AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
N° N 20-81.971 FS-P+B+I
N° 977
CG10
26 MAI 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 MAI 2020
CASSATION sur les pourvois formés par M. G… R… contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble, en date du 14 avril 2020, qui, dans l’information suivie contre lui des chefs de tentative de meurtre en bande organisée, recel et destruction aggravée d’un bien appartenant à autrui, a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention constatant la prolongation de plein droit de la détention provisoire.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. G… R…, et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Durin-Karsenty, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, M. Seys, conseillers de la chambre, M. Barbier, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 4 avril 2019, M. R…, mis en examen des chefs susvisés, a été placé en détention provisoire.
3. Le 17 mars 2020, le juge d’instruction a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de cette mesure, le titre de détention de la personne mise en examen expirant le 3 avril 2020.
4. Par ordonnance en date du 30 mars 2020, le juge des libertés et de la détention a constaté que la détention provisoire de M. R… était prolongée de plein droit pour une durée de six mois, en application de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020.
5. M. R… a relevé appel de cette ordonnance.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé le 17 avril 2020
6.Le demandeur, ayant épuisé par sa déclaration en date du 15 avril 2020 son droit de se pourvoir en cassation, le pourvoi formé le 17 avril 2020 est irrecevable.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté l’exception d’illégalité de l’article 16 de l’ordonnance n° 2020/303 du 25 mars 2020, et a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 30 mars 2020 ayant dit n’y avoir lieu à débat contradictoire et ayant constaté la prolongation de plein droit pour une durée de six mois de la détention provisoire de M. R…, alors :
« 1°/ que l’article 16 de l’ordonnance n° 2020/303 du 25 mars 2020 ne prévoit une prolongation « de plein droit » que pour les délais maximums de détention provisoire, c’est-à-dire lorsque les ultimes prolongations légales sont atteintes ; que tel n’est pas le cas lors du premier renouvellement d’un mandat criminel, qui doit être renouvelé d’abord dans les conditions de l’article 145-2 al. 1 du code de procédure pénale, avant d’avoir éventuellement recours à la dernière prolongation ouverte par l’article 16 précité ; qu’en faisant application de ce texte lors du premier renouvellement du mandat criminel délivré lors de l’instruction, la chambre de l’instruction a violé ledit article 16 par fausse application ;
2°/ qu’il résulte des articles 16 et 19 de l’ordonnance 2020/303 du 25 mars 2020, que les prolongations envisagées par l’article 16 ne peuvent être prises qu’après un débat contradictoire, éventuellement écrit comme prévu à l’article 19 de la même ordonnance ; qu’en affirmant que ce dernier texte n’était applicable qu’au moment où « le délai de la détention augmenté de 2, 3 ou 6 mois sera arrivé à sera arrivé à son terme et qu’un débat contradictoire devra être organisé afin de statuer sur une éventuelle prorogation », et en validant une ordonnance rendue sans débat contradictoire sur le fond, la chambre de l’instruction a violé ces textes ;
3°/ qu’aux termes de l’article 111-5 du code pénal, les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs réglementaires ou individuels, et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ; que la prolongation de la détention ordonnée de plein droit n’étant possible qu’aux termes de l’article 16 de l’ordonnance n° 2020/303 du 25 mars 2020 – texte de nature réglementaire en l’état –, la chambre de l’instruction avait le pouvoir de contrôler sa légalité ; qu’en se déclarant incompétente pour le faire, la chambre de l’instruction a violé l’article 111-5 du code pénal précité et méconnu l’étendue de ses pouvoirs ;
4°/ que l’article 11.I.2.d de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 autorisait le gouvernement à adopter par ordonnance des règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique, pour permettre l’allongement des délais au cours de l’instruction et en matière d’audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun (… et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat » ; que ce texte ayant pour unique objectif (« aux seules fins ») de « limiter la propagation de l’épidémie de Covid 19 parmi les personnes participant à ces procédures », se bornait à remplacer tout débat oral par un débat écrit, et à autoriser la prolongation des délais, de détention notamment, sans supprimer pour autant l’imperium du juge et son appréciation de la nécessité de mettre en oeuvre la possibilité de prolongation prévue par le texte ; qu’en édictant des prolongations « de plein droit » non prévues par l’ordonnance, l’article 16 précité excède les limites de l’habilitation législative et est entaché d’excès de pouvoir ;
5°/ qu’à supposer que l’article 16 de l’ordonnance n° 2020/303 du 25 mars 2020 ait entendu créer une prolongation de détention de plein droit et systématique, sans permettre au juge d’apprécier sa nécessité au fond, notamment à l’occasion d’un débat contradictoire fût-il écrit, ce texte est contraire aux articles 66 et 16 de la Constitution de 1958, qui confère au juge judiciaire la protection de la liberté individuelle et impose en la matière un recours effectif au juge ;
6°/ qu’un tel texte, à l’interpréter de la sorte, en faisant échapper une possible prolongation de la détention provisoire au contrôle du juge, est contraire aux dispositions de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
7°/ qu’à supposer que l’article 11.I.2.d de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 ait entendu créer une prolongation de détention de plein droit et systématique, sans permettre au juge d’en apprécier la nécessité au fond, ce texte est contraire à la Constitution, ce que ne manquera pas de constater le Conseil constitutionnel à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité soumise à la Cour de cassation par mémoire spécial et motivé – et notamment contraire aux articles 66 et 16 de la Constitution de 1958 qui confèrent au juge judiciaire la protection de la liberté individuelle et imposent son intervention pour vérifier si une prolongation de détention provisoire est nécessaire et utile ; que la déclaration d’inconstitutionnalité de ce texte entrainera la nullité de l’arrêt attaqué et que la cassation interviendra sans renvoi. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en sa septième branche
8. Par arrêt de ce jour, la chambre criminelle a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 11, I, 2°, d) de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020.
