RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
N° E 10-83.902 F-D
N° 7029
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept décembre deux mille dix, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire DEGORCE, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, BLANCPAIN et SOLTNER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général ROBERT ;
CASSATION sans renvoi sur le pourvoi formé par Patrick X…, la société NCR France, civilement responsable, contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 6-1, en date du 18 mai 2010, qui, dans la procédure, suivie contre le premier, du chef de soustraction à l’obligation de négociation triennale dans l’entreprise, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 132-27, L. 132-28, L. 153-2, L. 320-2 du code du travail applicable à l’époque, de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et de l’article 593 du code de procédure pénale :
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X… coupable d’une infraction à l’article L. 132-27 et a en conséquence alloué au syndicat UGICT NCR une réparation de 1 500 euros ainsi que 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
« aux motifs que, sur la période antérieure au 20 janvier 2008, qu’il est constant que l’obligation de négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et la prévention des conséquences des mutations économiques a été instituée par la loi du 18 janvier 2005 qui a imposé à l’employeur d’engager tous les trois ans une négociation sur la mise en place du dispositif GPEC ; qu’il en ressort que l’employeur avait l’obligation d’engager des négociations, au plus tard à l’issue d’un délai de trois ans de sorte que rien ne saurait lui être reproché avant le 19 janvier 2008 ; qu’en revanche, c’est à juste titre que le tribunal a relevé que pour la période postérieure cette obligation s’imposait à lui dès le 20 janvier 2008 ; qu’il est également constant qu’à compter du 20 janvier 2008 et jusqu’au 29 avril 2008, les dispositions du code du travail sont celles issues du code du travail dans sa rédaction antérieure à sa recodification et qu’à compter du 30 avril 2008, date de l’entrée en vigueur du code du travail recodifié, ce sont les dispositions du code du travail recodifié qui sont applicables, étant observé que la recodification s’est par principe opérée à droit constant et qu’en matière pénale les dispositions concernées sont d’interprétation stricte ; que sur la période comprise entre le 20 janvier 2008 et le 29 avril 2008 que l’article L. 320-2 du code du travail prévoit que dans les entreprises d’au moins 300 salariés, l’employeur est tenu d’engager tous les trois ans une négociation portant sur les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise sur la stratégie de l’entreprise et ses effets prévisibles sur l’emploi ainsi que sur les salaires et sur la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétence « sur laquelle le comité d’entreprise est informé » ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de validation des acquis de l’expérience, de bilan de compétences ainsi que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés que la négociation « peut » aussi porter sur la catégorie d’emplois menacés par les évolutions économiques ou technologiques ; que l’article L. 132-27, ressortant de la sous section « Négociation obligatoire » précise que dans les entreprises occupant au moins 300 salariés, la négociation portant sur les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise sur la stratégie globale de l’entreprise et sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences prévues à l’article 320-2 porte également sur les conditions d’accès et de maintien des salariés âgés et leur accès à la formation professionnelle ; que l’article L. 153-2 prévoit que « l’employeur qui se soustrait » « aux obligations prévues à l’article L. 132-27 », à celle prévue à l’article L. 132-28 du code du travail est passible des peines fixées à l’article L. 481-2 du même code à savoir un emprisonnement d’un an et une amende de 3 750 euros, ou de l’une de ces deux peines seulement ; qu’il s’en déduit, s’agissant de cette période que l’article L. 132-27 du code du travail, visé dans la citation, impose à l’employeur une obligation de négocier en matière de conditions d’accès et de maintien des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle, laquelle est autonome au regard de celle de l’article 320-2 ; que la cour constate en conséquence l’existence de l’élément légal de l’infraction reprochée ;
« 1°) alors que l’article 327, alinéa 2, issu de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 dispose que : « Dans les entreprises occupant au moins trois cents salariés, ainsi que dans les entreprises mentionnées aux articles L. 439-1 et L. 439-6 occupant ensemble au moins trois cents salariés, la négociation portant sur les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise sur la stratégie globale de l’entreprise et sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences prévue à l’article L. 320-2 porte également sur les conditions d’accès et de maintien dans l’emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle » ; que ce texte ne concerne que le contenu de la négociation qui doit porter sur la GPEC et l’accès et le maintien de l’emploi des salariés âgés et la formation professionnelle de ceux-ci ; que dès lors, la répression de ce texte prévue par l’article L. 453-2 ne saurait être étendue à l’obligation prévue par ailleurs par l’article L. 320-2 d’engager tous les trois ans une négociation exclusivement sur la GEPC ; qu’en statuant comme elle l’a fait, et en infirmant la décision de première instance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
