Au Royaume-Uni l’autonomie locale recouvre des formes différentes. Le processus de dévolution, qui a fêté ses vingt ans l’année dernière et qui concerne les régions écossaise, galloise et nord-irlandaise, en constitue l’une des manifestations les plus récentes et les plus originales. Il s’inscrit dans le mouvement de réformes du Gouvernement du Nouveau Parti travailliste, le New Labour, de Tony Blair à côté de réformes telles que le Human Rights Act 1998 et le Freedom of Information Act de 2000 visant à réformer la protection des droits et libertés et accroitre la transparence dans la vie publique.
L’autonomie accordée par les trois lois de dévolution (Governement of Wales Act 1998, puis 2006 [GWA]; Northern Ireland Act 1998 [NIA], Scotland Act 1998, puis 2012 [SA]) se distingue d’une autre forme d’autonomie locale qui existait, avant la dévolution et qui s’organise autour des Local administrations telles que les comtés (counties), les districts (districts ou boroughs) et les paroisses civiles (civil parishes) ainsi que, plus récemment, les neuf régions (regions ; Regional Development Agencies) et les autorités unitaires (unitary authorities). Ces autonomies locales et le contentieux qu’elles suscitent relèvent toutefois bien plus du droit administratif et du recours pour excès de pouvoir que du droit constitutionnel. C’est la raison pour laquelle si une comparaison doit être réalisée avec la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), c’est avec le contentieux de la dévolution qu’elle semble le plus pertinente aussi bien du point de vue des procédures que du contenu du contentieux.
Le contentieux de la dévolution se rapproche, en effet, du contentieux constitutionnel à tel point que certains auteurs ont parlé, après les lois de dévolution (Roux, 2009), de structure « quasi-fédérale » (Bogdanor, 1999 : 291) au Royaume-Uni. La dévolution est cependant très loin d’être une structure fédérale. Il s’agit est une forme d’autonomie locale complexe, comme en témoigne la difficulté à trouver un nom aux territoires dévolus. La terminologie, sans doute plus politique que juridique, de nation est parfois utilisée par les observateurs. Mais lorsque l’on se tourne vers les textes, le Constitutional Reform Act 2005, qui consacre la pratique selon laquelle il doit y avoir parmi les juges de la Cour suprême au moins un membre ayant des compétences et de l’expérience du droit et de la pratique de chaque partie du Royaume-Uni, fait référence aux régions dévolues en tant que « parties » du Royaume-Uni. Malgré certains points communs, la dévolution repose sur des caractéristiques que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autres Etats fédéraux, régionaux, voire même unitaire décentralisé, comme la France.
Comme dans d’autres Etats, l’autonomie locale est, en premier lieu, garantie par l’intermédiaire de recours permettant de saisir la Cour suprême – qui a repris, depuis octobre 2009, la compétence du Privy Council – de questions relatives à la dévolution (Devolution Issues). Ces nouvelles voies de recours concrètes et abstraites, qui s’exercent a priori et a posteriori, revêtent une nature constitutionnelle et se sont inspirées de voies de recours comparables existant devant les Cours constitutionnelles européennes. Elles permettent de déclarer des lois contraires aux lois de dévolution. La dévolution dessine, en second lieu, une autonomie locale à géométrie variable puisque les régions écossaises, galloises et nord-irlandaises ne disposent pas d’institutions ni de délégation de compétences identiques. Par exemple, avant une loi de 2005, l’autonomie accordée au Pays de Galles n’était qu’administrative et non législative.
