Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 novembre 2015 par le Conseil d’État (décision n° 367256 du 12 novembre 2015), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour la société Metro Holding France SA venant aux droits de la société CRFP Cash, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du b ter du 6 de l’article 145 du code général des impôts, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-520 QPC.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la directive n° 90/435/CE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et aux filiales d’États membres différents, ensemble sa modification par la directive n° 2003/123/CE du 22 décembre 2003 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 de finances pour 1993 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées les 7 et 21 décembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 7 décembre 2015 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean-Marc Priol, avocat au barreau des Hauts-de-Seine pour la société requérante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 26 janvier 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée ; que la société requérante a contesté la remise en cause de l’application du régime fiscal des sociétés mères aux produits retirés de la cession de titres de participation pour l’exercice clos en 2003 ; qu’ainsi, le Conseil constitutionnel est saisi des dispositions du b ter du 6 de l’article 145 du code général des impôts dans sa version issue de la loi du 30 décembre 1992 susvisée ;
2. Considérant que l’article 145 du code général des impôts détermine les conditions requises pour bénéficier de l’exonération d’impôt sur les sociétés prévue, en faveur des sociétés mères, par l’article 216 du même code ; que le 6 de l’article 145 énumère les cas dans lesquels les produits des titres de participation versés par une filiale à sa société mère sont exclus du bénéfice du régime des sociétés mères ; qu’aux termes du b ter de ce 6, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1992, ce régime fiscal n’est pas applicable : « Aux produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote » ;
3. Considérant que, selon la société requérante, il résulte des dispositions contestées, telles qu’interprétées par le Conseil d’État, une différence de traitement entre les sociétés recevant des produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés des droits de vote selon que ces produits sont versés par une filiale établie en France, auquel cas elles ne bénéficient pas du régime fiscal des sociétés mères, ou par une filiale établie dans un autre État membre de l’Union européenne, auquel cas elles bénéficient de ce régime fiscal ; que cette différence de traitement serait contraire au principe d’égalité devant la loi ; que les dispositions contestées méconnaîtraient également le principe d’égalité devant les charges publiques en raison de la double imposition économique à laquelle seraient soumis les produits des titres de participation reçus par une société mère de la part de sa filiale établie en France ;
4. Considérant qu’il ressort de la jurisprudence constante du Conseil d’État que l’exclusion, instituée par les dispositions contestées, de la déduction du bénéfice net total de la société mère des produits des titres de participation auxquels aucun droit de vote n’est attaché est seulement applicable aux produits des titres de participation de sociétés établies en France ou dans des États autres que les États membres de l’Union européenne ;
5. Considérant qu’en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée ;
6. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
7. Considérant qu’aux termes de l’article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que cette exigence ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu’en particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ;
8. Considérant qu’il résulte des dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, une différence de traitement entre sociétés bénéficiant du régime fiscal des sociétés mères selon que les produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés de droits de vote sont versés soit par une filiale établie en France ou dans un État autre qu’un État membre de l’Union européenne soit, à l’inverse, par une filiale établie dans un État membre de l’Union européenne ; que ces sociétés se trouvent, au regard de l’objet de ce régime fiscal, dans la même situation ;
9. Considérant que l’exclusion de l’application des dispositions contestées aux produits des titres de participation de filiales établies dans un État membre de l’Union européenne autre que la France tire les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles de la directive n° 90/435/CE susvisée et ne met en cause aucune règle ni aucun principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ; qu’en revanche, l’application des dispositions contestées aux produits des titres de participation de filiales établies en France ou dans un État non membre de l’Union européenne ne procède pas de la transposition de la directive n° 90/435/CE ;
10. Considérant qu’en édictant une condition relative aux droits de vote attachés aux titres des filiales pour pouvoir bénéficier du régime fiscal des sociétés mères, le législateur a entendu favoriser l’implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales ; que la différence de traitement entre les produits de titres de filiales, qui repose sur la localisation géographique de ces filiales, est sans rapport avec un tel objectif ; qu’il en résulte une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques ; que le b ter du 6 de l’article 145 du code général des impôts doit être déclaré contraire à la Constitution ;
11. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ;
12. Considérant que la déclaration d’inconstitutionnalité du b ter du 6 de l’article 145 du code général des impôts prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; qu’elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E :
Article 1er.- Le b ter du 6 de l’article 145 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992 est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 12.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 2 février 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 3 février 2016.