« 2°) alors que selon l’article L. 132-27, alinéa 2, la négociation sur le GERP « prévue à l’article L. 320-2 porte également sur les conditions d’accès et de maintien dans l’emploi des salariés âgés » et que, à la vue d’une telle disposition, le justiciable n’est pas en mesure de savoir, comme le décide pourtant l’arrêt attaqué, que l’obligation ci-dessus définie serait en réalité « autonome » au regard de l’article L. 320-2 susvisé ; qu’en faisant cependant application du texte répressif susvisé à M. X… uniquement pour ne pas avoir engagé la négociation sur l’emploi des salariés âgés sans s’assurer que celui-ci était à même de prévoir les circonstances dans lesquelles il risquait de se trouver en infraction, la cour de Paris a violé les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
« 3°) alors que l’abrogation de l’article L. 453-2 du code du travail qui interviendra au terme de la question prioritaire de constitutionnalité formulée par ailleurs privera de tout fondement légal la décision attaquée » ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 2242-15, L. 2242-19, L. 2243-1 et L. 2243-2 du code du travail, 593 du code de procédure pénale, 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et 8 de la Constitution :
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X… coupable d’une infraction à l’article L. 132-27 et a en conséquence alloué au syndicat UGICT NCR une réparation de 1 500 euros ainsi que 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
« aux motifs qu’en ce qui concerne la période postérieure au 30 avril 2008, qu’en vertu de l’article L. 2242- 15 du code du travail dans les entreprises et les groupes d’entreprises de trois cents salariés et plus, l’employeur engage tous les trois ans une négociation portant sur : 1° les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise sur la stratégie de l’entreprise ainsi que ses effets prévisibles sur l’emploi et sur les salaires ; 2° la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur laquelle le comité d’entreprise est informé, ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de validation des acquis de l’expérience, de bilan de compétences ainsi que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés ; que l’article L. 2242-16 précise que cette négociation peut également porter sur les matières, mentionnées aux articles L. 1233-21 et L. 1233-22, à savoir licenciement économique de plus de dix salariés et restructurations, ainsi que sur la qualification des catégories d’emplois menacées ; que l’article L. 2242-19 ajoute que dans les entreprises de trois cents salariés et plus, « la négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et la prévention des conséquences des mutations économiques prévue aux articles L. 2242-15 et L. 2242-16 porte également sur les conditions de retour et de maintien dans l’emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle » ; que les articles L. 2243-1 et L. 2243-2 du code du travail qui prévoient la répression aux manquements de l’employeur, en la matière, sont ainsi rédigés : « le fait de se soustraire aux obligations prévues à l’article L. 2242-1, relatives à la convocation des parties à la négociation annuelle et à l’obligation périodique de négocier est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros » « le fait de se soustraire aux obligations prévues aux articles L. 2242-5, L. 2242-8, L. 2242-9, L. 2242-11 à L. 2242-14 et L. 2242-19, relatives au contenu de la négociation annuelle obligatoire, est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros ; qu’il se déduit de l’analyse de ces textes que le législateur entendu, en les réprimant, donner un caractère obligatoire et non seulement incitatif, aux négociations portant sur les conditions de retour et de maintien dans l’emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle », étant observé que les négociations, lesquelles sont triannuelles en cette matière, ont été introduites par l’article 12 de la loi du 21 août 2003 complétant l’article L. 132-12 du code du travail et préexistait à la loi du 18 janvier 2005, ce qui explique le sort à part et l’autonomie que le législateur a entendu leur réserver ; que, par ailleurs, que l’examen des pièces versées au dossier permet de retenir que la négociation triannuelle, portant sur les conditions de retour et de maintien dans l’emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle, n’a pas été mise en oeuvre par M. X… avant le 5 septembre 2008 date à laquelle, selon convocation du 4 août 2008, il est justifié que le directeur des ressources humaines a prévu un réunion portant notamment sur « les dispositions relatives à l’emploi et la formation des salariés âgés » étant observé que les réunions précédentes concernaient uniquement « l’information sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au sein de NCR France et ne constituaient pas la négociation obligatoire ; que ce faisant les éléments tant légaux que matériels de l’infraction sont constitués au moins jusqu’au 5 septembre 2008, l’obligation de négocier n’ayant pas été engagée en temps voulu par l’employeur qui doit en avoir l’initiative ;