9. L’article 23-5, alinéa 4, de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu’à ce qu’il se soit prononcé. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.
10. Tel est le cas en l’espèce.
11. Il est rappelé que, dans sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a jugé que si l’alinéa 4 de l’article précité peut conduire à ce qu’une décision définitive soit rendue dans une instance à l’occasion de laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité et sans attendre qu’il ait statué, dans une telle hypothèse, ni cette disposition ni l’autorité de la chose jugée ne sauraient priver le justiciable de la faculté d’introduire une nouvelle instance pour qu’il puisse être tenu compte de la décision du Conseil constitutionnel.
Sur le moyen pris en sa troisième branche
12. Contrairement à ce qui est soutenu, la chambre de l’instruction ne s’est pas déclarée incompétente pour contrôler la légalité de l’ordonnance du 25 mars 2020 sur le fondement de l’article 111-5 du code pénal mais s’est bornée à énoncer qu’en cas d’illégalité, elle ne pourrait annuler celle-ci mais seulement en écarter l’application dans la procédure en cours.
13. Dès lors, cette branche du moyen manque en fait.
Sur le moyen pris en ses première et deuxième branches
14. L’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, prise en application de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 précité, dispose :
« En matière correctionnelle, les délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique, prévus par les dispositions du code de procédure pénale, qu’il s’agisse des détentions au cours de l’instruction ou des détentions pour l’audiencement devant les juridictions de jugement des affaires concernant des personnes renvoyées à l’issue de l’instruction, sont prolongés de plein droit de deux mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans et de trois mois dans les autres cas, sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner à tout moment, d’office, sur demande du ministère public ou sur demande de l’intéressé, la mainlevée de la mesure, le cas échéant avec assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire lorsqu’il est mis fin à une détention provisoire. Ce délai est porté à six mois en matière criminelle et, en matière correctionnelle, pour l’audiencement des affaires devant la cour d’appel.
Les prolongations prévues à l’alinéa précédent sont applicables aux mineurs âgés de plus de seize ans, en matière criminelle ou s’ils encourent une peine d’au moins sept ans d’emprisonnement.
Les prolongations prévues par le présent article ne s’appliquent qu’une seule fois au cours de chaque procédure».
15. Pour faire face au risque sanitaire majeur provoqué par l’épidémie de covid-19, le Gouvernement a adopté, par décrets, plusieurs mesures afin de limiter sa propagation, dont un strict confinement de la population. L’article 4 de la loi du 23 mars 2020, précitée, a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national. Par un nouveau décret, les mesures prises antérieurement ont été réitérées. C’est dans ce contexte qu’a été adoptée l’ordonnance du 25 mars 2020, dont l’article 16 doit être interprété.
16. Il convient de déterminer si l’expression « délais maximums de détention provisoire » désigne la durée totale de la détention susceptible d’être subie après l’ultime prolongation permise par le code de procédure pénale ou si elle désigne la durée au terme de laquelle le titre de détention cesse de produire effet en l’absence de décision de prolongation.
17. Dès l’entrée en vigueur du texte, cette question a suscité des difficultés majeures d’interprétation, qui ont entraîné des divergences d’analyse par les juridictions de première instance comme d’appel.
18. L’expression «délais maximums de détention provisoire», mentionnée à l’article 16 de l’ordonnance, ne figure pas aux articles 145-1, 145-2, 179, 181, 509-1 et 380-3-1 du code de procédure pénale prévoyant la prolongation de la détention provisoire. Les termes « durée maximale » ou « délai maximal » de la détention provisoire apparaissent dans la jurisprudence de la Cour de cassation et désignent alors la durée totale de la détention. Mais, à l’inverse, les articles 145-1 et 145-2 précités énoncent des maximums de détention provisoire dans des hypothèses où la détention peut être prolongée au-delà de ces maximums.
