RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 27 février 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la société ETNA FINANCE, dont le siège est …, représentée par son président en exercice, et pour M. Eric X, président de la société ETNA FINANCE et domicilié à son siège ; la société ETNA FINANCE et M. X demandent :
1°) l’annulation de la décision, en date du 26 novembre 2001, par laquelle le conseil de discipline de la gestion financière a infligé à la société un avertissement et une sanction financière de 300 000 F (45 735 euros) et à son dirigeant un avertissement ;
2°) la condamnation de l’Etat à leur verser, chacun, la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;
Vu le décret du 28 mars 1990 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mlle Vialettes, Auditeur,
– les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société ETNA FINANCE et de M. X,
– les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
Sur les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
Considérant qu’au vu d’un rapport d’enquête établi par ses inspecteurs, la Commission des opérations de bourse a saisi le conseil de discipline de la gestion financière en vue de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la société ETNA FINANCE et de M. X qui en était le président ; qu’à l’issue de cette procédure, le conseil de discipline a infligé à la société un avertissement et une sanction pécuniaire de 300 000 F (45 735 euros), et à son président un avertissement ; que ceux-ci soutiennent que la procédure aurait méconnu, à trois titres, les stipulations de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que, quand il est saisi d’agissements pouvant donner lieu aux sanctions prévues par l’article L. 623-4 du code monétaire et financier, le conseil de discipline de la gestion financière doit être regardé comme décidant du bien-fondé d’accusations en matière pénale au sens de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, compte tenu du fait que sa décision peut faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant le Conseil d’Etat, la circonstance que la procédure suivie devant le conseil de discipline de la gestion financière ne serait pas en tous points conforme aux prescriptions de l’article 6, § 1, de la convention précitée n’est pas de nature à entraîner dans tous les cas une méconnaissance du droit à un procès équitable ; que, cependant – et alors même que le conseil de discipline de la gestion financière n’est pas une juridiction au regard du droit interne-, les moyens tirés de ce qu’il aurait statué dans des conditions qui ne respecteraient pas le principe d’impartialité et le principe des droits de la défense rappelés à l’article 6 de la convention européenne peuvent, eu égard à la nature, à la composition et aux attributions de cet organisme, être utilement invoqués à l’appui d’un recours formé devant le Conseil d’Etat à l’encontre de sa décision ;
En ce qui concerne l’enquête conduite par la Commission des opérations de bourse :
Considérant que quels que soient les reproches faits par les requérants à l’enquête conduite par la Commission des opérations de bourse, il n’est pas contesté que devant le conseil de discipline de la gestion financière les intéressés ont pu présenter des observations relativement aux faits et aux irrégularités qui leur étaient opposés, conformément aux exigences du principe du respect des droits de la défense ;
En ce qui concerne le rôle joué par le secrétaire du conseil de discipline et la participation du rapporteur au délibéré :
Considérant qu’aux termes de l’article 2 du décret du 28 mars 1990 : Les moyens nécessaires au fonctionnement du secrétariat du conseil sont fournis par la Commission des opérations de bourse ; qu’aux termes de l’article 3 du même décret : les griefs retenus par le conseil de discipline lorsque celui-ci agit d’office ou énoncés dans la demande du commissaire du gouvernement ou de la Commission des opérations de bourse mentionnée à l’article 33-3 de la loi du 23 décembre 1988 sont notifiés à la personne mise en cause par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou remise contre récépissé. La personne mise en cause est informée, lors de la notification des griefs, qu’elle peut prendre connaissance des pièces du dossier qui sera soumis au conseil de discipline (…) ; qu’aux termes de l’article 4 du même décret : le président désigne, pour chaque affaire, un rapporteur parmi les membres du conseil. (…) Le rapporteur, avec le concours du secrétariat du conseil de discipline, est chargé d’instruire les actions disciplinaires. Il peut recueillir toutes informations utiles, notamment auprès de la Commission des opérations de bourse, ainsi que des témoignages. Il consigne le résultat de ses opérations par écrit ; qu’aux termes de l’article 6 du même décret : Lors de la séance, le rapporteur présente l’affaire. / Le président peut faire entendre par le conseil de discipline de la gestion financière toutes personnes dont il estime l’audition utile./ Après observations éventuelles du commissaire du gouvernement et du représentant de la Commission des opérations de bourse, la personne poursuivie et son conseil présentent leur défense. / Dans tous les cas, la personne poursuivie et, le cas échéant, son conseil doivent pouvoir prendre la parole en dernier. / La décision est prise en la seule présence du président, des membres, du secrétaire du conseil et du commissaire du gouvernement. Le procès-verbal est signé du président, du rapporteur et du secrétaire. La décision est rendue publique ;
Considérant, d’une part, que la circonstance que le secrétaire du conseil de discipline est également le secrétaire de la Commission des opérations de bourse n’est pas constitutive d’une méconnaissance du principe d’impartialité, dès lors que le décret du 28 mars 1990 se borne à lui confier le soin d’apporter son concours matériel au rapporteur chargé d’instruire les actions disciplinaires, d’assister au délibéré, d’apposer sa signature auprès de celle du président et du rapporteur sur le procès-verbal et de notifier la décision prononcée ;
