AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
M. B… A… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d’enjoindre à la commune de Morne-Vert de faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété en procédant à l’arrêt immédiat des travaux de construction d’un centre technique communal entrepris sur la parcelle K 111, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, en deuxième lieu, d’ordonner à la commune l’arrêt immédiat des travaux et la réfection de la clôture de sa parcelle K 200 et, en troisième lieu, d’ordonner à la commune le dégagement des voies d’accès situées sur la parcelle K 24, en déplaçant le regard d’évacuation des eaux pluviales.
Par une ordonnance n° 2000154 du 20 mars 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique a enjoint à la commune de Morne-Vert, à compter de la notification de son ordonnance, d’une part, de suspendre immédiatement, en sa qualité de maître d’ouvrage, l’exécution des travaux publics effectués sur les propriétés de M. A… et, d’autre part, de procéder dans un délai d’un mois aux travaux de remise en état de la propriété de M. A….
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 11, 16 et 20 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Morne-Vert demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter les demandes en référé de M. A… ;
3°) de mettre à la charge de M. A… la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le juge des référés a commis une erreur de droit ou, à tout le moins, une erreur d’appréciation et a insuffisamment motivé son ordonnance, en déduisant l’existence d’une urgence extrême du seul constat d’une atteinte au droit de propriété, à raison de travaux en cours de réalisation à la date à laquelle il a statué ;
– en tout état de cause, d’une part, l’intérêt général qu’il y avait à réaliser les travaux s’opposait à ce que puisse être caractérisée une urgence de nature à justifier leur suspension et la remise en état du site et, d’autre part, les travaux étaient achevés avant même l’introduction de la requête devant le tribunal administratif ;
– l’ordonnance attaquée est entachée, d’une part, d’une erreur de droit, ou à tout le moins d’appréciation, pour avoir retenu l’existence d’une atteinte manifestement illégale au droit de propriété et, d’autre part, d’une erreur d’appréciation pour avoir retenu que l’atteinte au droit de propriété était grave ;
– l’ordonnance attaquée est entachée d’une erreur de droit en ce qu’il a été enjoint à la commune de remettre les terrains de M. A… en état, en violation des dispositions de l’article L. 511-1 du code de justice administrative ;
– aucune voie de fait n’est caractérisée ;
– la demande de M. A… de désignation d’un expert sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative est irrecevable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2020, M. A… conclut :
1°) au rejet de la requête et à la confirmation de l’ordonnance du 20 mars 2020 ;
2°) à la désignation par le Conseil d’Etat d’un expert, sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative ;
3°) à ce que soit mise à la charge de la commune de Morne-Vert la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête d’appel sont infondés, que les faits en cause sont en outre constitutifs d’une voie de fait et qu’une expertise s’impose pour établir la propriété des parcelles litigieuses, constater les désordres causés par les travaux et chiffrer la remise en état.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
Les parties ont été informées, sur le fondement de l’article 9 de l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, de ce qu’aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l’instruction serait fixée le lundi 25 mai 2020 à 18 heures.
Considérant ce qui suit :
1. L’article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : » Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. » Aux termes de l’article L. 521-2 du même code : » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « .
2. Il résulte de l’instruction que la commune de Morne-Vert a entrepris divers travaux en vue de la réalisation d’une route communale permettant de contourner son centre bourg et d’y fluidifier ainsi la circulation. La création de cette voie de désenclavement, inscrite au plan d’aménagement et de développement durable de la commune, a été rendue possible notamment par la vente à la commune, par M. B… A…, par acte authentique du 12 novembre 2015, de deux parcelles nouvellement cadastrées B 361 et K 373, issues de la division respective des parcelles B 160 lieudit La Croix et K 111 lieudit Joli Mont Nord. La commune indique en outre vouloir faire de cette route le point de départ d’une zone d’urbanisation future, où serait alors construit le centre technique municipal. M. A… a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu’il ordonne à la commune de Morne-Vert, sous astreinte, de faire cesser les travaux entrepris sur des parcelles dont il s’estime propriétaire, de réparer sa clôture et de restaurer ses voies d’accès. Par l’ordonnance du 20 mars 2020 frappée d’appel, le juge des référés, en l’absence de toute défense de la commune, a fait droit à cette demande et a en outre ordonné à la commune de procéder aux travaux de remise en état de l’ensemble des propriétés de M. A….
