Conseil d’État
N° 410552
ECLI:FR:CECHR:2018:410552.20180328
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
4ème et 1ère chambres réunies
M. Olivier Fuchs, rapporteur
SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER, avocats
lecture du mercredi 28 mars 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
MeC…, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Imprimerie Georges Frère, a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 décembre 2011 par laquelle le ministre du travail, de l’emploi et de la santé a, d’une part, annulé la décision du 10 mai 2011 de l’inspecteur du travail de la 24ème section de l’unité territoriale de Tourcoing l’autorisant à licencier M. A…B…et, d’autre part, refusé cette autorisation. Par un jugement n° 1302937 du 1er juillet 2015, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15DA01412 du 15 mars 2017, la cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel formé par Me C…contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mai 2017 et 16 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Me C…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat et de M. B…la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code du travail ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Olivier Fuchs, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de Me C…agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Imprimerie Georges Frère ;
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par une décision du 10 mai 2011, l’inspecteur du travail de la 24ème section de l’unité territoriale de Tourcoing a autorisé MeC…, liquidateur judiciaire de la société Imprimerie Georges Frère, à licencier M.B…, salarié protégé ; que par une décision du 2 décembre 2011, le ministre du travail, de l’emploi et de la santé, saisi par la voie du recours hiérarchique, a annulé la décision de l’inspecteur du travail et refusé à Me C…l’autorisation sollicitée ; que Me C… se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 15 mars 2017 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté son appel formé contre le jugement du 1er juillet 2015 du tribunal administratif de Lille rejetant sa demande d’annulation de la décision du ministre du travail, de l’emploi et de la santé, en tant que celle-ci lui refuse l’autorisation de licenciement ;
2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable : » Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée » ; qu’il résulte des dispositions de l’article R. 421-5 du même code que ce délai n’est toutefois opposable qu’à la condition d’avoir été mentionné, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ;
3. Considérant, d’autre part, que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ;
4. Considérant qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour rejeter l’appel de MeC…, la cour a d’abord relevé qu’en l’absence de mention des voies et délais de recours dans la notification de la décision attaquée, le délai de recours de deux mois prévu par l’article R. 421-1 du code de justice administrative ne lui était pas opposable ; qu’elle a ensuite jugé que le principe de sécurité juridique faisait obstacle à ce que cette décision, dont elle estimait établi que Me C…avait eu connaissance plus d’un an avant l’introduction de sa demande devant le tribunal administratif de Lille, puisse encore être contestée par lui devant le juge administratif ;
5. Considérant qu’aux termes de l’article R. 611-7 du code de justice administrative : » Lorsque la décision lui paraît susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office, le président de la formation de jugement (…) en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu’y fasse obstacle la clôture éventuelle de l’instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué » ; que s’il appartenait à la cour d’appel, dès lors qu’elle estimait réunies les conditions d’application de la règle rappelée au point 3, d’en faire application, le cas échéant d’office, au litige dont elle était saisie, il est constant qu’elle n’a préalablement procédé à la communication aux parties d’aucun moyen d’ordre public ;
6. Considérant, il est vrai, qu’il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d’appel que celle-ci était saisie d’une fin de non-recevoir soulevée par M.B…, tirée de ce que, Me C…ayant eu connaissance de la décision attaquée plus de deux mois avant l’introduction de sa demande devant le tribunal administratif de Lille, celle-ci était tardive par application des dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative ;
7. Mais considérant que le motif d’irrecevabilité de la demande de première instance de Me C…sur lequel s’est fondée la cour administrative d’appel appelait un débat contradictoire portant sur d’autres éléments que ceux relatifs à la fin de non-recevoir pour tardiveté soulevée par M. B…; que ce motif ne pouvait, par suite, être régulièrement soulevé d’office par la cour qu’après qu’ont été respectées les dispositions citées ci-dessus de l’article R. 611-7 du code de justice administrative ;
8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Me C…est fondé à soutenir que l’arrêt qu’il attaque est entaché d’irrégularité et doit être annulé ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me C…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 15 mars 2017 de la cour administrative d’appel de Douai est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Douai.
Article 3 : L’Etat versera à Me C…une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à MeC…, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Imprimerie Georges Frère, à M. A…B…et à la ministre du travail.
Analyse
Abstrats : 54-01-07 PROCÉDURE. INTRODUCTION DE L’INSTANCE. DÉLAIS. – IRRECEVABILITÉ D’UN RECOURS CONTRE UNE DÉCISION INDIVIDUELLE DONT SON DESTINATAIRE A EU CONNAISSANCE EXERCÉ AU-DELÀ D’UN DÉLAI RAISONNABLE [RJ1] – OBLIGATION DE COMMUNIQUER UN MOP (ART. R. 611-7 DU CJA) – EXISTENCE, NONOBSTANT L’EXISTENCE D’UNE FIN DE NON RECEVOIR FONDÉE SUR LA TARDIVETÉ DE LA REQUÊTE (ART. R. 421-1 DU CJA) [RJ2].