Le contentieux de la dévolution est toutefois original. D’abord, les lois régionales doivent non seulement se conformer aux règles de répartition des compétences entre les Assemblées dévolues et Westminster, mais également respecter le droit de l’Union européenne et de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) qui relève encore de la compétence de Westminster. Cela s’explique par le fait que la Constitution coutumière britannique intègre parmi ses lois constitutionnelles la loi sur les Communautés européennes de 1972 (European Communities Act 1972) et le Human Rights Act 1998 qui incorpore la CEDH. Contrairement au Conseil constitutionnel français, la Cour suprême, va effectuer un contrôle de conventionnalité des lois écossaises, galloises et nord irlandaises à côté du contrôle de la répartition des compétences. La dévolution présente, ensuite, une spécificité en raison de son caractère « asymétrique » (Lauvaux, 2015 : 493). Elle ne contraint que la périphérie (l’Ecosse, l’Irlande du Nord et le Pays-de-Galles) et non le centre (l’Angleterre). Contrairement aux Parlements régionaux, le Parlement de Westminster ne peut voir ses lois annulées ou écartées pour violation des règles de répartition des compétences. Enfin et, c’est LA grande différence entre la dévolution, le fédéralisme, le régionalisme et même la décentralisation, cette autonomie locale n’est pas protégée, sanctuarisée juridiquement. Le législateur national, le Parlement de Westminster, qui est souverain, peut toujours légiférer sur des domaines de compétences qu’il a pourtant déléguées aux régions (Section 28(7) du SA, Section 93(5) et 105(5) du GWA, Section 5(6) du NIA) et il peut toujours abroger librement ces lois de dévolution.
Quelle forme d’autonomie ce dispositif dessine-t-il ? Quelle est la portée de ces différentes garanties sur l’autonomie locale des régions britanniques ? L’autonomie locale accordée aux régions dévolues n’est-elle pas protégée juridiquement ?
L’autonomie locale existe au Royaume-Uni, mais la dualité des garanties – juridiques et politiques – sur lesquelles elle repose en fragilise la teneur (I). Une fois cette spécificité soulignée, l’analyse du contentieux des lois de dévolution témoigne d’une approche ambivalente de la Cour suprême quant au degré d’autonomie accordée aux régions dévolues (II).
I – La dualité des garanties de l’autonomie locale
La garantie de l’autonomie des régions écossaise, galloise et nord-irlandaise, qui reposent sur des mécanismes politiques (A) et juridictionnels (B), révèle de l’originalité du processus d’autonomie locale au Royaume-Uni ainsi que de ses limites.
A – Les garanties politiques
Il existe différentes garanties de nature politique entourant le processus de dévolution au Royaume-Uni. La dévolution est protégée par des garanties législatives ainsi que par des conventions de la Constitution, c’est-à-dire, des pratiques, des coutumes.
1) Les garanties législatives
Les trois lois de dévolution prévoient une autonomie législative (d’abord administrative, puis législative en 2006, pour le Pays de Galles). L’organisation des compétences dévolues diffère selon les nations. L’Irlande du Nord est le modèle de dévolution le plus ancien. Il remonte à 1920. La loi de 1998 distingue, en Irlande du Nord, les compétences transférées, qui sont les compétences de principe ; les compétences réservées à Westminster, qui sont listées dans la loi et qui peuvent faire l’objet d’un transfert éventuel à l’Assemblée nord-irlandaise, comme le droit pénal et l’ordre public et, enfin, les compétences faisant exception (excepted) qui ne seront jamais transférées aux institutions nord-irlandaises, comme les relations internationales, par exemple. L’Assemblée nord-irlandaise peut légiférer dans le champ des compétences réservées, mais avec l’accord du Secrétaire d’Etat à l’Irlande du Nord.
L’Ecosse dispose d’un modèle identique : toutes les compétences sont dévolues à moins qu’elles ne soient réservées au Parlement britannique. Il n’existe cependant pas de compétences d’exception pour la dévolution écossaise. Des compétences réservées ont toutefois été transférées aux institutions écossaises en matière électorale par une modification de la loi de 1998 sur l’Ecosse adoptée à la majorité des deux tiers. Le Pays de Galles est, quant à lui, passé d’une dévolution administrative à une dévolution législative en 2006. Le modèle de dévolution gallois est désormais calqué sur l’Ecosse : toutes les compétences législatives sont dévolues à moins qu’elles ne soient réservées.
