RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat les 15 septembre 1995 et 15 janvier 1996, présentés pour la SARL Deltana, représentée par son gérant, domicilié en cette qualité … et M. Thierry X… ; la SARL Deltana et M. X… demandent au Conseil d’Etat d’annuler un arrêt de la Cour des comptes en date du 29 juin 1995 confirmant le débet mis à leur charge par jugement de la chambre régionale des comptes de la région ProvenceAlpes Côte d’Azur et les condamnant à verser à la commune de Nice, respectivement, une amende de 250 000 F et de 500 000 F ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 modifiée relative à la Cour des comptes ;
Vu la loi n° 82-594 du 10 juillet 1982 relative aux chambres régionales des comptes et modifiant la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 relative à la Cour des comptes ;
Vu le décret n° 83-224 du 22 mars 1983 relatif aux chambres régionales des comptes ;
Vu le décret n° 85-199 du 11 février 1985 relatif à la Cour des comptes ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de Mme de Silva, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SARL Deltana et de M. X…,
– les conclusions de M. Seban, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions dirigées contre les dispositions de l’arrêt attaqué qui sont relatives à la fixation de la ligne de compte et à la mise en débet :
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 22 juin 1967 susvisée « La Cour des comptes est composée du premier président, de présidents de chambres, de conseillers maîtres, de conseillers référendaires et d’auditeurs (…) » ; qu’aux termes de l’article 9 du décret du 11 février 1985 susvisé : « La Cour des comptes comprend sept chambres, composées chacune d’un président de chambre, de conseillers maîtres, de conseillers référendaires et d’auditeurs (…). Un arrêté du premier président, pris sur proposition du président de la chambre et après avis du procureur général, peut créer au sein de chaque chambre une ou plusieurs sections comptant au moins trois conseillers maîtres et pouvant comprendre un ou deux conseillers maîtres en service extraordinaire. Cet arrêté fixe la composition de chaque section et en désigne le président parmi les conseillers maîtres » ; qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 10 du même décret le président de chambre « peut présider les séances des sections » ; qu’aux termes de l’article 28 du même décret : « L’exemplaire original de l’arrêt est signé par le magistrat rapporteur, par le président de section et par le président de chambre s’il a été rendu par une section, par le président de chambre s’il a été rendu par une chambre ou une formation interchambres, par le premier président s’il a été rendu toutes chambres réunies ou par une chambre statuant sous sa présidence (…) » ; que, selon les énonciations de l’arrêt attaqué du 29 juin 1995, celui-ci a été rendu par la première section de la quatrième chambre et a été signé par « M. Delafosse, conseiller maître et M. Magnet, Président » ; qu’il ressort des pièces du dossier que, par arrêté du 29 décembre 1994 portant création des sections au sein des chambres et fixant leur composition, une première section présidée par M. Magnet, alors conseiller maître, avait été créée au sein de la quatrième chambre ; que M. Magnet a été ensuite nommé président de la quatrième chambre par décret du Président de la République ; que si, à la suite de sa nomination comme président de chambre, M. Magnet devait, eu égard aux dispositions précitées de l’article 9 du décret du 11 février 1985, être réputé avoir cessé d’exercer les fonctions de président de section, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que la section fût réunie, sous la présidence du président de la chambre, en l’absence d’un président de section ; que, dans ces conditions, la réunion de la section n’a pas été viciée par l’absence d’un président de section, régulièrement en fonctions et l’arrêt a pu valablement être signé par le président de chambre et par le rapporteur ;
Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales susvisée : « I. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) publiquement (…) par un tribunal (…) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) » ; que la Cour des comptes, lorsqu’elle fixe la ligne de compte de la gestion de fait et met le comptable en débet, ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas de contestations sur des droits et obligations de caractère civil ; qu’ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision attaquée, rendue en audience non publique, serait de ce fait irrégulière en tant qu’elle fixe la ligne du compte de gestion de fait et prononce leur mise en débet ;
Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 8 de la loi n° 82-594 du 10 juillet 1982 susvisée relative aux chambres régionales des comptes et de l’article 23, premier alinéa du décret du 22 mars 1983, que seules les dispositions définitives des jugements rendus par les chambres régionales des comptes sont susceptibles d’appel devant la Cour des comptes ; qu’ainsi, la Cour des comptes a pu, à bon droit, rejeter comme irrecevables, les conclusions de M. X… dirigées contre le jugement de la chambre régionale des comptes de ProvenceAlpes-Côte d’Azur du 18 mai 1994 en tant qu’il statuait à titre provisoire sur le compte de la gestion de fait et infligeait provisoirement une amende ;
Considérant que les requérants ont soutenu en appel que la chambre régionale des comptes, pour prononcer son jugement définitif du 4 octobre 1994 les constituant en débet et les condamnant à l’amende, aurait considéré à tort qu’ils n’avaient pas répondu au jugement provisoire du 18 mai précédent ; que la Cour des comptes a, par une appréciation souveraine qui n’est pas entachée de dénaturation, estimé que les requérants n’avaient pas produit de mémoire dans le délai imparti par la Cour ; que ce faisant, la Cour n’a pas méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ni le principe du respect des droits de la défense ;
Considérant que si, pour contester le fondement de la gestion de fait ayant justifié leur mise en débet, les requérants se sont prévalus en appel d’un jugement du tribunal correctionnel du 9 juillet 1993 qui relaxait M. X… d’une poursuite pour fraude fiscale, la Cour des comptes a relevé, par l’arrêt attaqué, que par un arrêt du 20 janvier 1994, devenu définitif, elle avait déclaré la SARL Deltana et M. X… comptables de fait de la ville de Nice ; qu’elle a pu, sans erreur de droit, en déduire que les requérants n’étaient plus recevables à contester la qualification des paiements ayant donné lieu à gestion de fait, qui constitue le fondement nécessaire de l’arrêt précité du 20 janvier 1994 qui est revêtu de l’autorité de la chose jugée ;
Considérant que si M. X… se prévaut en cassation d’un jugement en date du 14 janvier 1997 par lequel le tribunal administratif de Paris l’a déchargé d’impositions supplémentaires à l’impôt sur le revenu et à la TVA, ce moyen, qui n’a pas été soumis aux juges du fond, ne peut, en tout état de cause, être utilement invoqué ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions susanalysées doivent être rejetées ;
Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur l’amende de gestion de fait :
Considérant que, lorsqu’elles sont saisies d’agissements pouvant donner lieu aux amendes pour gestion de fait mentionnées au XI de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, à l’article 3 de la loi du 10 juillet 1982 susvisée relative aux chambres régionales des comptes, à l’article 6 de la loi du 22 juin 1967 susvisée relative à la Cour des comptes, alors applicables, et dont les termes sont aujourd’hui repris notamment aux articles L. 131-11 et L. 231-11 du code des juridictions financières, la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes doivent être regardées comme décidant du bien-fondé d' »accusations en matière pénale » au sens des stipulations précitées de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et doivent, dès lors, siéger en séance publique ;
Considérant qu’il ne ressort pas des mentions de l’arrêt attaqué de la Cour des comptes que cette juridiction ait siégé en séance publique et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté que cette formalité n’a pas été respectée ; que, dès lors, les requérants sont fondés à soutenir qu’en l’espèce, faute d’avoir respecté cette formalité, la Cour des comptes a statué selon une procédure irrégulière, et à demander l’annulation de l’arrêt attaqué, en tant qu’il a prononcé les amendes ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué en ce qui concerne la condamnation à l’amende et de renvoyer dans cette mesure l’affaire devant la Cour des comptes, et de rejeter le surplus des conclusions de la requête ;
Article 1er : L’arrêt susvisé de la Cour des comptes en date du 29 juin 1995 est annulé dans la mesure où il statue sur l’amende.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, devant la Cour des comptes.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Deltana et de M. X… est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SARL Deltana, à M. Thierry X…, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au procureur général près la Cour des comptes.