Par une décision Commune de Scionzier, le Conseil d’État a simplifié les règles suivant lesquelles les exceptions comptables peuvent être opposées dans une instance administrative.
Le maire de Scionzier a exercé, par application du code de l’urbanisme, le droit de préemption urbain sur un bien immobilier situé dans cette commune et cette décision a été notifiée le 11 février 2002 au notaire du vendeur sans la mention des voies et délais de recours, ce qui offrait aux parties concernées, la possibilité d’agir sans que les délais de recours ne puissent leur être opposés (Article R. 421‑5 du code de justice administrative).
C’est ainsi qu’en 2007, le Tribunal administratif de Grenoble sera saisi d’une première requête pour excès de pouvoir dirigée contre cette décision de préemption et d’une seconde requête de plein contentieux tendant à l’indemnisation du préjudice subi et qui faisait suite à une demande préalable du 3 juillet 2007 qui avait été formulée par la société « Les rosiers » propriétaire du bien en question.
Par un jugement du 30 juin 2011 (Tribunal administratif de Grenoble, 30 juin 2011, SCI Les Rosiers et autres, n° 07‑03254 et 07‑04555), le tribunal a d’abord joint les deux instances, puis a annulé la décision de préemption et, enfin, a condamné la commune défenderesse à indemniser les parties du préjudice subi.
La Cour administrative d’appel de Lyon, alors saisie, a partiellement fait droit à l’appel de la commune en réformant le jugement entrepris en ce qu’il avait accordé, à tort, des dommages et intérêts à un tiers et confirmé le surplus.
La commune de Scionzier va se pourvoir devant le Conseil d’État qui, par une décision de Section du 5 décembre 2014 (CE Sect., 5 décembre 2014, Commune de Scionzier, n° 359769), va casser l’arrêt de la Cour administrative de Lyon et trancher définitivement le litige.
Si la cassation a été prononcée pour une irrégularité de procédure, tirée du défaut de communication aux parties du sens des conclusions du rapporteur public avant la tenue de l’audience publique (CE Sect., 21 juin 2013, Communauté d’agglomération du Pays-de-Martigues), l’intérêt de l’arrêt se trouve dans les conditions dans lesquelles il est désormais possible d’opposer l’exception de prescription quadriennale (Article 1er de la loi n° 68‑1250 du 31 décembre 1968) au profit d’une personne publique.
Le Conseil d’État distingue clairement, à cet égard, dans cette décision de principe, le régime des exceptions d’irrecevabilité et des exceptions de fond. Si les irrecevabilités, que l’on peut faire valoir par la voie d’une fin de non recevoir, font obstacle à l’introduction de l’instance devant la juridiction compétente, les exceptions de fond, quant à elles, font obstacle à ce que le juge puisse accueillir les conclusions litigieuses ce qui ne peut intervenir que dans un second temps.
1°) En effet, la distinction entre exception d’irrecevabilité et exception de fond n’est pas sémantique mais procède de deux logiques juridiques distinctes qui sont examinées de manière différenciée par le juge au titre de l’ordre d’examen des questions.
Au cas présent, et ce point est rappelé par le Conseil d’État bien que d’une manière parfaitement conforme à sa jurisprudence la plus classique (CE, 12 octobre 2011, Laskier, n° 321024 et 327962), les conclusions en excès de pouvoir ont ainsi été introduites plus de 5 années après que la décision querellée ait été adoptée. Toutefois, en l’absence d’indication des voies et délais de recours à l’occasion de sa notification, les délais de recours n’étaient pas opposables à la société « Les Rosiers ».
Par voie de conséquence, bien que présentées au delà du terme du délai de 2 mois prévu par l’article R.421‑1 du code de justice administrative, les conclusions en annulation étaient parfaitement recevables. Le juge administratif ne pouvait, dès lors qu’écarter les fin de non recevoir opposées par l’avocat de la commune tant devant les premiers juges qu’en cause d’appel.
Eu égard à la tardiveté de la transmission de la décision litigieuse au contrôle de légalité, qui est intervenue au delà du délai prévu pour que le maire puisse exercer le droit de préemption par un acte exécutoire, l’annulation s’imposait pour tardiveté (Cf. CE, 16 juin 1993, Commune d’Étampes, n° 135411) .
La recevabilité de l’instance indemnitaire ne soulevait pas ici de difficulté dans la mesure où une demande préalable avait été présentée le 3 juillet 2007 ; toutefois son examen soulevait une difficulté de prescription au fond.
2°) La prescription des créances publiques constitue en effet une question de fond et non de recevabilité (CE Sect., 8 novembre 1974, Époux Figueras, Rec. p. 545), ce qui fait que celle-ci n’est examinée pour autant que la requête soit recevable, les questions de recevabilité primant sur celles de fond. Ceci peut apparaître surprenant mais cela n’est en réalité que la conséquence logique du principe d’indépendance des législations (I. Mboup, « La notion instrumentale d’indépendance des législations », RDP 2013 p. 589).