Toutefois, les dispositions qui autorisent les trois Parlements à adopter des lois prévoient toutes les trois une réserve, qui s’explique par le principe de souveraineté du Parlement. Cette réserve dispose que la section des lois de dévolution qui prévoit l’existences de lois régionales « ne remet pas en cause les pouvoirs du Parlement britannique de faire des lois pour l’Ecosse [ou le Pays de Galles ou l’Irlande du Nord] » (Section 28(7) du SA, Section 93(5) et 105(5) du GWA, Section 5(6) du NIA). Le législateur national peut toujours revenir en arrière et abroger le processus de dévolution qui bénéficie d’une garantie plus politique que juridique.
2) Les règles parlementaires
La « West Lothian Question », autrement appelée la « question anglaise », porte le nom de la circonscription du député écossais ayant soulevé le problème selon lequel les parlementaires anglais ne peuvent voter pour les lois des régions alors que les parlementaires écossais, gallois et nord-irlandais peuvent voter pour les lois anglaises. Ce problème a été résolu par une modification du Standing order de la Chambre des communes introduisant une procédure assez complexe de vote anglais pour le droit anglais (EVEL : English Vote for English Law), qui insèrent de nouvelles étapes dans la procédure législative afin de permettre aux députés anglais de voter pour les textes qui concernent la seule Angleterre.
3) Les Conventions de la Constitution
Des conventions de la Constitution entourent le fonctionnement de la dévolution. Elles ont des conséquences sur les compétences et, par conséquent, sur l’autonomie des nations écossaise, galloise et nord-irlandaise.
Le fonctionnement administratif entre les quatre nations n’est pas fondé sur un texte juridiquement contraignant, mais sur un Memorandum of Understanding datant de 1999 et sur l’existence d’un Joint ministerial committee. Il s’agit d’une instance consultative ad hoc qui fait participer les Premiers ministres des différentes régions.
Les finances des administrations dévolues et, plus particulièrement le montant des subventions, est fondé, depuis les années 1970, sur une règle non législative : la formule Barnett. Cette règle, porte sur la subvention globale qui constitue le financement le plus important des administrations dévolues, ajustée de façon annuelle. Elle repose sur le principe selon lequel lorsqu’il y a un changement de financement pour des services comparables en Angleterre, les mêmes changements doivent être introduits dans les services dévolus de chaque nation. Les autres types de subvention sont négociés par le gouvernement britannique et les administrations dévolues.
La Convention de Sewel, remonte à l’adoption des lois de dévolution. Selon cette convention, le Parlement de Westminster ne légifèrera « normalement » pas dans les questions dévolues sans le consentement des Parlements des différentes régions (Section 28(8) du SA par exemple). La question de la garantie de cette convention s’est posée en 2017 dans la décision Miller sur le Brexit. La Cour suprême s’est penchée sur la question de savoir si les régions devaient, en vertu de cette convention, donner leur accord pour que le Royaume-Uni notifie son retrait de l’Union européenne. En effet, le retrait de l’Union européenne revient à modifier le droit applicable dans ces régions car elles sont tenues de respecter le droit européen. La Cour a répondu qu’elle n’était pas compétente pour garantir le respect de cette convention, qui est de nature politique et non juridique. Il ne lui était donc pas possible d’en assurer le respect et d’imposer que les régions donnent leur accord pour notifier le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. L’Ecosse n’a donc pas eu son mot à dire sur la notification du retrait. La garantie politique de l’autonomie des régions souffre de ses limites.
B – Les garanties juridictionnelles
A côté des garanties politiques, les lois de dévolution ont introduit des recours juridictionnels qui s’exercent contre les législations des Assemblées dévolues. Ces recours dénommés « questions de dévolution » s’effectuent a priori et de façon abstraite ou a posteriori et de façon concrète, ce qui est plus traditionnel dans un pays de common law comme le Royaume-Uni. Ils consistent à vérifier que les actes des Assemblées dévolues relèvent bien des compétences prévues par les lois de dévolution et respectent tant le droit de l’Union européenne que le droit de la CEDH. Le contentieux de la dévolution présente donc certaines spécificités par rapport au contentieux territorial d’autres pays car il ne se limite pas au seul contrôle de la répartition des compétences normatives entre territoires, mais présente aussi une dimension européenne.
