Chapitre deux- Responsabilité administrative et responsabilité des agents de l’administration
Dans les hypothèses où un agent de l’administration occasionne un préjudice dont il est demandé réparation, trois questions vont se poser (R. Chapus, Droit administratif général, t.1, ouv. précité, p. 1383 s.).
Il s’agit, tout d’abord, de déterminer s’il convient d’engager la responsabilité personnelle de l’agent, la responsabilité de l’administration dont il relève ou bien les deux.
Si c’est la responsabilité de l’administration qui est recherchée, il faut ensuite déterminer si elle doit supporter la charge définitive de la responsabilité, ou si elle peut se retourner contre son agent.
Enfin, si c’est au contraire l’agent qui est attaqué, il se pose la question de l’exercice éventuel d’une action récursoire à l’encontre de l’administration.
La résolution de la première question suppose que l’on s’interroge sur la distinction entre la faute de service et la faute personnelle. La résolution des deux autres questions pose le problème de la répartition de la charge de la dette.
Section I- Faute personnelle et faute de service
La distinction opérée entre la responsabilité personnelle et la responsabilité du service public est issue de l’arrêt Pelletier du Tribunal des conflits du 30 juillet 1873 (Rec. 1er supplt, concl. David ; D. 1974, III, p.5, note David), qui fait suite à l’abandon du système de la garantie des fonctionnaires qui résultait de l’article 75 de la Constitution de l’an VIII. En application de ce texte, un agent public ne pouvait voir sa responsabilité civile ou pénale mise en cause qu’en cas d’autorisation donnée par le Conseil d’Etat.
Ce système, qui a été source de nombreux abus, avait été supprimé par un décret-loi du 19 septembre 1870. Cet abandon ne signifiait pas, pour autant, que les fonctionnaires pouvaient désormais être attaqués devant les juridictions judiciaires pour l’ensemble des dommages résultant de leurs activités. Le Tribunal des conflits a donc défini une règle de compétence qui conduit à distinguer deux hypothèses : celle où les faits reprochés à l’agent se rapportent à un fait personnel et celle où ils se rapportent à un fait de fonction.
La terminologie employée par le Conseil d’Etat a ensuite évolué pour aboutir à une nouvelle distinction établie entre la faute de service, qui n’est pas détachable de l’exercice des fonctions, et les autres fautes qui sont qualifiées de fautes personnelles.
§I- Notion de faute de service
A l’époque des arrêts Blanco (requête numéro 00012, préc.) et Pelletier, il n’est pas encore question de responsabilité pour faute de l’administration. Cependant, la distinction entre la faute de service et la faute personnelle avait déjà été ébauchée par Laferrière dans ses conclusions sur l’arrêt du Tribunal des conflits du 5 mai 1877 Laumonnier-Carriol : « si l’acte dommageable est impersonnel, s’il révèle un administrateur … plus ou moins sujet à erreur, et non l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences, l’acte reste administratif et ne peut être déféré aux tribunaux » (Rec. p. 437). On pourrait ajouter à cette définition très actuelle l’hypothèse de fautes professionnelles caractérisées, qui dénotent une incompétence et un manque de sérieux avéré de la part de l’agent.
Cette approche permet de distinguer deux types de fautes de service.
Dans certains cas, la faute de service est anonyme, c’est-à-dire qu’il est impossible ou très difficile de déterminer la personne physique qui est l’auteur des agissements qui la constituent.
Exemple :
– CE Ass., 10 avril 1992, requête numéro 79027, Epoux V. (Rec. p.171, concl. Legal ; AJDA 1992, p.355, concl. Legal ; RFDA 1992, p.571, concl. Legal ; D. 1993 somm. comm. p.146, obs. Bon et Terneyre ; JCP 1992, II, 218881, note Moreau ; LPA 3 juillet 1992, note Haïm) : une succession d’erreurs commises par plusieurs agents d’un établissement de santé public sont constitutifs d’une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement.
Dans cette hypothèse, les juges se bornent à relever l’existence d’un dysfonctionnement qui permet d’engager la responsabilité de l’administration.
Même s’il s’agit d’une fiction – et plus précisément d’un anthropomorphisme – ils considèrent que c’est l’administration elle-même qui est l’auteur de la faute, négligeant par là même l’agissement individuel qui est nécessairement à son origine.
Exemple :
– CAA Marseille, 8 février 2007, requête numéro 03MA01445, Commune de Cavalaire-sur-mer : les « fautes commises » par l’Etat, la commune de Cavalaire-sur-mer, la commune de la Croix Valmer et le SIVOM du littoral des Maures permettent de regarder ces personnes morales de droit public comme responsables du préjudice subi par une société à l’occasion de la mise en œuvre d’une opération d’aménagement.
Dans d’autres cas, l’auteur de l’agissement à l’origine de la faute de service est identifié, mais la faute n’est pas considérée comme détachable du service et seule l’administration peut être poursuivie.
Exemple :
– TC, 5 novembre 2004, requête numéro C3426, Préfet des Hauts-de-Seine : les propos tenus par le directeur de la police aux frontières d’un aéroport, dans l’exercice de ses fonctions, en réponse aux questions d’un journaliste, qui visait à expliquer les motifs d’une décision prise par l’autorité administrative, sur sa proposition, à l’encontre d’un fonctionnaire employé à la sécurité aérienne dont il n’a pas révélé l’identité, ne saurait être regardés comme constitutifs d’une faute personnelle détachable du service.
§II- Notion de faute personnelle
La notion de faute personnelle présente un certain nombre de spécificités et elle peut revêtir différents aspects.
I- Spécificité de la notion de faute personnelle
La notion de faute personnelle présente un caractère original, qui ne permet pas de la confondre avec d’autres notions.
