RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 5 mai 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’ASSOCIATION DES FAMILLES Y… (AVFS), dont le siège est …, l’ASSOCIATION « DROIT AU LOGEMENT », dont le siège est … et le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES, dont le siège est … ; l’ASSOCIATION DES FAMILLES Y… et autres demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’article 2 de l’arrêté ministériel du 5 février 2004 relatif à l’organisation d’un système national de surveillance des plombémies de l’enfant mineur en ce qu’il prévoit l’enregistrement par les centres antipoison du pays de naissance de la mère de l’enfant mineur ;
2°) d’enjoindre au ministre chargé de la santé publique, sur le fondement de l’article L. 9111 du code de justice administrative, de prendre les mesures nécessaires pour faire procéder à l’effacement ou à la destruction de tous les traitements automatisés dans lesquels cette donnée aurait été d’ores et déjà enregistrée sur le fondement de la disposition litigieuse depuis la mise en oeuvre du traitement ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 500 euros au titre de l’article L. 7611 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention du Conseil de l’Europe du 28 janvier 1981 ;
Vu la directive n° 95/46/CE du Parlement et du Conseil du 24 octobre 1995 ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, modifiée notamment par la loi n° 94-548 du 1er juillet 1994 ;
Vu la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Michel Delpech, chargé des fonctions de Maître des requêtes,
– les conclusions de M. Jacques-Henri Stahl, Commissaire du gouvernement ;
Sur la fin de nonrecevoir opposée par le ministre chargé de la santé publique :
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’ASSOCIATION « DROIT AU LOGEMENT » a pour objet : « D’unir et d’organiser les familles et les individus mal logés ou concernés par le problème du logement pour la défense du droit à un logement décent pour tous, ( ) le relogement décent et adapté de toute famille mal logée ou sans logis, ( ) plus généralement le soutien par tous moyens, l’information, la promotion de toute action ayant pour but de remédier au problème des mal logés et sansabris ( ) » ; qu’il en résulte que l’ASSOCIATION « DROIT AU LOGEMENT » ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’arrêté ministériel du 5 février 2004 relatif à l’organisation d’un système national de surveillance des plombémies de l’enfant mineur, en tant qu’il prévoit à son article 2 l’enregistrement par les centres antipoison du pays de naissance de la mère de l’enfant mineur ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de ses statuts, le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES a pour objet : « De réunir les informations sur la situation juridique, économique et sociale des travailleurs immigrés et de leurs familles, d’informer les étrangers des conditions de l’exercice et de la protection de leurs droits, de soutenir leur action en vue de la reconnaissance de leurs droits fondamentaux et d’en obtenir le respect, de combattre toutes les formes de racisme et de discrimination » ; qu’ainsi, le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES a intérêt et, par suite, qualité pour demander l’annulation des mêmes dispositions de l’arrêté du 5 février 2004 ; qu’il suit de là que la fin de nonrecevoir opposée par le ministre de la santé et de la protection sociale à la requête en tant qu’elle émane de cette association doit être rejetée ;
Sur la légalité externe de l’arrêté attaqué et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article 401 ajouté à la loi n° 7817 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, par la loi du 1er juillet 1994 : « Les traitements automatisés de données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé sont soumis aux dispositions de la présente loi, à l’exception des articles 15, 16, 17, 26 et 27 ( ) ; qu’aux termes de l’article 402 de la loi n° 7817 : « Pour chaque demande de mise en oeuvre d’un traitement de données, un comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé, institué auprès du ministre chargé de la recherche et composé de personnes compétentes en matière de recherche dans le domaine de la santé, d’épidémiologie, de génétique et de biostatistique, émet un avis sur la méthodologie de la recherche au regard des dispositions de la présente loi, la nécessité du recours à des données nominatives et la pertinence de cellesci par rapport à l’objectif de la recherche, préalablement à la saisine de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ( ). »