« 1°) alors que les textes répressifs sont d’interprétation stricte et que viole l’article L. 2243-1 qui sanctionne le fait de se soustraire aux obligations « relatives à la convocation des parties à la négociation annuelle et à l’obligation périodique de négocier » prévues à l’article L. 2242-1, la cour d’appel qui applique ce texte en répression d’un manquement à l’obligation triennale de négocier sur les conditions de retour et de maintien dans l’emploi des salariés âgés prévue par l’article L. 2242-19, lequel n’édicte pas de convocation annuelle et est donc étranger à l’article L. 2243-1 ;
« 2°) alors que viole l’article L. 2243-2 du code du travail qui réprime seulement le fait de se soustraire aux obligations relatives au « contenu de la négociation annuelle obligatoire », la cour d’appel qui applique ce texte en répression d’un manquement consistant à ne pas avoir négocié les conditions de retour et de maintien dans l’emploi des salariés âgés dans le cadre d’une négociation triennale, en même temps que celle applicable aux modalités d’information sur la stratégie de l’entreprise et à la GPEC, prévue par l’article L. 2242-15 du code du travail qui, elle-même, ne fait pas l’objet d’une répression ;
« 3°) alors que, selon toutes apparences, l’article L. 2243-1 n’incrimine que le défaut de convocation des parties à la négociation annuelle prévue par l’article L. 2242-1, et n’est pas applicable à la négociation triennale prévue par d’autres textes et que l’article L. 2243-2 qui sanctionne lui-même le contenu de la négociation annuelle obligation est étranger, nonobstant le visa de l’article L. 2242-19, à l’obligation triennale de négocier les conditions d’accès et de maintien dans l’emploi des salariés âgés ; que l’incrimination des comportements et les mesures de répression ne satisfont pas, dans ces conditions, aux exigences des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, de sorte qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour de Paris, qui ne s’est pas assurée de l’intelligibilité de la loi pénale, a violé la Convention susvisée ;
« 4°) alors que l’abrogation des articles L. 2243-1 et L. 2243-2 qui interviendra aux termes de la question prioritaire de constitutionalité privera de tout fondement légal la décision attaquée » ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble l’article 111-3 du code pénal ;
Attendu qu’il résulte de ces textes que, nul ne peut être puni pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi et par une peine qu’elle ne prévoit pas ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Patrick X…, en sa qualité de gérant de la société NCR France, a été cité directement devant le tribunal correctionnel ainsi que la société, en qualité de civilement responsable, par l’union générale des ingénieurs cadres et techniciens de la confédération générale du travail, le syndicat pour s’être, notamment, soustrait à l’obligation triennale de négociation de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, et de la prévention des conséquences des mutations économiques, faits prévus par les articles L. 320-2 et L. 132-27, alinéa 2, anciens du code du travail, pour la période antérieure à l’entrée en vigueur du nouveau code du travail, intervenue le 1er mai 2008, et, par les articles L. 2242-15, L. 2242-16, L. 2242-17 et L. 2242-19 du code du travail, pour la période postérieure, et réprimés par l’article L. 153-2 devenu L. 2243-1 et L. 2243-2 du code du travail ; que le tribunal l’a relaxé du chef de ce délit en raison de l’absence d’élément légal, que la partie civile a, seule, relevé appel du jugement ;
Attendu que, pour dire les faits établis et condamner, M. X… à payer au syndicat une somme de 3 000 euros de dommages-intérêts, l’arrêt énonce que l’article L. 153-2 ancien du code du travail incriminait et réprimait le fait, pour les entreprises de plus de trois cent salariés, de se soustraire aux obligations prévues à l’article L. 132-27, visé dans la citation, lequel prévoyait que, la négociation obligatoire triennale portait également sur les conditions d’accès et de maintien des salariés âgés et leur accès à la formation professionnelle ; que les juges ajoutent que l’article L. 2243-2 du code du travail incrimine et réprime le fait, pour ces entreprises, de se soustraire aux obligations prévues par l’article L. 2242-19, qui étend l’obligation de négociation triennale aux conditions de retour et de maintien dans l’emploi des salariés âgés et de leur accès à la formation professionnelle et qui la soumet à un régime autonome au regard de l’article L. 320-2 devenu L. 2242-15 du code du travail ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que la violation par l’employeur de son obligation de négociation triennale, prévue par les articles L. 320-2 et L. 132-27, alinéa 2, devenus L. 2242-15 et L. 2242-19 du code du travail, n’est pas expressément incriminée par l’article L. 153-2 devenu L. 2243-1 et L. 2243-2 dudit code et ne peut être réprimée sur le fondement de ces textes, qui punissent uniquement la violation de l’obligation annuelle de négociation, prévue à l’article L. 132-27, alinéa 1er, l’article L. 2242-1, la cour d’appel a méconnu le texte sus-visé et le principe ci-dessus rappelé ;
D’où il suit que la cassation est encourue ; que, n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, en date du 18 mai 2010 ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Degorce conseiller rapporteur, M. Palisse conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;