Ainsi, la faute personnelle ne se confond pas avec la faute pénale (TC, 14 janvier 1935, Thépaz : Rec. p. 1224 ; S. 1935, III, p. 17, note Alibert).
Exemple :
– CAA Nantes, 28 décembre 2006, requête numéro 06NT00975, Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions :une patiente, placée dans la salle d’isolement du service psychiatrique d’un centre hospitalier des armées, a volontairement déclenché un incendie qui a provoqué la mort de cinq patients. A raison de ces faits, le tribunal correctionnel de Rennes a condamné le médecin-chef et l’officier de sécurité du centre hospitalier à dix mois d’emprisonnement avec sursis pour homicide involontaire, à titre de peine principale, mais a déclaré irrecevables, en l’absence de faute personnelle détachable du service commise par ces deux officiers, les demandes de dommages-intérêts présentées par les ayants droits des victimes. En l’espèce, la cour relève que les dommages subis sont imputables à la fois à l’auteur de l’incendie et à l’absence de consignes et d’exercices pratiques concernant les problèmes d’incendie et la prise en charge spécifique des malades devant être isolés en secteur psychiatrique, ainsi qu’à l’absence d’une installation centralisée de détection incendie. Ces faits ont été aggravés par l’absence de fouille de la patiente, qui a été laissée en possession de son briquet. Ainsi, ces différents manquements révèlent une faute dans l’organisation du service. La cour confirme la décision contestée du tribunal administratif de Rennes qui avait mis à la charge de l’Etat 75 % des dommages dont il est demandé réparation, les 25% restants étant à la charge de l’auteur de l’incendie.
La notion de faute personnelle ne se confond pas non plus avec la notion de faute disciplinaire. En effet, comme le rappelle le Conseil d’Etat dans son arrêt Blanc et a. du 6 avril 2016 (requête numéro 380770, préc) : « la décision par laquelle une autorité administrative inflige, dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, une sanction à un agent placé sous son autorité a pour seul objet de tirer, en vue du bon fonctionnement du service, les conséquences que le comportement de cet agent emporte sur sa situation vis-à-vis de l’administration ». Au demeurant « la victime d’un dommage causé par un agent public dans l’exercice de ses fonctions a la possibilité d’engager une action en réparation, en recherchant, soit la responsabilité de l’administration pour faute de service, soit la responsabilité personnelle de l’agent », ce qui implique bien que des faits identiques ne seront pas nécessairement qualifiés de faute personnelle et de faute disciplinaire.
De la même façon, des faits constitutifs d’une voie de fait ne sont pas nécessairement constitutifs d’une faute personnelle.
Exemple :
– TC, 2 décembre 1991, requête numéro 02682, Paolucci (Rec. p. 482 ; D. 1992, inf. rap. p. 67 ; Droit adm. 1992, 139) : les juges précisent qu’en l’espèce aucune voie de fait ni aucune faute personnelle n’ont été commises, ce qui implique qu’il s’agit bien de deux notions distinctes.
Ces solutions peuvent paraître contestables, mais elles se justifient par le fait que l’agent mis en cause pouvait penser agir dans l’intérêt du service. Il est évident, toutefois, dans l’hypothèse d’une faute pénale, que plus l’infraction commise est grave, plus la faute personnelle aura des chances d’être reconnue. Ainsi, s’il est possible qu’un délit résultant d’une imprudence soit qualifié de faute de service, un crime doit normalement être qualifié de faute personnelle.
Il faut enfin souligner que la faute personnelle ne doit pas être appréciée de manière identique par le juge selon qu’elle est appréhendée dans le cadre du contentieux de la responsabilité administrative ou dans celui du contentieux de la protection fonctionnelle (sur cette notion V. infra p. 635 s.). A l’occasion de son arrêt Garde des sceaux du 11 février 2015 le Conseil d’Etat a précisé qu’est une faute personnelle commise à l’occasion du service et justifiant l’exclusion de la protection fonctionnelle « une faute d’un agent de l’Etat qui, eu égard à sa nature, aux conditions dans lesquelles elle a été commise, aux objectifs poursuivis par son auteur et aux fonctions exercées par celui-ci est d’une particulière gravité » (requête numéro 372359 : Rec. p. 60 ; AJDA 2015, p. 944, concl. van Coester ; Dr. adm. 2015, 43, note Fort ; JCP A 2015, 2112, note Jean-Pierre).
Cette solution apparaît de prime abord en décalage avec la jurisprudence du Tribunal des conflits dont il résulte que la faute commise par un agent « qui n’était animé par aucun intérêt personnel … dans l’exercice de ses fonctions et avec les moyens du service … ne saurait être regardée, quelle que soit sa gravité, comme une faute personnelle détachable du service » (TC, 19 octobre 1988, requête numéro 03131, Préfet du Tarn c. CA Toulouse : Rec. p. 822 ; D. 1999, jurispr. p. 127, note Gohin ; JCP G 1999, II 10225, concl. Sainte-Rose, note du Cheyron).
Elle semble également ne pas concorder avec la jurisprudence de la Cour de cassation dont il résulte qu’une faute personnelle n’est détachable du service « que s’il est démontré que leur auteur a agi dans une intention malveillante ou pour satisfaire un intérêt personnel étranger au service public » (Cass. Civ 1ère, 9 décembre 1986, Bull. civ. I n°295).
