AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
La SCI SAH a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, l’arrêté du 19 janvier 2011 du préfet de la Gironde déclarant d’utilité publique les travaux d’extension du parking du centre technique communautaire de Bègles et autorisant la communauté urbaine de Bordeaux à acquérir la parcelle nécessaire à la réalisation d’un parc de stationnement, d’autre part, l’arrêté du 16 février 2011 du préfet de la Gironde déclarant cessible, pour cause d’utilité publique, au profit de la communauté urbaine de Bordeaux, une parcelle lui appartenant. Par un jugement n°s 1101116,1101554 du 12 avril 2012, le tribunal administratif a rejeté ses demandes.
Par un arrêt n° 12BX01784 du 13 novembre 2014, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel de la SCI SAH, annulé le jugement du tribunal administratif et les arrêtés des 19 janvier et 16 février 2011.
Par un pourvoi sommaire et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 14 janvier et 8 avril 2015 et 8 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Bordeaux Métropole, venant aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux, demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la SCI SAH ;
3°) de mettre à la charge de la SCI SAH la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, faite à Aarhus le 25 juin 1998 ;
– la directive n° 85/337/CEE du Conseil du 27 juin 1985 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
– le décret n° 86-455 du 14 mars 1986 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Luc Briand, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de Bordeaux Métropole, et à la SCP Boulloche, avocat de la SCI SAH ;
1. Considérant que, par un arrêté du 19 janvier 2011, le préfet de la Gironde a déclaré d’utilité publique les travaux d’extension du parking du centre technique communautaire de Bègles et a autorisé la communauté urbaine de Bordeaux à acquérir la parcelle BL n° 18 pour la réalisation d’un parc de stationnement de 83 places et d’une superficie de 2 000 m² ; que, par un arrêté du 16 février 2011, le préfet de la Gironde a déclaré cessible, pour cause d’utilité publique, au profit de la communauté urbaine de Bordeaux, la parcelle cadastrée BL n° 18 appartenant à la SCI SAH ; que, par jugement du 12 avril 2012, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les demandes de la SCI SAH tendant à l’annulation de ces arrêtés ; que, par arrêt du 13 novembre 2014, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé ce jugement ainsi que les arrêtés des 19 janvier et 16 février 2011 ;
Sur le pourvoi :
2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article R. 11-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, en vigueur à la date des arrêtés contestés : » L’expropriant adresse au préfet pour être soumis à l’enquête un dossier qui comprend obligatoirement :/ (…) I.- Lorsque la déclaration d’utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d’ouvrages :/ (…) 5° L’appréciation sommaire des dépenses ; (…) » ; que l’article 6 du décret du 14 mars 1986 portant suppression des commissions des opérations immobilières et de l’architecture et fixant les modalités de consultation des services des domaines prévoit que : » Dans le cas des acquisitions poursuivies par voie d’expropriation pour cause d’utilité publique, les collectivités et services expropriants sont tenus de demander l’avis du service des domaines :/ 1° Pour produire, au dossier de l’enquête visée à l’article L. 11-1 du code de l’expropriation, l’estimation sommaire et globale des biens dont l’acquisition est nécessaire à la réalisation des opérations prévues à l’article R. 11-3 (I, II, et III) du même code ; (…) » ; que les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ;
3. Considérant que, pour juger que l’enquête publique était entachée d’une irrégularité ayant exercé une influence sur le sens de la décision finalement adoptée et privé le public d’une garantie, la cour a jugé qu’eu égard à l’évolution du marché de l’immobilier dans le secteur entre l’année 2007 au cours de laquelle l’avis du service des domaines avait été recueilli et l’ouverture de l’enquête publique en 2010, la communauté urbaine de Bordeaux aurait dû solliciter un nouvel avis du service des domaines en vue de fixer l’estimation sommaire et globale de la parcelle BL n° 18 ; qu’en statuant ainsi, alors que les dispositions de l’article 6 du décret du 14 mars 1986 n’imposent pas aux collectivités et services expropriants, déjà titulaires d’un avis du service des domaines sur la valeur d’une parcelle, de procéder à une seconde saisine de ce service, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ;
4. Considérant, en second lieu, qu’une opération ne peut être légalement déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à l’environnement et à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ;
5. Considérant que, pour juger que le projet de création de parc de stationnement destiné aux véhicules personnels des agents du centre de tri ne présentait pas un caractère d’utilité publique, la cour administrative d’appel a estimé qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que la réalisation d’un tel parc répondrait à un besoin d’intérêt général dès lors, d’une part, qu’il n’était pas établi que les possibilités de stationnement existant à proximité ne seraient pas suffisantes pour répondre aux besoins des agents sans gêner la circulation dans ce secteur ou constitueraient un aménagement indispensable au fonctionnement de ce centre et, d’autre part, qu’il n’était ni établi ni même allégué par la communauté urbaine de Bordeaux que le stationnement des véhicules de service et de collecte nouvellement affectés au centre de tri ne pourrait être assuré par d’autres moyens, notamment par la réalisation de nouveaux aménagements sur les parcelles lui appartenant déjà et sur lesquelles est implanté le centre technique communautaire ;
