RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 19 mars 2015), que Daniel X…est né le 4 novembre 1950 d’Yvette Y…et de Louis X…, décédé le 2 décembre 1976 ; que, par un testament olographe du 7 juin 2002, René Z…a reconnu « son petit neveu », Daniel X…, comme son fils et l’a institué légataire universel ; que ce testament a été révoqué par un testament authentique reçu le 11 février 2009, dans lequel René Z…instituait comme légataires son neveu, Bernard Z…, à hauteur de 60 %, d’une part, Antoine X…et Julien X…(fils de Daniel X…), chacun à hauteur de 20 %, d’autre part ; que René Z…est décédé le 11 septembre 2009 ; qu’estimant être le fils biologique de ce dernier, Daniel X…a, le 24 novembre 2011, assigné sa mère ainsi que les autres ayants droit de Louis X…aux fins de contestation de la paternité de celui-ci à son égard ; que, parallèlement, il a fait assigner Bernard Z…, pris en sa qualité de légataire universel de René Z…, ainsi que les autres légataires universels de ce dernier, aux fins d’établissement de sa paternité à son égard ; que les deux instances ont été jointes par le tribunal qui a déclaré l’action irrecevable comme prescrite ; qu’après avoir relevé appel de ce jugement, Daniel X…est lui-même décédé en cours d’instance, le 1er décembre 2014 ; que l’action a été reprise par ses héritiers ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé :
Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur les trois dernières branches du moyen :
Attendu que MM. Antoine et Julien X…et Mme Danièle A…veuve X…(les consorts X…) font grief à l’arrêt de constater l’expiration du délai quinquennal d’exercice de l’action en contestation de paternité et de déclarer cette action irrecevable alors, selon le moyen :
1°/ qu’en considérant, pour retenir que l’application en l’espèce des règles de prescription ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée, que l’action reprise par les consorts X…ne poursuivait qu’un intérêt patrimonial, après avoir pourtant constaté que MM. Antoine et Julien X…étaient les fils de Daniel X…, ce dont il résultait que l’impossibilité de faire établir, au travers de celle de leur père, leur ascendance portait une atteinte directe à leur vie privée, la cour d’appel a violé les articles 333 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
2°/ subsidiairement, qu’en considérant, pour retenir que l’application en l’espèce des règles de prescription ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée, que l’ascendance de Mme Danièle A…, veuve X…n’était pas en cause, quand la veuve dispose nécessairement d’un intérêt personnel, relevant du respect de sa vie privée, à faire établir la filiation de son défunt mari, la cour d’appel a violé les articles 333 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
3°/ et en tout état de cause, que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que les règles qui restreignent le droit d’une personne à voir établie sa filiation biologique portent atteinte au respect dû à sa vie privée et familiale ; qu’en jugeant pourtant que l’application des règles de prescription prévues par l’article 333 du code civil, qui enferment dans un délai de cinq ans à compter du jour où la possession d’état a cessé l’action en contestation de paternité, préalable nécessaire à l’action aux fins d’établissement de paternité, et qui font obstacle à une telle action lorsque la possession d’état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, ne portait pas au droit au respect de la vie privée une atteinte justifiant d’écarter ces règles, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, d’abord, que, si l’application d’un délai de prescription ou de forclusion, limitant le droit d’une personne à faire reconnaître son lien de filiation paternelle, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la fin de non-recevoir opposée aux consorts X…est prévue à l’article 333 du code civil et poursuit un but légitime, en ce qu’elle tend à protéger les droits et libertés des tiers ainsi que la sécurité juridique ;
Attendu, ensuite, que la cour d’appel a constaté, d’une part, que Daniel X…, dont la filiation paternelle était concernée, était décédé au jour où elle statuait ; qu’elle a relevé, d’autre part, que ses descendants ne soutenaient pas avoir subi, personnellement, une atteinte à leur vie privée du fait de l’impossibilité d’établir, au travers de celle de leur père, leur ascendance ; qu’après avoir retenu que cette considération était sans objet s’agissant de sa veuve, dont l’ascendance n’était pas en cause, elle en a déduit que l’action engagée par les consorts X…ne poursuivait qu’un intérêt patrimonial ; qu’en l’état de ces énonciations, elle a pu décider que l’application des règles prévues à l’article 333 du code civil ne portait pas au droit au respect de leur vie privée une atteinte excessive au regard du but légitime poursuivi, justifiant que ces règles fussent écartées et que l’action fût déclarée recevable ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne MM. Julien et Antoine X…et Mme Danièle A…veuve X…aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour MM. Julien et Antoine X…et Mme Danièle A…veuve X….
