RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 19 décembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Alain X, domicilié … ; M. X demande au juge des référés du Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d’ordonner la suspension :
a) de la décision implicite de refus, acquise dès le 8 décembre 2005, opposée par le Président de la République à sa demande, exprimée le 25 novembre 2005, tendant à ce qu’il soit mis fin, par décret en Conseil des ministres et au plus tard le 10 décembre 2005, à l’état d’urgence ;
b) de la décision du Président de la République de ne pas mettre fin dès à présent à la déclaration de l’état d’urgence, révélée par l’attitude du gouvernement et par l’abstention du chef de l’Etat d’inscrire à l’ordre du jour des Conseils des ministres des 30 novembre, 7 et 14 décembre 2005 et, éventuellement de ceux qui se réuniront avant le jugement de la requête, l’examen du décret qu’il est habilité à prendre en vertu de l’article 3 de la loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005 ;
il expose qu’il a qualité pour agir en raison de sa domiciliation en Seine-Saint-Denis, département faisant partie de la zone géographique d’application des dispositions relatives à l’état d’urgence ; qu’il a saisi par lettre du 25 novembre 2005 le Président de la République d’une demande tendant à la mise en oeuvre de l’article 3 de la loi du 18 novembre 2005 ; que même si le délai de deux mois prévu par l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 pour que soit constituée une décision implicite de rejet n’est pas encore expiré, sa requête ne peut être qualifiée de prématurée ; que l’article 21 de cette loi serait incompatible avec les articles 6, paragraphe 1 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales s’il avait pour effet de retarder l’examen par le juge d’une affaire mettant en cause les libertés publiques ; que de toute façon le refus du Président de la République s’est exprimé et est donc acquis ; qu’une décision en ce sens se trouve révélée par certains comportements volontaires de l’autorité administrative ; qu’en juger autrement reviendrait à priver d’efficacité la procédure de référé que le législateur a voulu mettre en place par la loi du 30 juin 2000 ; qu’il y a urgence à rétablir l’ordre normal des libertés publiques et ce d’autant plus que le calme est revenu ; qu’il y a corrélativement urgence à enrayer la possibilité, qui subsiste indûment, que soient mises en oeuvre des mesures d’application liées à la déclaration de l’état d’urgence, soit qu’elles résultent de plein droit de la loi, soit qu’elles fassent l’objet d’une mention expresse dans la loi du 18 novembre 2005 et dans le décret du Premier ministre du 8 novembre 2005 ; qu’il existe des moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité du refus, à ce jour, de mettre un terme à l’état d’urgence ; que ce refus est entaché d’erreur de droit, d’une part, en ce que le Président de la République méconnaît l’exercice de la compétence qui lui a été conférée par le Parlement, d’autre part, au motif qu’il méconnaît le champ d’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 en maintenant un régime d’exception désormais inapplicable en raison du retour au calme dans les zones urbaines ; que, subsidiairement, il y a une erreur de qualification juridique des faits dès lors qu’en refusant de mettre fin à l’état d’urgence et en le maintenant à titre préventif, alors que fait défaut un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, le Président de la République se livre à un examen manifestement erroné de la situation ;
Vu l’accusé de réception de la demande adressée le 25 novembre 2005 au Président de la République ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution notamment ses articles 5, 9 et 13 ;
Vu la loi n° 73-1227 du 31 décembre 1973 autorisant la ratification de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le décret n° 74-360 du 3 mai 1974 portant publication de cette convention et des déclarations et réserves ;
Vu la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d’urgence modifiée par la loi n° 55-1080 du 7 août 1955 et l’ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 ;
Vu la loi n° 2000-321 du 21 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, notamment son article 21 ;
Vu la loi n° 2005-1245 du 18 novembre 2005 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
Vu le décret n° 2005-1386 du 8 novembre 2005 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
Vu le décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005 relatif à l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 2005 ;
Vu l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 avril 1988, Boyle et Rice ;
Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-1, L. 521-2 et L. 522-3 ;
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation (…) le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;
Considérant que d’après le second alinéa de l’article R. 522-1 du même code, propre à la saisine du juge des référés « A peine d’irrecevabilité, les conclusions tendant à la suspension d’une décision administrative… doivent être présentées par requête distincte de la requête à fin d’annulation… » ; que selon l’article R. 421-1 du code, qui est relatif à l’introduction de l’instance au principal, « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision … » ; qu’aussi bien l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 susvisée que l’article R. 421-2 du code précité posent en principe que, sauf disposition contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que le juge des référés, lorsqu’il est appelé à statuer sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, ne peut être valablement saisi que d’un pourvoi tendant à la suspension d’une décision administrative faisant l’objet par ailleurs d’une requête en annulation ou en réformation ; qu’afin que le contentieux puisse être régulièrement lié aussi bien dans l’instance au principal qu’au titre de la suspension sollicitée, une telle décision doit, soit être expresse, soit revêtir un caractère tacite découlant du silence gardé par l’autorité administrative, sur une demande qui lui a été préalablement adressée, pendant une durée qui est en principe de deux mois ;
Considérant que par une lettre en date du 25 novembre 2005, dont il a été accusé réception le 28 novembre, M. X a demandé au Président de la République de « bien vouloir faire adopter et signer le décret en Conseil des ministres qui mettra un terme à l’institution de l’état d’urgence en métropole » ; qu’en l’absence de décision expresse et faute que soit écoulé le délai de deux mois nécessaire à la naissance d’une décision implicite de rejet, il n’a été justifié, ni à la date de l’introduction de la requête aux fins de suspension ni à ce jour, d’aucune décision administrative dont la suspension serait susceptible d’être ordonnée par le juge des référés du Conseil d’Etat sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative ;
Considérant il est vrai, que le requérant soutient que l’application en l’espèce des dispositions de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 serait incompatible avec les stipulations tant du paragraphe 1 de l’article 6 que de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui garantissent respectivement le droit à un procès équitable et le droit au juge ;
Considérant toutefois, qu’eu égard à l’office du juge des référés, un moyen tiré de la contrariété de la loi à des engagements internationaux n’est pas, en l’absence d’une décision juridictionnelle ayant statué en ce sens, rendue soit par le juge saisi au principal, soit par le juge compétent à titre préjudiciel, susceptible d’être pris en considération ; qu’au demeurant, indépendamment du fait que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme l’article 13 de la convention « ne saurait s’interpréter comme exigeant un recours interne pour toute doléance », le respect des droits dont se prévaut M. X est susceptible d’être assuré par la mise en oeuvre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative qui, à la différence de l’article L. 521-1, n’impose pas que la procédure particulière de sauvegarde des libertés fondamentales qu’il a instituée se rattache nécessairement à la contestation d’une décision administrative et ouvre la possibilité de critiquer un agissement d’une autorité administrative, pour autant qu’il soit satisfait à l’ensemble des conditions posées par cet article ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête sont manifestement irrecevables ; qu’elles doivent, par suite, être rejetées selon la procédure définie à l’article L. 522-3 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. Alain X est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Alain X.
Copie en sera adressée pour information au Premier ministre et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.