La volonté des contribuables d’éluder l’impôt donne souvent lieu à des montages originaux, légaux ou frauduleux, dont l’exemple extrême consiste en la réalisation d’« activités occultes » afin de demeurer inconnu de l’administration fiscale et ainsi espérer échapper à toute imposition. Afin de lutter contre de tels agissements, cette dernière dispose de moyens d’investigations et de contrôle adaptés mais également d’un pouvoir de sanction par la voie des pénalités de 80 % régies par l’article 1728 du code général des impôts.
La Sociedad Limitada Frutas y Hortalizas Murcia, de droit espagnol, se trouvait être officiellement domiciliée en Espagne et y avait souscrit ses obligations déclaratives à l’impuesto sobre sociedades ((Loi espagnole n° 27/2014 du 27 novembre 2014, Boletín Oficial del Estado, n° 288)). Toutefois, l’administration fiscale française a pu déterminer qu’en réalité la presque totalité de l’’activité de celle-ci s’effectuait depuis Perpignan où elle disposait de locaux permanents.
En conséquence, elle fut l’objet d’un redressement à diverses impositions, dont l’impôt sur les sociétés, qu’elle a contesté sans succès devant le Tribunal administratif de Montpellier1. Saisie partiellement en cause d’appel, la Cour administrative d’appel de Marseille va maintenir les impositions au principal tout en déchargeant le contribuable des pénalités mises à sa charge sur le fondement de l’article 1728 1 c) du code général des impôts2. Le ministre chargé du budget va alors se pourvoir en cassation sur ce dernier point. Compte tenu de la question de principe soulevée, celle-ci sera jugée en formation de plénière fiscale et était très attendue par les praticiens car la qualification d’activité occulte a des effets extrêmement lourds sur le plan fiscal et demeure très délicate à remettre en cause.
Par sa décision du 7 décembre 2015, la Haute juridiction va prononcer une cassation partielle sur ce point en précisant ce qui doit être regardé comme une activité occulte au sens de l’article 1728 1 c) du code général des impôts.
1°) La solution la plus classique en la matière permettait à l’administration de « constater » l’absence de déclarations fiscales au regard d’une activité économique taxable et d’en tirer les conséquences pécuniaires au titre des droits éludés et des éventuelles pénalités3. Ceci présentait de multiples avantages au profit de l’administration.
En premier lieu, ce simple constat ne portait que sur des aspects matériels et nulle appréciation du comportement du contribuable n’avait à être opérée. La simple découverte d’une activité économique occulte induisait ainsi de multiples conséquences : applicabilité des pénalités de 80 %4, délai de prescription étendu à 10 années5 et possibilité de taxation d’office6.
En deuxième lieu, la doctrine fiscale7 avait estimé que si les déclarations étaient fragmentaires, en ne portant que sur certaines impositions, l’activité exercée dans son ensemble ne saurait être qualifiée d’occulte8.
En troisième lieu, l’activité peut n’être occulte qu’envers l’administration fiscale française et être parfaitement régulière au regard des registres d’un État tiers pour les activités transnationales, comme c’était le cas en l’espèce. Autrement dit, l’activité peut être regardée comme occulte par l’administration fiscale française alors qu’en réalité ce point soulève une question juridique de domiciliation fiscale. Cela ne fait d’ailleurs pas obstacle à l’application éventuelle d’autres pénalités, le cas échéant, après taxation d’office ((CAA Paris, 4 février 2015, Société Centenium, n° 13PA02100)).
La Cour de Marseille avait cependant fait évoluer cette position en s’inspirant des logiques issues du droit répressif, notamment pénal, afin de rechercher si l’activité était occulte matériellement mais également si elle l’était intentionnellement9. Autrement dit, l’administration devait démontrer la présence d’un élément intentionnel dans le manquement à la loi fiscale pour pouvoir appliquer les pénalités instituées par l’article 1728 du code général des impôts.
Cette solution était très favorable au contribuable car la preuve d’une volonté de dissimulation est toujours plus délicate à établir que la simple omission déclarative. Il était donc logique que le ministre se pourvoit en cassation sur ce point.
Le raisonnement des seconds juges sera censuré car si les pénalités fiscales relèvent bien de la matière pénale, au sens autonome que donne à cette notion l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, elles ne sauraient être ainsi qualifiées sur le plan du droit interne rendant ainsi inopérant l’invocation des règles de procédure pénale.
2°) La solution rendue par la formation de plénière fiscale est toutefois plus nuancée. Elle admet, pour la première fois, qu’une activité occulte peut l’être de « bonne foi » et que si une rectification des droits doit bien être opérée, la mise en œuvre des pénalités résultant de la simple présence d’une « activité occulte » ne saurait plus être désormais automatique mais conditionnée à une analyse du comportement du contribuable, donc au cas par cas, sauf convention fiscale internationale contraire.
Le Conseil constitutionnel avait précisé que la présence de deux éléments (absence de déclarations fiscales périodiques et absence de déclaration initiale d’activité) permettait de définir avec précision la notion d’« activité occulte » ((CC, 29 décembre 1999, « Loi de finances pour 2000 », n° 99‑424 DC)) définie par la loi. L’administration pouvait librement appliquer ce mécanisme lorsque ces deux conditions étaient réunies sauf à ce que le contribuable justifie avoir effectué ces formalités.