Il s’agit donc d’une question de bien fondé qui empêche, au même titre que l’absence de fait générateur de la responsabilité, de lien de causalité ou de préjudice subi, que le juge puisse prononcer une indemnisation (CE, 15 juillet 1957, Mescam, Rec. p. 490). Ceci justifie un traitement procédural différencié de cette exception.
En effet, la prescription (dite « quadriennale ») prévue par la loi du 31 décembre 1968 fait obstacle à ce le juge puisse condamner une personne publique à verser une somme qu’elle ne doit alors plus (CE Sect., 19 mars 1971, Mergui, n° 79962), les libéralités étant normalement prohibées pour les personnes publiques.
On notera, à cet égard, que cette règle est également applicable lorsque le requérant, usant de l’option procédurale prévue par la jurisprudence Lafage (CE, 8 mars 1912, Lafage, concl. Pichat Rec. p. 348, GAJA n° 23), cherche à obtenir une décision de justice impliquant le versement d’une somme d’argent par la voie de l’excès de pouvoir (CE Sect., 9 janvier 1976, Fabre, Rec. p. 17).
Il y a donc de ce fait ici, un découplage entre la détermination de la prescription de l’action elle même et la prescription de la créance.
Or, la décision de préemption ayant été notifiée le 12 février 2002, même de manière imparfaite, le délai de prescription a couru au regard de la loi du 31 décembre 1968 mais non au regard du code de justice administrative. La prescription était donc acquise au profit des deniers communaux le 31 décembre 2006 soit quelques mois avant que ne soit formée une demande indemnitaire pour le compte de la société « Les rosiers ».
Cette solution, aussi rigoureuse qu’elle puisse être sur le plan juridique, présente toutefois l’inconvénient pour le justiciable avisé de devoir multiplier nécessairement les actions aux fins d’interrompre le délai de prescription comptable ce qui n’est pas sans risque pour l’encombrement des rôles des juridictions administratives.
3°) Cependant, cette prescription de fond n’est pas d’ordre public (CE, 6 juin 1984, Communes de Bandol et de Sanary-sur-Mer, n° 45876 et 45958), à la différence de la plupart des questions de recevabilité, ce qui impose qu’elle doit être normalement être préalablement opposée par le défendeur pour que le juge puisse y faire droit.
Les personnes publiques ne peuvent normalement pas renoncer à l’opposer, sauf « circonstances particulières » (Article 6 de la loi du 31 décembre 1968) ce qui n’était pas ici le cas (en tout état de cause, le conseil municipal aurait dû alors se prononcer), et cela doit être fait avant que le premier juge se soit prononcé sur le bien-fondé du litige (Article 7 de la loi du 31 décembre 1968 ; CE Sect., 29 juillet 1983, Ville de Toulouse c. Tomps, n° 23828) dans le cadre de l’instruction de la requête (qui est de ce simple fait obligatoire : cf. CE, 1er décembre 1982, Autret, n° 43771). Elle ne peut donc pas être invoquée pour la première fois en cause d’appel ou devant le juge de cassation, ni même faire obstacle à l’exécution d’un jugement exécutoire ce qui n’est pas, en soi, d’une grande logique.
La jurisprudence du Conseil d’État n’admettait pas que cette prescription soit opposée par un tiers autre que l’ordonnateur quand bien même celui-ci serait muni d’un mandat en ce sens tel qu’un comptable public ou un avocat (CE, 27 février 1981, Commune de Chonville, Rec. p. 116 ; CE Sect., 19 octobre 1990, Ingremenu, Rec. p. 284) ce qui imposait un acte distinct versé au dossier contentieux.
Cette solution, en ce qui concerne les avocats, était en décalage avec la législation régissant la profession d’avocat (Article 5 de la loi n° 71‑1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) ce qui a justifié le revirement ici opéré qui prolonge d’autres solutions similaires rendues dans d’autres matières (Ainsi, le Conseil d’État n’a admis que très récemment que le mandat ad litem de l’avocat était valide en matière de procédure administrative fiscale non contentieuse : cf. CE, 26 mars 2008, Société de Gestion « Hôtels de Cahors »). Désormais, un avocat pourra également opposer les prescriptions comptables dans les affaires où il représente la personne publique dont la responsabilité est recherchée sans acte spécial de l’ordonnateur.
On regrettera toutefois que les textes instaurent une compétence liée aux personnes publiques pour opposer cette prescription, et cela dès la première instance, alors qu’il aurait été plus simple d’en faire une règle d’ordre public invocable à tout moment de la procédure qui pourrait même être soulevée d’office par le juge ; toutefois seule une réforme textuelle pourrait corriger cela compte tenu de la rédaction de la loi du 31 décembre 1968. L’objet de sauvegarde des deniers publics serait alors clairement et pleinement assumé…