et notamment par ses agissements faire encourir la responsabilité du commettant?
Nous croyons plus juste de dire que les Compagnies de chemins de fer sont franchement substituées à l’Administration des postes au point de vue dont il s’agit, et qu’elles en sont comme un prolongement. Ce sont les agents des Compagnies, pris individuellement, qui pourraient être considérés comme des préposés s’ils commettaient des fautes engageant à la fois les Compagnies et l’Administration.
La conséquence de tout ceci, au point de vue de l’action à intenter par le réclamant, est qu’il peut indifféremment poursuivre la Compagnie ou l’Administration des postes, et que, dans tous les cas, au point de vue de la compétence, tout se passe comme s’il poursuivait l’Administration des postes; (M. Chareyre, op. et loc cit., pense, au contraire que le réclamant ne peut poursuivre que l’Administration des postes; mais il reconnaît qu’en fait, les Compagnies ont souvent accepté le débat).
Le terrain étant déblayé, la question de compétence peut maintenant être discutée. D’après les principes généraux, on voit qu’il s’agit d’une action en responsabilité dirigée contre l’Etat pour dommage résultant de la mauvaise organisation d’un service public.
La jurisprudence, en ces matières, semble bien établie dans le sens de la compétence de la juridiction administrative : le Tribunal des conflits l’a affirmée dans nombre de décisions relatives à des services variés (V. Trib. des conflits, 20 mai 1850, Manoury, S. 1850.2.618; P. chr.; 28 nov. 1850, Leclerc, S. 1851.2.302; P. chr.; 7 avril 1851, Cailliau, S. 1851.2.583; P. chr. [affaires qui justement concernent le service des postes]; 8 févr. 1873, Blanco, S. 1873.2.153; P. chr.; 29 mai 1875, Ramel, S. 1877.2.128; P. chr.; 20 mai 1882, de Divonne, S. 1884.3.41; P. chr.; 20 déc. 1884, Maillé, S. 1886.3.43; P; chr.; 29 nov. 1890, Boutes et Bruniquel c. l’Etat, S. 1892.3.147; P. 1892.3. 147, et le renvoi de la note). La Cour de cassation a accepté cette jurisprudence par un arrêt du 19 novembre 1883 (S. 1884.1.310; P. 1884.1.778), et enfin par un arrêt du 11 février 1884 (S. 1884.1. 385; P. 1884.4.969), justement dans notre matière de transport de colis postaux. Enfin, M. Laferrière n’élève aucune protestation contre cette jurisprudence (op. cit., t. I, p. 625 et s.).
II nous semble, pour notre part, que cette jurisprudence est trop absolue, et qu’il y aurait à faire une distinction entre les nombreux services dont l’Etat est chargé. Le résultat de cette distinction serait, dans le cas présent, de soustraire le contentieux des colis postaux à la juridiction administrative, mais elle aurait une portée plus générale.
Le principe de cette distinction, la jurisprudence administrative elle-même l’a posé, et notamment le Tribunal des conflits. Seulement il ne lui a pas encore fait produire tous ses effets. C’est à savoir que l’Etat n’agit pas toujours à titre de puissance publique, et qu’en principe la juridiction administrative ne doit intervenir que pour protéger la Puissance publique. Toutes les fois que l’Etat agit en qualité de personne privée, on doit le soumettre à la juridiction ordinaire, et c’est ainsi, par exemple, qu’un bâtiment du domaine privé ayant occasionné des dommages en s’écroulant, il a été jugé que l’Etat pouvait être poursuivi devant le tribunal civil (V. Trib. des conflits, 24 mai 1884, Linas, S. 1886.3.17; P. chr.). Mais cette distinction, peut-on la transporter dans la matière des services publics? L’Etat, qui joue incontestablement le rôle d’une personne privée dans l’Administration de son domaine privé, peut-il jouer le même rôle dans la gestion d’un service public?
Il y a bien des esprits à qui cela paraîtra impossible; il leur semblera que la notion de service public est inséparable de celle de puissance publique.
Serrons la question de près cependant; ne nous laissons pas aller à la première impression : il y a des intérêts majeurs en cause. L’Etat développe de plus en plus ses services; nous allons en avoir la preuve justement en matière de postes. Cela est pour notre commodité; mais cela pourrait être pour notre malheur, s’il développait à mesure et sans besoin ses droits et ses privilèges de Puissance publique.