3. S’il appartient au juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre à l’administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d’une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d’une voie de fait, ce n’est que sous réserve que la condition d’urgence prévue au même article soit remplie. Or, la circonstance qu’une atteinte au droit de propriété serait avérée ne créée pas, par elle-même, une telle situation. Il appartient en conséquence à l’intéressé de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier, dans le très bref délai prévu par les dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une mesure provisoire visant à sauvegarder une liberté fondamentale.
4. M. A… a saisi le tribunal de ce que les travaux réalisés par la commune auraient empiété sur sa propriété, au motif que la voie ainsi construite aurait dépassé l’emprise de 8 mètres de large vendue en 2015 en l’élargissant à 15 mètres, qu’une plate-forme permettant la construction du centre technique municipal aurait été construite sur sa propriété, qu’en outre, pour élargir l’accès à un escalier juxtaposant la voie publique, la commune aurait déplacé la clôture de sa maison à l’entrée de la résidence de La Vigie et, enfin, qu’un regard d’évacuation d’eaux pluviales aurait également été réalisé au milieu d’une voie d’accès de la parcelle K 24 lui appartenant. En se bornant, pour constater l’urgence, à relever que le requérant se prévalait d’un constat d’huissier du 5 mars 2020 faisant état du démarrage de travaux de voirie en vue de la construction d’une route communale, le juge des référés, qui ne pouvait, contrairement à ce que soutient M. A…, confondre urgence et gravité de l’atteinte alléguée à son droit de propriété, a insuffisamment motivé son jugement au regard des exigences de l’article L. 521-2 du code de justice administrative mentionnées au point 3 ci-dessus.
5. Par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, l’ordonnance attaquée doit être annulée. Il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A… devant le juge des référés du tribunal administratif de La Martinique, ainsi que sur sa demande tendant à la désignation par le Conseil d’Etat d’un expert, sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative.
6. Il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal de réception des travaux de » Réalisation d’une voie de désenclavement du bourg » produit par la commune de Morne-Vert en appel, qu’au 19 février 2020, date de réception des travaux, ne restaient » à réaliser que 1,5m2 de surface bétonnée après enlèvement par EDF de son support « . Il ne résulte en outre pas de l’instruction, et notamment ni du constat d’huissier du 5 mars 2020 produit par M. A… ni de celui des 30 avril et 1er mai 2020 produit par la commune en appel, que des travaux auraient été en cours aux dates auxquelles ils ont été réalisés. En outre, l’intérêt général qui s’attache à la construction de cette route de contournement, qui vise à permettre de désengorger le centre bourg et pour laquelle la commune dit avoir à ce stade dépensé plus de 900 000 euros, n’est pas contesté par M. A…. En conséquence, aussi graves que sont les atteintes alléguées au droit de propriété de M. A…, la condition d’urgence particulière, seule de nature à justifier l’intervention du juge des référés dans les conditions fixées par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ne pouvait être considérée comme remplie à la date d’introduction de sa requête devant le juge des référés du tribunal administratif et ne peut pas plus l’être aujourd’hui. Cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que M. A… saisisse, s’il s’y croit fondé, le tribunal administratif de La Martinique d’une demande tendant la remise en état des parcelles dont il est propriétaire, que ce soit à l’appui d’une demande d’annulation du refus de la commune d’y procéder ou à l’appui d’une demande de réparation.
7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Morne-Vert est fondée à demander tant l’annulation de l’ordonnance du 20 mars 2020 du juge des référés du tribunal administratif de La Martinique que le rejet des conclusions de M. A… présentées devant ce même juge ainsi, en tout état de cause, que celle présentées devant le Conseil d’Etat et tendant à la désignation d’un expert. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Morne-Vert au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L’ordonnance du 20 mars 2020 du juge des référés du tribunal administratif de La Martinique est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. B… A… devant le tribunal administratif de La Martinique et le surplus des conclusions de sa requête d’appel sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Morne-Vert présentées devant le Conseil d’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune du Morne-Vert et à M. B… A….
Copie en sera adressée au préfet de la Martinique.