1) Le contrôle abstrait a priori
La Cour suprême peut répondre à une « question » posée par les officiers judiciaires (il peut s’agir, par exemple, de l’Advocate General pour l’Ecosse – qui est un ministre de la Couronne et l’un des trois Conseillers juridiques britanniques au même rang que l’Attorney General et le Solicitor General pour l’Angleterre et l’Irlande du Nord – ou encore du Lord Advocate écossais qui est le Conseiller juridique du Gouvernement écossais et de la Couronne en Ecosse) lui demandant si un projet d’acte des entités dévolues respecte bien la répartition des compétences prévue par les lois de dévolution (Section 41 (4) (a) du CRA). Ce contrôle a priori facultatif et abstrait est assez étranger aux systèmes de common law. Il s’est inspiré de recours abstraits issus des pays de droit continental (Lady Hale, 2018 : 7). En cas de méconnaissance des principes de répartition des compétences, la décision de la Cour suprême fait obstacle à la promulgation du texte (Section 94(2) et 108(2) du GWA, Section 29(1) du SA et 6(1) du NIA).
Une fois qu’une décision est rendue sur le fondement de ce type de recours, le texte qui a été déclaré comme relevant de la compétence du parlement dévolu ne peut plus être contesté par la voie d’un recours concret. La Présidente de la Cour suprême a ainsi indiqué que dans un tel cas de figure il faut que la Cour essaie d’envisager toutes les situations dans lesquelles une contrariété pourrait survenir avant de décider de la légalité du texte soumis. Elle souligne par ailleurs, que dans ce type de recours, la Cour suprême ne bénéficie pas de l’expertise des cours locale et semble le regretter (Lady Hale, 2018 : 7).
En pratique, ces recours n’ont jamais donné lieu à des décisions concernant l’Irlande du Nord. La Cour suprême n’a exercé ce contrôle abstrait que dans trois décisions qui concernent le pays de Galles et dans une décision récente concernant le recours contre la loi écossaise sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne du 13 décembre 2018 (The UK withdrawal from the European Union (Legal continuity) (Scotland) Bill, A Reference by the Attorney General and the Advocate General for Scotland, 2018).
2) Le contrôle concret a posteriori
La Cour suprême peut, d’autre part, examiner a posteriori et en dernier ressort des « devolution issues » en vertu de la section 41(4)(b) du CRA. Le contrôle a posteriori peut être déclenché par une personne qui conteste la validité d’une législation (Alexander v. Scottish Ministers, 2001) et par les officiers judiciaires parties à l’instance. Ces actes seront écartés s’ils violent les lois de dévolution, le droit communautaire ou les droits conventionnels. Ce recours donne lieu à un contentieux plus abondant en pratique. La jurisprudence est dominée par les recours fondés sur le droit européen et au sein desquels les litiges liés à la répartition des compétences sont moins nombreux. Lorsqu’elles recouvrent la forme juridictionnelle, ces garanties donnent naissance à une jurisprudence ambivalente qui dessine les contours de l’autonomie des régions au Royaume-Uni.
II – L’ambivalence de la jurisprudence
Le contentieux de la dévolution présente certaines spécificités. Il ne se limite pas aux recours fondés sur des questions quotidiennes de répartition des compétences entre Westminster et les nations dévolues (A). A ce contentieux s’ajoutent les recours basés sur le respect du droit européen conventionnel et de l’Union européenne qui a des conséquences sur le degré d’autonomie des régions dévolues (B).