Ces deux dernières décisions concernent toutefois l’appréciation de la faute personnelle dans le contentieux de la responsabilité administrative, et non pas dans le contentieux de la protection fonctionnelle. Dans le contentieux de la responsabilité administrative, dans le but de mieux protéger les victimes, le Conseil d’Etat prône à la fois une conception extensive de la faute de service, et une conception étroite de la faute personnelle détachable du service, de façon à faire jouer plus facilement le mécanisme de cumul des responsabilités (sur cette notion V. infra p. 632f s.). Dans une affaire célèbre, il a ainsi été admis qu’une faute personnelle commise par un gendarme coupable d’un assassinat n’est pas dépourvue de tout lien avec le service « alors même qu’il a été commis … en dehors de ses heures de service et avec son arme personnelle » (CE, 18 novembre 1988, requête numéro 74952, Epoux Raszewski Rec. p. 416 ; JCP G 1989, II, 21211, note Pacteau). La situation est différente, en revanche, dès lors que c’est l’agent qui demande la protection fonctionnelle. Dans ce cas, en effet, il n’y a aucune raison de lui offrir une garantie qu’il ne mérite pas lorsqu’il fait preuve d’une incompétence manifeste où, comme dans l’arrêt du 11 février 2015, d’un manquement avéré aux principes déontologiques de sa profession.
II- Les différents types de fautes personnelles
Selon la présentation proposée par le professeur Chapus (Droit administratif général, t.1, préc. p.1387 s.), il convient de distinguer trois types de fautes personnelles qui se caractérisent toutes par le fait qu’elles sont détachables de l’exercice des fonctions de l’agent.
A- Fautes personnelles commises à l’occasion des fonctions de l’agent
Dans certains cas, la faute personnelle a été commise à l’occasion des fonctions de l’agent, mais les agissements de celui-ci présentent une telle gravité qu’ils ne sauraient être qualifiés de faute de service.
Exemples :
– TC, 21 juin 2004, requête numéro C3389, Quitman : commet une faute personnelle un policier chargé de régler la circulation automobile qui, après avoir fait signe de s’arrêter à un automobiliste, a volontairement sorti son arme et fait feu sur celui-ci, sans motif légitime.
– CE, 2 mars 2007, requête numéro 283257, Banque française commerciale de l’océan indien : commet une faute personnelle le maire d’une commune qui a établi des certificats administratifs attestant faussement de la réalisation de travaux dans un but d’enrichissement personnel.
– CE, 12 décembre 2008, requête numéro 296982, Ministre de l’Education nationale c. Hammann : pendant une période de deux ans un instituteur à infligé des violences consistant notamment en gifles et coups, sur une quinzaine d’enfants de l’école primaire où il travaillait. Ces agissements sont d’une gravité suffisante pour caractériser, bien qu’ils soient intervenus dans le service, une faute personnelle détachable de l’exercice par l’enseignant de ses fonctions. Si des rapports d’inspection font état d’un climat de confiance régnant dans la classe ainsi que des qualités manifestées par l’intéressé dans ses fonctions tant d’enseignant que de directeur d’école, ces circonstances ne sont pas de nature à retirer aux faits leur gravité.
– Cass. 1re civ., 23 février 2011, pourvoi numéro 09-72.059, Maurel-Indart c. Edelman (JCP A 2011, 2289, note Renard-Payen) : la publication d’un ouvrage qui est le résultat de recherches universitaires entre dans la mission du service public de l’enseignement supérieur et relève des fonctions des enseignants-chercheurs qui s’exercent dans le domaine de la diffusion des connaissances. En conséquence, même si cette publication a lieu auprès d’un éditeur privé, c’est le juge administratif qui est compétent pour connaître de l’action en diffamation engagée contre l’auteur d’un travail universitaire.
Plus généralement, comme l’a relevé la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 30 septembre 2008 (pourvoi numéro 07-82.249), est une faute personnelle « détachable de la fonction d’un agent public, même si elle n’est pas dépourvue de tout lien avec son service, celle qui révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique, qui comporte une intention de nuire ou présente une gravité inadmissible ou particulière compte tenu des règles déontologiques de la profession ».
Un arrêt plus récent de la chambre criminelle se montre quant à lui plus favorable à une conception particulièrement restrictive de la faute personnelle en considérant que « la faute, quelle que soit sa gravité, commise par un agent du service public, dans l’exercice de ses fonctions et avec les moyens du service, n’est pas détachable de ses fonctions » (Cass. crim., 30 novembre 2010, pourvoi numéro 10-80.447, G. : AJDA 2011, p. 349).
Toutefois, la jurisprudence la plus récente de la chambre criminelle paraît avoir renoué avec celle de 2008, mais sans pour autant se référer implicitement à la notion de « faute personnelle détachable du service », notion dont il faut bien reconnaître qu’elle est peu propice à s’appliquer à des fautes, mêmes graves, commises dans le cadre du service. Dans un arrêt du 29 novembre 2016 (pourvoi numéro 15-80.229) elle a en effet considéré que « si la responsabilité de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics est engagée en raison des fautes commises par leurs agents lorsque ces fautes ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n’est pas exclusive de celle des agents auxquels est reproché un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique ». Elle précise ce principe en affirmant que « la seule circonstance que le prévenu (ait) commis les faits reprochés dans l’exercice de ses fonctions ne pouvait exclure que son comportement relevât d’un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique ». Contrairement à la cour d’appel, la chambre criminelle considère donc que le harcèlement moral commis dans le cadre de ses fonctions par un maire qui a été condamné pénalement peut également constituer une faute personnelle engageant sa responsabilité personnelle.
B- Fautes personnelles commises en dehors de l’exercice des fonctions de l’agent mais présentant un lien avec elles
Ces fautes sont considérées, selon l’expression consacrée par la jurisprudence, comme « non dépourvues de tout lien avec le service ».
Le plus souvent, il s’agit de fautes commises dans le prolongement de l’accomplissement du service.
Exemple :
– CAA Paris, 26 juin 2006, requête numéro 03PA01323, Ministre de la Défense : le chauffeur militaire qui détourne la destination normale du véhicule qui lui a été confié pour l’accomplissement d’une mission déterminée commet une faute personnelle.
Relèvent également de cette catégorie les fautes commises en dehors du service grâce aux moyens du service.
Ces moyens peuvent être matériels.
