La date du 3 août 2018. –La date du 3 août 2018 éveille le pénaliste car c’est celle de la loi portant réforme des violences sexuelles et sexistes. Pourtant, le 3 août 2018 devrait également intéresser le pénaliste sur les questions relatives au droit pénal routier, le législateur ayant adopté, ce même jour, une loi venant renforcer la lutte « contre les rodéos motorisés »(F.Gauvin, « De la lutte contre les rodéos motorisés – à propos de la loi n°2018-703 du 3 août 2018 », JCP 2018, n°37, 914; J.-H Robert, « Excès de vitesse législatif derrière les rodéos », Dr. pénal2018, comm. 158 ; L. Desessard,Code de la route, Dalloz, Coll. Code commenté, V° Art. L. 236-1) ajoutant de la sorte de nouvelles dispositions au Code de la route, aux articles L. 236-1 et suivants.
Ce texte sanctionne une conduite qui répète de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de prudence ou de sécurité prévues par les dispositions législatives et réglementaires du Code de la route dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique, telle est la définition à la base de l’incrimination des rodéos motorisés, ce comportement étant, en principe, puni d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende. Curieusement, cette loi est passée quasiment inaperçue, malgré son risque d’impact considérable sur les usagers de la route et l’intérêt théorique qui s’attache à l’étude des infractions ainsi créées.
L’étendue de la loi : les infractions périphériqueset les peines. – La loi ne réprime pas exclusivement les « rodéos motorisés » ; elle incrimine aussi certains comportements périphériques, crée des circonstances aggravantes et des peines complémentaires, ces derniers aspects représentant même, pour certains, l’aspect le plus punitif du nouveau dispositif (F. Gauvin, prec).
Concernant, en premier lieu, les infractions périphériques au rodéo motorisé, le législateur a incriminé, au sein de l’article L. 236-2 du Code de la route, certaines formes de provocation de rodéo motorisé (notons que ces provocations demeurent constituées même si elles n’entraînent aucun effet) en sanctionnant plus sévèrement l’incitation ou encore l’organisation d’un rassemblement destiné à commettre ces faits. De plus, le fait d’effectuer la promotion de tels agissements est également incriminé par cette même disposition (D’après le professeur Jacques-Henri Robert, prec, la « promotion » de cette infraction constituerai une forme d’apologie. L’auteur reprenant les rapports et discours émis à l’assemblée nationale lors de l’adoption de cette loi en proposant la définition suivante : « L’apologie[…]consiste à décrire, présenter ou commenter l’infraction en invitant à porter, sur elle, un jugement moral favorable ; elle peut vanter abstraitement ce fait ou célébrer des infractions effectivement consommées »). Les peines établies à l’encontre de ces comportements sont fixées à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.
Concernant, en second lieu, les aspects pénologiques des rodéos motorisés, le législateur a prévu des circonstances aggravantes et des peines complémentaires applicables au délit. Tout d’abord, les circonstances aggravantes, établies à l’article L. 236-1 II, III et IV du Code de la route, prévoient, in limine, une aggravation de la peine principale à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende lorsque ces faits sont commis en réunion (Art. L. 236-1, II C. Route). De plus, la peine est portée à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque ces faits ont été commis sous l’empire de produits classés comme stupéfiant, de l’alcool, lorsque le conducteur n’est pas titulaire du permis de conduire ou lorsque le conducteur refuse de se soumettre aux vérifications portant sur son usage de produits classés comme stupéfiant ou de l’alcool (Art. L. 235, 1, III, 1°, 2° et 3°, C. Route). En cas de cumul d’au moins deux de ces circonstances la peine est fixée à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.