A – Une autonomie assez large dans le contentieux de la répartition des compétences
La jurisprudence témoigne d’une interprétation assez large de l’autonomie accordée aux régions et ce, depuis les premières décisions rendues au début du XXème siècle à propos de l’Irlande du Nord, qui se sont inspirées de la jurisprudence canadienne relative à la répartition des compétences législatives dans un système fédéral (Gallagher v. Lynn, 1937). La Présidente de la Cour suprême a esquissé dans un discours récent quelques principes résultant des décisions de la Cour suprême. Elle a notamment souligné qu’ « il ne peut pas toujours y avoir une règle absolue de démarcation entre les compétences dévolues et réservées » (Lady Hale, 2018 : p. 9). Une loi rentrera donc dans le champ des compétences dévolues à partir du moment où elle entre dans le champ des compétences transférées et même si elle affecte un autre domaine, qui lui, ne rentre pas dans les compétences dévolues. Lorsque qu’il faut vérifier qu’une législation « porte sur une compétence réservée », la jurisprudence montre que ce terme va au-delà d’un lien indirect et large. Pour déterminer le but d’une législation en tenant compte de ses effets, il est nécessaire de prendre en compte des éléments dépassant une considération objective des termes de la loi (Lady Hale, 2018 : p. 9-12).
Lorsque la Cour est saisie d’une question de répartition des compétences entre Westminster et les Assemblées régionales, elle annule rarement les lois des régions. Par exemple, dans l’affaire Martin et Miller v. Most de 2010, la Cour suprême a examiné si l’augmentation des pouvoirs de sanction pénale des Scheriffs relevait bien de la compétence du Parlement écossais. Elle a répondu par l’affirmative, jugeant que bien que cette disposition s’applique aux délits routiers, elle ne porte pas sur la compétence en matière de trafic routier réservée à Westminster. Son objectif était de réduire l’engorgement des hautes cours dans l’ensemble du contentieux pénal et ne se limitait donc pas à la question des délits routiers.
Dans la décision Imperial Tobacco Ltd de 2012, la Cour suprême a rejeté un recours contre une loi écossaise qui interdit la présentation visuelle des paquets de cigarettes dans des lieux de vente ainsi que la vente de tabac dans des distributeurs. Elle juge que ces dispositions ont pour objet de décourager et d’éliminer la vente des produits issus du tabac et non pas d’établir un standard de sécurité dans la production et la vente de produits du tabac, domaine qui relèverait des compétences réservées à Westminster. Il s’agit plutôt de promouvoir la santé publique, compétence dévolue au Parlement écossais. Ces dispositions n’ont par conséquent pas créé de nouveaux délits modifiant par là-même la liste les matières réservées.
En 2016, dans l’affaire Christian Institue, le partage d’information prévu par une loi écossaise de 2014, qui met en place un dispositif de personnes référentes pour les enfants et jeunes adultes en difficulté, a été interprété comme ne s’appliquant pas au domaine de la protection des données réservé à Westminster. Ce partage d’information ne pouvait être séparé de l’objectif général du texte qui était de promouvoir le bien-être des enfants et des jeunes adultes faisant l’objet de la loi.
Le seul texte qui ait été déclaré illégal au motif qu’il a outrepassé les compétences qui étaient dévolues du Parlement gallois est le texte prévoyant un remboursement par la sécurité sociale galloise des compagnies d’assurances pour les coûts des traitements des maladies liées à l’amiante (Recovery of Medical Costs for Asbestos Diseases (Wales) Bill: Reference by the Counsel General for Wales and The Association of British Insurers, 2015). La Cour a jugé qu’il ne porte pas en tant que tel sur « l’organisation et le financement de la sécurité sociale » qui est une compétence dévolue, car son lien n’était pas suffisamment direct avec la matière relative aux services de santé gallois.
En revanche plusieurs législations ont été déclarées contraires au droit européen, dont l’usage apparaît comme un facteur de limitation de l’autonomie locale.
B – Une autonomie limitée dans le contentieux européen
Le droit de la CEDH ou le droit de l’Union européenne ont donné lieu à des décision d’incompatibilités des lois écossaises ou galloises.
