1) Quel est la place de cette technique dans votre pays ? Quel est l’évolution actuelle et future ?
Tout d’abord, je vous dirais très modestement que je ne suis pas juriste ! Donc je vous propose d’aborder la problématique du crowdfunding sous le prisme d’un entrepreneur, qui soutient également la cause entrepreneuriale dans le cadre d’une société spécialisée qui met en place actuellement une plateforme de crowdfunding.
Littéralement, « crowdfunding » signifie « financement par la foule ». Concrètement, il s’agit de récolter des fonds auprès de monsieur et madame Tout-le-Monde, le plus souvent via des plateformes spécialisées sur Internet, pour financer un projet spécifique. Les typologies de crowdfunding se déclinent en trois segments : le mécénat (ou le don) souvent utilisé pour financer des œuvres ou une action d’intérêt général ; il y a également le prêt avec ou sans contrepartie ; enfin, le segment de l’investissement qui permet à des particuliers d’investir au capital d’une société. Cet investissement permet d’obtenir des actions et de participer à une aventure entrepreneuriale.
Le crowdfunding, comme partout, se développe en Belgique. Il y a aujourd’hui en Belgique environ 15 plateformes. La plus active est MyMicroInvest. En moyenne, elle met 350.000 à 400.000 euros à la disposition d’une entreprise, prêts et crowdfunding confondus. Le crowdfunding leur fournit un tiers du financement, les deux tiers restants provenant de business angels, de fonds d’investissement et/ou des prêts bancaires. La croissance du nombre de projets illustre l’essor du secteur, y compris en Belgique : 13 entreprises jusqu’à fin 2013, 11 supplémentaires rien qu’en 2014 et, selon les estimations, 50 entreprises supplémentaires en 2015 (une par semaine).
2) Existe-t-il un cadre juridique contraignant et si oui, comment les acteurs économiques s’en sortent-ils ? Le gouvernement s’est-il saisi du dossier ? Parle-t-on de projets de réforme ?
La FSMA1, l’autorité de régulation des marchés et des opérations bancaires, veille au grain. J’ai la chance de siéger au Conseil Supérieur des Indépendants et des petites et moyennes entreprises, PME, dans le cadre de mon mandat de vice-président d’une organisation patronale l’UCM2. De ce fait, j’ai été bien informé des évolutions légales et réglementaires. Il existe un cadre juridique qui s’appuie sur des arrêtés royaux, circulaires, etc., qui encadrent les opérations de crowdfunding : à savoir notamment le « Cadre réglementaire applicable aux opérations de crowdfunding » (FSMA – 12 juillet 20123), ainsi que les lois du 2 août 2002 en matière d’activité en qualité d’intermédiaire financier ou qualifié4, du 22 mars 2006 relative à l’intermédiation en services bancaires et en services d’investissement et à la distribution d’instruments financiers5, du 16 juin 2006 relative aux offres publiques d’instruments de placement6, du 20 juillet 2004 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuilles d’investissement7, et du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d’investissement8.
L’élément-clé pour les plateformes de crowdfunding est de vérifier si les opérations de crowdfunding ne constituent pas une offre publique d’instruments de placement, OPIP, au sens de la loi du 16 juin 2006. De manière synthétique, les opérations liées à l’equity et aux prêts non standardisés doivent dans tous les cas obtenir l’accord de la FSMA. Un texte en chantier sous la précédente législature et qui date de mars 20149 prévoit de porter la récolte maximale du financement participatif à 300.000 euros par projet, contre 100.000 actuellement, tout en limitant la mise individuelle à 300 euros. Trop peu sans doute…En cas de non-respect de ces deux conditions, le projet de financement devra faire l’objet d’un prospectus, à faire approuver par la FSMA, l’autorité des marchés : une procédure qui coûte cher et qui prend du temps, ce qui décourage les porteurs de petits projets.
3) Existe-t-il en Belgique une particularité en matière de crowdfunding ? Une des techniques est-elle plus développée ou rencontre-t-elle plus d’engouement que d’autres ?
Le phénomène du financement participatif est encore embryonnaire chez nous. Mais les initiatives se multiplient. Parmi les acteurs, on citera notamment MyFirstCompany (start-up), Look&Fin (entreprises), MyMicroInvest (start-up), Identity Coop (troc et conseils), Crowd In. Quant aux références et précurseurs en matière de crowdfunding internationaux, ils se nomment Kickstarter, RocketHub et Kiva. Ceux-ci commencent à se développer un peu partout en Europe !
Contrairement à d’autres créneaux du crowdfunding pour lesquels la localisation de la plateforme ou des projets présentés n’a pas ou peu d’importance, le crowdfunding de société en capital-risque est fortement impacté par la législation et la réglementation locale, et est donc généralement compartimenté par zone. La société MyMicroInvest – www.mymicroinvest.com est à l’heure actuelle (c’est à dire 2014) la seule société proposant le financement de start-up (ou projets) via crowdfunding en capital-risque en Belgique. Un certain nombre d’autres projets plus ou moins similaires existent à des degrés divers de développement, mais ils ne sont pas encore opérationnels à ce stade.
