RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le préfet du Haut-Rhin a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, d’autoriser l’exploitation des données de téléphones portables saisies lors de la perquisition administrative menée au domicile de Mme D…B…et de M. C…A…à Lutterbach le 25 août 2016. Par une ordonnance n° 1604800 du 29 août 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Par un recours, enregistré le 31 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’intérieur demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance.
Il soutient que :
– la saisie a été régulière ;
– l’exploitation des données est justifiée au vu de la perquisition et des éléments relatifs à la menace qu’est susceptible de constituer Mme B…et M. A…pour la sécurité et l’ordre publics.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2016, Mme B… et M. A…concluent au rejet du recours du ministre et demandent en outre leur admission à l’aide juridictionnelle à titre provisoire et à ce que l’Etat verse à leur avocat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Ils soutiennent que :
– les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;
– les ordres de perquisition ne sont pas réguliers dès lors que le préfet qui les a pris n’était plus en fonctions dans le département depuis le 23 août 2016, que leur transmission au procureur de la République n’est pas établie, qu’ils ne mentionnent pas le moment où doivent avoir lieu les perquisitions et que le motif sur lequel ils reposent est entaché d’erreur manifeste d’appréciation ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le ministre de l’intérieur, d’autre part, Mme B…et M. A…;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du 2 septembre 2016 à 16 heures au cours de laquelle ont été entendus :
– la représentante du ministère de l’intérieur ;
– Me Molinié, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B… et M. A…;
– le représentant de Mme B…et M.A… ;
et à l’issue de laquelle l’instruction a été prolongée jusqu’au 5 septembre à 17 heures ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 5 septembre 2016, présenté par le ministre de l’intérieur ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 septembre 2016, présenté par Mme B…et M. A… ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;
– les décrets n° 2015-1475 et n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
– le code de justice administrative ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 2016 : » Le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d’un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu’en présence de l’occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. / Lorsqu’une perquisition révèle qu’un autre lieu répond aux conditions fixées au premier alinéa du présent I, l’autorité administrative peut en autoriser par tout moyen la perquisition. Cette autorisation est régularisée en la forme dans les meilleurs délais. Le procureur de la République en est informé sans délai. / Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. / Si la perquisition révèle l’existence d’éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée, les données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal présent sur les lieux de la perquisition peuvent être saisies soit par leur copie, soit par la saisie de leur support lorsque la copie ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition. / La copie des données ou la saisie des systèmes informatiques ou des équipements terminaux est réalisée en présence de l’officier de police judiciaire. L’agent sous la responsabilité duquel est conduite la perquisition rédige un procès-verbal de saisie qui en indique les motifs et dresse l’inventaire des matériels saisis. Une copie de ce procès-verbal est remise aux personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent I. Les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition. A compter de la saisie, nul n’y a accès avant l’autorisation du juge. / L’autorité administrative demande, dès la fin de la perquisition, au juge des référés du tribunal administratif d’autoriser leur exploitation. Au vu des éléments révélés par la perquisition, le juge statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine sur la régularité de la saisie et sur la demande de l’autorité administrative. Sont exclus de l’autorisation les éléments dépourvus de tout lien avec la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée. En cas de refus du juge des référés, et sous réserve de l’appel mentionné au dixième alinéa du présent I, les données copiées sont détruites et les supports saisis sont restitués à leur propriétaire. / Pendant le temps strictement nécessaire à leur exploitation autorisée par le juge des référés, les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition et à la saisie. Les systèmes informatiques ou équipements terminaux sont restitués à leur propriétaire, le cas échéant après qu’il a été procédé à la copie des données qu’ils contiennent, à l’issue d’un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, a