REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 27 juillet et 29 novembre 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. et Mme Y… X… demeurant … ; M. et Mme X… demandent au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt en date du 27 mai 1993 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes, réformant le jugement en date du 20 novembre 1991 du tribunal administratif de Rennes, a ramené de 1 154 186,04 F à 1 143 741,02 F avec intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 1990, la somme que la compagnie des eaux et de l’ozone a été condamnée à leur verser en réparation du préjudice qu’ils ont subi lors de l’inondation de leur maison d’habitation les 11 et 23 septembre 1989, d’autre part, a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la communauté urbaine de Brest et de ladite compagnie à leur verser la somme de 2 038 372,08 F avec intérêts à compter du 10 décembre 1990 ainsi que les sommes de 11 566,11 F par mois au titre de l’inhabitabilité de la maison et de 220 000 F sur le fondement de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de Mme Pécresse, Maître des Requêtes,
– les observations de Me Brouchot, avocat de M. et Mme X…, de la SCP Le Bret, Laugier, avocat de la communauté urbaine de Brest,
– les conclusions de M. Chantepy, Commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant que, pour statuer par l’arrêt attaqué sur l’imputabilité des dommages causés par l’inondation de la propriété des époux X… dans le quartier de Sainte-Annedu-Portzic à Brest du fait des pluies d’orage qui se sont abattues le 11 septembre 1989, la cour administrative d’appel de Nantes s’est bornée à relever « qu’il résulte de l’instruction que ces précipitations ont présenté, en raison de leur violence et de leur intensité exceptionnelles et imprévisibles, le caractère d’un évènement de force majeure » ; qu’en se bornant à faire ainsi référence aux résultats de l’instruction et en s’abstenant de préciser les faits sur lesquels a porté son appréciation, la cour administrative d’appel ne met pas le juge de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur la qualification juridique qu’elle a donnée à ces faits en jugeant qu’ils étaient constitutifs d’un cas de force majeure ; que, dès lors, les époux X… sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il met à la charge de la compagnie des eaux et de l’ozone les deux tiers des dommages résultant de l’inondation de leur propriété ; Sur le préjudice :
Considérant qu’après avoir souverainement constaté que les risques d’inondation du terrain d’assiette de l’habitation des époux X… étaient connus, la cour a estimé que l’abandon du projet immobilier des époux X… sur ce terrain était sans lien direct avec le sinistre de septembre 1989 ; que ce faisant, la cour n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique ;
Considérant que la cour a souverainement apprécié les faits qui lui étaient soumis, sans dénaturation, en constatant que les époux X… avaient disposé d’un délai suffisant pour remettre en état leur habitation et en a légalement déduit qu’ils ne pouvaient donc, par voie de conséquence, demander que soit incluse dans le préjudice qu’ils ont subi la somme de 11 566,15 F par mois qu’ils réclament à compter de la date de leur demande au tribunal administratif, au titre de l’inhabitabilité de leur maison ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel :
Considérant que, pour rejeter les conclusions des époux X… tendant à ce que la compagnie des eaux et de l’ozone soit condamnée à leur verser la somme de 220 000 F en application de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, la cour administrative d’appel de Nantes s’est fondée sur ce que la compagnie des eaux et de l’ozone n’était pas la partie perdante dans l’instance et que les dispositions de l’article L. 8-1 précité faisaient donc obstacle à sa condamnation ; que la décision qui devra être à nouveau rendue sur les conclusions des époux X… relatives à l’indemnisation des dommages subis par leur habitation est susceptible d’affecter les droits des requérants au remboursement des frais exposés par eux en appel et non compris dans les dépens ; que, dès lors, l’arrêt attaqué doit être également annulé en tant que la cour administrative d’appel a statué sur les conclusions des époux X… tendant à ce que la compagnie des eaux et de l’ozone soit condamnée à leur verser la somme de 220 000 F en application de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Sur l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que les époux X…, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, soient condamnés à verser à la compagnie des eaux et de l’ozone la somme de 13 046 F qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes en date du 27 mai 1993 est annulé en tant que la cour fixe la part de responsabilité de la compagnie des eaux et de l’ozone dans les dommages subis par les époux X…, en tant que la cour fixe le montant de l’indemnité que la compagnie est condamnée à leur verser, et en tant que la cour rejette la demande tendant à l’application de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, devant la cour administrative d’appel de Nantes.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la compagnie des eaux et de l’ozone, tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Y… X…, à la communauté urbaine de Brest, à la compagnie des eaux et de l’ozone et au ministre de l’intérieur.