Ne pourrait-on pas établir le critérium suivant, qui a déjà été indiqué ailleurs : l’Etat gérerait un service à titre de Puissance publique lorsque le service serait monopolisé entre ses mains, comme par exemple les services de guerre, de justice, de relations extérieures, etc. Au contraire, il serait considéré comme gérant le service à titre de personne privée lorsque le service ne serait pas monopolisé. Dans le premier cas, les questions de responsabilité seraient portées devant la juridiction administrative; dans le second devant la juridiction ordinaire, a moins de textes, bien entendu.
Il y a bien à cette distinction une raison profonde, à ce qu’il nous semble. Sur quoi sont fondés les privilèges de la Puissance publique? Uniquement sur des raisons de nécessité publique. Ce n’est pas la qualité de l’Etat par elle-même qui les entraîne, c’est dans tel ou tel cas la nécessité de donner des armes à l’Etat. Or, pour les services que l’Etat n’a pas monopolisés peut-on supposer qu’il y ait des nécessités publiques? Non, sans cela l’Etat ne souffrirait pas de concurrence à coté de lui. Pour ces services, il n’est pas question d’utilité publique, il est bien plutôt question de commodité publique.
Instinctivement, d’ailleurs, cette distinction a déjà été faite par la jurisprudence : il y a un service de l’Etat, un véritable service public, pour lequel il a été décidé que le contentieux des réclamations serait abandonné aux tribunaux ordinaires qui, dans l’espèce, se trouvent être les tribunaux de commerce. Il s’agit du service des chemins de fer de l’Etat (V. Cass. 8 juill. 1889, S. 1890.1.473; P. 1890.1.1124, et la note). Nous savons bien qu’on s’est appuyé sur l’art. 22 de la loi du 15 juillet 4845 (S. Lois annotées de 1845, p. 74); mais ce texte ne fait que poser le principe de la responsabilité, il ne parle pas de la compétence, et, si l’on n’a pas revendiqué ici la compétence administrative, c’est qu’on a senti que l’Etat agissait comme une Compagnie de chemins de fer ordinaire, comme un particulier.
Voyons si cette distinction ne pourrait pas être appliquée aux services postaux et si elle n’aiderait pas à mettre un peu d’ordre en cette matière, que les textes ont rendue très compliquée.
Il y a des services postaux qui sont monopolisés au profit de l’Etat, ce sont ceux relatifs au transport des lettres fermées, des papiers et des paquets au-dessous de 1 kilogramme. Arrêts du Conseil du 18 juin 1682 et du 29 novembre 1681; loi du 29 août 1790, art. 4 (S. 1er vol. des Lois annotées, p. 59); arrêtés du 7 fructidor an VI (S. Ibid., p. 450); du 26 ventôse an VII (S. Ibid., p. 496), et du 27 prairial an IX (S. Ibid., p. 563). Les lettres chargées et les lettres recommandées sont comprises dans ce monopole. L. 5 nivôse an V, art. 14; Ord. 11 janvier 1829 (S. Ibid., p. 1497, et la note 3); Ord. 21 juillet 1844 (S. 2e vol. des Lois annotées, p. 819). Le service télégraphique et le service téléphonique, en tant qu’ils servent au public pour l’échange des correspondances, sont également monopolisés, et cela d’autant mieux que ces services supposent l’utilisation d’un réseau de fils qui sont sous la main de l’Etat. décr. 27 dec. 1851, art. 1er (S. Lois annotées de 1851, p.1184; P. Lois, décr., etc., de 1851, p. 311 et 312); L. 28 juill. 1885, art. 1er (S. Lois annotées de 1885, p. 810; P. Lois, décr., etc., de 1885, p. 1347). Pour tous ces services, le contentieux des réclamations en responsabilité contre l’Etat, conformément au principe, est purement administratif.
L’Etat décline toute responsabilité pour les lettres ordinaires (L. 5 nivôse an V, art. 14, S. 1er vol. des Lois annotées, p. 1197, note 3); il accepte une responsabilité limitée à une certaine somme pour les lettres chargées et pour les lettres recommandées (L. 5 nivôse an V, art. 14, ubi supra) (il s’agit ici des lettres chargées qui ne contiennent pas de valeur déclarée). L’Etat décline toute responsabilité pour les correspondances télégraphiques ordinaires (L. 29 nov. 1850, art. 6, S. Lois annotées de 1850, p. 192; P. Lois, décr., etc. de 1850, p. 126. V. d’ailleurs, sur cette question de responsabilité de l’Etat en matière postale, un article de M. Sanlaville, Rev. gén. d’administration, 1885,.t. II, p. 43 et s., 1886, t. 1, p. 38 et s.).
