Contexte : Par un arrêt rendu le 25 février 2016, la première chambre civile admet la possibilité pour le juge des référés d’allouer une provision ad litem en approuvant la cour d’appel d’avoir jugé que l’obligation de réparer des Laboratoires Servier, recherchée en tant que fabricant du Benfluorex commercialisé sous le nom de Mediator®, n’était pas sérieusement contestable.
Litige : Après avoir été traitée de 1992 à 1994 pour une hypertension artérielle et une cardiopathie par prescription d’Isoméride® et de Tenuate Dospan®, une personne suit plusieurs cures de Mediator® de 1998 à 2008 pour traiter un diabète non insulinodépendant. Considérant que ce dernier produit est à l’origine d’une double insuffisance mitrale et aortique de grade II, elle saisit, par acte du 3 février 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d’ordonner une expertise et de condamner les Laboratoires Servier à lui verser une provision couvrant les frais de l’instance et les dommages subis. Le juge des référés fait partiellement droit à sa demande en désignant un expert, mais en limitant la provision demandée à la somme de 10.000 € par les seuls frais d’instance. En appel, la cour d’appel de Versailles confirme l’ordonnance du juge des référés, sauf sur le rejet de la demande de provisions sur les dommages qu’elle fixe, au regard des conclusions du rapport d’expertise, à la somme de 50.000 €. Les Laboratoires Servier forment un pourvoi à l’encontre de cet arrêt et reprochent à la cour d’appel d’avoir accordé des provisions à la demanderesse en faisant valoir, en substance, que son obligation d’indemniser est sérieusement contestable.
Solution : La première chambre civile rejette le pourvoi dirigé contre la cour d’appel de Versailles aux motifs que :
« Mais attendu, d’abord, que l’arrêt constate que l’expert judiciaire a imputé la pathologie de Mme X… à la prise du Mediator, rejoignant ainsi à cet égard l’avis du collège d’experts désigné par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à l’occasion de la procédure amiable antérieure engagée par l’intéressée ; qu’il relève que, répondant aux dires de la société contestant cette imputabilité au regard de l’état de santé antérieur de la patiente, de ses facteurs de risque et de la prescription antérieure d’Isoméride et de Tenuate Dospan, cet expert a exclu l’implication de ces médicaments dans la survenue de l’affection litigieuse et fixé à 80 % la part des préjudices imputable au Mediator ; que la cour d’appel a pu en déduire qu’un lien de causalité entre cette pathologie et la prise du Mediator pendant dix années, dans la limite du pourcentage proposé par l’expert, n’était pas sérieusement contestable ;
Attendu, ensuite, qu’aux termes de l’article 1386-4, alinéas 1er et 2, du code civil, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et qu’il doit être tenu compte, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ; que la constatation, par le juge, du défaut d’un produit, à la suite de la mise en évidence de risques graves liés à son utilisation que ne justifie pas le bénéfice qui en est attendu, n’implique pas que le producteur ait eu connaissance de ces risques lors de la mise en circulation du produit ou de sa prescription ;
Attendu, enfin, que la cour d’appel, après avoir retenu que le Mediator était un produit défectueux au sens de l’article 1386-4 du code civil, n’a pas modifié l’objet du litige et n’était pas tenue de procéder à la recherche prétendument omise, dès lors que la société ne s’était pas prévalue d’une exonération de responsabilité fondée sur l’article 1386-11, 4°, du code civil ».
Analyse : Par cet arrêt, la première chambre civile semble contredire l’analyse de deuxième chambre civile qui s’est prononcée à plusieurs reprises en défaveur des provisions ad litem (Cass. 2e civ., 29 janv. 2015, n° 13-24.691, à paraître au bulletin, Resp. civ. et assur. 2015, comm. 159, note S. Hocquet-Berg ; Cass. 2e civ., 4 février 2015, n° 14-13.406 ; Revue générale du droit on line, 2015, numéro 22518 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=22518), en jugeant, dans la première de ces deux décisions, que « l‘analyse technique complexe nécessaire afin d’établir, le cas échéant, un lien de causalité entre la prise de Médiator et la pathologie développée par Mme Y… démontrait le caractère sérieusement contestable de l’obligation d’indemnisation de la société Servier ».
La deuxième chambre civile avait donc considéré que le caractère sérieusement contestable de l’obligation de réparer des Laboratoires Servier faisait obstacle à leur condamnation par le juge des référés à verser une provision sur le fondement de l’article 809, alinéa 2, du code de procédure civile.
En réalité, les circonstances de la présente affaire soumise à l’examen de la première chambre civile sont bien différentes de celles qu’avait examiné la deuxième chambre civile.
En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à la présente décision, un rapport d’expertise judiciaire avait déjà été déposé lorsque la cour d’appel de Versailles s’est prononcée. En outre, comme l’a relevé la première chambre civile, « l’expert judiciaire a imputé la pathologie de Mme X… à la prise du Mediator, rejoignant ainsi à cet égard l’avis du collège d’experts désigné par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à l’occasion de la procédure amiable antérieure engagée par l’intéressée ». Elle a également relevé que cet expert a exclu l’implication la prescription antérieure d’Isoméride et de Tenuate Dospan dans la survenue de l’affection litigieuse et fixé à 80 % la part des préjudices imputable au Mediator®. Dans ces conditions, la défectuosité du Mediator® et son rôle causal dans les troubles invoqués par la demanderesse n’apparaissent effectivement pas sérieusement contestables.
En outre, la cause d’exonération pour risque de développement (C. civ., art. 1386-11, 4°) n’avait manifestement pas été soulevée par les Laboratoires Servier devant les juges du fond. La Cour de cassation retient implicitement mais nécessairement que ce moyen est mélangé de fait et de droit et ne peut donc, en application de l’article 619 du code de procédure civile, être invoqué pour la première devant elle. Ce faisant, la première chambre civile n’écarte pas le bien-fondé de cette cause d’exonération dans l’affaire du Mediator®. Nul doute que les Laboratoires Servier ne manqueront pas, à l’avenir de l’invoquer, ce qui fragilisera nécessairement, au moins au stade du référé, le droit à réparation invoqué par les victimes de ce produit de santé. Il faut donc attendre que la Cour de cassation, à l’occasion d’un pourvoi formé contre une décision rendue au fond, se prononce clairement sur la question de savoir si les Laboratoires Servier sont fondés à soutenir que l’état des connaissances scientifiques et techniques ne permettait pas de déceler, avant l’interruption de l’AMM du Mediator® survenue le 24 novembre 2009, les risques d’hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathies liés à la prise de ce produit.