Ensuite, le législateur a établi une liste de sept peines complémentaires parmi lesquelles figure « la confiscation obligatoiredu véhicule ayant servi à commettre l’infraction si la personne en est le propriétaire » (cette peine complémentaire existe déjà en matière de récidive de conduite sous l’empire d’un état alcoolique à l’article L. 234-12, 1° du Code de la route. Ces peines complémentaires obligatoires font l’objet d’un débat, le Conseil constitutionnel ayant validé leur existence si le juge peut aménager les modalités et la durée de celle-ci. En l’occurrence, le juge peut ici faire obstacle à cette peine par une décision « spécialement motivée » sans avoir davantage d’éclaircissement sur le contenu pouvant entrer dans cette motivation. V. également : A. Lepageet H. Matsopoulou,« Des peines complémentaire obligatoires déclarées conformes aux principes constitutionnels » JCP G2010, I, 1149).
Le cœur de la loi :l’infractionde « rodéo motorisé ». – Le cœur de cette loi demeure néanmoins l’incrimination de rodéo motorisé, défini comme « le fait d’adopter, au moyen d’un véhicule terrestre à moteur, une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par les dispositions législatives et réglementaires du présent code dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique ».
La lecture de cette définition permet, de prime abord, de souligner une similitude avec le délit d’exposition d’autrui à un risque, prévu à l’article 223-1 du Code pénal, en raison de la référence à la violation de cette fameuse « obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Les similitudes s’arrêteraient-elles là ?
Les éléments constitutifs de l’infraction permettent de poser un réel débat, notamment à propos de ceux qui concerne la causalité entre la faute et le risque redouté, mais aussi en ce qui concerne l’appréhension de la nature même de l’infraction. S’il apparaît effectivement, et heureusement, des distinctions entre ces deux infractions, parmi lesquelles l’appréhension de la gravité du résultat redouté, il n’en demeure pas moins que présenter la nouvelle infraction de rodéo motorisé comme une déclinaison de l’exposition d’autrui à un risque nous semble inapproprié, ce que révèle l’examen de l’élément moral de la nouvelle infraction.
Le défaut d’élément moral propre au délit de rodéo motorisé. – Le législateur précise que l’agent opère une conduite répétant « de façon intentionnelle »des manœuvres constituant une violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi. L’infraction serait donc intentionnelle ? Le doute est permis.
Une première nuance s’impose quant à l’emploi même du terme « intentionnelle » ; il semblerait qu’une confusion soit faite entre volonté et intention, puisque l’intention consiste à effectuer volontairement un acte en ayant conscience du résultat illicite obtenu (X. Pin, Droit pénal général, Dalloz, Coll. Cours, 10èmeéd. 2018, n°191 et s ; Ph. Conteet P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, Coll. U, 7èmeéd. 2004, n°380 et s), tandis que la volonté se réfère au seul désir comportemental. Bref, alors que l’intention se base sur l’infraction dans son ensemble, la volonté se base sur une de ses composantes. Or, le terme « intentionnelle » tel que visé par l’incrimination reflète davantage une qualification du comportement de violation sans viser le résultat.
La seconde nuance consiste à confronter l’élément moral du rodéo motorisé avec l’élément moral du délit d’exposition d’autrui à un risque. L’élément moral de cette dernière infraction est classiquement considéré par la doctrine comme un dol éventuelpermettant de l’admettre comme une infraction de nature non-intentionnelle (V. Malabat,Droit pénal spécial, Dalloz, Coll. Hypercours, 8èmeéd. 2018, n°239 et s). Le raisonnement est-il applicable au délit de rodéo motorisé ? L’agent souhaite-t-il compromettre la sécurité des usagers de la route ou troubler la tranquillité d’autrui ?La réponse pourrait aller de soi : après tout, lorsqu’une personne viole à répétition des normes prudentielles routières, elle sait qu’elle va créer un risque à l’encontre des autres usagers, de même qu’une personne qui klaxonne à outrance dans une zone d’habitation et de nuit sait qu’elle va sûrement entraîner des troubles nocturnes. Toutefois, à l’inverse de l’infraction prévue par l’article 223-1 du Code pénal, la gravité mais surtout la causalité sont amoindries, ce qui permet de dissocier le résultat redouté (le risque d’atteinte à l’intégrité des personnes) et un autre risque, qui lui est réalisé (la violation d’une norme prudentielle). L’infraction serait dès lors intentionnelle. Cela étant, cette intention de l’agent apparaît davantage associée à l’intention telle qu’elle résulte de la caractérisation des contraventions routières et non d’un délit spécifique que serait le rodéo motorisé.