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de l’arrêté litigieux : « Il est créé ( ) un système national de surveillance des plombémies de l’enfant mineur dans le but d’évaluer les stratégies de dépistage et les actions de suivi et de prise en charge médicale et environnementale des enfants intoxiqués ou imprégnés par le plomb./ Ce système est mis en oeuvre par les centres antipoison et l’Institut de veille sanitaire ( ). » ; qu’en vertu de l’article 2 de cet arrêté, les catégories d’informations enregistrées par les centres antipoison comprennent en particulier le pays de naissance de la mère de l’enfant mineur ; que selon l’article 3 du même arrêté : « Les destinataires des informations nominatives sont le médecin responsable du centre antipoison collectant les données régionales ( ). Les données sont rendues anonymes avant toute exploitation informatique ( ). Les données anonymes sont transmises à l’Institut de veille sanitaire, qui les exploite au niveau national sur le plan épidémiologique. » ; qu’ainsi, le traitement automatisé de données nominatives institué par l’arrêté litigieux, dont l’objet est non seulement d’assurer le suivi des enfants intoxiqués mais également de permettre une exploitation épidémiologique des données recueillies, entre dans les prévisions des articles 401 et 402 de la loi du 6 janvier 1978 ; qu’il suit de là que l’arrêté du 5 février 2004 devait être soumis à l’avis préalable du comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé ; que cet arrêté ayant fait l’objet d’une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés sans que l’avis préalable du comité consultatif susmentionné ait été recueilli, l’ASSOCIATION DES FAMILLES DES X… DU SATURNISME et le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES sont fondés à en demander l’annulation pour vice de procédure dans la limite de leurs conclusions ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 9111 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ;
Considérant qu’en principe, l’exécution de la présente décision implique la suppression, dans les traitements automatisés prévus par l’arrêté du 5 février 2004, de la donnée relative au pays de naissance de la mère de l’enfant mineur ;
Considérant toutefois que, contrairement à ce qui est soutenu dans la requête, l’utilisation d’une telle donnée, d’une part, n’est pas contraire à la finalité de ces traitements, d’autre part, ne suffit pas à révéler directement ou indirectement l’origine raciale de la mère et de l’enfant en méconnaissance des stipulations tant de la convention du Conseil de l’Europe du 28 janvier 1981 que de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des objectifs de la directive n° 95/46/CE du 24 octobre 1995 et des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 ; qu’ainsi, l’arrêté du 5 février 2004 n’est pas entaché d’illégalité interne du seul fait qu’il prévoit la prise en compte du pays de naissance de la mère de l’enfant mineur dans les traitements automatisés en cause ; que, dans ces conditions, le ministre pourrait éventuellement, après consultation du comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherches dans le domaine de la santé et au vu de l’avis de ce comité, puis après saisine pour autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, prendre à nouveau la même disposition ; qu’ainsi et compte tenu de l’intérêt particulier qui s’attache à l’utilisation de la donnée litigieuse dans les traitements automatisés du système national de surveillance des plombémies de l’enfant mineur, il y a lieu d’enjoindre au ministre de la santé et des solidarités de prendre dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision un nouvel arrêté selon une procédure régulière et à défaut d’avoir procédé ainsi dans le délai imparti, de faire supprimer dans les traitements automatisés mis en oeuvre sur le fondement de l’arrêté du 5 février 2004 la donnée relative au pays de naissance de la mère de l’enfant mineur ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 7611 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 200 euros au titre des frais engagés par l’ASSOCIATION DES FAMILLES Y… et par le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES, et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’article 2 de l’arrêté du 5 février 2004 du ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées est annulé en tant qu’il comporte les mots « le pays de naissance de la mère ».
Article 2 : Il est enjoint au ministre de la santé et des solidarités de prendre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, un nouvel arrêté selon une procédure régulière et, à défaut d’avoir procédé ainsi dans le délai imparti, de supprimer, à l’issue de ce délai, dans les traitements automatisés mis en oeuvre sur le fondement de l’arrêté du 5 février 2004, la donnée relative au pays de naissance de la mère de l’enfant mineur.
Article 3 : L’Etat versera à l’ASSOCIATION DES VICTIMES DU SATURNISME et au GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES, une somme de 100 euros à chacune d’elles en application de l’article L. 7611 du code de justice administrative.
Article 4 : La requête, en tant qu’elle émane de l’ASSOCIATION « DROIT AU LOGEMENT » est rejetée.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION DES FAMILLES Y… (AVFS), à l’ASSOCIATION « DROIT AU LOGEMENT », au GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES et au ministre de la santé et des solidarités.