Exemple :
– CE Ass., 26 octobre 1973, requête numéro 81977, Sadoudi (Rec. p. 603 ; AJDA 1973, p. 582, chron. Franc et Boyon ; D. 1974, p. 255, note Auby ; JCP 1974, 17596, note Franck ; RDP 1974, p. 554, note Waline et p. 936, concl. Bernard) : un accident survenu en dehors du temps de service peut néanmoins être tenu pour lié au service, si son auteur était astreint à porter l’arme à l’origine des dommages dont il est demandé réparation en dehors des heures de service.
En revanche, la faute personnelle n’est pas rattachable au service dans le cas où l’arme a été sciemment utilisée pour perpétrer un homicide volontaire (CE, 12 mars 1975, requête numéro 94207, Pothier : Rec. p. 190 ; Rev. adm. 1975, p. 268, note Moderne).
Ils peuvent également consister en la connaissance des dossiers qu’un agent, animé d’intentions malveillantes, peut acquérir du fait des fonctions qui sont les siennes.
Exemple :
– CAA Paris, 17 décembre 2003, requête numéro 99PA04181, Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales : commet une faute personnelle non détachable du service un enquêteur de police qui a profité de ses contacts avec un indicateur, exerçant la profession de serrurier, pour cambrioler une bijouterie.
Mais la distinction entre faute de service et faute personnelle n’est pas toujours évidente à établir. Tel est le cas notamment dans une affaire où en revanche, il a été jugé, de façon assez surprenante, que si le fait, pour l’ancien directeur central des renseignements généraux d’avoir, après avoir quitté ses fonctions, conservé à son domicile des carnets relatant des informations dont la vocation était d’être utilisées pour le service constitue une faute, celle-ci, « dès lors que l’intéressé n’a pas conservé ces carnets en vue de s’en servir à des fins personnelles, n’a pas revêtu le caractère d’une faute personnelle » alors même que des extraits étaient publiés dans la presse (CE, 20 avril 2011, requête numéro 332255, Bertrand : AJDA 2011, p. 1441, note Lagrange).
C- Fautes personnelles dépourvues de tout lien avec le service
Généralement, il est assez facile d’identifier ce type de faute. En effet, elle présente un caractère exclusivement « privé » : elle n’a pas été commise à l’occasion du service et elle n’a pas été rendue possible par la détention régulière de moyens du service.
Exemple :
– CE, 13 mai 1991, requête numéro 82316, Société d’assurances Les mutuelles unies (Droit adm. 1991, 351 ; LPA 27 mai 1992, p. 15, note Pacteau ; RDP 1991, p. 1642) : un pompier allume un incendie en dehors de ses heures de service. Bien qu’il ait utilisé les connaissances acquises lors de l’exercice de sa profession, la faute personnelle ainsi commise est considérée comme dépourvue de tout lien avec le service.
Section II- Détermination de la charge de la dette
De prime abord, cette question peut être facilement résolue. En effet, on pourrait penser qu’en cas de faute de service, c’est l’administration qui doit être poursuivie devant le juge administratif et qu’en cas de faute personnelle, c’est l’agent qui doit être poursuivi devant le juge judiciaire, et cela y compris dans le contentieux des dommages de travaux public (TC, 15 mai 2017, requête numéro 4080, Homand : Dr. adm. 2017, 45, note Eveillard). La réalité est toutefois plus complexe. Il existe en effet des hypothèses de cumul et de substitution de responsabilités ainsi que des possibilités de recours contre l’administration par l’agent condamné et contre cet agent par l’administration si c’est elle qui a fait l’objet d’une condamnation.
§I- Cumul et substitution de responsabilités
La responsabilité personnelle de l’agent n’est pas nécessairement exclusive de la responsabilité de l’administration : dans certains cas, la victime dispose d’une option. Elle peut attaquer soit l’agent soit l’administration. C’est le système de cumul des responsabilités qui a été dégagé par la jurisprudence. Dans d’autres cas, la responsabilité personnelle de l’agent est écartée au profit de la responsabilité de l’administration. C’est le système de substitution de responsabilité, qui résulte nécessairement d’un texte.
Dans tous les cas la solution est favorable à la victime : en effet, l’administration est toujours solvable et il sera donc plus intéressant d’engager une action devant le juge administratif plutôt que devant le juge judiciaire.
I- Cumul des responsabilités
Avant de reconnaître la possibilité d’un cumul des responsabilités, le Conseil d’Etat a d’abord admis la possibilité d’un cumul des fautes dans l’arrêt du 3 février 1911 Anguet (Rec. p. 146 ; S. 1911, III, p. 137, note Hauriou).
En l’espèce, un usager s’était retrouvé enfermé dans un bureau de poste dont la porte principale avait été fermée prématurément parce que l’horloge du bureau avançait. Une faute de service avait donc été commise. L’usager a ensuite été contraint d’emprunter une porte réservée au service. Il s’est retrouvé alors dans une salle où des agents réalisaient le tri de valeurs postales. Les postiers l’ont expulsé violemment ce qui lui a occasionné des blessures sérieuses. Une faute personnelle avait donc également été commise.
Dans de telles hypothèses de coexistence d’une faute personnelle et d’une faute de service, le Conseil d’Etat admet la possibilité pour la victime de demander la réparation de l’ensemble du préjudice subi au juge administratif.
Le cumul des responsabilités a ensuite été admis à l’occasion de l’arrêt Epoux Lemonnier du 26 juillet 1918 (Rec. p. 761 ; D. 1918, III, p. 9, concl. Blum, note Hauriou). En l’espèce, un concours de tir avait été organisé dans une commune. Les tireurs et les cibles étaient placés sur les deux rives d’une rivière, les cibles se trouvant devant un sentier pour promeneurs. Des promeneurs se sont alors plaints des balles qui sifflaient à leurs oreilles, mais le maire négligea de prendre les mesures nécessaires.