19. Les autres dispositions de l’article 16 ou les autres articles de l’ordonnance ne permettent pas davantage d’interpréter de façon évidente, dans un sens ou dans l’autre, les termes de « délais maximums ». Ainsi l’alinéa 3 de l’article 16, aux termes duquel « Les prolongations prévues par le présent article ne s’appliquent qu’une seule fois au cours de chaque procédure » garde son utilité même si l’on interprète l’expression « délais maximums » comme visant la durée totale de la détention puisqu’il implique alors que si la prolongation de droit a été appliquée pour augmenter la durée totale de la détention provisoire pendant l’instruction, elle ne peut plus l’être à nouveau pour augmenter la durée totale de la détention provisoire pour l’audiencement.
20. A l’inverse, l’article 19 de l’ordonnance, qui permet au juge, sous certaines conditions, d’organiser un débat sans comparution de la personne détenue et selon une procédure écrite ne suffit pas à exclure l’interprétation selon laquelle l’ordonnance aurait prévu de différer les débats institués par le code de procédure pénale en vue de la prolongation de la détention provisoire. En effet, en application de l’article 16, la prolongation de plein droit ne peut intervenir qu’à une reprise dans chaque procédure, de sorte qu’en raison de l’incertitude sur la durée de l’état d’urgence sanitaire, il pouvait apparaître nécessaire de prévoir une procédure simplifiée de prolongation pour les détentions provisoires dont le terme aurait déjà fait l’objet d’une prolongation de plein droit.
21. Dès lors, l’expression « délais maximums de détention provisoire » ne permet pas, à elle seule, de déterminer la portée de l’article 16.
22. En revanche, il convient d’observer que la prolongation de « plein droit » des délais maximums de détention provisoire ne peut être interprétée que comme signifiant l’allongement de ces délais, pour la durée mentionnée à l’article 16, sans que ne soit prévue l’intervention d’un juge.
23. Or, il serait paradoxal que l’article 16 ait prévu que l’allongement de la durée totale de la détention s’effectue sans intervention judiciaire tandis que l’allongement d’un titre de détention intermédiaire serait subordonné à une décision judiciaire.
24. Il convient d’en déduire que l’article 16 s’interprète comme prolongeant, sans intervention judiciaire, pour les durées qu’il prévoit, tout titre de détention venant à expiration, mais à une seule reprise au cours de chaque procédure.
25. Au surplus, cette lecture de l’article 16 n’est pas en contradiction avec l’article 1er, III, 2° de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 qui a introduit un article 16-1 dans l’ordonnance mettant fin aux prolongations de plein droit prévues à l’article 16 et dont il résulte que celles-ci s’appliquaient soit à une échéance intermédiaire, soit à la dernière échéance possible de la détention provisoire.
26. Dès lors, les deux premières branches du moyen ne sont pas fondées.
Sur le moyen pris en sa quatrième branche
27. Il y a lieu d’examiner si, ainsi interprété, l’article 16 excède les limites de
l’article 11, I, 2°, d) de la loi d’habilitation du 23 mars 2020.
28. Afin, d’une part, de faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et de tenir compte des mesures prises pour limiter cette propagation, d’autre part, de limiter la propagation de l’épidémie parmi les personnes participant aux procédures en cause, l’article 11 précité a autorisé le Gouvernement à adapter le déroulement et la durée des détentions provisoires pour permettre l’allongement des délais de détention et la prolongation de ces mesures selon une procédure écrite.
29. Il s’ensuit que le Gouvernement a pu prévoir, sans excéder les limites de la loi d’habilitation, la prolongation de plein droit des titres de détention au cours de l’instruction ou lors de l’audiencement, à une reprise, pour les durées prévues à l’article 16.
30. Le grief n’est dès lors pas fondé.
Sur le moyen pris en sa cinquième branche
31. L’ordonnance précitée a prévu l’allongement des délais de détention sur le fondement de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020.
32. Par arrêt de ce jour, la chambre criminelle a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à cet article.
33. En conséquence, il n’appartient pas à la Cour de cassation d’apprécier la conformité à la Constitution de l’article 16 de l’ordonnance prise en application de ladite loi.
34. Cette branche est dès lors irrecevable.
Mais sur le moyen pris en sa sixième branche
Vu les articles 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et 145-2 du code de procédure pénale :
35. Il résulte du premier de ces textes que lorsque la loi prévoit, au-delà de la durée initiale qu’elle détermine pour chaque titre concerné, la prolongation d’une mesure de détention provisoire, l’intervention du juge judiciaire est nécessaire comme garantie contre l’arbitraire.