54-01-07-05-02 PROCÉDURE. INTRODUCTION DE L’INSTANCE. DÉLAIS. EXPIRATION DES DÉLAIS. EFFETS DE L’EXPIRATION DU DÉLAI. – IRRECEVABILITÉ D’UN RECOURS CONTRE UNE DÉCISION INDIVIDUELLE DONT SON DESTINATAIRE A EU CONNAISSANCE EXERCÉ AU-DELÀ D’UN DÉLAI RAISONNABLE [RJ1] – OBLIGATION DE COMMUNIQUER UN MOP (ART. R. 611-7 DU CJA) – EXISTENCE, NONOBSTANT L’EXISTENCE D’UNE FIN DE NON RECEVOIR FONDÉE SUR LA TARDIVETÉ DE LA REQUÊTE (ART. R. 421-1 DU CJA) [RJ2].
54-04-03-02 PROCÉDURE. INSTRUCTION. CARACTÈRE CONTRADICTOIRE DE LA PROCÉDURE. COMMUNICATION DES MOYENS D’ORDRE PUBLIC. – IRRECEVABILITÉ D’UN RECOURS CONTRE UNE DÉCISION INDIVIDUELLE DONT SON DESTINATAIRE A EU CONNAISSANCE EXERCÉ AU-DELÀ D’UN DÉLAI RAISONNABLE [RJ1] – OBLIGATION DE COMMUNIQUER UN MOP (ART. R. 611-7 DU CJA) – EXISTENCE, NONOBSTANT L’EXISTENCE D’UNE FIN DE NON RECEVOIR FONDÉE SUR LA TARDIVETÉ DE LA REQUÊTE (ART. R. 421-1 DU CJA) [RJ2].
54-07-01-04-01-02 PROCÉDURE. POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE. QUESTIONS GÉNÉRALES. MOYENS. MOYENS D’ORDRE PUBLIC À SOULEVER D’OFFICE. EXISTENCE. – IRRECEVABILITÉ D’UN RECOURS CONTRE UNE DÉCISION INDIVIDUELLE DONT SON DESTINATAIRE A EU CONNAISSANCE EXERCÉ AU-DELÀ D’UN DÉLAI RAISONNABLE [RJ1] – OBLIGATION DE COMMUNIQUER UN MOP (ART. R. 611-7 DU CJA) – EXISTENCE, NONOBSTANT L’EXISTENCE D’UNE FIN DE NON RECEVOIR FONDÉE SUR LA TARDIVETÉ DE LA REQUÊTE (ART. R. 421-1 DU CJA) [RJ2].
Résumé : 54-01-07 L’irrecevabilité d’un recours contre une décision individuelle dont son destinataire a eu connaissance, fondée sur le fait qu’il est exercé au-delà d’un délai raisonnable, ne peut être régulièrement soulevée d’office qu’après qu’ont été respectées les dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative (CJA), nonobstant l’existence d’une fin de non recevoir fondée sur la tardiveté de la requête (art. R. 421-1 du CJA).
54-01-07-05-02 L’irrecevabilité d’un recours contre une décision individuelle dont son destinataire a eu connaissance, fondée sur le fait qu’il est exercé au-delà d’un délai raisonnable, ne peut être régulièrement soulevée d’office qu’après qu’ont été respectées les dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative (CJA), nonobstant l’existence d’une fin de non recevoir fondée sur la tardiveté de la requête (art. R. 421-1 du CJA).
54-04-03-02 L’irrecevabilité d’un recours contre une décision individuelle dont son destinataire a eu connaissance, fondée sur le fait qu’il est exercé au-delà d’un délai raisonnable, ne peut être régulièrement soulevée d’office qu’après qu’ont été respectées les dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative (CJA), nonobstant l’existence d’une fin de non recevoir fondée sur la tardiveté de la requête (art. R. 421-1 du CJA).
54-07-01-04-01-02 L’irrecevabilité d’un recours contre une décision individuelle dont son destinataire a eu connaissance, fondée sur le fait qu’il est exercé au-delà d’un délai raisonnable, ne peut être régulièrement soulevée d’office qu’après qu’ont été respectées les dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative (CJA), nonobstant l’existence d’une fin de non recevoir fondée sur la tardiveté de la requête (art. R. 421-1 du CJA).
[RJ1] Cf. CE, Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763, p. 340.,,[RJ2] Cf. décisions du même jour, Me Depreux, n° 410553, Me Depreux, n° 410554, Me Depreux, n° 410555, inédites au Recueil.