AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 mai 2015, 3 août 2015, 22 octobre 2015 et 4 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. C… demande au Conseil d’Etat :
1°) de condamner l’Etat à lui verser une indemnité de 539 200 euros en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de la durée excessive de plusieurs procédures juridictionnelles et du fait de fautes commises par la juridiction administrative, avec les intérêts de droit à compter de sa demande préalable et la capitalisation de ces intérêts ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– la charte sociale européenne ;
– la convention internationale de l’OIT n° 158 du 22 juin 1982 ;
– la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– la directive cadre n° 89/391/CEE, du Conseil, du 12 juin 1989 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Laurent Huet, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M. C…;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 mars 2018, présentée par M.C….
1. Considérant que la requête de M. C… tend à rechercher la responsabilité de l’Etat, d’une part, en raison de la durée excessive de procédures suivies devant la juridiction administrative et, d’autre part, du fait de fautes lourdes que cette dernière aurait commises dans l’exercice de la fonction juridictionnelle ;
Sur les préjudices causés par la durée excessive des procédures :
2. Considérant qu’il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que les requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu’il en résulte que, lorsque leur droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu, ils peuvent obtenir la réparation de l’ensemble des préjudices tant matériels que moraux, directs et certains, causés par ce fonctionnement défectueux du service de la justice et se rapportant à la période excédant le délai raisonnable ; que le caractère raisonnable du délai doit, pour une affaire, s’apprécier de manière globale – compte tenu notamment de l’exercice des voies de recours – et concrète en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure, de même que le comportement des parties tout au long de celle-ci, et aussi, dans la mesure où le juge a connaissance de tels éléments, l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement ; que lorsque la durée globale de jugement n’a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l’Etat est néanmoins susceptible d’être engagée si la durée de l’une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive ;
3. Considérant, en premier lieu, que, faute pour M. C…d’avoir lié le contentieux en saisissant l’Etat d’une demande tendant à l’indemnisation du préjudice que lui aurait causé la durée excessive des deux procédures ayant, respectivement, donné lieu à la décision n° 325782 du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 26 octobre 2011 et à la décision n° 358992 du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 10 février 2014, ses conclusions tendant à être indemnisé des préjudices causés par la durée de ces procédures sont irrecevables ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que M. C…demande l’indemnisation du préjudice né de la durée excessive de la procédure par laquelle la juridiction administrative a statué sur la légalité de la décision du 8 août 2002 par laquelle le comité directeur de la chambre de métiers et de l’artisanat de Moselle a créé un poste de directeur de cabinet de la chambre de métiers et de l’artisanat de Moselle ; qu’il résulte de l’instruction que la procédure devant le tribunal administratif de Strasbourg a duré près de trois ans et neuf mois ; qu’une telle durée apparaît excessive, s’agissant d’un litige qui ne présentait pas de difficulté particulière ; que M. C… est, par suite, fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu à ce titre ;
5. Considérant, en troisième lieu, que M. C…demande l’indemnisation du préjudice né de la durée excessive de la procédure par laquelle la juridiction administrative a statué sur la légalité de la décision du 9 août 2002 par laquelle le président de la chambre de métiers et de l’artisanat de Moselle a nommé M. B…au poste de directeur de cabinet de la chambre de métiers et de l’artisanat de Moselle ; qu’il résulte de l’instruction que la procédure devant le tribunal administratif de Strasbourg a duré près de trois ans et neuf mois ; qu’une telle durée apparaît excessive, s’agissant d’un litige qui ne présentait pas de difficulté particulière ; que M. C… est, par suite, fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu à ce titre ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que M. C…demande l’indemnisation du préjudice né de la durée excessive de la procédure par laquelle la juridiction administrative a statué sur la légalité de la décision du 27 novembre 2002 par laquelle l’assemblée plénière de la chambre de métiers et de l’artisanat de Moselle a approuvé les décisions citées ci-dessus des 8 et 9 août 2002 du comité directeur et du président de la chambre de métiers et de l’artisanat de Moselle ; qu’il résulte de l’instruction que la procédure devant le tribunal administratif de Strasbourg a duré près de trois ans et trois mois ; qu’une telle durée apparaît excessive, s’agissant d’un litige qui ne présentait pas de difficulté particulière ; que M. C… est, par suite, fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu à ce titre ;
