AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 97-1269 du 30 décembre 1997 de finances pour 1998 ;
Vu la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Nicolas Labrune, Auditeur,
– les observations de la SCP Boutet, avocat de la société EPI,
– les conclusions de M. Julien Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boutet, avocat de la société EPI ;
1. Considérant que l’article 220 octies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l’article 81 de la loi du 30 décembre 1997 de finances pour 1998, avait institué un crédit d’impôt imputable sur la contribution de 10 % sur l’impôt sur les sociétés, à raison des variations d’effectifs constatées au cours des années 1998 à 2000 ; que, toutefois, l’article 23 de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000, entrée en vigueur le 2 janvier 2000, a supprimé le bénéfice de ce crédit d’impôt pour les créations d’emplois intervenues au cours de l’année 1999 et constatées au 31 décembre 1999 ainsi que pour celles à intervenir au cours de l’année 2000 ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’administration fiscale s’est fondée sur ces dernières dispositions pour refuser à la société EPI le bénéfice du crédit d’impôt que la société sollicitait au titre des trente emplois créés au cours de l’année 1999 ; que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire de contribution de 10 % sur l’impôt sur les sociétés et de la majoration pour retard de paiement auxquelles elle a été assujettie ; que la cour administrative d’appel de Nancy, par un arrêt du 28 juin 2007, a infirmé ce jugement et fait droit à la demande en décharge présentée par la société EPI ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu’il a déchargé la société EPI de cette imposition ;
2. Considérant qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : » Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour (…) assurer le paiement des impôts (…) » ; qu’une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d’un bien qu’elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu’à défaut de créance certaine, l’espérance légitime d’obtenir une somme d’argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ;
3. Considérant, en premier lieu, que, devant la cour administrative d’appel de Nancy, la société EPI se prévalait de l’état du droit résultant de l’article 81 de la loi de finances pour 1998, qui avait institué un crédit d’impôt pour une durée de trois ans ; que ce dispositif fiscal assurait les entreprises créatrices d’emploi durant la période considérée de recevoir en échange un crédit d’impôt imputable sur la contribution alors régie par l’article 235 ter ZA du code général des impôts et le cas échéant reportable ; que l’espérance de bénéficier de ce crédit d’impôt pouvait être entièrement fondée sur ces dispositions, dès lors que l’essentiel du dispositif était fixé dès l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 1998 ; que le législateur avait fixé dès l’institution de ce crédit d’impôt la période de trois ans durant laquelle il était possible d’escompter en bénéficier, dès lors qu’il avait prévu de solder les crédits et débits d’impôt en résultant sur l’ensemble de la période de trois ans et non au terme de chaque année ; qu’ainsi ce dispositif de crédit d’impôt était de nature à laisser espérer son application sur l’ensemble de la période prévue, contrairement à d’autres mesures fiscales adoptées sans limitation de durée ;
4. Considérant que la suppression de ce dispositif pour les emplois créés au cours de l’année 1999 résulte d’un amendement parlementaire au projet de loi de finances pour 2000 proposé en première lecture le 22 octobre 1999 et que, si la suppression du crédit d’impôt en cause a été envisagée publiquement pour la première fois dans le rapport du 7 juillet 1999 de la mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale, ce rapport, parmi les suggestions qu’il comportait, ne se prononçait explicitement qu’en ce qui concerne sa suppression, brièvement évoquée dans une annexe, pour l’année 2000 ; que, dans ces conditions, il ne saurait être soutenu ni que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant que ce rapport parlementaire ne justifiait pas la nécessité de cette suppression dès l’année 1999, ni que les entreprises qui escomptaient bénéficier d’un crédit d’impôt pour les emplois créés au cours de l’année 1999 avaient été avisées de la suppression du dispositif à temps pour qu’elles puissent adapter leur comportement à cette suppression, la loi de finances la décidant ayant été définitivement adoptée le 21 décembre 1999 ; qu’il suit de là qu’à la date où elle a décidé de recruter des salariés supplémentaires, la société EPI pouvait légitimement espérer avoir droit au bénéfice du crédit d’impôt correspondant ; que, par suite, le bénéfice de ce crédit d’impôt pouvait être regardé comme suffisamment certain et établi avant sa suppression ;
5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n’a pas commis d’erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits en jugeant que la société EPI pouvait utilement invoquer une espérance légitime devant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que si les stipulations de l’article 1er du premier protocole ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur, ayant le caractère d’un bien au sens de ces stipulations, c’est à la condition de ménager un juste équilibre entre l’atteinte portée à ces droits et les motifs d’intérêt général susceptibles de la justifier ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour établir ces motifs d’intérêt général, l’administration invoquait les » effets d’aubaine » que le crédit d’impôt offrait aux entreprises et l’augmentation de recettes budgétaires résultant de la suppression de cette dépense fiscale ; que, toutefois, d’une part, ni l’ampleur ni la nature de ces » effets d’aubaine » n’avaient fait l’objet d’études précises, et, d’autre part, le montant annuel de la dépense était, conformément aux prévisions et sans qu’aucune dérive ait été alléguée, de l’ordre d’un milliard de francs par an au sein de dépenses publiques en faveur de la création d’emploi de l’ordre de 350 milliards de francs par an ; qu’en jugeant, dès lors, que la suppression du crédit d’impôt, en tant qu’elle avait été décidée à titre rétroactif pour les créations d’emploi réalisées au cours de l’année 1999, était disproportionnée faute de motifs d’intérêt général susceptibles de la justifier et qu’ainsi l’application rétroactive de cette suppression à la société EPI méconnaissait les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;
7. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société EPI, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE est rejeté.
Article 2 : L’Etat versera la somme de 3 000 euros à la société EPI au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L’ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT et à la société EPI.