Le Conseil d’Etat admet ici que lorsqu’une faute personnelle du premier type est commise – c’est-à-dire une faute personnelle commise à l’occasion du service – la victime dispose d’une option : elle peut rechercher la responsabilité personnelle de l’agent, ou celle de l’administration (sur l’application du cumul des responsabilités en cas de conflit négatif et sur l’obligation faite aux juges des deux ordres de juriddiction de veiller à ce que le montant total des indemnités accordées ne dépasse pas celui celui du préjudice. V. TC, 19 mai 2014, requête numéro C3939, Bertet : AJDA 2014, p. 1010 ; Dr. adm. 2014, 60, note Eveillard). Le cumul des responsabilités constitue donc une sorte de garantie par l’administration des fautes personnelles subies par les victimes.
Le cumul des responsabilités a ensuite évolué à l’occasion de trois arrêts d’Assemblée du 18 novembre 1949, Mimeur, Defaux et Bethelsemer (Rec. p.492 ; D. 1950 p.667, note J.G. ; JCP 1950, 5286, concl. Gazier ; RDP 1950, p.183, note Waline). Avec cette évolution, la garantie de l’administration est également étendue aux fautes personnelles du second type, c’est-à-dire aux fautes personnelles commises en dehors du service, mais avec les moyens du service.
Dans l’arrêt Mimeur, par exemple, les juges retiennent que dès lors qu’un véhicule a été confié à son conducteur pour l’exécution d’un service public, l’accident imputable à une faute de ce conducteur ne saurait être regardé comme dépourvu de tout lien avec le service et engage la responsabilité de l’administration à l’égard de la victime, même s’il s’est produit alors que ledit conducteur s’était écarté de son itinéraire normal pour des fins strictement personnelles.
Par conséquent, le cumul des responsabilités n’est désormais exclu que pour le troisième type de fautes personnelles, c’est-à-dire pour les fautes sans lien avec le service.
II- Substitution de responsabilité
Dans cette hypothèse le système de garantie bénéficie non seulement aux victimes, mais également aux agents auteurs d’une faute personnelle. En effet, les victimes ne disposent plus d’une option, mais de l’obligation d’actionner la personne publique plutôt que son agent.
Exemples :
– Une loi du 5 avril 1937, codifiée à l’article L.911-4 du Code de l’éducation prévoit que « dans tous les cas où la responsabilité des membres de l’enseignement public est engagée à la suite ou à l’occasion d’un fait dommageable commis, soit par les enfants ou jeunes gens qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit à ces enfants ou jeunes gens dans les mêmes conditions, la responsabilité de l’Etat sera substituée à celle desdits membres de l’enseignement, qui ne pourront jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants ». L’Etat, une fois condamné par le juge judiciaire, peut ensuite exercer une action récursoire contre son agent, voire contre un tiers, conformément au droit commun de la responsabilité administrative, c’est-à-dire devant le juge administratif lorsqu’est en cause un agent et devant le juge judiciaire si c’est un tiers qui est attaqué (CE, 13 juillet 2007, requête numéro 297390, Ministre de l’Education nationale : Rec. p. 336).
– La loi n°85-677 du 5 juillet 1985 reprenant le principe posé par la loi n°57-775 1424 du 31 décembre 1957, attribue aux tribunaux judiciaires compétence exclusive pour connaître de toute action en responsabilité extracontractuelle formée en raison de dommages causés par un véhicule quelconque appartenant à une personne publique ou placé sous sa garde. La responsabilité de la personne publique est alors substituée à celle de l’agent.
§II- Recours ouverts à l’administration contre son agent
Lorsque la faute pour laquelle l’administration a été condamnée est une faute de service, elle ne dispose d’aucune possibilité pour se retourner contre son agent.
A l’origine, lorsque cette faute est une faute personnelle, qu’elle soit la seule cause du dommage ou qu’elle coexiste avec une faute de service, l’administration condamnée n’était pas autorisée à se retourner contre son agent. Cette solution, qui aboutissait à une immunité totale de l’agent était critiquable à la fois d’un point de vue moral, mais également du point des finances publiques et de celui du bon fonctionnement des services publics (V. par ex. à propos d’une officier qui avait fait fusiller un civil CE, 28 mars 1924, Poursines : S. 1926, III, p. 17, note Hauriou).
Le Conseil d’Etat va finalement admettre le principe d’une action récursoire. Comme le précisent les arrêts d’Assemblée du 28 août 1951, Laruelle et Delville (Rec. p.464 ; D. 1951, p.623, note Nguyen Do ; JCP 1951, 6532, note J.-J. R. ; JCP 1952, 6734, note Eisenmann ; RDP 1951, p. 1087, note Waline ; S. 1952, III, p. 25, note Mathiot) « si les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ne sont pas pécuniairement responsables des conséquences dommageables de leurs fautes de service, il ne saurait en être ainsi lorsque le préjudice qu’ils ont causé à ces collectivités est imputable à des fautes personnelles détachables de l’exercice de leurs fonctions ». Les mêmes arrêts admettent le principe de la compétence de la juridiction administrative pour connaître de cette action (V. également se ralliant à cette solution TC, 26 mai 1954, Moritz : Rec. p. 708 ; JCP G 1954, II, 8334, note Vedel ; S. 1954, III, p. 85, concl. Letourneur ; Cass. 1re civ., 21 octobre 1957 : AJDA 1958, n° 52, p. 45).
Si le dommage a pour seule origine une faute personnelle, la personne publique peut exercer une action récursoire pour le tout.