Hormis l’hypothèse où l’activité est intégralement occulte –tant en France qu’à l’étranger- et pour laquelle le traitement le plus rigoureux sera systématiquement appliqué, la haute juridiction impose désormais de procéder suivant une démarche classique en droit administratif qui met en œuvre un faisceau d’indices10 lorsque l’activité apparaît comme « occulte » pour l’administration française sans pour autant l’être d’une administration fiscale étrangère. Néanmoins, cet assouplissement, s’il était attendu par les praticiens, est loin d’être inconditionnel et ne saurait dispenser des démarches prudentielles classiques (demande de rescrit, attestations fiscales délivrées par les autorités étrangères,…) et vise avant tout à corriger les excès de la rigueur de la loi fiscale française lorsque le contribuable se trouve être formellement en règle vis-à-vis d’une autre administration fiscale.
En premier lieu, il conviendra de comparer le « niveau d’imposition » entre la France et l’autre État. On relèvera que le juge administratif suprême ne mentionne nullement comment y procéder au regard de la diversité des systèmes fiscaux. En pratique, il semble inévitable que le contribuable doive procéder à cette étude compte tenu du fait qu’il demeure le seule à pouvoir apprécier pleinement l’incidence de sa propre organisation et de ses activités au regard de la loi fiscale étrangère. Au cas présent, l’impôt espagnol acquitté était supérieur à l’impôt sur les sociétés français.
En deuxième lieu, il sera recherché le « niveau de coopération fiscale » entre la France et cet autre État. Ceci s’effectuera au regard de la présence d’une éventuelle convention d’assistance administrative ou « des règles équivalentes » ce qui est de nature à réserver un sort privilégié aux entreprises des États membres de l’Union européenne bénéficiant des libertés communautaires11.
En troisième lieu, la détermination du lieu d’imposition par le contribuable sera analysée au regard d’un règle de vraisemblance. Ce choix était-il plausible ou relève t-il d’un choix purement artificiel qui pourrait même relever in fine de l’« abus de droit » ?
Enfin, en quatrième et dernier lieu, le contribuable a-t-il rempli l’intégralité de ses obligations fiscales dans cet autre État ? Ce dernier item est en réalité redoutable car il inclut non seulement la partie déclarative, lorsqu’elle existe, mais également la liquidation et le paiement ; nul doute qu’en la matière la charge de la preuve incombera intégralement au contribuable.
3°) L’évolution posée par le Conseil d’État, si elle est modeste, doit cependant être saluée au regard des perspectives qu’elle ouvre.
En entrouvrant la porte à la prise en compte d’une certaine « bonne foi du contribuable », le Conseil d’État renverse non seulement sa jurisprudence traditionnelle12 mais admet également, implicitement mais nécessairement, que le droit fiscal international, dont la simplicité et la lisibilité n’est pas la qualité première, peut être la source d’erreur d’administrés qui ne chercheraient pas à éluder l’impôt. Il est évident qu’une telle mansuétude, inspirée de la volonté du législateur, sera limitée par une interprétation stricte de ces conditions de mise en œuvre compte tenu des risques d’abus et de fraude.
Il se doit d’être précisé qu’une activité qui serait déclarée auprès des autorités fiscales ultra-marines françaises ne saurait être considérée comme occulte indépendamment de sa régularité formelle au regard des obligations de transmission entre administrations13.
Sur le fond, la recherche du niveau d’imposition vise directement les « paradis fiscaux » et autres systèmes juridiques au sein desquels des régimes de faveur sont présent. Il n’est apporté nulle précision d’ordre quantitatif mais l’on peut raisonnablement estimer que le niveau recherché devra être similaire, ou supérieur, à celui applicable en France. Il est néanmoins évident que le choix d’une structure « offshore » aux fins d’exercice d’une activité en France demeurera sanctionné.
Sur la forme, l’administration fiscale française se doit de pouvoir vérifier la consistance des documents et versements opérés par le contribuable dans l’autre État, d’où l’exigence jurisprudentielle d’une convention fiscale internationale. Il n’est toutefois pas précisé si, en l’absence de convention internationale, le contribuable pourrait palier cette carence par tout moyen approprié.
Sur le plan procédural, cette solution de principe pourrait être transposée à diverses hypothèses voisines en matière de prescription14 ou d’abus de droit15.
- TA Montpellier, 2 décembre 2009, Sociedad Limitada Frutas y Hortalizas Murcia, n° 07‑05006 [↩]
- CAA Marseille, 22 mars 2013, Sociedad Limitada Frutas y Hortalizas Murcia, n° 10MA01903 [↩]
- CAA Nancy, 24 mars 2015, Société Hydratec, n° 13NC00929 [↩]
- Article 1728 du code général des impôts [↩]
- Article L.169 du livre des procédures fiscales [↩]
- Article L.66 du livre des procédures fiscales [↩]
- BOFip-CF-PGR-10-70 § 90 du 4 février 2015 [↩]
- CAA Paris, 4 février 2014, Société Faisanderie, n° 13PA00488 [↩]
- Article 121‑3 du code pénal [↩]
- CE Sect., 28 juin 1963, Narcy, Rec. p. 401 ; CE Sect., 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, n° 264541 [↩]
- L’Espagne est liée avec la France par une convention du 10 octobre 1995 [↩]
- CE, 17 mars 2014, Chebbo, n° 354701 [↩]
- Article L.114‑2 du code des relations entre le public et l’administration [↩]
- Article L.169 du livre des procédures fiscales [↩]
- Article L.64 du livre des procédures fiscales [↩]