Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 25 janvier 2010, présentée pour la COMMUNE DE BILLERE, représentée par son maire, par la SCP Darrieumerlou – Blanco, avocat ;
La COMMUNE DE BILLERE demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du 12 janvier 2010 par lequel le Tribunal administratif de Pau a, d’une part, annulé sa décision de faire réaliser une fresque sur le mur d’un bâtiment communal et, d’autre part, lui a enjoint de faire procéder à son effacement ;
2°) de rejeter les demandes du Préfet des Pyrénées-Atlantiques ;
3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu’au paiement des entiers dépens ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 14 septembre 2010 :
– le rapport de M. Bec, président-assesseur ;
– les observations de Me Blanco, avocat de la COMMUNE DE BILLERE ;
– les conclusions de M. Gosselin, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée aux parties ;
Considérant que la COMMUNE DE BILLERE demande à la cour d’annuler le jugement du 12 janvier 2010 par lequel le Tribunal administratif de Pau a, d’une part, annulé sa décision de faire réaliser un ensemble de graffitis, qualifié de fresque, sur le mur d’un bâtiment communal et, d’autre part, lui a enjoint de faire procéder à son effacement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que si tout justiciable est recevable à demander à la juridiction immédiatement supérieure qu’une affaire dont est saisie la juridiction compétente soit renvoyée devant une autre juridiction du même ordre, au motif que, pour des causes dont il appartient à l’intéressé de justifier, la juridiction compétente est suspecte de partialité, l’article L. 4 du code de justice administrative ne confère aucun effet suspensif aux requêtes devant le juge administratif ; que, par un arrêt en date du 29 décembre 2009, la Cour de céans a rejeté la requête en suspicion légitime dirigée par la COMMUNE DE BILLERE contre le président du Tribunal administratif de Pau ; que dès lors, le tribunal a pu, sans méconnaître les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme etdes libertés fondamentales, statuer sur la requête dont il demeurait saisi, nonobstant le recours en cassation formé par la COMMUNE DE BILLERE à l’encontre de l’arrêt de la cour ;
Considérant qu’en relevant que la commune de Billère ne saurait faire valoir utilement que l’oeuvre contestée ne fait que promouvoir les valeurs républicaines fondamentales et favoriser la liberté créatrice, le tribunal administratif a explicitement considéré que la fresque litigieuse constituait en réalité une revendication politique qui contrevenait au principe de neutralité, et a ainsi suffisamment motivé son jugement sur ce point ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’irrégularité du jugement doit être écarté ;
Sur la légalité de la décision du maire de Billère :
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 1er de la loi 7 janvier 1983 les communes, les départements et régions règlent par délibération les affaires de leur compétence. ; qu’il est constant que tant la police des étrangers que les modalités de leur admission sur le territoire national ne constituent pas une responsabilité communale ; que la présence des locaux de la police de l’air et des frontières sur le territoire de la COMMUNE DE BILLERE ne saurait conférer un caractère d’intérêt local à la question de l’admission des étrangers sur le territoire national ; que le moyen tiré de l’intérêt local que présenterait effectivement la fresque litigieuse doit par suite être écarté ;
Considérant, d’autre part, que le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes de revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques ; que les graffitis réalisés à l’initiative du maire de Billère, sur le thème de l’accueil des étrangers en France, oppose la devise de la République aux termes de honte, précarité et arbitraire ; que par ces graffitis, qui expriment une critique explicite de l’application de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, le maire de Billère a entendu prendre parti dans un conflit de nature politique, et a ainsi méconnu le principe de neutralité ;
Considérant que l’organisation du débat sur l’identité nationale, dont la COMMUNE DE BILLERE soutient qu’il porterait également atteinte au principe de neutralité, est sans influence sur la méconnaissance de ce principe par le maire de Billère ; que la défense des valeurs républicaines fondamentales et de la liberté créatrice ne saurait davantage autoriser le maire à s’affranchir du respect de ce principe ;
Considérant que la réalisation de travaux de peinture sur un édifice communal constitue un travail communal visé par le 4° de l’article L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales, en application duquel une délibération du conseil municipal est nécessaire ; que la commune ne saurait donc soutenir qu’à défaut de base légale identifiée, aucune délibération n’était nécessaire pour autoriser les travaux litigieux ;
Considérant que, le domaine d’action du maire est déterminé par les dispositions des articles L. 2121-21 et suivants du code général des collectivités territoriales ; que par suite le maire de COMMUNE DE BILLERE ne saurait, pour écarter l’application de ces dispositions, utilement invoquer sa liberté d’expression ou de conscience personnelles, la violation des stipulations de la Déclaration universelle des droits de l’homme et celles des articles 9 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Sur l’injonction :
Considérant que l’illégalité de la décision du maire de Billère implique nécessairement l’effacement des graffitis sur le bâtiment communal concerné ; que si la COMMUNE DE BILLERE soutient que cet effacement porterait atteinte au droit au respect de l’oeuvre et de la propriété intellectuelle, consacré par l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, relatif aux droits moraux des auteurs, et aux lois du 11 mars 1957 et du 1er juillet 1992, relatives à la protection des oeuvres littéraires et artistiques, ces dispositions ne sauraient faire obstacle à l’effacement d’un ensemble de graffitis dont l’auteur n’est au demeurant pas identifié, dès lors que cet effacement est nécessaire à la préservation de la neutralité de l’édifice ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE BILLERE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à la fixation d’une astreinte :
Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’assortir la condamnation de la commune à effacer la fresque litigieuse, d’une astreinte de 100 € par jour de retard au-delà d’un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que l’Etat n’étant pas, dans la présente instance, la partie qui succombe, les conclusions tendant à ce qu’il soit condamné à verser à la COMMUNE DE BILLERE une somme en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la COMMUNE DE BILLERE est rejetée.
Article 2 : L’injonction faite à la COMMUNE DE BILLERE de procéder à l’effacement de la peinture réalisée sur un bâtiment communal est assortie d’une astreinte de 100 € par jour de retard au-delà d’un délai de deux mois à compter du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales et le préfet des Hautes-Pyrénées est rejeté.