L’intention ne serait-elle pas axée davantage sur le désir de violer une norme prudentielle routière que d’exposer autrui à un risque de blessure ou de mort ? A l’inverse du délit d’exposition d’autrui à un risque, qui crée un risque certain et direct contre l’intégrité d’autrui et dont l’élément moral relève d’une volonté du comportement sans en souhaiter le résultat, le délit de rodéo motorisé apparaît, quant à lui, comme une infraction intentionnelle dont le résultat légal ne serait être autre que la création d’un risque redouté distinct du risque redouté de l’exposition d’autrui à un risque (v. infra).
Plus généralement, on peut se demander s’il existe réellement un élément moral à ce délit, n’est-il pas plutôt caractérisé par l’élément moral des précédentes infractions routières commises (v. infra) ?
Corps de l’étude : les éléments constitutifs du délit de rodéo motorisé. – L’étude des autres éléments constitutifs apparaît encore plus énigmatique. Si le terme « rodéo » laisse supposer une idée de western (J.-H Robert, prec.),permettant d’imaginer un conducteur utilisant son véhicule comme un cheval afin de lui faire faire diverses figures tout en émettant des bruits assourdissants, nul doute que l’examen des éléments matériels constitutifs du délit permettent d’élargir considérablement les perspectives permettant de qualifier tel ou tel comportement de « rodéo ». Aussi, l’étude de ces éléments met en exergue des normes prudentielles de nature routière (I.)violées par un conducteur (II.).
I. La norme prudentielle routière violée
Les caractères de l’obligation. – L’article L. 236-1 du Code de la route pose la nécessité d’une violation d’obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par les dispositions législatives et réglementaires du Code de la route et commise par un véhicule terrestre à moteur. Les conditions de l’article 223-1 du Code pénal (A.)sont donc affinées à la matière routière (B.)
A. L’application d’une disposition particulière de prudence ou de sécurité
Retour vers l’article 223-1 du Code pénal. –Si le délit de rodéo motorisé est présenté comme fort similaire avec le délit d’exposition d’autrui à un risque (J.-H Robert,prec; F. Gauvin, prec), c’est par l’emploi de la formule typique entourant la violation d’une « obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». L’examen de ces critères sera ici développé à l’aune de la matière routière afin de retenir, ou non, la constitution du délit de rodéo motorisé.
Les caractères de normativité et de particularité – En premier lieu, le caractère normatif de la norme prudentielle revient à s’intéresser à son origine légale ou règlementaire au sens constitutionnel des termes. En matière routière, l’origine de ces obligations demeure quasi exclusivement règlementaire.
En second lieu, concernant le caractère de particularité, le droit pénal routier s’illustre dans un mouvement général de protection des personnes permettant d’adosser à ses normes la qualité de règle particulière de prudence ou de sécurité à raison de la quasi-totalité des comportements prévus par le Code de la route.Remarquons a contrario, l’article R. 412-6, I du Code de la route, en tant qu’unique règle prudentielle générale routière établie par ce Code, les II et III de cet article prévoient une « infraction générale » (F.Gauvin, « Un an de droit pénal de la circulation routière », Dr. pénal 2007, chron. n°2, n°3) de défaut de maîtrise du véhicule, cette disposition ne relevant également pas d’un comportement précis mais impose au conducteur un devoir de maîtrise générale de son véhicule : en tant qu’exception, ces dispositions ne pourront être considérées comme des obligations particulières de prudence ou de sécurité (illustration jurisprudentielle : Cass. Crim. 2 février 2016, Inédit, n°15-81.121 ; Gaz. Pal. 26 avril 2016, n°263, p. 58, obs. St. Détraz) et relève davantage d’une appréciation abstraite : qu’aurait fait un conducteur avisé placé dans la même situation ?
