RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 novembre 1992 et 30 mars 1993 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Pierre X…, demeurant … ; M. X… demande que le Conseil d’Etat :
1°) annule la décision du 3 septembre 1992 par laquelle la section disciplinaire du conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté sa requête tendant à l’annulation de la décision du 20 juin 1989 du conseil régional de l’Ordre du Nord-Pas-de-Calais qui lui a infligé la sanction de l’interdiction d’exercer l’art dentaire pendant un an ;
2°) condamne le conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes à lui verser la somme de 11 860 F en application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le décret n° 48-1671 du 26 octobre 1948 ;
Vu le décret n° 67-671 du 22 juillet 1967 portant code de déontologie des chirurgiens-dentistes ;
Vu la loi n° 88-828 du 20 juillet 1988 portant amnistie ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Raynaud, Auditeur,
– les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Pierre X… et de Me Roger, avocat du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes,
– les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personnne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle … » ;
Considérant qu’il résulte de la combinaison des articles L. 442 et L. 423 du code de la santé publique susvisé que les instances disciplinaires de l’Ordre des chirurgiens-dentistes peuvent prononcer, outre les sanctions de l’avertissement et du blâme, les sanctions de la suspension ou de l’interdiction temporaire ou définitive du droit d’exercer la profession ; qu’ainsi, les décisions prises par lesdites instances sont susceptibles de porter atteinte à l’exercice du droit d’exercer la profession de chirurgien-dentiste, lequel revêt le caractère d’un droit civil au sens des stipulations précitées de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il suit de là que les stipulations de l’article 6 1 précitées s’appliquent à la procédure suivie devant la section disciplinaire du conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes et sont ainsi méconnues par les dispositions de l’article 26 du décret susvisé du 26 octobre 1948, aux termes desquelles « l’audience n’est pas publique » ;
Considérant qu’il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que celle-ci a été prise après une audience non publique en application de l’article 26 du décret du 26 octobre 1948 dans sa version applicable à la date de ladite décision ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que cette procédure est irrégulière et que la décision du 3 septembre 1992 par laquelle la section disciplinaire du conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes a confirmé la sanction de l’interdiction d’exercer son art pendant un an infligée à M. X… par le conseil régional de la région Nord-Pas-de-Calais doit être annulée ;
Sur les conclusions de M. X… tendant à l’application de l’article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner le conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes à verser à M. X… la somme qu’il réclame au titre des sommes exposées et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : La décision du 3 septembre 1992 par laquelle la section disciplinaire du conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes a confirmé la sanction de l’interdiction d’exercer son art pendant un an infligée à M. X… par le conseil régional de la région Nord-Pas-de-Calais est annulée.
Article 2 : Les conclusions de M. X… tendant à l’application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : L’affaire est renvoyée à la section disciplinaire du conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre X…, au conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes et au ministre du travail et des affaires sociales.