Exemple :
– CE, 17 décembre 1999, requête numéro 199598, Moine (JCP G, 2001, II, 10508, note Piastra) : le requérant, militaire de carrière, avait tué une personne par un tir à balles réelles en dehors de tout exercice organisé par l’autorité supérieure. Cette faute a été de nature à engager envers l’Etat la responsabilité pécuniaire du requérant. La circonstance que celui-ci a, du fait de tels agissements, été radié des cadres de l’armée active par mesure disciplinaire « pour faute grave dans le service » ne faisait pas obstacle à la possibilité qu’avait le ministre de la Défense d’engager une action récursoire à l’encontre de cet agent en se fondant sur le fait que la faute commise, bien qu’étant intervenue dans le service, avait le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice par l’intéressé de ses fonctions. En raison de son extrême gravité, cette faute justifie qu’ait été mise à la charge du requérant la totalité des conséquences dommageables qui en sont résultées.
Il faut relever que l’administration peut prendre en considération les transactions intervenues pour clore le litige civil relatif aux conséquences de l’accident causé par l’agent auteur de la faute personnelle, même si celui-ci n’y était pas partie, et lui réclamer le remboursement des sommes versées au titre de ces transactions (CE, 8 août 2008, requête numéro 297044, requête numéro 311386, Mazière : Rec. tables, p. 612 ; JCP A 2008, 2302, note Moreau ; AJDA 2008, p. 1565).
Si le dommage a pour origine une faute personnelle et une faute de service, l’action récursoire peut être exercée seulement pour une partie du préjudice subi, en fonction de l’influence respective de la faute personnelle et de la faute de service.
Exemple :
– CAA Bordeaux, 21 mars 2006, requête numéro 03BX00225, Mongaboure : un accident de la circulation occasionné par un agent à l’occasion du service est imputable à la fois à une faute personnelle de cet agent, qui se trouvait au moment de l’accident en état d’ébriété et à une faute de service. Eu égard à la gravité de la faute commise par le requérant et aux circonstances de fait, le ministre de l’Intérieur n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation de la part de responsabilité incombant à l’intéressé, en mettant à sa charge cinquante pour cent des conséquences dommageables qui sont résultées de l’accident.
Enfin, si le dommage a pour origine les fautes personnelles de plusieurs agents, ces agents ne sont pas tenus solidairement vis-à-vis de l’administration, qui devra exercer autant d’actions qu’il y a d’agents fautifs, comme le Conseil d’Etat l’a précisé dans l’arrêt de Section Jeannier du 22 mars 1957 (Rec. p. 196, concl. Kahn ; AJDA 1957 p. 186, chron. Fournier et Braibant ; JCP 1957, 10303 bis, note Louis-Lucas ; D. 1957 p. 748, concl Kahn, note Weil).
§III- Recours ouverts à l’agent contre l’administration
Un agent qui fait l’objet d’une action en responsabilité devant le juge civil, alors que la faute à l’origine du dommage dont il est demandé réparation est une faute de service, a le droit à être couvert par son administration d’origine. Ce droit est une composante de la garantie fonctionnelle qui leur est reconnu, en application de l’article 11 du Titre I du statut général de la fonction publique qui précise que « lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui ».
Ce principe s’applique à l’ensemble des agents publics, y compris lorsqu’il s’agit d’une autorité élue d’un établissement public (CE Sect., 8 juin 2011, requête numéro 312700, Farre : Rec. p. 170) ou d’un agent de la banque de France (CAA Versailles, 12 octobre 2017, requête numéro 15VE02740, Gaudin : AJDA 2018, p. 57, concl. Mégret) et alors même que l’intéressé a perdu la qualité d’agent public à la date de la décision statuant sur cette demande (CE, 26 juillet 2011, requête numéro 336114, Mirmiran : Rec. tales, p. 982). Elle s’étend aux collaborateurs occasionnels du service public (CE, 13 janvier 2017, requête numéro 386799, Fievet, préc.) voire même à un agent gréviste si les faits dommageables sont en relation avec l’exercice de ses fonctions (CE, 22 mai 2017, requête numéro 396453, Commune de Sète : JCP A 2017, 2200, note Fort).
Pour les agents qui ne relèvent pas du statut général de la fonction publique, ce droit résulte d’un principe général du droit dégagé par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt de Section du 26 avril 1963, Centre hospitalier régional de Besançon (Rec. p. 242, concl. Chardeau ; S. 1963, p. 338).
Ce principe a été reformulé de façon plus générale par le Conseil d’Etat – dissipant notamment des doutes concernant les agents relevant de statuts spécifiques – dans sont arrêt Garde des sceaux du 11 février 2015 (requête numéro 372359, préc.) dont il résulte qu’il existe un « principe général du droit qui s’applique à tous les agents publics, (selon lequel) lorsqu’un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions (en vertu duquel) il incombe à la collectivité publique dont il dépend de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales, sauf s’il a commis une faute personnelle ».
Notons cependant que les agents publics étrangers soumis par leur contrat non pas au droit français mais au droit local, comme par exemple les civils afghans recrutés par l’armée française à l’occasion de sa mission en Afghanistan, ne semblent pas devoir bénéficier pas de la protection fonctionnelle (CE, 16 octobre 2017, requête numéro 408344, Sadeqi.- CE, 16 octobre 2017, requête numéro 408374, M. et Mme Khodadad, préc.). Il s’agit ici d’une application de la jurisprudence Tegos qui admet que ce type de contrats peuvent ne pas être régis par le droit français (CE Sect., 19 novembre 1999, requête numéro 183648, Tegos : Rec. p. 356 ; JDI 2000, p. 742, note Flauss ; RFDA 2000, p. 833, concl. Arrighi de Casanova).
Le droit à la protection fonctionnelle implique notamment l’obligation, pour l’administration, de prendre en charge les frais de justice engagés par l’agent lorsqu’il est mis en cause pour des faits relatifs à l’exercice de ses fonctions, devant le juge civil ou devant le juge pénal.