Le contentieux qui pourrait s’élever au sujet du refus de transmettre une dépêche ou du refus de la communiquer à destination serait également purement administratif (L. 29 nov. 1850, art. 3, ubi supra). Il est vrai que pour ces mêmes services le contentieux des taxes est judiciaire, mais c’est en vertu d’un texte (L. 29 août 1790, art. 3, ubi supra), et cela n’empêche point l’Etat d’agir en sa qualité de Puissance publique pour tous ces services, pas plus que la compétence judiciaire reconnue pour la perception de toutes les contributions indirectes, également en vertu de textes, n’empêche que l’Etat ne lève ces contributions à titre de puissance publique.
Mais à côté de ces services postaux monopolisés il y en a qui ne le sont pas :
Le transport des valeurs déclarées, réorganisé par la loi du 4 juin 1859 (S. Lois annotées de 1850, p. 67; P. Lois, décr., etc., de 11859, p. 119) n’est pas érigé en monopole; il en est de même, pensons-nous, des envois à livrer contre remboursement organisés par la loi du 20 juillet 1892 (Journ. off. du 21 juill. 1892, p. 3815).
Le service des recouvrements par la poste des effets de commerce et celui des abonnements aux journaux, organisés par les lois du 5 avril 1879 (S. Lois annotées de 1879, p. 423; P. Lois, décr., etc., de 1879, p. 729, et du 17 juill. 1880, S. Lois annotées de 1881, p. 74; P. Lois, décr., etc., de 1881, p. 123), ne constituent pas des monopoles.
La caisse d’épargne postale, organisée par la loi du 9 avril 1881 (S. Lois annotées de 1882, p. 288; P. Lois, décr., etc., de 1882, p. 466), ne rend pas un service monopolisé, puisqu’il subsiste des caisses d’épargne privées.
Enfin, le service des colis postaux ne constitue pas au profit de l’Etat un monopole. Aucun texte n’a interdit aux particuliers le transport des colis postaux de 3 kilogrammes et en fait l’industrie du groupage continue de subsister.
Or, pour tous ces services où l’Etat n’a pas de monopole, il n’agit plus à titre de Puissance publique, il est un particulier en concurrence avec d’autres particuliers, et il ne doit pas avoir de privilège de juridiction.
Cela a été parfaitement compris lorsque le service du transport des valeurs déclarées a été réorganisé par la loi du 4 juin 1859 (ubi supra); l’art 3 de cette loi dispose que les actions en responsabilité seraient portées devant les tribunaux civils.
Cela vient d’être étendu par la loi du 20 juillet 1892 précitée aux envois à livrer contre remboursement.
La question de compétence n’a pas été prévue par les textes qui ont organisé le service des recouvrements et celui de la caisse d’épargne postale. II n’est pas à notre connaissance qu’il se soit encore élevé de contestations pour ces deux services, mais, s’il s’en élevait, elles devraient être portées devant les tribunaux ordinaires. II en est de même pour les colis postaux; il n’y a pas de texte, I’art. 10 de la convention de 1880 étant non avenu; par conséquent compétence du juge ordinaire.
Cela est d’autant moins dangereux que la responsabilité de l’Etat est limitée à 15 francs (Conv. 2 nov. 1880, art. 11, ubi supra). Cela est d’autant plus nécessaire que les nouvelles conventions du 15 janvier 1892 ont crée des colis postaux à valeur déclarée. Et alors, si ces colis à valeur déclarée restaient soumis à la juridiction administrative tandis que les lettres à valeur déclarée et les objets à livrer contre remboursement relèvent de la juridiction ordinaire (L. 4 juin 1859, art. 3, et L. 20 juill. 1892, ubi supra), ce serait de l’incohérence pure.
Une dernière observation. Les services postaux, celui des colis postaux comme les autres, ont tous été organisés à la suite d’ententes internationales; les conventions postales internationales remontent au siècle dernier. On pourrait s’emparer de ce fait pour soutenir que tous les services postaux supposent l’Etat puissance publique, puisqu’ils reposent sur des conventions diplomatiques. — Il n’est pas difficile de répondre que la convention diplomatique est un acte préalable, qui rend possible le service postal, mais qui ne se confond pas avec lui; à tel point qu’elle est passée par le ministre des affaires étrangères. Par conséquent, cela n’influe en rien sur le caractère intrinsèque du service postal, surtout au point de vue des rapports de l’Administration avec les particuliers.
OBSERVATION. — Le Conseil d’Etat s’est finalement décidé pour la compétence générale de l’autorité judiciaire, en matière de colis postaux (C. E. 16 juin 1922, Compagnie P.-O.).