Contexte : Par cet arrêt rendu le 4 juin 2015, la deuxième chambre civile confirme sa jurisprudence excluant toute possibilité pour le juge des référés d’allouer une provision ad litem à partir du moment où il subsiste un doute sur la responsabilité des Laboratoires Servier recherchée en tant que fabricant du Benfluorex commercialisé sous le nom de Mediator®.
Litige : Une personne justifie avoir été traitée, entre avril 2004 et novembre 2009, par administration du Mediator®. Depuis lors, elle souffre d’anomalies de la valve aortique découvertes en février 2011 qui n’existaient pas en 2004. Elle saisit le juge des référés pour obtenir la désignation d’un expert afin d’établir la preuve d’un lien de causalité entre ses pathologies et le prise du médicament Mediator®. A cette occasion, elle demande au juge des référés de condamner les Laboratoires Servier à lui verser une provision à valoir sur la réparation de son préjudice et sur les frais de procédure. La cour d’appel de Versailles fait droit à sa demande d’expertise et lui accorde une provision pour frais de justice, d’un montant de 2.000 €. Les Laboratoires Servier se pourvoient en cassation à l’encontre de cette décision en reprochant à la cour d’appel d’avoir fait droit à la demande de provision.
Solution : La deuxième chambre civile casse la décision de la cour d’appel de Versailles aux motifs que :
« (…) pour condamner la société à payer à Mme X… une certaine somme à titre de provision sur les frais d’instance au titre de la procédure de référé et de l’expertise, l’arrêt retient que l’historique et le contenu des premiers signalements publiés, de ses propres recherches, des études menées et publiées en France et à l’étranger ayant conduit au retrait du Médiator du marché ne permettant pas d’établir à l’évidence que l’état des connaissances scientifiques et techniques n’aurait pas permis à la société de déceler l’existence du défaut au moment de la mise en circulation du Médiator à l’occasion de chacune des prescriptions dont a bénéficié Mme X…, la société ne rapporte pas la preuve qui lui incombe des conditions d’exonération de sa responsabilité civile de plein droit prévues à l’article 1386-11 du code civil ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’invocation d’une cause d’exonération de responsabilité constitue une contestation dont le sérieux doit être examiné par le juge des référés sans que puisse être exigée l’évidence de la réunion des conditions de l’exonération, la cour d’appel a violé » les articles 1386-11 du code civil et 809, alinéa 2, du code de procédure civile.
Analyse : La deuxième chambre civile s’est déjà prononcée en ce sens, dans un arrêt récent (Cass. 2e civ., 29 janv. 2015, n° 13-24.691, Bull. II, n° 19 ; Resp. civ. et assur. 2015, comm. 159, note S. Hocquet-Berg), fermant ainsi la porte à une construction intellectuelle stimulante aux termes de laquelle « l’objet de la provision en dessine les contours de l’octroi. Destinée à permettre de faire face aux frais d’expertise, la provision ad litem est adossée sur les conditions de la mesure d’instruction ainsi ordonnée. De sorte que la provision ad litem est subordonnée à la caractérisation d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile. Comme la mesure d’expertise sollicitée, la provision ad litem passe par la caractérisation d’un motif légitime, celui consistant à faire supporter les frais d’instance par l’adversaire » (Y. Strickler, Pour une nouvelle approche de la provision ad litem, D. 2013, p. 2588).
Comme la cour d’appel de Versailles, de nombreux juges du fond ont suivi cette analyse doctrinale afin d’accorder, dès le stade de l’expertise judiciaire, une provision destinée à permettre au demandeur de faire l’avance des frais du procès à venir. En l’espèce, la demanderesse expliquait que, même si elle bénéficiait de l’aide juridictionnelle totale la dispensant du paiement des honoraires d’un avocat et de l’avance de la rémunération de l’expert, elle devait néanmoins exposer des frais pour se rendre aux opérations d’expertise et se trouvait aussi face à la nécessité de recourir au concours d’un médecin, compte tenu de la technicité particulière du dossier à préparer et à soutenir dans l’affaire l’opposant aux Laboratoires Servier.
La Cour de cassation est cependant restée sourde à ces arguments. Elle a considéré que, dès lors que l’obligation au fond du défendeur est sérieusement contestable, il ne peut pas être condamné à verser une provision en application de l’article 809, alinéa 2 du code de procédure civile. En l’occurrence, la responsabilité civile des Laboratoires Servier demeurait effectivement incertaine. C’est ainsi que la Cour de cassation a reproché à la cour d’appel d’avoir balayé un peu trop rapidement l’argument des Laboratoires Servier qui invoquait une cause d’exonération, en l’occurrence le « risque développement » prévu par l’article 1386-11, 4°. Ce texte autorise, en effet, les fabricants à échapper à toute responsabilité, alors même que le défaut du produit à l’origine du dommage serait établi, dès lors que « l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ». La question de savoir si cette cause d’exonération peut être ici retenue pour permettre aux Laboratoire Servier d’échapper à son obligation d’indemniser les victimes du Mediator® devra être ultérieurement tranchée par le juge du fond.
Dans l’attente, la demanderesse en réparation doit faire l’avance des frais non pris en charge au titre de l’aide juridictionnelle ou renoncer à son action… Cette conséquence est évidemment déplorable au regard des principes du procès équitable qui découlent de l’article 6 de la Convention de sauvegarde et des libertés fondamentales. Elle paraît cependant inévitable sous peine d’aboutir à un renversement de la charge de la preuve. Pour prévenir cette situation apparemment inextricable, il serait judicieux de généraliser l’assurance de protection juridique qui a précisément pour objet de garantir le coût de litiges éventuels. Même si elle est d’un coût raisonnable pour l’assuré (de l’ordre de 10 € par mois), elle présente un caractère facultatif, de sorte que malheureusement, ce ne sont généralement pas les plus nécessiteux qui en sont les bénéficiaires.