Considérant, d’autre part, qu’il résulte des dispositions précitées que le rapporteur, qui n’est pas à l’origine de la saisine, ne participe pas à la formulation des griefs ; qu’il n’a pas le pouvoir de classer l’affaire ou, au contraire, d’élargir le cadre de la saisine ; que les pouvoirs d’investigation dont il est investi pour vérifier la pertinence des griefs et des observations de la personne poursuivie ne l’habilitent pas à faire des perquisitions, des saisies ni à procéder à toute autre mesure de contrainte au cours de l’instruction ; qu’en l’espèce, il n’est pas établi, ni même allégué, que le membre du conseil ayant été désigné rapporteur de la procédure disciplinaire ouverte à l’encontre des requérants après sa saisine par le président de la Commission des opérations de bourse, aurait, dans l’exercice de ses fonctions de rapporteur, excédé les pouvoirs qui lui ont été conférés par les dispositions rappelées ci-dessus, et qui ne diffèrent pas de ceux que le conseil de discipline de la gestion financière aurait lui-même pu exercer ; que, dès lors, il n’est résulté de sa participation au délibéré à l’issue duquel il a été décidé d’infliger une sanction, d’une part, à la société ETNA FINANCE et, d’autre part, à M. X, aucune méconnaissance du principe d’impartialité rappelé à l’article 6, § 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Sur les autres moyens relatifs à la légalité externe :
Considérant que contrairement à ce que soutiennent les requérants, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général ne prévoit que les décisions du conseil de discipline de la gestion financière portent mention de sa composition ou soient signées par le rapporteur ;
Considérant, en outre, qu’il résulte de l’instruction que, d’une part, le conseil de discipline de la gestion financière a siégé le 26 novembre 2001 dans le respect de la règle de quorum de sept membres prévu par l’article 1er du décret du 28 mars 1990, et, d’autre part, le procès-verbal a été signé, conformément à la règle posée à l’article 6 du même décret, par le rapporteur ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du champ d’application de la loi d’amnistie :
Considérant que l’article 14 de la loi du 6 août 2002 portant amnistie ayant expressément exclu de son bénéfice les sanctions prononcées par le conseil de discipline de la gestion financière, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que les faits qui leur sont reprochés entreraient dans le champ d’application de cette loi ;
Sur le bien-fondé des sanctions prononcées :
Considérant que la société ETNA FINANCE et M. X font valoir, en premier lieu, que les sanctions contestées ne pouvaient être légalement prononcées dès lors que le conseil de discipline de la gestion financière n’avait pas établi que les manquements qui leur étaient reprochés avaient été de nature à nuire à l’intérêt des actionnaires ou des porteurs de parts, et, en second lieu, que les faits retenus n’étaient pas de nature à justifier une sanction ;
Sur la première critique faite à la décision attaquée :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 623-2 du code monétaire et financier : toute infraction aux lois et règlements applicables aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières, tout manquement aux règles de pratique professionnelle de nature à nuire à l’intérêt des actionnaires ou des porteurs de parts ou des mandants donne lieu à des sanctions disciplinaires prononcées par le conseil de discipline de la gestion financière ;
Considérant que les faits qui ont été reprochés à la société ETNA FINANCE et à M. X ont été considérés comme des infractions aux lois et règlements applicables aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières et non comme des manquements aux règles de pratique professionnelle ; que le conseil de discipline de la gestion financière n’avait donc, en tout état de cause, pas à rechercher s’ils étaient de nature à nuire à l’intérêt des actionnaires ou des porteurs de parts ;
Sur la seconde critique faite à la décision attaquée :
Considérant que, pour prononcer, par la décision du 26 novembre 2001, les sanctions contestées, le conseil de discipline de la gestion financière s’est fondé sur ce que, en premier lieu, la société ETNA FINANCE avait recours à des gérants dits indépendants, parfois employés à temps partiel, et rémunérés exclusivement en fonction des mouvements enregistrés sur les comptes, en deuxième lieu, le contrôle interne présentait des insuffisances, en troisième lieu, certains fonds communs de placement créés par la société avaient détenu des titres, non côtés, de la société elle-même, en dépassement, au surplus, du plafond, fixé à 5% de titres d’un même émetteur, en quatrième lieu, l’information des clients ne correspondait pas à l’information requise par la réglementation, et en dernier lieu, la Commission des opérations de bourse n’avait pas été informée d’un changement au sein de la direction de la société et de prises de participation d’ETNA FINANCE dans deux sociétés ; que ces faits, dont la matérialité est établie, méconnaissent, pour le premier, les règlements 96-02 et 96-03 de la Commission des opérations de bourse, pour le deuxième, le règlement 96-03 précité, pour le troisième, les articles L. 214-4 et L. 533-4 du code monétaire et financier, pour le quatrième, les règlements 96-02 et 96-03 précités, pour le cinquième, l’article 5 du décret du 8 octobre 1996 et les règlements qui viennent d’être mentionnés ; qu’il suit de là que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les sanctions prononcées seraient dépourvues de base légale ;
Sur le moyen tiré du caractère disproportionné des sanctions prononcées :
Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’en raison de la gravité des infractions commises, l’avertissement et la sanction pécuniaire de 300 000 F (45 735 euros) prononcés à l’encontre de la société ETNA FINANCE, dont la dénomination est désormais NEXT UP, et l’avertissement infligé à M. X, en sa qualité de président de ladite société, sont justifiés ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société ETNA FINANCE et M. X ne sont pas fondés à demander l’annulation de la décision du 26 novembre 2001 du conseil de discipline de la gestion financière ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la société ETNA FINANCE et à M. X les sommes qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société ETNA FINANCE et de M. X est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société NEXT UP nouvelle dénomination de la société ETNA FINANCE, à M. Eric X, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au conseil de discipline de la gestion financière.