De même, lorsqu’un agent est condamné par le juge judiciaire, alors que la faute à l’origine du dommage est une faute de service ou, plus fréquemment, lorsque la faute personnelle qui a été commise coexiste avec une faute de service, celui-ci peut se retourner contre l’administration.
Exemples :
– CE Ass. 5 avril 2002, requête numéro 238689, Papon (RDP 2002, p. 1513, note Degoffe et p. 1532, note Alvis) : le 2 avril 1998 Maurice Papon a été condamné par la cour d’assises de la Gironde pour complicité de crimes contre l’humanité pour ses activités en tant que secrétaire général de la préfecture de la Gironde durant l’occupation. Le 3 avril, la cour, statuant sur les dommages-intérêts a condamné Papon à verser aux parties civiles une somme globale équivalent à plus de 700 000 euros. Il a alors demandé à l’Etat de le couvrir pour l’intégralité de cette somme. Le Conseil d’Etat a jugé que le comportement zélé du requérant « qui ne peut s’expliquer par la seule pression exercée … par l’occupant allemand, revêt, eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, un caractère inexcusable et constitue par là-même une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions ». Cependant, une faute de service doit également être retenue, la politique de l’Etat français sous l’occupation, ayant « permis et facilité, indépendamment de l’action de M. Papon, les opérations qui ont été le prélude à la déportation ». Compte tenu de la coexistence d’une faute personnelle et d’une faute de service, l’Etat est condamné à prendre à sa charge la moitié du montant total des condamnations civiles prononcées à l’encontre du requérant.
– CE, 12 mars 2010, requête numéro 308974, Commune de Hoenheim (AJDA 2010, p. 1138, chron. Liéber et Botteghi ; AJFP 2010, p. 255, concl. Geffray ; JCP A 2010, 2154, note Jean-Pierre ; JCP G 2010, act. 389, obs. Sorbara) : des agissements répétés de harcèlement moral sont de ceux qui peuvent permettre, à l’agent public qui en est l’objet, d’obtenir la protection fonctionnelle contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont les fonctionnaires et les agents publics non titulaires pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions. La circonstance que l’agent se trouvait en congé de maladie lors de la présentation de sa demande tendant à l’obtention de la protection fonctionnelle n’excluait pas qu’il fût fait droit à cette demande, dès lors que des démarches adaptées à la nature et à l’importance des agissements contre lesquels cette protection était sollicitée pouvaient encore être mises en oeuvre.
Si l’autorité administrative a accordé la protection, elle peut y mettre fin pour l’avenir si elle constate postérieurement, et sous le contrôle du juge, l’existence d’une faute personnelle. En revanche, la décision accordant le bénéfice de la protection, qui est une décision créatrice de droits, ne peut être retirée, si elle est illégale, que dans un délai de 4 mois à compter de sa signature. Le retrait ayant un effet rétroactif, l’administration pourra réclamer à l’agent le remboursement des frais engagés pour assurer sa protection (CE, 22 janvier 2007, requête numéro 285710, Ministre des affaires étrangères : JCP A 2007, 2046, concl. Aguila, note Jean-Pierre ; AJDA 2007, p. 1190, note Chanlair). Enfin, la décision accordant la protection ne peut légalement être assortie d’une condition suspensive ou résolutoire, par exemple en indiquant qu’elle fait droit à la demande mais qu’elle pourra demander le remboursement des frais engagés si « une juridiction pénale venait à établir une faute personnelle » (CE, 14 mars 2008, requête numéro 283943, M.P.). En effet une telle condition ne peut porter que sur un événement futur, alors que la faute personnelle commise par l’agent est par nature antérieure à la décision accordant la protection. C’est seulement si des éléments nouveaux font apparaître une faute personnelle, que l’autorité compétente peut décider d’abroger pour l’avenir la décision octroyant la protection. Et encore faut-il rappeler que la possibilité d’abroger la décision accordant la protection fonctionnelle dans un tel cas, qui n’est pas soumise à une condition de délai par l’arrêt Portalis, paraît remise en cause par les dispositions de l’article L. 242-2 du Code des relations entre le public et l’administration qui réserve cette dérogation aux principes généraux du retrait des décisions créatrices de droit aux seules décisions conditionnelles (V. sur ce point supra p. 472).
§IV- Recours subrogatoires
Lorsque la victime est un assuré social, le juge peut être saisi à la fois d’un recours de la victime d’un dommage corporel et d’un recours subrogatoire de l’organisme de sécurité sociale à laquelle elle est affiliée.
Notons au préalable que cette possibilité n’est pas réservée aux seules caisses de sécurité sociale et aux sociétés d’assurance. Peut être également concerné le tiers co-auteur d’un dommage avec l’administration.
Exemple :
– CE Ass., 9 novembre 2015, requête numéro 342468, SAS Constructions mécaniques de Normandie et requête numéro 359548, MAIF et a. (AJDA 2016, p. 213, note Jacquemet-Gauché ; Energie-Env.-Infrastr. 2016, 15, note Trébulle ; JCP G 2016, 92, note Paillard ; JCP A 2015, act. 974, obs. Touzeil-Divina ; JCP S 2015, 1474, note Pradel, Pradel-Boureux et Pradel) : la commission par un employeur d’une faute inexcusable qui a justifié sa condamnation à l’égard de la victime par le juge judiciaire ne l’empêche pas d’engager une action subrogatoire contre l’Etat qui a également commis une faute en ne prenant pas les mesures nécessaires en vue de la prévention des risques liés à l’exposition des travailleurs aux poussières d’amiante. Il en ira toutefois autrement si l’employeur a commis délibérément une faute d’une particulière gravité.