Il est fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR constaté l’expiration du délai quinquennal d’exercice de l’action en contestation de paternité et D’AVOIR déclaré cette action irrecevable ;
AUX MOTIFS QUE M. Antoine X…, M. Julien X…et Mme Danièle A…, veuve X…(les consorts X…), qui ne contestent pas que le délai de prescription prévu à l’article 333 du code civil trouve à s’appliquer, soutiennent que le droit positif français fait obstacle à l’établissement judiciaire de la filiation de leur auteur à l’égard de René Z…, en méconnaissance de principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme ; qu’ils soutiennent que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme considère de manière constante et continue depuis plusieurs années que constitue une atteinte à la vie privée l’impossibilité de faire établir sa filiation biologique dans certaines circonstances ; qu’en réponse, les intimés soutiennent tout d’abord que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, bien qu’ils puissent avoir une influence, n’ont pas de force obligatoire pour les juridictions françaises, qui ne sont pas tenues de s’y conformer, mais seulement d’appliquer le droit positif ; qu’ils font en outre valoir que la jurisprudence citée est inopérante, dans la mesure où elle ne vise que les cas où il existe des obstacles injustifiés à l’établissement de la filiation, ou des situations qui, telle la jurisprudence relatives aux mères porteuses, est hors de propos ; que, cependant, dans l’examen des affaires qui lui ont été déférées, et notamment dans les affaires Jäggi c. Suisse et Pascaud c. France citées par les consorts X…, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé qu’un équilibre devait être réalisé entre, d’une part, le droit à connaître son ascendance, qui ressortit du droit au respect de la vie privée, et, d’autre part, le respect des droits des tiers ainsi que la protection de la sécurité juridique ; que les États ont, à cet égard, une marge d’appréciation dont l’ampleur nécessite de peser les intérêts en présence ; qu’en l’espèce, Daniel X…, dont la filiation paternelle est concernée, est décédé ; qu’étant rappelé que la Cour européenne des droits de l’homme considère (affaire Succession Kresten Filtenborg Mortensen c. Danemark) qu’une demande de prélèvement ADN ne peut attenter à la vie privée d’une personne après sa mort, il y a lieu de considérer que l’atteinte susceptible d’être portée au respect dû à la vie privée d’une personne par le jeu des règles limitant son droit à connaître son ascendance disparaît après son décès ; que les descendants de Daniel X…n’invoquent pas, en ce qui les concerne personnellement, une quelconque atteinte à leur vie privée du fait de l’impossibilité d’établir, au travers de celle de leur père, leur ascendance ; que cette considération est, par ailleurs, sans objet en ce qui concerne sa veuve, dont l’ascendance n’est pas en cause ; qu’il apparaît que l’action engagée par les consorts X…ne poursuit qu’un intérêt patrimonial qui, pour légitime qu’il soit, ne ressortit pas d’une atteinte à la vie privée ; qu’il résulte de ce qui précède que l’application des règles de prescription prévues par l’article 333 du code civil ne porte pas au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, une atteinte justifiant d’écarter ces règles et de déclarer l’action recevable ;
ALORS, 1°), QUE la jonction d’instances distinctes ne crée pas une procédure unique ; qu’un justiciable n’est pas recevable à invoquer la prescription d’une action ayant donné lieu à une instance à laquelle il n’est pas partie, quand bien même il serait partie à une instance avec laquelle elle aurait été jointe ; qu’en accueillant, pour déclarer irrecevable l’action en contestation de paternité, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de cette action, qui avait été soulevée par M. Bernard Z…, Me Philippe B… en sa qualité d’exécuteur testamentaire de René Z…et Me Daniel C…en sa qualité de mandataire provisoire à la succession de René Z…, lesquels n’étaient pas parties à l’action aux fins de contestation de paternité mais uniquement à l’action aux fins d’établissement de paternité, la cour d’appel a violé les articles 367 et 368 du code de procédure civile, ensemble l’article 333 du code civil ;
ALORS, 2°), QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu’en relevant d’office le moyen tiré de ce que l’atteinte susceptible d’être portée à la vie privée d’une personne disparaît après son décès, sans provoquer les observations des parties, et en particulier celles des descendants de Daniel X…qui auraient pu faire valoir l’atteinte personnelle à la vie privée qu’ils ont subie du fait de l’impossibilité d’établir, au travers de celle de leur père, leur ascendance, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 16 du code de procédure civile ;
ALORS, 3°), QUE la prescription de l’action s’apprécie au jour de l’introduction de la demande en justice ; qu’en se fondant sur la circonstance que Daniel X…était décédé en cours d’instance, pour juger que les règles de la prescription pouvaient valablement être mises en oeuvre, la cour d’appel, qui s’est placée au jour où elle a statué et non à la date de la demande introductive d’instance, a violé les articles 122 du code de procédure civile et 333 du code civil ;
ALORS, 4°) et subsidiairement, QU’en considérant, pour retenir que l’application en l’espèce des règles de prescription ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée, que l’action reprise par les consorts X…ne poursuivait qu’un intérêt patrimonial, après avoir pourtant constaté que MM. Antoine et Julien X…étaient les fils de Daniel X…, ce dont il résultait que l’impossibilité de faire établir, au travers de celle de leur père, leur ascendance portait une atteinte directe à leur vie privée, la cour d’appel a violé les articles 333 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ALORS, 5°) et subsidiairement, QU’en considérant, pour retenir que l’application en l’espèce des règles de prescription ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée, que l’ascendance de Mme Danièle A…, veuve X…n’était pas en cause, quand la veuve dispose nécessairement d’un intérêt personnel, relevant du respect de sa vie privée, à faire établir la filiation de son défunt mari, la cour d’appel a violé les articles 333 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ALORS, 6°) et en tout état de cause, QUE toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; que les règles qui restreignent le droit d’une personne à voir établie sa filiation biologique portent atteinte au respect dû à sa vie privée et familiale ; qu’en jugeant pourtant que l’application des règles de prescription prévues par l’article 333 du code civil, qui enferment dans un délai de cinq ans à compter du jour où la possession d’état a cessé l’action en contestation de paternité, préalable nécessaire à l’action aux fins d’établissement de paternité, et qui font obstacle à une telle action lorsque la possession d’état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, ne portait pas au droit au respect de la vie privée une atteinte justifiant d’écarter ces règles, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.