4) Est-il possible de dégager un profil des sociétés ayant recours à ces techniques ?
Si jusqu’il y a peu le financement participatif était surtout l’apanage des secteurs culturels et artistiques (financement d’albums musicaux, de films…), il s’ouvre désormais aussi aux jeunes entrepreneurs et starters, aux associations caritatives, aux projets associatifs, environnementaux et même au financement de certains projets académiques (universités).
Le crowdfunding semblait donc réservé aux créateurs. Cependant, grâce à la professionnalisation des structures et à l’utilisation de financements groupés, de plus en plus d’hommes d’affaires l’envisagent. D’autant plus que le crowdfunding a aussi un effet marketing non négligeable et il devient de plus en plus un outil de marketing pour les entreprises. Plusieurs témoignages l’attestent. Le positionnement des plateformes conditionne le profil des entreprises, et celui des investisseurs.
5) Comment avez-vous découvert cette technique, quels sont vos projets en la matière ?
A titre personnel, je suis un entrepreneur moi-même actif dans le soutien au développement de starters et de start-up en Belgique et dans la Grande Région. En 2002, j’ai fondé Challenge (www.challengeonline.be) qui est une référence en Wallonie en matière de conseil en création d’entreprises. En 2012, j’ai été interpellé par une réflexion sur les circuits courts, qu’ils soient alimentaires (food) ou non. Cela m’a amené à intégrer également une réflexion sur le circuit court de l’argent… Pour moi, le crowdfunding participe également à cette dynamique, au même titre que l’émergence de monnaies locales (L’Epi lorrain dans le sud de la Belgique,…), les prêts entre membres d’une famille (love money). Le financement participatif est d’une certaine manière une vision plus moderne de ces échanges grâce à la technologie. Il s’inscrit également dans un mouvement plus profond, celui des makers, pour qui être partie prenante d’un projet, l’est davantage quand il y a une part d’investissement dedans. En plus, la crise bancaire a sensibilisé une partie du public à tout ce qui a un impact financier. Ces personnes veulent se réapproprier le contrôle de leurs ressources. Le crowdfunding reste un phénomène marginal dans le financement des entreprises, mais la disponibilité de l’épargne et la technologie en favoriseront l’essor. C’est une forme de diversification pour les investisseurs et pour les organisations financées.
Donc, d’ici 2015, je devrais être l’heureux papa d’une nouvelle plateforme de crowdfunding en Belgique. J’en ignore encore le nom à ce stade, mais elle proposera des prêts rémunérés à des starters qui construisent une économie positive pour l’homme et pour l’environnement !
6) Pourriez-vous en quelques lignes vous décrire et nous préciser vos actions dans le monde de l’entreprise en Belgique ?
J’ai 47 ans et trois enfants. Je me définirais comme un homme de la terre, un homme de terrain. Pour moi, entreprendre est un état d’esprit, une posture, être maître de ses choix, de sa vie ! C’est oser. C’est donc prendre un risque et le vivre intensément. L’univers des PME me passionne. Un indépendant, c’est d’abord une personne courageuse qui a osé oser ! Un indépendant est patron de sa vie et de son entreprise. Il vit de son savoir-faire !
Pour moi, le crowdfunding va se développer et est un plus pour le financement des starters, mais aussi d’un certain nombre de projets à vocations sociale, culturelle, artistique… Je milite pour une société entreprenante, le crowdfunding sensibilise également les particuliers au fait d’entreprendre.
J’ai fondé L.C.M. (Leadership – Consulting – Management), cabinet conseil en stratégie opérationnelle, en organisation et en management de TPE et PME. (www.lcm-team.com) et New Business au Luxembourg. Je préside également Challenge (www.challengeonline.be) qui épaule les starters en Wallonie. Je suis en outre administrateur de sociétés et membre de la Commission Buysse. En 2015 et 2016, je présiderai le Comité Economique et Social de la Grande Région.
Vous retrouverez toute ma bibliographie et toutes mes fonctions sur : www.philippeledent.be
- NDLR : Autorité belge des services et marchés financiers [↩]
- NDLR : union des classes moyennes [↩]
- Document disponible en ligne sous : http://www.fsma.be/~/media/Files/fsmafiles/circ/fr/fsma_2012_15.ashx [↩]
- Loi disponible en ligne sous : http://www.nbb.be/doc/ts/enterprise/juridisch/lo20020802.pdf [↩]
- Loi disponible en ligne sous : http://www.fsma.be/~/media/Files/fsmafiles/wetgeving/wet_loi/2006-03-22_Wet_Loi.ashx [↩]
- Loi disponible en ligne sous : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=2006061630&table_name=loi [↩]
- Loi disponible en ligne sous : http://www.etaamb.be/fr/loi-du-20-juillet-2004_n2005003063.html [↩]
- Loi disponible sous le lien suivant : http://www.nbb.be/doc/cp/fr/bo/wg/pdf/law_06-04-1995_04-2014.pdf [↩]
- Voir le communiqué de presse du 26 mars 2014 publié par le ministre Koen Geens, http://www.koengeens.be/fr/news/2014/03/24/cadre-legal-pour-le-crowdfunding [↩]
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