LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense :
Attendu que M. X… soulève l’irrecevabilité du pourvoi au motif que l’arrêt ne met pas fin à l’instance ;
Mais attendu que le pourvoi, qui invoque l’excès de pouvoir du juge judiciaire, caractérisé par la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs, est immédiatement recevable devant la Cour de cassation ; Sur le moyen unique :
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 123-3 et L. 952-3 du code de l’éducation ;
Attendu que Mme Y…, professeur de littérature à l’université de Tours, est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Plagiats, les coulisses de l’écriture », paru le 13 septembre 2007 aux éditions de la Différence, qui est la reproduction du rapport d’habilitation à diriger des recherches, intitulé « Les coulisses de l’écriture », présenté par Mme Y… le 10 décembre 2005 à l’université Paris IV-Sorbonne ; que cet ouvrage contient une analyse textuelle d’un passage du livre, « Le sacre de l’auteur », que M. X… avait fait paraître en 2004 ; que celui-ci, estimant que cette analyse était diffamatoire à son égard, a fait assigner l’auteur et l’éditeur de l’ouvrage devant une juridiction de l’ordre judiciaire ; que Mme Y… a soulevé l’incompétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour connaître du litige ;
Attendu que, pour dire que les juridictions de l’ordre judiciaire étaient compétentes pour connaître de l’action en diffamation engagée par M. X…, l’arrêt attaqué relève que le lien entre la faute reprochée et les fonctions exercées n’était pas établi dès lors que la publication par une maison d’édition privée d’un ouvrage destiné au public, plus de deux années après les recherches universitaires ayant permis à Mme Y… d’obtenir une habilitation à diriger des recherches, était un fait matériel détachable des fonctions administratives d’enseignement ;
Qu’en statuant ainsi, alors que, quel qu’en soit le support, la publication d’un ouvrage, qui est le résultat de recherches universitaires, entre dans la mission du service public de l’enseignement supérieur et relève des fonctions des enseignants-chercheurs qui s’exercent dans le domaine de la diffusion des connaissances, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Et attendu que la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a dit que les juridictions de l’ordre judiciaire étaient compétentes pour connaître de l’action engagée par M. X…, l’arrêt rendu, entre les parties, le 16 septembre 2009 par la cour d’appel de Versailles ;
Dit n’y avoir lieu à renvoi ;
Dit que les juridictions de l’ordre judiciaire sont incompétentes pour connaître du litige ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Condamne M. X… aux dépens exposés devant les juges du fond et devant la Cour de cassation ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne M. X… au paiement d’une somme de 3 000 euros à Mme Y… ; rejette le surplus des demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois février deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Peignot et Garreau, avocat aux Conseils pour Mme Y….
Le moyen reproche à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir dit que les juridictions de l’ordre judiciaire sont compétentes pour connaître de l’action en diffamation engagée par Monsieur X… à l’encontre de Madame Y…, Professeur de littérature à l’université de TOURS, à raison de la publication d’un ouvrage intitulé « Plagiats, les coulisses de l’écriture »,
AUX MOTIFS QUE « l’exception d’incompétence des tribunaux de l’ordre judiciaire a été soulevée à titre subsidiaire devant le juge de la mise en état du tribunal de grande instance qui faisant droit à la demande principale de nullité de l’assignation, n’a pas répondu aux conclusions sur ce point dont est saisie la cour par l’effet de l’appel ;
Madame Y… soutient que l’ouvrage litigieux est le fruit de recherches universitaires, travaux entrepris dans le cadre d’une mission de service public et les juridictions administratives sont compétentes pour connaître d’une action fondée sur une action de service ;
La décision de l’université François RABELAIS de TOURS, d’accorder sa protection juridique, ne suffit pas à établir le lien entre la faute reprochée et les fonctions exercées dès lors qu’en l’espèce, la publication par une maison d’édition privée, d’un ouvrage destiné au public, plus de deux années après les recherches universitaires lui ayant permis d’obtenir une habilitation à diriger est un fait matériel détachable des fonctions administratives d’enseignement, peu important que Madame Y… ait renoncé, pour le premier tirage fixé à 2000 exemplaires, à ses droits d’auteur et qu’un débat puisse s’instaurer sur l’intention malicieuse ;
Il y a lieu de rejeter l’exception d’incompétence et de renvoyer les parties devant le tribunal de grande instance de VERSAILLES, qui a compétence pour rechercher si les faits reprochés à Madame Y… peuvent être qualifiés de diffamatoires ou non »,
ALORS QUE le litige relatif au contenu d’un ouvrage réalisé par un enseignant-chercheur dans le cadre de ses fonctions au sein du service public de l’enseignement supérieur que sont la recherche scientifique et technologique, la diffusion et la valorisation de ses résultats, relève, en l’absence de faute détachable de ses fonctions, de la compétence des juridictions de l’ordre administratif, de sorte qu’en affirmant, pour retenir la compétence du juge judiciaire, que la publication d’un ouvrage qui n’est que la reproduction in extenso du rapport établi en vue de l’obtention de l’habilitation à diriger des recherches par Madame Y…, enseignant-chercheur, et qui a eu lieu « plus de deux années après les recherches universitaires lui ayant permis d’obtenir une habilitation à diriger, est un fait matériel détachable des fonctions administratives d’enseignement », la Cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790 ainsi que le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 123-3 et 952-3 du Code de l’éducation.