6. Considérant, toutefois, qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le projet de parc de stationnement en litige s’inscrit dans la mise en oeuvre d’un nouveau plan de collecte de déchets ménagers, qui consiste notamment à transférer huit secteurs de collecte des ordures ménagères sur le seul site de Bègles, permettant ainsi de réduire notablement les déplacements des véhicules de collecte et, partant, les coûts et les nuisances pour l’environnement ; que cette nouvelle organisation a pour conséquence d’accroître de soixante places les besoins en stationnement pour les véhicules des agents travaillant sur ce site ; que la parcelle cadastrée BL n° 18, acquise par la SCI SAH en 2001 et sur laquelle elle n’a réalisé aucune construction, présente un intérêt particulier pour la réalisation d’un tel parc de stationnement, en ce qu’elle est limitrophe à la fois du centre technique et de la rue Gustave Eiffel, principale voie d’accès au site ; qu’il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que l’acquisition de cette parcelle ne présentait pas un caractère d’utilité publique, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce ; qu’il résulte de tout ce qui précède que son arrêt doit être annulé ;
7. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur l’appel :
8. Considérant, en premier lieu, que l’arrêté du 19 janvier 2011 déclarant d’utilité publique le projet d’extension du parc de stationnement a été signé par Mme Isabelle Dilhac, secrétaire générale de la préfecture de la Gironde, qui a reçu délégation de signature pour ce faire par un arrêté préfectoral du 29 juin 2010, régulièrement publié au bulletin d’informations administratives de la préfecture de Gironde le 1er juillet 2010 ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que si le 3° de l’article L. 11-1-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, alors en vigueur, prévoyait que l’acte déclarant l’utilité publique est accompagné d’un document exposant les motifs et considérations justifiant le caractère d’utilité publique de l’opération, ces dispositions, qui exigent que l’auteur de la décision, une fois cette dernière prise, porte à la connaissance du public une information supplémentaire explicitant les motifs et les considérations qui l’ont fondée, ne sauraient être interprétées comme imposant une motivation en la forme de la déclaration d’utilité publique qui serait une condition de légalité de cette dernière ;
10. Considérant, en troisième lieu, que l’opération projetée, qui consiste en la création d’une aire de stationnement de véhicules légers de 83 places et d’une superficie de 2 000 m², n’est pas au nombre des opérations mentionnées aux annexes I à III à l’article R. 123-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction alors en vigueur, pour lesquelles l’enquête d’utilité publique relève de la procédure spécifique définie par les articles R. 11-14-1 à R. 11-14-15 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, alors en vigueur ;
11. Considérant, en quatrième lieu, qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article R. 11-10 du code de l’expropriation, alors en vigueur : » Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête rédige des conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à l’opération. (…) » ; qu’en vertu de l’article R. 123-22 du code de l’environnement, dans sa rédaction alors en vigueur, le commissaire-enquêteur consigne, dans un document séparé, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à l’opération et transmet au préfet le dossier de l’enquête avec le rapport et les conclusions motivées ; qu’il ressort des pièces du dossier que le commissaire-enquêteur, après avoir examiné les objections formulées par la SCI SAH, lesquelles sont reprises dans le rapport d’enquête, a émis un avis personnel et circonstancié sur l’utilité publique du projet, relevant en particulier que le coût de l’opération n’était pas excessif au regard de son bilan social et environnemental ;
12. Considérant, en cinquième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que la notice jointe au dossier soumis à l’enquête publique comportait une fiche évaluant le coût prévisionnel de l’opération à la somme de 320 000 euros, comprenant la réalisation des travaux pour un montant de 200 000 euros et l’acquisition de la parcelle appartenant à la SCI SAH pour un montant de 120 000 euros ; qu’ainsi, le dossier comportait une estimation sommaire des dépenses ; que la circonstance que le juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Bordeaux a, par un jugement en date du 15 décembre 2011, estimé que l’indemnité d’expropriation devait être fixée à 386 000 euros en appliquant la méthode comparative et en se fondant sur d’autres termes de référence que ceux choisis par le service de l’Etat, n’est pas de nature à établir que l’appréciation sommaire des dépenses aurait été manifestement sous-évaluée, alors au surplus que le commissaire-enquêteur avait insisté sur la diminution des dépenses résultant de la réorganisation à l’origine du projet ;
13. Considérant, en sixième lieu, qu’il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le moyen tiré de l’absence d’utilité publique du projet doit être écarté ;
14. Considérant, enfin, que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;
15. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SCI SAH n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande ;
16. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de Bordeaux Métropole, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SCI SAH la somme de 4 500 euros à verser à Bordeaux Métropole, au titre des frais exposés par cet établissement devant le Conseil d’Etat et la cour administrative d’appel de Bordeaux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 13 novembre 2014 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la SCI SAH devant la cour administrative d’appel de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : La SCI SAH versera à Bordeaux Métropole une somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la SCI SAH présentées devant le Conseil d’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Bordeaux Métropole et à la SCI SAH. Copie en sera adressée à la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.
ECLI:FR:CESSR:2016:387140.20160203