1. Le Conseil d’Etat a rendu deux décisions sous le même numéro 380570 dans une affaire M.A. c. Conseil supérieur de la magistrature.
Cette affaire concernait une plainte déposée auprès du CSM à l’encontre de la vice-présidente du TGI de Paris.
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 « de modernisation des institutions de la Ve République » a en effet introduit à l’article 65 de la Constitution la phrase suivante, au sein des dispositions relatives à la discipline des magistrats « Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par un justiciable dans les conditions fixées par une loi organique ».
Les articles 51 à 56 et le second alinéa de l’article 58 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans leur rédaction issue de la loi organique du 22 juillet 2010 relative à l’application de l’article 65 de la Constitution, définissent la procédure applicable en cas de poursuites disciplinaires à l’égard d’un magistrat du siège.
L’article 58 alinéa 2 prévoit en particulier que « Le recours contre la décision du conseil de discipline n’est pas ouvert à l’auteur de la plainte ».
L’auteur de la plainte n’est donc pas considéré comme étant une partie à l’instance.
2. M.A et d’autres ont saisi sur le fondement de ces dispositions le CSM d’une plainte contre la vice-présidente du TGI de Paris.
Par une décision du 20 mars 2014 le CSM, statuant en conseil de discipline des magistrats du siège, a dit qu’il n’y avait pas lieu de prononcer une sanction à l’encontre de la magistrate.
M.A a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pouvoir en cassation, accompagné d’une question priortaire de constitutionnalité.
La demande de transmission de la QPC a été rejetée par une décision du 19 novembre 2014. La loi organique ayant, comme toute loi organique été soumise à l’examen a priori du Conseil constitutionnel, seul un changement dans les circonstances de droit et de fait pouvait justifier un réexamen de ces dispositions dans le cadre d’une QPC (Conseil constitutionnel, décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, Daniel W [Garde à vue]).
3. Examinant le recours au fond, le Conseil d’Etat examine un autre moyen tiré celui-là d’une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme par les dispositions de la loi organique.
Le Conseil d’Etat écarte le moyen, en considérant que l’article 6 CEDH ne s’applique qu’aux parties à un procès. Or celui qui dépose une plainte devant le CSM n’agit pas en tant que victime des agissements du magistrat incrimié et dispose par ailleurs de recours indemnitaires sur le fondement de la faute personnelle ou de service. La procédure prévue par l’article 65 de la Constitution n’entre donc pas dans le champ d’application matériel de l’article 6 CEDH. Plus exactement, celui ou ceux qui déposent la plainte ne bénéficient pas (notons l’expression un peu maladroite du Conseil d’Etat) d’un « droit matériel susceptible d’être l’objet de contestation dans les conditions qu’il prévoit ».
En revanche, la procédure disciplinaire du CSM entre dans le champ d’application matériel de l’article 6 en ce qui concerne les magistrats qui, eux, sont des parties à la procédure. En ce qui concerne les magistrats du siège, la pleine application de l’article 6 est assurée car il s’agit d’une décision à caractère pénal. En ce qui concerne les magistrats du parquet, le CSM ne rend qu’un avis. C’est donc d’une application minimum de l’article 6 auquel le CSM est alors soumis; il doit respecter les principes d’impartialité et les droits de la défense (Conseil d’Etat, SSR., 27 mai 2009, Hontang, requête numéro 310493, publié au recueil).
Mais là ne réside pas l’essentiel de la décision et son classement en A est uniquement justifié par le fait que le Conseil d’Etat accepte d’examiner le moyen.
4. En confrontant l’article 6 CEDH et une loi organique, le Conseil d’Etat indique que la qualité de la loi organique, qui est adoptée en exécution d’une disposition constitutionnelle, ne la met pas à l’abri d’un examen de conventionnalité.
L’analyse de la décision est plus intéressante même que la décision elle-même.
Les services du Conseil d’Etat y indiquent notamment « CONTRÔLE DE LA CONVENTIONNALITÉ D’UNE LOI ORGANIQUE – EXISTENCE, EN L’ABSENCE D’ÉCRAN CONSTITUTIONNEL (SOL. IMPL.). ». C’est un petit caillou de plus indiquant, après les décisions Sarran et Syndicat national de l’industrie pharmaceutique notamment, que la Constitution bénéficie d’une primauté sur le Traité international dans l’ordre interne.
A contrario de cette solution implicite (ce membre de phrase fera frémir tous ceux qui s’attachent à la rigueur de l’analyse juridique) les dispositions d’une loi organique qui découleraient directement des dispositions de la Constitution ne pourraient pas faire l’objet d’un examen de conventionnalité.
5. Notons enfin que, pour examiner la question en cause, le Conseil d’Etat a du gérer de manière très particulière la recevabilité du pourvoi en cassation.
N’ayant pas la qualité de parties à l’instance, les requérants ne pouvaient en principe exercer de pourvoi en cassation contre la décision du CSM (v. CE, Sect., 6 février 1931, Syndicat normand de filature du coton, rec. 154. – CE 30 juillet 1949, Faucon, rec. 409. – CE, Section, 12 novembre 1954, Ministre de la Santé et de la population, rec. 593. Sur cette question v. d’une manière générale Jacques-Henri Stahl, voce Recours en cassation in Répertoire Dalloz de contentieux administratif).
C’est pourquoi le Conseil d’Etat rejette logiquement le recours, non pas comme étant infondé, mais comme étant irrecevable mais dans le dernier considérant de sa décision :
7. Considérant qu’il résulte des dispositions précitées de l’article 58 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 que les requérants ne sont pas recevables à former un pourvoi contre la décision du conseil supérieur de la magistrature statuant sur les poursuites disciplinaires engagées contre Mme F…; que, par suite, leur pourvoi doit être rejeté ;
La suprématie de la Constitution dans l’ordre interne est à nouveau affirmée de manière sybilline et par une sorte d’obiter dictum procédural.