Du général au spécial. –Si les critères établis par l’article 223-1 du Code pénal correspondent à l’obligation violée au sens du nouvel article L. 236-1 du Code de la route, encore faut-il, à présent, s’interroger sur la condition routière propre à ce nouveau délit.
B. Un morcellement de la matière routière
Une norme prudentielle prévue par le Code de la route. – Plus précisément que le délit d’exposition d’autrui à un risque, le délit de rodéo motorisé suppose que la norme prudentielle violée soit prévue par le Code de la route. Cette remarque semble tomber sous le coup d’une certaine évidence puisque ladite infraction est prévue et réprimée par ce même Code. Toutefois, est-il réellement approprié de renvoyer à l’intégralité de ces dispositions tout en sachant pertinemment que le délit se limitera aux violations effectuées par un véhicule terrestre à moteur? Le Code de la route n’est pas, en effet, limité à ces seules obligations, puisque cet édifice comprend notamment des règles sur les dispositifs pesant à l’encontre des constructeurs de véhicules, des règles procédurales, des règles sur la responsabilité mais aussi des infractions protégeant l’autorité publique ou encore la propriété d’autrui (Arts. R. 412-17 et R. 421-9 C. Route sur les contraventions de non-acquittement des péages) ainsi que des règles à l’encontre des piétons.
Une norme prudentielle violée par un véhicule terrestre à moteur. – Le véhicule terrestre à moteur est une notion initiée par la fameuse loi Badinterdu 5 juillet 1985 sur l’amélioration de l’indemnisation des victimes d’accident de la circulation. Pour autant, le Code de la route emploie deux autres termes concernant l’appréhension de l’objet de circulation au sein de ses normes prudentielles routières : le véhicule et le véhicule à moteur. Or, seule cette dernière notion est définie à l’article L. 110-1 comme étant « tout véhicule terrestre pourvu d’un moteur de propulsion, y compris les trolleybus, et circulant sur route par ses moyens propres, à l’exception des véhicules qui se déplacent sur rails ». Le caractère terrestre est donc inclus au sein de la définition du « véhicule à moteur ». Le véhicule terrestre à moteur serait donc le « véhicule à moteur » au sens des obligations prudentielles routières. De plus, à l’instar du droit civil, le Code de la route ne pose, malheureusement, aucune restriction sur le caractère obligatoire de l’assurance de responsabilité civile dudit véhicule terrestre à moteur permettant, in fine, de retenir cette qualité à l’encontre d’une trottinette électrique, d’un hoverboard, d’un gyropode, d’un fauteuil roulant motorisé etc.
Toutefois, concernant le fauteuil roulant motorisé, une dernière remarque peut également être posée concernant l’application de l’article R. 412-34, II du Code de la route. Cette disposition assimile à la qualité de piéton la personne qui conduit une voiture d’enfant, de malade ou d’infirme, ou tout autre véhicule de petite dimension sans moteur, la personne qui conduit à la main un cycle ou un cyclomoteur et l’infirme qui se déplace dans une chaise roulante mue par elle-même ou circulant à l’allure du pas. Cette dernière perspective permet d’assimiler une personne infirme se déplaçant sur un siège se mouvant soit par la force humaine soit par une force motorisée si cette vitesse ne dépasse pas « l’allure du pas ». Or, peut-on reprocher l’infraction de rodéo motorisé à une personne circulant sur un fauteuil roulant motorisé ?La réponse semble aller de soi, bien qu’aucune disposition du Code de la route ne donne de réel fondement à cette affirmation : les qualités de piétons et de conducteur seraient incompatibles. Encore faut-il que la personne soit réellement en état d’infirmité et que son allure ne dépasse pas celle « du pas ». Auquel cas, le fauteuil roulant motorisé peut-être considéré comme un véhicule terrestre à moteur. L’article R. 412-34, II du Code de la route semble attribuer une qualité juridique de prothèseau fauteuil se substituant, ici, à des jambes.