1) L’impact du droit de la CEDH
La Cour suprême peut être amenée à déclarer certaines législations contraires à la CEDH dans l’hypothèse où elle ne parvient pas à l’interpréter de façon compatible avec le HRA. Le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme présente un effet qui varie selon les domaines. La Cour suprême adopte une approche différente quant à la conventionnalité des législations écossaises selon les droits concernés. L’autonomie législative écossaise a été limitée dans le champ du droit pénal au nom du respect des droits conventionnels. Lorsqu’il s’agit de droits procéduraux touchant la liberté individuelle ou la vie privée, elle déclare, le plus souvent, les législations conformes à la CEDH (a). En revanche, dans le domaine du droit de la famille ou de la santé, la Chambre des Lords a reconnu la liberté de légiférer du Parlement écossais (b).
a) Le respect du droit conventionnel a limité l’autonomie de l’Ecosse en matière pénale
La Cour suprême s’est immiscée dans le contentieux pénal écossais alors qu’elle était jusqu’alors incompétente, puisque la plus haute juridiction pénale en Ecosse est la High Court of Justiciary. La compétence d’appel ultime de la High Court of Justiciary en matière pénale en Ecosse a été remise en cause de deux façons.
En premier lieu, lorsque la Cour suprême vérifie qu’une loi qui porte sur des questions pénales relèvent bien de la compétence des assemblées dévolues. La décision Martin et Miller, a conduit la Cour suprême à se prononcer, en 2010, sur l’augmentation des pouvoirs de sanction pénale des Scheriffs résultant d’une modification de la section 45 du Criminal Proceedings etc (Reform) (Scotland) Act 2007. En jugeant que cette mesure relevait bien de la compétence du Parlement écossais, elle s’est prononcée sur un domaine autrefois réservé aux seules juridictions écossaises.
En second lieu, lorsqu’elle vérifie la conformité de législations dévolues par rapport au droit de l’Union européenne ou de la CEDH. Par exemple, la Cour suprême britannique dans l’affaire Cadder v. HM Advocate du 26 octobre 2010 a jugé que l’utilisation par le Lord Advocate d’aveux obtenus en garde à vue sans l’assistance d’un avocat méconnaissait l’article 6(3)(c) et 6(1) de la CEDH.
En pratique, le contentieux pénal écossais n’est plus hors de portée de la Cour suprême. Le respect du droit européen a donc remis en cause une spécificité du droit écossais en matière pénale. Une loi, le Scotland Act 2012, est intervenue pour revenir sur la compétence de la Cour suprême dans le contentieux pénal écossais grâce à une procédure d’autorisation de faire appel qui nécessite l’accord de la High Court of Justiciary ou de la Cour suprême. Les actes faisant l’objet du recours ne pourront être contestés après que la permission a été accordée s’il est allégué que le Lord Advocate a agi de façon incompatible avec le droit de la CEDH ou de l’Union européenne.
b) La Cour suprême fait preuve d’une approche plus déférente lorsqu’il s’agit de droits économiques et sociaux ou du droit de la famille en Ecosse
Dans ce domaine, l’approche des juges est plus déférente, ce qui peut s’expliquer par le fait que le droit de la famille est spécifique en Ecosse (ANS v. M, 2012; The Christian Institute and others v The Lord Advocate (Scotland), 2016)
Dans le champ du droit de la santé, la Cour suprême a jugé qu’une loi écossaise, le Damages (Absbestos-related Conditions)(Scotland) Act 2009, pouvait autoriser les tribunaux à indemniser des personnes atteintes de plaques pleurales à la suite d’une contamination par l’amiante (Axa General Insurance Ltd, Petitioner, 2011). Cette loi remet en cause, pour l’Ecosse, une décision de la Chambre des Lords qui avait jugé que ces maladies ne constituaient plus un dommage ouvrant droit à réparation (Rothwell v. Chemical Insulating Co Limited, 2008). La Cour a estimé que la loi n’avait pas outrepassé la compétence du Parlement écossais en indiquant que dans le domaine des politiques sociales le juge doit respecter les décisions des autorités élues à moins que leur jugement soit manifestement sans fondement raisonnable. On constate ainsi une différence de règles de droit applicables au Royaume-Uni dans le champ du droit de la santé et des droits fondamentaux, ce qui ne serait pas imaginable en France.