36. Selon le second, en matière criminelle, la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au-delà d’un an. Toutefois, sous réserve des dispositions de l’article 145-3 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention peut, à l’expiration de ce délai, prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à six mois par une ordonnance motivée conformément aux dispositions de l’article 137-3 dudit code et rendue après un débat contradictoire.
37. Il convient de s’interroger sur le point de savoir si les dispositions de l’article 16 de l’ordonnance sont conformes à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant rappelé qu’à ce jour, la France n’a pas exercé le droit de dérogation, prévu à l’article 15 de ladite Convention.
38. D’une part, l’article 16 maintient, de par le seul effet de la loi et sans décision judiciaire, des personnes en détention, au delà de la durée du terme fixé dans le mandat de dépôt ou l’ordonnance de prolongation, retirant ainsi à la juridiction compétente le pouvoir d’apprécier, dans tous les cas, s’il y avait lieu d’ordonner la mise en liberté de la personne détenue.
39. D’autre part, ce même texte conduit à différer, à l’égard de tous les détenus, l’examen systématique, par la juridiction compétente, de la nécessité du maintien en détention et du caractère raisonnable de la durée de celle-ci.
40. Or, l’exigence conventionnelle d’un contrôle effectif de la détention provisoire ne peut être abandonnée à la seule initiative de la personne détenue ni à la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner, à tout moment, d’office ou sur demande du ministère public, la mainlevée de la mesure de détention.
41. Aussi l’article 16 de l’ordonnance ne saurait-il être regardé comme compatible avec l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et la prolongation qu’il prévoit n’est-elle régulière que si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention rend, dans un délai rapproché courant à compter de la date d’expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention.
42. Même en tenant compte des circonstances de fait exceptionnelles résultant du contexte épidémique, lorsque la personne n’a pas encore été jugée en première instance, un tel délai, au sens de l’article 5 précité, ne peut être supérieur à un mois en matière délictuelle et à trois mois en matière criminelle. Après une condamnation en première instance, cette limite est portée à trois mois en matière tant correctionnelle que criminelle, les faits reprochés à l’intéressé ayant alors déjà été examinés au fond par une juridiction.
43. Dans cet office, il appartient au juge d’exercer le contrôle qui aurait été le sien s’il avait dû statuer sur la prolongation de la détention provisoire, et ce dans le cadre d’un débat contradictoire tenu, le cas échéant, selon les modalités prévues par l’article 19 de l’ordonnance.
44. Ce contrôle judiciaire a eu lieu lorsque, en première instance ou en appel, la juridiction compétente, saisie de la question de la prolongation de plein droit de la détention provisoire, a, dans le respect de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et dans le plein exercice de son office de gardien de la liberté individuelle, statué sur la nécessité de cette mesure dans le délai visé au paragraphe 42.
45. Il doit être considéré également que ce contrôle a eu lieu lorsque, dans le délai visé au paragraphe 42, la juridiction compétente a statué sur la nécessité de la détention, d’office ou lors de l’examen d’une demande de mise en liberté.
46. Dans les autres cas, si l’intéressé n’a pas, entre-temps, fait l’objet d’un nouveau titre de détention, il incombe au juge d’effectuer ce contrôle dans les délais énoncés au paragraphe 42, à moins que, dans ce délai, il n’ait déjà exercé son contrôle en application de l’article 16-1, alinéa 5, de l’ordonnance du 25 mars 2020, introduit par la loi du 11 mai 2020.
47. A défaut d’un tel contrôle et sauf s’il est détenu pour autre cause, l’intéressé doit être immédiatement remis en liberté.
48. En l’espèce, pour confirmer l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, l’arrêt, après avoir rejeté l’exception d’illégalité de l’article 16 de l’ordonnance, énonce, sans autre analyse, que le juge n’a pu que constater que la détention provisoire de M.R… a été prolongée de plein droit pour une durée de six mois.
49. En prononçant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
50. En effet, saisie de la question de la prolongation de la détention provisoire, il lui appartenait de statuer sur la nécessité du maintien en détention de la personne mise en examen, qui sollicitait d’ailleurs sa mise en liberté dans son mémoire.
51. La cassation est dès lors encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé le 17 avril 2020
Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;
Sur le pourvoi formé le 15 avril 2020
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble, en date du 14 avril 2020, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.
DIT que la chambre de l’instruction de renvoi devra statuer dans le délai prévu par le paragraphe 42 du présent arrêt, ce délai ne s’imposant que si entre-temps le juge des libertés et de la détention saisi par le juge d’instruction n’a pas lui-même statué sur la nécessité du maintien en détention provisoire ; auquel cas, la chambre de l’instruction devra statuer dans le délai prévu à l’article 194-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six mai deux mille vingt.