Démonstration du morcellement routier. –Cependant, résumer la qualité de « routière » à l’utilisation exclusive d’un véhicule terrestre à moteur démontre que certains aspects routiers ne sont pas saisis par l’incrimination. En effet, le Code de la route n’appréhende pas uniquement les violations des normes prudentielles pesant à l’encontre des véhicules à moteur mais comprend également de très nombreuses dispositions visant « les véhicules » dans lesquels sont inclus les cycles ou encore les cavaliers. C’est pourquoi l’article L. 234-1 du Code de la route sur le délit de conduite « d’un véhicule » sous l’empire d’un état alcoolique peut-être reproché à un cycliste (CA Bordeaux, 11 février 2010, n°09/00281).
De la norme violée aux violations de la norme. – Si l’examen des caractères de l’obligation prudentielle routière violée permet effectivement de soulever des similitudes manifestes avec le délit de l’article 223-1 du Code pénal, il convient cependant de nuancer cette assimilation sous le prisme des violations desdites obligations.
II. La violation de la norme prudentielle routière
Des fautes pénales au résultat pénal. – L’article L. 236-1 du Code de la route précise que le rodéo motorisé est caractérisé par « une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par les dispositions législatives et réglementaires du présent code dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique ». Le délit de rodéo motorisé apparaît ainsi conditionné à démonstration d’une pluralité de faute pénale routière (A.)occasionnant un risque à l’intégrité d’autrui (B.).
A. Les fautes pénales routières
In limine.– L’infraction de rodéo motorisé est constituée par une pluralité de fautes pénales routières. Il conviendra ainsi de donner quelques précisions relatives tant à l’élément moral qu’à l’élément matériel de ces fautes avant d’envisager leur répétition.
La démonstration de l’élément moral des fautes pénales routières. – Comme il a été signalé précédemment (V. supra), si l’article L. 236-1 du Code de la route impose que l’agent adopte une « une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité » eten considérant que le législateur a confondu la volonté avec l’intention, l’agent aurait donc violé volontairement plusieurs normes prudentielles routières afin de constituer l’infraction. Cela étant, cette référence à la volonté (ou plutôt l’intention si on s’en tient à la lecture de l’incrimination) était-elle réellement indispensable considérant que l’élément moral des fautes pénales routières de nature contraventionnelle est déduit de la matérialité factuelle ? Si le doute est permis, il permettrait toutefois de considérer une nature intentionnelle des contraventions routières mais aussi, et surtout, de renverser la charge de la preuve de cet élément moral dans le cadre de ce délit.
En effet, la lecture du Code de la route ne laisse aucune place à une quelconque appréhension législative de l’élément moral des infractions routières. L’explication de cette inertie résulte du fait que le droit pénal routier est presque exclusivement contraventionnel, ce qui permet une résurgence des infractions « dites matérielles »(le sens donné à l’infraction dite matérielle ne doit pas être confondue avec l’infraction matérielle supposant une infraction portant une atteinte effective à la valeur sociale qu’elle protège. L’infraction dite matérielle est une dénomination proposée en doctrine pour considérer le cas des contraventions ne nécessitant la démonstration d’un élément moral. Sur ce point : Ph. Conteet P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, Coll. U, 7èmeéd. 2004, n°212). L’absence d’une quelconque indication de cet élément moral apparaît d’autant plus intrigante à la lettre de l’alinéa 5 de l’article 121-3 du Code pénal qui dispose qu’il « n’y a point de contravention en cas de force majeure ». Or, la majorité de la doctrine considère que la force majeure correspond à une manifestation d’une abolition de la volonté supprimant la liberté de l’agent (Ph. Conteet P. Maistre du Chambon, op. cit.n°364). Il convient, en conséquence, d’affirmer que les contraventions, notamment routières, disposent d’un élément moral mais que celui-ci se retrouve présumé par la constatation d’une matérialité.