La différence d’approche de la Cour suprême en fonction des domaines peut se comprendre par le fait que lorsqu’il s’agit de l’égale garantie des droits procéduraux, les juges britanniques, sont légitimes à assurer le respect de garanties que le droit de common law a forgé. En revanche, ils font preuve de déférence et de réserve à propos des questions de politique sociale ou lorsque le système juridique de la région, comme le droit de la famille en Ecosse, diffère de celui qui s’applique en Angleterre et du Pays de Galles. Le droit de l’Union européenne soulève des problématiques différentes.
2) L’impact du droit de l’Union européenne
a) La contrariété de législations au regard du droit de l’Union européenne
Dans l’affaire de 2017, Scotch Whisky Association v. Lord Advocate, une législation écossaise qui prévoit un prix minimum unitaire des ventes d’alcool a été contestée au motif qu’elle était contraire au droit de l’Union européenne. La Cour suprême a rejeté ce recours.
b) Le contentieux lié au Brexit
La Cour suprême s’est prononcée à l’unanimité sur la loi écossaise visant à assurer une continuité du droit de l’Union maintenu en droit britannique après le Brexit dans une décision du 13 décembre 2018 (The UK withdrawal from the European Union (Legal continuity) (Scotland) Bill, A Reference by the Attorney General and the Advocate General for Scotland, 2018). Après le Brexit, la loi sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne du 26 juin 2018 (European Union (Withdrawal) Act 2018), prévoit que certains pans du droit de l’Union seront préservés en droit interne. Il s’agit du « droit de l’Union maintenu ». Les ministres britanniques pourront modifier le droit l’Union maintenu en droit interne grâce à des législations déléguées. La section 17 de la loi écossaise prévoyait que les législations déléguées prises après le Brexit par les ministres britanniques dans le champ du droit de l’Union maintenu en droit interne n’auront d’effet qu’avec le consentement du ministre écossais. La Cour suprême a jugé que le Parlement écossais n’était pas compétent pour adopter une telle législation. En effet, cette disposition impose une condition à la compétence des ministres britanniques dans le champ du droit de l’Union maintenu prévue par le European Union (Withdrawal) Act 2018. Elle remet donc en cause le pouvoir illimité dont dispose le Parlement britannique pour légiférer en Ecosse puisque le Parlement écossais a ajouté des conditions supplémentaires par rapport à la loi du 26 juin 2018. La disposition législative écossaise peut donc être considérée comme amendant implicitement la section 28(7) du Scotland Act 1998, qui réserve la compétence du Parlement de Westminster pour légiférer en Ecosse. Elle outrepasse donc les compétences attribuées à l’Assemblée écossaise par la loi sur l’Ecosse de 1998. Les compétences de l’Ecosse se voient limitées dans leurs rapports avec le droit de l’Union européenne. D’une part, parce que la souveraineté au Royaume-Uni n’est pas, comme aux Etats-Unis, partagée, « divisée » (Mc Culloch v. Maryland, 1819 et Zoller, 2010 et 2013). Elle reste dans les mains du Parlement britannique qui est compétent en matière internationale.
