AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A…D…a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler la décision du 27 juin 2013 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie a confirmé, sur recours administratif préalable, la sanction de quatre jours de cellule disciplinaire infligée par la commission de discipline du centre de détention de Bapaume le 22 mai 2013.
Par un jugement n° 1305511 du 3 décembre 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 avril 2016, M.D…, représenté par Me C…B…, demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 3 décembre 2015 ;
2°) d’annuler la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie du 27 juin 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée sous réserve de renonciation à l’aide juridictionnelle.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de procédure pénale ;
– la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
– la loi n° 2009-1436 du 14 novembre 2009 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
– et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.
Une note en délibéré, présentée par Me C…B…pour M.D…, a été enregistrée le 21 novembre 2017.
1. Considérant que M. A…D…, alors incarcéré au centre de détention de Bapaume, a refusé, lors d’une fouille intégrale à la sortie du parloir le 19 mai 2013, de retirer ses sous-vêtements malgré les demandes répétées des surveillants présents ; qu’il a été placé en cellule disciplinaire de prévention immédiatement après l’incident ; qu’il a été sanctionné, par une décision de la commission de discipline de l’établissement du 22 mai 2013, par un placement en cellule disciplinaire de quatre jours sur le fondement des dispositions du 5° de l’article R. 57-7-2 du code de procédure pénale ; qu’il a formé un recours auprès du directeur interrégional des services pénitentiaires Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie qui, par une décision du 27 juin 2013, a confirmé la décision de la commission de discipline ; que M. D…relève appel du jugement du 3 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 57 de la loi du 24 novembre 2009 : » Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation de moyens de détection électronique sont insuffisantes (…) » ; qu’il résulte de ces dispositions, d’une part, que les mesures de fouilles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l’un des motifs qu’elles prévoient et, d’autre part, que les fouilles intégrales doivent revêtir un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l’utilisation de moyens de détection électronique ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : » Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants » ;
4. Considérant que par une note de service n° 113/SEC du 13 mai 2013, la directrice du centre de détention de Bapaume a décidé d’organiser, pour une période de deux mois, des fouilles individuelles intégrales à l’issue des parloirs avec une personne extérieure ; que cette décision justifie le recours systématique aux fouilles intégrales à l’issue de l’ensemble des parloirs par une tentative d’introduction d’objets illicites dans l’établissement le 2 mars 2013 ;
5. Considérant que s’il est vrai que les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application aux détenus d’un régime de fouilles corporelles intégrales, toutefois, l’exigence de proportionnalité des modalités selon lesquelles les fouilles intégrales sont organisées implique qu’elles soient strictement adaptées non seulement aux objectifs qu’elles poursuivent mais aussi à la personnalité des personnes détenues qu’elles concernent ; qu’à cette fin, il appartient au chef d’établissement de tenir compte, dans toute la mesure du possible, du comportement de chaque détenu, de ses agissements antérieurs ainsi que des circonstances de ses contacts avec des tiers ; que la note de service du 13 mars 2013 qui se borne à instituer un régime de fouilles intégrales systématiques sans organiser la possibilité d’en exonérer certains détenus au vu des critères énoncés ci-dessus est contraire au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et à l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ;
6. Considérant d’autre part, qu’aux termes de l’article R. 57-7-2 du code de procédure pénale : » Constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour un détenu : (…) / 5° De refuser de se soumettre à une mesure de sécurité définie par une disposition législative ou réglementaire, par le règlement intérieur de l’établissement pénitentiaire ou par toute autre instruction de service » ; et qu’aux termes de l’article R. 57-7-33 du même code : » Lorsque le détenu est majeur, peuvent être prononcées les sanctions disciplinaires suivantes : 1° L’avertissement ; / 2° L’interdiction de recevoir des subsides de l’extérieur pendant une période maximum de deux mois ; / 3° La privation pendant une période maximum de deux mois de la faculté d’effectuer en cantine tout achat autre que celui de produits d’hygiène, du nécessaire de correspondance et de tabac ; / 4° La privation pendant une durée maximum d’un mois de tout appareil acheté ou loué par l’intermédiaire de l’administration ; / 5° La privation d’une activité culturelle, sportive ou de loisirs pour une période maximum d’un mois ; / 6° Le confinement en cellule individuelle ordinaire assorti, le cas échéant, de la privation de tout appareil acheté ou loué par l’intermédiaire de l’administration pendant la durée de l’exécution de la sanction ; / 7° La mise en cellule disciplinaire » ;
7. Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’en dehors de la seule hypothèse où l’injonction adressée à un détenu par un membre du personnel de l’établissement pénitentiaire serait manifestement de nature à porter une atteinte à la dignité de la personne humaine, tout ordre du personnel pénitentiaire doit être exécuté par les détenus ; que le refus de se soumettre à une mesure de sécurité définie par le règlement intérieur de l’établissement pénitentiaire ou par toute autre instruction de service constitue une faute disciplinaire du deuxième degré qui est de nature à justifier une sanction ; qu’en cas de désobéissance d’un détenu à un ordre d’un membre du personnel de l’établissement, il appartient à la commission de discipline de l’établissement de prononcer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, une sanction adéquate dont la nature et le quantum ne doivent pas être disproportionnés à la nature et à la gravité de la faute disciplinaire commise ;
8. Considérant que si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part, que le recours à ces fouilles intégrales soit justifié, notamment, par l’existence de suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces contraintes ; qu’il appartient ainsi à l’administration de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des modalités retenues ;
9. Considérant que la garde des Sceaux, ministre de la justice ne démontre pas que la fouille à laquelle a été soumis M. D…résulte d’une décision prise en fonction de sa personnalité et de ses antécédents disciplinaires ; que, dès lors, l’intéressé a pu légalement désobéir à l’ordre qui lui a été donné de se dévêtir pour subir une fouille intégrale, dès lors qu’il est constant qu’un tel ordre, qui trouvait son fondement dans la note de service précitée et qui n’a été justifié ni par le comportement de M.D…, ni par ses agissements antérieurs, ni par les circonstances de ses contacts avec des tiers, était manifestement contraire à la dignité de la personne humaine ;
10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. D…est fondé à demander l’annulation de la décision du 27 juin 2013 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie a rejeté son recours administratif préalable obligatoire dirigé contre la décision du 22 mai 2013 par laquelle le président de la commission de discipline du centre de détention de Bapaume lui a infligé une sanction de quatre jours de placement en cellule disciplinaire ;
Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique :
11. Considérant que M. D…a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me C…B…, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, sous réserve de sa renonciation au versement de l’aide juridictionnelle ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1305511 du tribunal administratif de Lille du 3 décembre 2015 est annulé.
Article 2 : La décision du directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie du 27 juin 2013 est annulée.
Article 3 : L’Etat versera à Me C…B…la somme de 1 000 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu’il renonce à percevoir la part contributive de l’Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A…D…, à la garde des Sceaux, ministre de la justice et à Me C…B….
Copie en sera transmise au directeur interrégional des services pénitentiaires Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie.