Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 avril 2010 par le Conseil d’État (décision n° 323830 du 14 avril 2010), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par l’Union des familles en Europe et relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article L. 211-3 du code de l’action sociale et des familles.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de l’action sociale et des familles ;
Vu la loi du 1er juillet 1901 modifiée relative au contrat d’association ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le président de l’Assemblée nationale, enregistrées le 22 avril 2010 ;
Vu les observations produites pour l’Union des familles en Europe par la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 mai 2010 ;
Vu les observations produites pour l’Union nationale des associations familiales, par la SCP Boutet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 4 mai 2010 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 4 mai 2010 ;
Vu les nouvelles observations de l’Union nationale des associations familiales, enregistrées le 12 mai 2010 ;
Vu les nouvelles observations de l’Union des familles en Europe, enregistrées le 12 mai 2010 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Maître François-Henri Briard pour l’Union des familles en Europe, Maître Jean-François Boutet pour l’Union nationale des associations familiales et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 25 mai 2010 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’article L. 211-3 du code de l’action sociale et des familles, l’union nationale et les unions départementales des associations familiales sont habilitées à « représenter officiellement auprès des pouvoirs publics l’ensemble des familles et notamment désigner ou proposer les délégués des familles aux divers conseils, assemblées ou autres organismes institués par l’État, la région, le département, la commune » ;
2. Considérant que, selon la requérante, le « monopole absolu » dont bénéficierait l’Union nationale des associations familiales pour représenter l’ensemble des familles auprès des pouvoirs publics méconnaîtrait le principe d’égalité entre les associations familiales et l’Union nationale des associations familiales ; qu’il porterait également atteinte, d’une part, à la liberté d’expression des associations familiales et au pluralisme des courants de pensées et d’opinions et, d’autre part, à la liberté d’association ;
– SUR LE PRINCIPE D’ÉGALITÉ :
3. Considérant que l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
4. Considérant que le chapitre Ier du titre Ier du livre II du code de l’action sociale et des familles est relatif aux « associations familiales » ; que, d’une part, l’article L. 211-1 de ce code définit les associations familiales comme celles ayant « pour but essentiel la défense de l’ensemble des intérêts matériels et moraux, soit de toutes les familles, soit de certaines catégories d’entre elles » ; que ces associations se forment librement conformément au titre Ier de la loi du 1er juillet 1901 susvisée ; que, d’autre part, les articles L. 211-2 à L. 211-12 du même code régissent les unions départementales et l’union nationale des associations familiales ; qu’ils disposent que ces fédérations, instituées dans un but d’utilité publique, sont constituées, aux niveaux départemental et national, par les associations familiales qui souhaitent y adhérer ; qu’ils déterminent leur objet, leurs règles de composition et certains principes relatifs à leur administration ; qu’ils prévoient également que leur statut et leur règlement intérieur sont soumis à une procédure d’agrément ;
5. Considérant que, compte tenu de leurs règles de formation, de fonctionnement et de composition ainsi que des missions qui leur sont imparties par la loi, l’union nationale et les unions départementales des associations familiales ne se trouvent pas dans une situation identique à celle des associations familiales qui peuvent y adhérer ; qu’au demeurant, en reconnaissant la représentativité de l’union nationale et des unions départementales, le législateur a entendu assurer auprès des pouvoirs publics une représentation officielle des familles au travers d’une association instituée par la loi regroupant toutes les associations familiales souhaitant y adhérer ; qu’il a, par là même, poursuivi un but d’intérêt général ; que, dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être écarté ;
– SUR LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET L’OBJECTIF DE VALEUR CONSTITUTIONNELLE DU PLURALISME DES COURANTS DE PENSÉES ET D’OPINIONS :
6. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; que la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ;
7. Considérant qu’aux termes du dernier alinéa de l’article L. 211-3 du même code : « Chaque association familiale ou fédération d’associations familiales, dans la limite de ses statuts, conserve le droit de représenter auprès des pouvoirs publics les intérêts dont elle a assumé la charge » ; qu’il en résulte que, si le troisième alinéa de cet article impose la reconnaissance, par les pouvoirs publics, de la représentativité de l’union nationale et des unions départementales des associations familiales, les pouvoirs publics peuvent prendre en compte les intérêts et les positions défendues par les associations familiales relevant de l’article L. 211-1 du même code ; que la disposition contestée ne porte aucune atteinte à la liberté de ces associations de faire connaître les positions qu’elles défendent ; que, dès lors, le grief tiré de l’atteinte à la liberté d’expression de ces associations n’est pas fondé ;
8. Considérant, en second lieu, que la disposition législative contestée n’est relative ni à la vie politique ni aux médias ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle du pluralisme des courants de pensées et d’opinions est, en tout état de cause, inopérant ;
– SUR LA LIBERTÉ D’ASSOCIATION :
9. Considérant que la liberté d’association est au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution ; qu’en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d’une déclaration préalable ; qu’ainsi, à l’exception des mesures susceptibles d’être prises à l’égard de catégories particulières d’associations, la constitution d’associations, alors même qu’elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l’intervention préalable de l’autorité administrative ou même de l’autorité judiciaire ;
10. Considérant que les associations familiales prévues par l’article L. 211-1 du code de l’action sociale et des familles peuvent librement se constituer en vertu de la loi du 1er juillet 1901 susvisée ; qu’elles sont libres d’adhérer ou non à l’union nationale ou aux unions départementales des associations familiales dans les conditions fixées par les articles L. 211-4 et L. 211-5 du même code ; qu’en outre, elles peuvent librement se regrouper selon les modalités qu’elles définissent ; que, dès lors, la disposition contestée ne porte aucune atteinte à la liberté d’association ;
11. Considérant que la disposition contestée n’est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article premier.- Le troisième alinéa de l’article L. 211-3 du code de l’action sociale et des familles est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 mai 2010, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Jacques CHIRAC, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL, Jean-Louis PEZANT et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 28 mai 2010.