Contexte : Cette décision rendue le 15 juin 2016 illustre une hypothèse dans laquelle la faute de maladresse du chirurgien peut être écartée en d’atteinte d’un nerf lingual à l’occasion de l’extraction d’une dent de sagesse.
Litige : Le 23 novembre 2004, une patiente consulte un chirurgien dentiste qui procède à l’extraction d’une dent de sagesse. Le lendemain de cette intervention, la patiente se plaint de ce que sa langue est restée endormie. Le chirurgien dentiste l’adresse à un stomatologue qui constate que le nerf lingual a été atteint. Un premier expert judiciaire conclut à la responsabilité pleine et entière du chirurgien dentiste. En appel, une autre expertise judiciaire est ordonnée qui exclut toute faute du praticien. Dans un arrêt rendu par la cour d’appel de Metz le 30 septembre 2014, la cour d’appel infirme le jugement de première instance qui avait ordonné la réparation intégrale des préjudices de la victime. Statuant à nouveau, la cour d’appel dit que cette dernière est bien fondée à se prévaloir d’une perte de chance que la cour d’appel a évaluée à 20 %
Solution : Le pourvoi formé par la victime à l’encontre de cet arrêt est rejeté aux motifs que :
« se fondant notamment sur les constatations de l’un des experts judiciaires, l’arrêt relève que les soins ont été conformes aux données acquises de la science, et que, le trajet du nerf lingual étant atypique et variable d’une personne à l’autre et n’étant objectivable ni radiologiquement ni cliniquement, la lésion de ce nerf constitue un risque qui ne peut être maîtrisé et relève d’un aléa thérapeutique ; qu’ayant procédé à la recherche prétendument omise, la cour d’appel n’a pas estimé qu’une telle lésion aurait été évitée si le chirurgien-dentiste avait eu recours à une lame de protection et a pu déduire de ses constatations et énonciations que l’atteinte survenue n’était pas imputable à une faute de celui-ci ».
Analyse : Les arrêts de la Cour de cassation se suivent mais ne se ressemblent pas toujours. Dans plusieurs décisions, la première chambre civile a retenu, dans des circonstances similaires, la faute du chirurgien-dentiste « dès lors que la réalisation de l’extraction n’impliquait pas l’atteinte du nerf sublingual et qu’il n’était pas établi que le trajet de ce nerf aurait présenté (…) une anomalie rendant son atteinte inévitable » (Cass. 1re civ., 23 mai 2000, n° 98-20.440, Bull. I, n° 153 ; Cass. 1re civ., 17 janv. 2008, n° 06-20.568, Resp. civ. et assur. 2008, comm. 111, note Ch. Radé).
En l’espèce, la première chambre civile approuve les juges du fond d’avoir écarté la faute du chirurgien-dentiste à partir du seul constat que « le trajet du nerf lingual étant atypique et variable d’une personne à l’autre et n’étant objectivable ni radiologiquement ni cliniquement« . Il s’agit d’une affirmation très générale qui n’apparaît pas compatible avec les décisions précédentes dans lesquelles la faute du chirurgien dentiste a été retenue en cas de lésion du nerf lingual. Aucune anomalie n’a ainsi été relevé en ce qui concerne le trajet du nerf de la patiente qui a été atteinte de la lésion dommageable.
Faut-il y voir une volonté de la Cour de cassation d’infléchir sa position sur la maladresse fautive ? Il faut reconnaitre que cette position est critiquée par une partie de doctrine qui reproche à la Cour de cassation de déduire la faute de la seule constatation de l’atteinte dommageable (V. note critique de Ch. Radé, Resp. civ. et assur. 2008, comm. 111 sous Cass. 1re civ., 17 janv. 2008). En outre, elle n’apparaît bien différente de celle qui est retenue par le Conseil d’Etat lorsqu’un chirurgien lèse un organe à l’occasion d’une intervention chirurgicale (CE, 15 avril 2015, n° 370309, inédit au recueil Lebon, www.revuegeneraledudroit.eu/?p=23229), note S. Hocquet-Berg).