RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi, enregistré le 11 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présenté par le ministre chargé du budget ; le ministre demande au Conseil d’État d’annuler l’arrêt n° 12VE01228 du 11 juin 2013 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté son recours tendant à l’annulation du jugement n° 1104887 du 21 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la SAS Eurovia Basse-Normandie de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie à raison de son établissement d’Angoville-sur-Ay au titre de l’année 2006 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Olivier Gariazzo, maître des requêtes en service extraordinaire,
– les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Eurovia Basse-Normandie ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 juin 2014, présentée pour la société Eurovia Basse-Normandie ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article 1467 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : » La taxe professionnelle a pour base : / 1° Dans le cas des contribuables autres que ceux visés au 2° : / a. la valeur locative, telle qu’elle est définie aux articles 1469, 1518 A et 1518 B, des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence (…), à l’exception de celles qui ont été détruites ou cédées au cours de la même période (…) » ; qu’aux termes de l’article 1469 du même code, dans sa rédaction alors applicable : » La valeur locative est déterminée comme suit : (…) 3° quater. Le prix de revient d’un bien cédé n’est pas modifié lorsque ce bien est rattaché au même établissement avant et après la cession et lorsque, directement ou indirectement : / a. l’entreprise cessionnaire contrôle l’entreprise cédante ou est contrôlée par elle ; / b. ou ces deux entreprises sont contrôlées par la même entreprise » ;
2. Considérant qu’il ressort des termes mêmes des dispositions précitées du 3° quater de l’article 1469 du code général des impôts que les cessions de biens qu’elles visent s’entendent des seuls transferts de propriété consentis entre un cédant et un cessionnaire ; que ces dispositions, dont les termes renvoient à une opération définie et régie par le droit civil, ne sauraient s’entendre comme incluant toutes autres opérations qui, sans constituer des » cessions » proprement dites, ont pour conséquence une mutation patrimoniale ;
3. Considérant, cependant, que la notion de cession au sens du droit civil recouvre tous les transferts de propriété consentis entre un cédant et un cessionnaire, effectués à titre gratuit ou à titre onéreux, y compris ceux qui, réalisés dans le cadre d’opérations de restructuration, portent sur l’universalité du patrimoine du cédant ; que, par suite, en jugeant que la fusion intervenue le 12 août 2004 entre la SAS Eurovia Basse-Normandie, société absorbante, et la société SNEH n’entrait pas dans les prévisions du 3° quater de l’article 1469 du code général des impôts au motif qu’une fusion-absorption régie par l’article 1844-4 du code civil, si elle entraîne une mutation patrimoniale, ne peut être assimilée à une cession au sens du droit civil dès lors qu’à l’issue de l’opération, seule la société absorbante subsiste, la cour administrative d’appel de Versailles a commis une erreur de droit ; que le ministre chargé du budget est dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, fondé à demander, pour ce motif, l’annulation de l’arrêt qu’il attaque ;
4. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
5. Considérant, en premier lieu, qu’ainsi qu’il a été dit au point 3, la circonstance que des biens ont été cédés par l’effet d’une fusion de sociétés ne peut avoir pour effet d’écarter l’application du 3° quater de l’article 1469 du code général des impôts au profit de celle de l’article 1518 B du même code, lorsque les biens en cause répondent aux conditions posées par le 3° quater de l’article 1469 ; que par suite, le moyen tiré de ce que l’administration a fait, en l’espèce, une inexacte application de ces dispositions en faisant prévaloir le 3° quater de l’article 1469 ne peut qu’être écarté ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que la société requérante soutient que l’article 1518 B du code général des impôts et le 3° quater de l’article 1469 du même code alors en vigueur, tels qu’interprétés par les décisions nos 355630 et 360973 du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 7 novembre 2013, sont incompatibles avec l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que cependant, elle ne saurait prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d’un bien qu’elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu’à défaut de créance certaine, l’espérance légitime d’obtenir la restitution d’une somme d’argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, les décisions mentionnées ci-dessus ne sont pas revenues sur une règle issue d’une jurisprudence ancienne et constante ; que, dans ces conditions, la société ne saurait se fonder sur ces décisions pour se prévaloir d’une espérance légitime d’obtenir le remboursement des sommes qui font l’objet du présent litige ; qu’ainsi, elle ne peut utilement invoquer les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans le champ desquelles elle n’entre pas ;
7. Considérant, en troisième lieu, que la société soutient encore, à titre subsidiaire, qu’à supposer que le 3° quater de l’article 1469 du code général des impôts soit applicable en cas de fusion, il ne pourrait l’être qu’à compter du 1er janvier 2007 et pour les seuls biens mobiliers ; que toutefois, d’une part, la précision apportée par l’article 33 de la loi du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 à l’article 1518 B que celui-ci s’applique » sans préjudice des dispositions du 3° quater de l’article 1469 » n’implique pas que, jusqu’à cette modification, l’article 1518 B du code général des impôts faisait obstacle à l’application du 3° quater de l’article 1469 de ce code ; que d’autre part, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne résulte pas de l’emploi de l’expression » prix de revient » au 3° quater de cet article que ces dispositions ne s’appliqueraient pas aux biens immobiliers ; que par suite, ce moyen doit être écarté ;
8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé du budget est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 21 février 2012, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ; que dès lors, ce jugement doit être annulé et les impositions en litige remises à la charge de la société Eurovia Basse-Normandie ;
9. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 11 juin 2013 et le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 21 février 2012 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par la société Eurovia Basse-Normandie devant le tribunal administratif de Montreuil est rejetée.
Article 3 : La cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle la société Eurovia Basse-Normandie a été assujettie au titre de l’année 2006 pour son établissement d’Angoville-sur-Ay, ainsi que les pénalités correspondantes, sont remises à sa charge.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Eurovia Basse-Normandie au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la société Eurovia Basse-Normandie.