Toutefois, en inscrivant expressément la nature intentionnelle des contraventions pénales routières constitutives de l’infraction de rodéo motorisé, la charge probatoire de la volonté de violation de ces normes prudentielles routière apparaît inversée (Contra :J.-H Robert, « excès de vitesse législatif derrière les rodéos », Dr. pénal2018, comm. 158 : l’auteur estime que l’emploi de la formule « une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité »constitue une la même attitude psychologique prévue par l’article 223-1 du Code pénal qui relève une violation « manifestement délibérée »). Dès lors, l’autorité de poursuite devra prouver que l’agent avait la volonté de violer une norme prudentielle ; la simple constatation de plusieurs matérialités ne saurait théoriquement suffire pour que la juridiction entre en voie de condamnation au chef de rodéo motorisé. Peut-être est-ce là le seul apport permettant d’espérer que cette nouvelle infraction ne remplisse pas à outrance les centres pénitenciers (Craintes partagées avec le professeur Jacques-Henri Robert,prec.) !
L’élément matériel des fautes pénales routières. – L’élément matériel d’une faute pénale routière pourrait être résumé simplement par le fait de violer une norme prudentielle routière. Le Code de la route lui-même porte crédit à cette affirmation puisque l’incrimination contraventionnelle est bâtie sur l’idée de « contrevenir » à telle ou telle disposition prudentielle. Toutefois, l’étude du comportement en matière pénale laisse planer une autre question : l’omission pénale routière est-elle assimilable à une action ?Cette question découle du principe de la légalité des délits et des peines qui impose une interprétation stricte de l’infraction considérant qu’on ne saurait assimiler une omission à une commission. Or, s’il apparaît que la jurisprudence est indifférente à la caractérisation d’un comportement de commission ou d’omission en matière routière, ses motivations demeurent toutefois lacunaires.
Illustrons cette problématique : les articles R. 413-1 et suivants du Code de la route exposent les limitations de vitesse touchant les véhicules circulant sur les routes ouvertes à la circulation publique, en prévoyant, notamment au sein de l’article L. 413-2 que « la vitesse des véhicules est limitée » à un certain seuil. Aussi, les articles R. 413-14 et suivants du même Code prévoient que le fait de « dépasser »ces seuils constitue les infractions. Dès lors, si un fait d’accélération peut aisément être considéré comme une action, qu’en est-il d’un fait de maintien de sa vitesse sur une portion de route où la vitesse est réduite ? Le fait étant ici constitutif d’une abstention : ne pas avoir ralenti.
Comment justifier une telle indifférence comportementale ?Une tentative de systématisation théorique pourrait ainsi justifier cette indifférence comportementale en matière routière en considérant que de nombreuses contraventions traduisent davantage un fait de chosequ’un fait de l’Humain. Dans l’illustration proposée, l’excès de vitesse serait le fait du véhicule, tandis que la responsabilité pénale découlant du fait reposerait, par principe, sur la personne disposant de sa garde matérielle(la responsabilité engagée sur la base des articles L. 121-1 al. 2 et s du Code de la route seraient dès lors des manifestation d’une responsabilité du fait des choses subsidiaire fondée sur la garde juridique) au moment du fait.
La répétition d’infractions. – Qu’il s’agisse d’une action ou d’une commission, de deux actions ou de deux omissions, l’infraction de rodéo motorisé est constituée par la répétition d’infractions routières découlant de la violation d’une norme prudentielle routière. Toutefois, comment apprécier cette répétition ? Concrètement, la répétition est-elle constituée si la personne commet deux infractions routières au cours de sa « vie de conducteur » ? Au cours d’une même conduite ? Le Code de la route donne l’indication suivante : « Le fait d’adopter, […] une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d’obligations particulières de sécurité… ». L’emploi du singulier devant la « conduite » laisse supposer l’idée que le conducteur doit commettre au moins deux fautes pénales routières entre le moment où il actionne le contact jusqu’au stationnement du véhicule. Dans cette perspective, si une faute pénale est commise avant une seconde conduite, l’infraction ne devrait pas être constituée. De son côté, le professeur Jacques-Henri Robertsuggère que « l’esprit de la loi invite à comprendre que cette répétition se réalise au cours d’un même trajet ou de mouvements rapprochés unis par la même intention »(J.-H Robert, « Excès de vitesse législatif derrière les rodéos », Dr. pénal2018, comm. 158).