7. Considérant, en cinquième lieu, que M. C…demande l’indemnisation du préjudice né de la durée excessive de la procédure par laquelle la juridiction administrative a statué sur la légalité de la décision du 15 octobre 2002 du président de la chambre de métiers et de l’artisanat de Moselle prononçant sa radiation des cadres pour abandon de poste ; qu’il résulte de l’instruction que la procédure, devant le tribunal administratif de Strasbourg, la cour administrative d’appel de Nancy et le Conseil d’Etat, a duré au total près de sept ans et six mois ; que le délai global de jugement de ce contentieux, s’agissant d’un litige qui ne présentait pas de difficulté particulière et dont l’issue avait une incidence importante sur la situation professionnelle de l’intéressé, est excessif ; que M. C… est, par suite, fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu à ce titre ;
8. Considérant, en dernier lieu, que M. C…demande l’indemnisation du préjudice né de la durée excessive de la procédure par laquelle la juridiction administrative a statué sur la légalité de la décision du 7 novembre 2006 par laquelle le président de la chambre de métiers et de l’artisanat de Moselle a nommé M. B…en qualité de secrétaire général ; que si le délai global de jugement de l’affaire de six ans et quatre mois devant le tribunal administratif de Strasbourg, la cour administrative d’appel de Nancy puis le Conseil d’Etat n’apparaît pas excessif, en revanche, le délai de jugement de l’affaire de trois ans et six mois en première instance, s’agissant d’un litige qui ne présentait pas de difficulté particulière, est excessif ; que M. C… est, par suite fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu à ce titre ;
9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la durée excessive des procédures contentieuses mentionnées aux points 4 à 8 a occasionné pour M. C…un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès ; que, dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l’Etat à lui verser une indemnité de 5 000 euros, tous intérêts compris ;
Sur les préjudices causés par le caractère fautif des décisions juridictionnelles :
10. Considérant qu’en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d’ouvrir droit à indemnité ; que si l’autorité qui s’attache à la chose jugée s’oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l’Etat peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entachée d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ;
11. Considérant, en premier lieu, que si M. C…soutient que la juridiction administrative a, par plusieurs décisions définitives prises sur ses requêtes, méconnu le droit au procès équitable garanti par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les articles 24 et 26 de la charte sociale européenne ou la convention internationale de l’OIT n° 158 du 22 juin 1982, il met en cause, ce faisant, la responsabilité de l’Etat à raison du contenu même de décisions juridictionnelles définitives sans alléguer de violation du droit de l’Union européenne ; qu’il résulte de ce qui a été dit au point 10 que ces moyens ne peuvent qu’être écartés ;
12. Considérant, en second lieu, que les moyens tirés de ce que la juridiction administrative aurait rendu, sur les requêtes de M.C…, des décisions contraires au » principe général du droit de l’Union européenne garantissant le droit d’être entendu avant tout licenciement « , aux principes de confiance légitime et de sécurité juridique, à l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à la directive cadre n° 89/391/CEE, du Conseil, du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre des mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, ne sont pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;
13. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. C… tendant à ce que la responsabilité de l’Etat soit engagée à raison de l’exercice de la fonction juridictionnelle par le Conseil d’Etat et d’autres juridictions administratives ne peuvent qu’être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à ce titre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à M.C… ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’Etat est condamné à verser à M. C… la somme de 5 000 euros, tous intérêts compris, à la date de la présente décision.
Article 2 : L’Etat versera à M. C… la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A… C…et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administratives.