REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu l’ordonnance du 19 janvier 1989 par laquelle le président de la 1ère sous-section de la section du contentieux du Conseil d’Etat a transmis à la Cour administrative d’appel de NANTES, en application de l’article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, le dossier de la requête présentée pour les consorts Y… et enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 10 novembre 1988 sous le n° 103096 ;
VU la requête susvisée et le mémoire complémentaire enregistré le 16 février 1990, présentés pour Mme Nicole X… veuve Y… et M. Vincent Y…, demeurant …, par la SCP Ph. WAQUET, C. WAQUET, H. FARGE, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, puis par Me CHOTARD, avocat, et enregistrés au greffe de la Cour sous le n° 89NT00852 ;
Les consorts Y… demandent à la Cour :
1°) d’annuler le jugement du 22 juillet 1988 par lequel le Tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à leur verser, respectivement, les sommes de 450 000 F et de 350 000 F en réparation du préjudice subi du fait du décès de M. Georges Y…, leur mari et père, survenu le 2 mai 1981 à la maison d’arrêt de Nantes ;
2°) de condamner l’Etat à leur verser ces indemnités, les intérêts de droit étant capitalisés ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience,
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 4 juillet 1991 :
– le rapport de M. DUPOUY, conseiller,
– les observations de Me CHOTARD, avocat des consorts Y…,
– et les conclusions de M. CADENAT, commissaire du gouvernement,
Considérant que M. Georges Y…, incarcéré depuis le 1er février 1981 à la Maison d’arrêt de Nantes, a été trouvé mort, le 2 mai 1981 vers 7 h 30, dans la cellule dis-ciplinaire où il avait été placé à la suite d’une tentative d’évasion effectuée le 1er mai au matin ; qu’à l’appui de leur requête tendant à la mise en cause de la responsabilité de l’Etat, Mme veuve Y… et son fils, M. Vincent Y…, in-voquent un défaut de surveillance, constitutif d’une faute lourde dans le fonctionnement du service public pénitentiai-re, ainsi que le comportement fautif de certains surveillants qui auraient infligé de mauvais traitements au détenu peu avant son décès ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des éléments du dossier pénal, que M. Y… a été victime, peu avant son décès, de sévices extrêmement graves ayant provoqué un enfoncement de la cage thoracique ; qu’il est mort par pendaison au cours de la nuit ; que son décès est directement consécutif à ces sévices ; que la pendaison a du reste été rendue possible par l’utilisation de la chemise personnelle du détenu, qui n’a pu se trouver dans la cellule disciplinaire qu’en violation flagrante des règlements pénitentiaires ; qu’à supposer même que les rondes nocturnes aient été effectuées normalement et selon une fréquence suffisante, ces circonstances sont constitutives d’une faute lourde de nature à engager la responsabilité des services pénitentiaires ;
Sur l’indemnité :
Considérant que, dans les circonstances de l’affaire, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme Nicole Y… et M. Vincent Y… en allouant à ce titre à chacun d’eux une somme de 50 000 F ; que le préjudice matériel dont ils demandent également réparation n’ayant fait l’objet d’aucune justification, les conclusions présentées de ce chef ne peuvent par contre qu’être rejetées ;
Sur les intérêts :
Considérant que les consorts Y… ont droit aux intérêts de la somme de 100 000 F à compter du 18 juin 1982, date de la réception de leur demande par le ministre ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 10 novembre 1988 ; qu’à cette date, il était dû au moins une année d’intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme Veuve Y… et M. Vincent Y… sont fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande ;
Article 1er – Le jugement du Tribunal administratif de Nantes en date du 22 juillet 1988 est annulé.
Article 2 – L’Etat (Garde des Sceaux, ministre de la justice) est condamné à verser à Mme Nicole Y… et à M. Vincent Y… chacun la somme de cinquante mille francs (50 000 F) avec intérêts au taux légal à compter du 18 juin 1982. Les intérêts échus le 10 novembre 1988 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 – Le surplus des conclusions de la requête des consorts Y… est rejeté.
Article 4 – Le présent arrêt sera notifié à Mme Nicole Y…, à M. Vincent Y… et au Garde des Sceaux, ministre de la justice.