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En définitive, la dévolution est éloignée du modèle fédéral ou régional. Le contentieux révèle que l’autonomie accordée aux régions est loin d’être fédérale compte tenu de la nature des garanties et des limites qui s’imposent à la liberté locale. Dans la dernière décision relative au contentieux du Brexit en Ecosse, la Cour a indiqué que la réserve de compétence à Westminster « reflète l’essence de la dévolution : en comparaison avec le modèle fédéral, un système dévolu préserve les pouvoirs du législateur central de l’Etat en relation avec toutes les questions, qu’elles soient dévolues ou réservées » ((The UK withdrawal from the European Union (Legal continuity) (Scotland) Bill, A Reference by the Attorney General and the Advocate General for Scotland, 2018 : § 42). Le maintien de la compétence du législateur central rapproche, avec certaines nuances, la dévolution britannique du système français de libre administration, qui s’exerce, d’après l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, « dans les conditions prévues par la loi », conditions que le Conseil constitutionnel remet rarement en cause. Certes, il s’agit, contrairement à la France, d’une délégation de compétence législative et non administrative. Cette délégation de compétence n’est, par ailleurs, pas protégée par une Constitution écrite. Mais au Royaume-Uni, comme en France, le lien entre la souveraineté du Parlement ou la souveraineté nationale et la loi reste fort. Cet élément, qui caractérise le contentieux de l’autonomie locale en France (à l’exception du cas néo-calédonien), comme au Royaume-Uni, s’explique par l’existence d’une souveraineté gage d’unité et de l’absence d’idée de l’idée de souveraineté divisée.
Malgré cette spécificité, le contrôle des lois régionales a participé, avec le contentieux européen, à la transformation de la Cour suprême en une juridiction constitutionnelle originale. La juge américaine Sandra Day O’Connor avançait, en 2001, que si ce contentieux tendait à prendre plus d’ampleur, il pourrait conduire la Cour suprême britannique à généraliser et approfondir son approche en matière de contrôle des lois dans d’autres domaines (Day O’Connor, 2001 : 498). Les propos de Lady Hale dans un discours récent sur la dévolution confortent cette analyse puisqu’elle estime que la dévolution de pouvoirs législatifs a transformé la Cour suprême britannique en « une Cour véritablement constitutionnelle » (Lady Hale, 2018 : 18). La question de l’autonomie locale saisie par la QPC témoigne ainsi de l’importance du contentieux local au sein du contentieux constitutionnel.
Bibliographie :
V. Bogdanor, Devolution in the United Kingdom, Oxford University Press, Oxford, 1999, p. 291.
Sandra Day O’Connor J., « Altered States: Federalism and Devolution at the ‘Real’ Turn of the Millennium », CLJ, 2001, p. 498.
Lady Hale, « Devolution and The Supreme Court –20 Years On », Scottish Public Law Group 2018, Edinburgh, p. 9 disponible sur : https://www.supremecourt.uk/docs/speech-180614.pdf
P. Lauvaux, Les grandes démocraties contemporaines, PUF, Paris, 2015, p. 493.
Lord Neuberger, « The constitutional role of the Supreme Court in the context of devolution in the UK », Lord Rodger Memorial Lecture 2016, 14 October 2016.
F. Roux, La dévolution en Grande-Bretagne, Contribution à la réflexion sur l’autonomie institutionnelle, Dalloz, Paris, 2009, 672 p.
Jurisprudence :
Agricultural Sector (Wales) Bill – Reference by the Attorney General for England and Wales [2014] UKSC 43.
Alexander v. Scottish Ministers [2001] UKPC D 5.
ANS v. ML [2012] UKSC 30;
Axa General Insurance Ltd, Petitioners [2011] UKSC 46.
Cadder v. HM Advocate [2010] UKSC 43
Gallagher v. Lynn [1937] AC 863
Imperial Tobacco Ltd, Petitioner [2012] UKSC 61
Martin et Miller v. Most [2010] UKSC 10
Recovery of Medical Costs for Asbestos Diseases (Wales) Bill: Reference by the Counsel General for Wales and The Association of British Insurers [2015] UKSC 3.
R (on the application of Miller and another) (Respondents) v Secretary of State for Exiting the European Union (Appellant) [2017] UKSC 5.
Rothwell v. Chemical Insulating Co Limited [2008] 1 A.C. 281
Scotch Whisky Association v. Lord Advocate [2017] UKSC 76
The Christian Institute and others v The Lord Advocate (Scotland) [2016] UKSC 51.
The UK withdrawal from the European Union (Legal continuity) (Scotland) Bill, A Reference by the Attorney General and the Advocate General for Scotland [2018] UKSC 64.
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