A. Batteur (Dir.), Les grandes décisions du droit des personnes et de la famille, LGDJ, coll. Les grandes décisions, 2e éd., 2016, 720 pp. (ISBN : 978-2-275-04001-1)
C. Alleaume, A. Batteur, M. Beauruel, K. Buhler, A. Cerf-Hollender, T. Douville, A. Gosselin-Gorand, J. Leprovaux, L. Mauger-Vielpeau, V. Mikalef-Toudic, G. Raoul-Cormeil, F. Rogue, K. Salhi, sont membres de l’Institut Demolombe, et C.-A. Chassin et J.-M. Larralde sont membres du Centre de recherche sur les droits fondamentaux et les évolutions du droit de l’UCN.
En 2016, paraissait chez LGDJ la deuxième édition de l’ouvrage Les grandes décisions du droit des personnes et de la famille, sous la direction d’Annick Batteur. Un manuel original dans son approche et pour tout dire enthousiasmant. Fruit du travail de 15 auteurs (dont deux publicistes) chercheurs à l’Université de Caen Normandie, il propose 80 commentaires, dont seulement 15 portent sur une unique décision. Toute la singularité de la démarche apparaît ici : les auteurs ont fait le choix de commenter le plus souvent plusieurs décisions à la fois (parfois six ou plus), en prenant soin de sélectionner des extraits émanant de diverses juridictions : Cour de cassation, Conseil d’État, Conseil constitutionnel, Cour EDH, CJUE. Outre que cela permet de dépasser le clivage droit privé/droit public, le lecteur découvre à chaque entrée une véritable sélection d’arrêts digne d’une fiche de TD de libertés fondamentales, permettant sur une même question d’aborder les différentes facettes du contentieux. En croisant les différentes approches et solutions, il est alors possible d’appréhender dans toutes leurs dimensions des thématiques variées, allant du droit de mourir, à l’accouchement sous X, en passant par le transsexualisme ou les châtiments corporels. Ces grandes décisions balayent tout le droit des personnes et de la famille, mais ne nous y trompons pas, c’est bien de droits et libertés fondamentaux dont il est question en réalité, pour ainsi dire à chaque page.
Il ne serait pas sérieux de présenter les 80 thématiques retenues par les auteurs, qui commencent par l’homologation judiciaire, pour se terminer par les actes usuels de l’autorité parentale. On rendra mieux compte de la richesse de l’ouvrage en sélectionnant, de manière arbitraire, quelques entrées marquantes.
Page 212, un commentaire à huit mains nous est proposé sur le thème de la maternité de substitution et de la GPA. Huit décisions sont reproduites sur ce thème d’actualité, dont deux de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, et deux de la Cour EDH. L’occasion pour les auteurs de rappeler que la Cour de cassation a longtemps fait respecter « des valeurs philosophiques fondamentales », empêchant « la constitution d’un marché privé de la procréation ». On apprend que la Cour de Strasbourg ne consacre pas un droit « à la reconnaissance en droit interne du lien de filiation d’un enfant né d’une GPA réalisée à l’étranger ». Les conséquences pénales de la maternité de substitution ne sont pas occultées.
La sauvegarde de la liberté nuptiale est abordée page 261 par Gilles Raoul-Cormeil. Sept décisions de la cour de cassation sont présentées, allant de 1896 à 1982, qu’elles annulent ou maintiennent des clauses de célibat. Au sein de ces atteintes privées à la « liberté publique » de se marier, l’auteur distingue celles émanant d’un membre de la famille de celles émanant d’un tiers. Pour les premières, la Cour de cassation a pu encourager un contrôle, par les juges du fond, des mobiles de l’auteur de ces atteintes. Pour les secondes, imposées surtout par des employeurs, l’annulation est la règle, même s’il faut mettre à part la solution de l’arrêt Dame Roy (Cass. Ass. Plé. 19 mai 1978, D. 1978, p. 546, n. Ph. Ardant), qualifié d’aussi « curieux qu’exceptionnel ».
Page 280, trois auteurs nous présentent la liberté de fonder une famille homosexuelle. Sept décisions là encore, dont l’affaire du mariage de Bègles et trois décisions du Conseil constitutionnel. L’occasion de montrer que les tribunaux se sont avérés peu audacieux sur cette question, préférant laisser « le législateur légiférer » et régler la question par la loi du 17 mai 2013.
L’impression de feuilleter Les grands arrêts du droit des libertés fondamentales (Dalloz, 2017, coord. X. Dupré de Boulois) est à son paroxysme page 339 avec l’entrée sur les conditions de la vie familiale des étrangers, rédigée par Catherine-Amélie Chassin. La défense de ce droit de l’homme « et non du citoyen » est étudiée à partir d’une décision du Conseil d’Etat, d’un arrêt de la Cour EDH (Gül c/ Suisse, CEDH 19 février 1996, n° 23218/94) et deux de la CJUE. Les conditions du droit au séjour et la problématique des « anchor children » sont à cette occasion précisées.
La même auteure présente la dignité de la personne page 391. Les extraits reproduits émanent de trois décisions rendues en 1994 et 1995 : l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge (CE, ass., 27 octobre 1995), la décision Bioéthique (Cons. Const. 27 juillet 1994, n° 94-343/344 DC), et l’affaire C.R. c/ Royaume Uni (CEDH, 22 novembre 1995, n° 20190/92). Des juges différents y consacrent la dignité de la personne humaine, mais en adoptant soit une conception objective s’imposant à l’individu, soit une conception subjective permettant un certain libre arbitre.
L’ambiance privatiste de l’ouvrage renaît page 480 quand Christophe Alleaume traite du droit à la vie privée des salariés. Six décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation sont commentées d’un trait. Il en ressort que le respect de l’intimité du salarié est certes consacré mais que l’évolution de la jurisprudence devient favorable aux employeurs.
On terminera cette sélection partiale par la page 486, où Thibault Douville aborde les limites à la protection de la personnalité. L’auteur envisage le conflit entre le droit à l’image et la liberté d’expression, qui ont « une valeur normative identique ». Comme en témoigne l’arrêt relatif à la publication par Paris-Match d’une photo d’une victime d’attentat dans le RER, il apparaît que la liberté d’expression l’emporte, sauf atteinte à la dignité de la personne (Cass. civ. 1re, 20 février 2001, n° 98-23.471).
Au total, la richesse de ces grandes décisions est tout à fait exceptionnelle ; elles seront certainement d’un grand profit pour des étudiants d’Instituts d’études judiciaires. Il faut se donner du mal pour trouver des faiblesses à l’ouvrage. On peut regretter que l’index ne mentionne que deux libertés, alors qu’elles sont en fait toutes traitées au fil des différents développements. Le thème de la preuve, qui peut entrer en conflit avec les droits fondamentaux des individus, est pour sa part uniquement abordé à l’occasion du divorce pour faute. Enfin, on relèvera éventuellement l’absence de la décision Dame Burdy (Trib. civ. Seine, 22 janvier 1947), condamnant un testament discriminatoire sur le seul fondement du Préambule de la Constitution de 1946, mais la critique serait injuste car les auteurs ont souhaité rassembler les grandes décisions émanant des seules juridictions suprêmes. Finalement, on garde ainsi l’occasion d’ouvrir d’autres recueils plus anciens, mentionnant certaines décisions de juges du fond (Cl. Franck, Droit constitutionnel, les grandes décisions de la jurisprudence, PUF, 1978)…