Si l’on revient maintenant aux caisses de sécurité sociale, la loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 a opéré une réforme du droit des recours des tiers payeurs en modifiant le régime de l’exercice des recours subrogatoires des caisses contre le responsable d’un dommage corporel causé à un assuré social (Code de la sécurité sociale, article L. 376-1). Ce texte prévoit notamment que les recours subrogatoires des caisses de sécurité sociale contre les tiers doivent s’exercer poste par poste sur les seules indemnités qui réparent les préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel. Le même article précise que si le tiers payeur établit qu’il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s’exercer sur ce poste de préjudice.
En d’autres termes, excepté ce cas particulier, avant de statuer sur les droits respectifs de la victime et de la caisse, les juges doivent évaluer le montant total de l’indemnité à la charge du tiers, en distinguant la part revenant exclusivement à la victime destinée à réparer les préjudices de caractère personnel non couverts par les prestations sociales (CE, 8 août 2008, requête numéro 272033, Assistance publique Hôpitaux de Marseille). En effet, l’article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale permettait jusqu’alors aux caisses de demander au tiers responsable, même en cas de responsabilité partielle, le remboursement de toutes leurs dépenses, dans la limite de l’indemnité mise à la charge de ce tiers en application du droit commun de la responsabilité civile ou administrative. Ce recours était prioritaire par rapport à celui exercé par l’assuré social, lorsqu’il estimait que certains préjudices subis par lui n’avaient pas été réparés par les prestations de sécurité sociale. Ainsi, l’assiette des recours des caisses de sécurité sociale est désormais limitée et l’indemnisation des victimes est améliorée.
Dans un avis Magiet et Consorts Guignon du 4 juin 2007 (requête numéro 303422, requête numéro 304214 : AJDA 2017, p. 1800, concl. Boucher et Bourgeois-Machureau ; JCP A 2007, act. 601 ; JCP A 2008, 2055 ; JCP E 2007, 1897, note Guettier ; JCP S 2007, 1840, note Vachet ; RTD civ. 2017, p. 577, obs. Jourdain.- V. également CE Sect., 5 mars 2008, requête numéro 272447, CPAM Seine-Saint-Denis), le Conseil d’Etat a précisé ces dispositions. Il résulte de cette jurisprudence que les juridictions compétentes doivent effectuer quatre séries d’opérations :
– L’évaluation du montant du préjudice total subi par l’assuré social selon les règles du droit commun de la responsabilité administrative ;
– La fixation, poste de préjudice par poste de préjudice, de la part du montant de ce poste demeurée à la charge de l’assuré, faute pour le préjudice d’avoir été entièrement réparé par les prestations de sécurité sociale correspondantes. Il convient ici de distinguer les postes suivants : dépenses de santé, frais liés au handicap, pertes de revenus, incidence professionnelle et scolaire du dommage corporel (V. CE, 8 mars 2013, requête numéro 361273, Doget : AJDA 2013, p. 548, obs. Poupeau), autres dépenses liées au dommage corporel, et préjudices personnels ;
– La détermination, pour chaque poste, du montant de l’indemnité mise à la charge du tiers responsable. Compte tenu de la méthode retenue, ce montant sera égal à celui du poste si la responsabilité du tiers est entière, mais à une partie seulement de ce poste si elle n’est que partielle;
– L’octroi à la victime, pour chaque poste, dans la limite de l’indemnité mise à la charge du tiers responsable, d’une somme correspondant à la part du montant de ce poste demeurée à sa charge, le solde de l’indemnité étant, s’il n’est pas nul, accordé à la caisse.
Le Conseil d’Etat a eu ensuite l’occasion de préciser que les rentes qui ont été versées par les caisses primaires d’assurance maladie à la suite d’un accident du travail doivent être classées dans la catégorie des préjudices à caractère patrimonial (CE, 5 mars 2008, requête numéro 272447, CPAM Seine-Saint-Denis : AJDA 2008, p. 497, obs. Royer, concl. Thiellay ; D. 2008, p. 921 ; Gaz. Pal. 2-3 avril 2008, note Bernfeld et Bibal ; Resp. civ. et assur. 2008, 189 ; JCP A 2008, act. 242 ; JCP G 2008, IV, 1640 ; JCP S 2008, 1359, note Vachet ; Dr. adm. 2008, 87. – CE, 5 mars 2008, requête numéro 290962, Bencheikh : AJDA 2008, p. 941, concl. Thiellay). Cette précision est importante puisque, dans le nouveau dispositif législatif, seuls les préjudices patrimoniaux sont soumis aux recours des tiers payeurs. La portée de l’arrêt du 5 mars 2008 a ensuite été explicitée par un avis du 8 mars 2013 ( numéro 361273.- V. également CE, 7 octobre 2013, requête numéro 337851, Ministre de la Défense). Le Conseil d’Etat rappelle, tout d’abord, que la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité. En conséquence, le recours exercé par la caisse au titre d’une rente d’accident du travail ne saurait s’exercer que sur ces deux postes de préjudice et en particulier la rente ne saurait être imputée sur un poste de préjudice personnel.
Pour aller plus loin :
– Carius (M.), La gravité de la faute personnelle de l’agent public à l’épreuve du dualisme jurisdictionnel : AJFP 2018, p.6.
– Chifflot (N.), La causalité dans le droit de la responsabilité administrative. Passé d’une notion en quête d’avenir : Dr. adm. 2011, étude 20.
– Huet (P.), Observations sur le recours de l’Administration contre l’agent public ou la faute du lampiste : Rev. adm. 1970, p. 523.
– Long (M.), La responsabilité de l’administration pour les fautes personnelles : EDCE 1953, p. 80 s.
-Paillard (Ch.), Le préjudice indemnisable en droit administratif : Dr. Adm. 2011, étude 1.
– Vedel (G.), L’obligation de l’Administration de couvrir les agents publics des condamnations civiles pour fautes de service : Mélanges R. Savatier, Dalloz 1965, p. 915 s.
– Weckel (P.), L’évolution de la notion de faute personnelle : RDP 1990, p.1525.
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