Au demeurant, la nature juridique de cette infraction à l’aune de la répétition d’infractions pénales demeure également intéressante sur le plan théorique afin de s’interroger sur son appartenance à la catégorie des infractions d’habitude (rappelons que l’infraction d’habitude se constitue par la commission de plusieurs actes qui pris isolément ne constituent pas une infraction. Sur ce point, v. E. Letouzey, La répétition d’infractions, Th. Toulouse, dir. B. de Lamy, Dalloz, Coll. NBT, 2016, n°106. Tel n’est pas le cas du délit de rodéo motorisé supposant une commission de plusieurs infractions pénales distinctes l’une de l’autre ; cette répétition d’infractions pénales étant constitutive d’une infraction les englobant. Il s’agirait plus d’une hypothèque de concours d’infractions qualifiant une nouvelle infraction). L’étude du délit de rodéo motorisé doit, enfin, poser une étude sur la base du résultat occasionné par les fautes.
B. Le résultat pénal
Compromettre la sécurité et troubler la tranquillité. – La lecture de l’article L. 236-1 du Code de la route relève une inscription explicite du résultat par la formule : « dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique ». Cette formule originale employée par le législateur interroge sur l’effectivité du risque redouté : le risque doit-il être équivalent au risque redouté occasionné par une contravention routière ou par le délit d’exposition d’autrui à un risque ?Au demeurant l’étude du risque redouté en matière routière devra être envisagé afin de s’intéresser à cette formule employée par le législateur.
Le risque pénal routier redouté. – Le risque correspond au résultat légal des infractions formelles et obstacles en ce qu’il représente une menace pour le bien juridique protégé par le législateur. Après tout, pourquoi sanctionner un excès de vitesse ? Pourquoi imposer des priorités de passages ? Pourquoi règlementer l’usage des feux ? Pourquoi la conduite sous l’empire de l’alcool ou de stupéfiants est-elle condamnée ? La réponse est évidente : le législateur entend protéger, très en amont sur l’iter criminis, l’intégrité et la vie des personnes.
Illustrons cette démonstration : une personne circule à 70 km/h en agglomération. En adoptant un tel comportement, l’agent créé un risque envers les autres conducteurs circulant à la vitesse règlementaire – soit 50 km/h– en entravant les réflexes des ceux-ci, de lui-même, voire des piétons tout en se rappelant que la distance de freinage avant l’arrêt augmente avec la vitesse. Autrement dit, en circulant à une vitesse excessive l’agent augmente la probabilité d’une lésion corporelle.Le risque redouté est donc un risque provoqué par l’illégalité.La vie ou l’intégrité sont donc atteintes par la provocation de l’agent par la violation d’une norme prudentielle entraînant l’augmentation certaine des probabilités de lésion. Ce raisonnement demeure transposable à l’intégralité des incriminations routières relevant d’un risque redouté : l’agent par sa violation de la norme prudentielle va augmenter les probabilités de réalisation dudit risque. Ce résultat ne saurait donc être considéré comme déduitpar la matérialité, mais bien justifiépar celle-ci. Son inscription explicite au sein de l’incrimination apparaît dès lors comme une redondance inutile.
Le caractère obstacle de l’infraction de rodéo motorisé. – Tandis que l’article 223-1 du Code pénal relève une exposition directeà un risque grave de blessure ou de mort, l’article L. 236-1 du Code de la route est quant à lui muet sur les considérations propres à la causalité et à la gravité du risque redouté, se contentant d’opérer une tautologie entre la violation d’une obligation prudentielle routière entraînant, de facto, une compromission de la sécurité des usagers de la route. Ainsi, le résultat expliciteposé par l’article L. 236-1 du Code de la route équivaut au résultat implicitede chaque violation d’une norme particulière de prudence ou de sécurité imposée par le Code de la route (le professeur Jacques-Henri Robertpose le même constat, prec).