autorisé l’exploitation des données qu’ils contiennent. A l’exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée, les données copiées sont détruites à l’expiration d’un délai maximal de trois mois à compter de la date de la perquisition ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, en a autorisé l’exploitation. / (…) Pour l’application du présent article, le juge des référés est celui du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu de la perquisition. Il statue dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative, sous réserve du présent article. Ses décisions sont susceptibles d’appel devant le juge des référés du Conseil d’Etat dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification. Le juge des référés du Conseil d’Etat statue dans le délai de quarante-huit heures. En cas d’appel, les données et les supports saisis demeurent.conservés dans les conditions mentionnées au huitième alinéa du présent I. / La perquisition donne lieu à l’établissement d’un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République, auquel est jointe, le cas échéant, copie du procès-verbal de saisie Une copie de l’ordre de perquisition est remise à la personne faisant l’objet d’une perquisition. (…) » ;
2. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, lorsqu’il est saisi par l’autorité administrative d’une demande tendant à autoriser l’exploitation de données ou de matériels saisis lors d’une perquisition administrative, il appartient au juge des référés, statuant en urgence, dans un délai de 48 heures à compter de sa saisine, pour accorder ou non l’autorisation sollicitée, de se prononcer en vérifiant, au vu des éléments révélés par la perquisition, d’une part, la régularité de la procédure de saisie et, d’autre part, si les éléments en cause sont relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l’ordre publics le comportement de la personne concernée ;
3. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’à la suite de deux ordres de perquisition pris sur le fondement de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence par le préfet du Haut-Rhin le 24 août 2016, motivés par la menace constituée respectivement par Mme B…et M. A…pour la sécurité et l’ordre publics, une perquisition administrative a été effectuée au domicile commun des intéressés à Lutterbach, le 25 août 2016 de 8 h 45 à 12 h 30 ; que les données contenues dans les deux téléphones portables de MmeB…, de marques Nexus et Huawei, ainsi que dans le téléphone portable de M.A…, de marque Huawei, ont été saisies et copiées sur DVD-Rom, lequel a été placé sous scellés ;
4. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la perquisition au domicile de Mme B… et de M. A…a été ordonnée par le préfet du Haut-Rhin en raison de leur appartenance à la mouvance radicale et des individus qu’ils fréquentaient ainsi que sur la nécessité de vérifier qu’ils ne possédaient pas des documents, du matériel de propagande ou des objets prouvant leur intention de se livrer à des activités en lien avec des structures ou des individus ayant des projets terroristes ; que, toutefois, ainsi que l’indique le procès-verbal de la perquisition, les recherches au domicile des intéressés, qui ont duré près de quatre heures, n’ont donné lieu à la découverte d’aucun élément susceptible de constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics, notamment dans les ordinateurs des intéressés, autres que ceux figurant dans les téléphones portables de ces derniers ; que les fichiers saisis dans ces téléphones sont des fichiers d’images, de sons et d’écrits sur lesquels aucune précision, y compris devant le juge des référés, n’a été apportée ; que la seule circonstance, invoquée par le ministre de l’intérieur, que ces fichiers comportent des éléments en langue arabe qui n’ont pas pu être exploités immédiatement ne suffit pas à les faire regarder comme relatifs à la menace que constituerait pour la sécurité et l’ordre publics le comportement des personnes concernées ;
5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre de l’intérieur n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande du préfet du Haut-Rhin tendant à ce que soit autorisée l’exploitation des données contenues dans les téléphones portables de Mme B…et M.A…, saisies lors de la perquisition de leur domicile le 25 août 2016 ;
6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, sans qu’il y ait lieu d’admettre Mme B…et M. A…au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Le recours du ministre de l’intérieur est rejeté.
Article 2 : Il n’y a pas lieu d’admettre Mme B…et M. A…au bénéfice de l’aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 3 : L’Etat versera à Mme B…et M. A…la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l’intérieur, à Mme D…B…et à M. C…A.conservés dans les conditions mentionnées au huitième alinéa du présent I. / La perquisition donne lieu à l’établissement d’un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République, auquel est jointe, le cas échéant, copie du procès-verbal de saisie