Le trouble à la tranquillité semble plus difficile à déterminer. Celui doit-il être considéré comme appartenant à la formule « dans des conditions » posé par l’article L. 236-1 du Code de la route ?Dans cette perspective le trouble à la tranquillité équivaudrait au résultat occasionné par un usage abusif des avertisseurs sonores ou encore de bruits excessifs commis par le moteur du véhicule. Bref le résultat serait ici également un « risque » de troubler la tranquillité publique. Toutefois, une seconde perspective permettrait de considérer que le trouble à la tranquillité est détaché de cette formule. Dans cette hypothèse, le résultat serait matériel et l’autorité de poursuite devrait prouver un trouble effectif à la tranquillité. Or, il apparaîtrait ici que ce résultat serait soumis à des conditions probatoires permettant de douter d’une quelconque effectivité de la répression (F. Gauvin, « De la lutte contre les rodéos motorisés – à propos de la loi n°2018-703 du 3 août 2018 », JCP 2018, n°37, 914) à moins que les juges déduisent ce résultat du comportement de l’agent, auquel cas l’appréciation serait, à notre sens, contra legem.
Conclusion
Un texte répressif. – Dans un souci de lutter contre la « délictualisation »à outrance de certaines contraventions routières sur la base de l’article 223-1 du Code pénal, les juges du Quai de l’horloge faisaient généralement preuve d’une grande vigilance concernant le caractère direct de la causalité afin qu’une contravention reste une contravention (Cass. Crim. 19 avril 2000, Bull. Crim., n° 161, n°99-87.234 ; Cass. Crim. 16 décembre 2015, n°15-80.916, Dr. pénal 2016, comm. 43, obs. Ph. Conte). La tendance est renversée ! A défaut de pouvoir appliquer le délit de l’article 223-1 du Code pénal, le législateur a opté pour un plan B : la commission de deux contraventions routières, dans le cadre d’une même conduite, sera constitutive du délit de rodéo motorisé réprimé à l’instar du délit d’exposition d’autrui à un risque à une peine à hauteur d’an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende pouvant au surplus être aggravée jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.
Un texte confus. – Le caractère répressif cache également de nombreuses interrogations, approximations et incohérences de l’incrimination. Sous couvert d’une tentative de précision des éléments constitutifs du délit, le législateur n’a guère posé une définition cohérente à l’égard d’un édifice, lui-même ébranlé par de nombreuses imprécisions. Au demeurant, la répression de « rodéos motorisés » apparaît discordante entre l’esprit – lutter contre un phénomène précis– et la lettre de la loi – ayant ouvert considérablement à des hypothèses ne reflétant aucunement un quelconque « rodéo »–.
Illustration prévisible. – Terminons ce commentaire par un cas pratique. Le 15 juillet 2018, 20 heures, l’équipe de France remporta la coupe du monde masculine de football. S’en suivit une liesse populaire s’exprimant à coup de klaxons et autres petites « incivilités » dans l’intégralité des villes de l’hexagone, constitutives, reconnaissons-le, de contraventions routières. Reprenons ces faits, à l’aune de la loi objet de ce commentaire. En klaxonnant deux fois sans raison, des contraventions routières sont constituées. Ces normes étant précises et portent sur un devoir de prudence ou de sécurité, en l’occurrence la pollution sonore pouvant occasionner des risques. A partir de ce constat le délit de rodéo motorisé est constitué.
Bref ! –Ne klaxonnez plus pour célébrer le mariage de vos amis ou pour célébrer la victoire à une coupe du monde, c’est bien trop cher payé pour exprimer sa joie ! Nous reste-t-il à souhaiter des pertes dans de tels évènements ? N’exagérons rien !