TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BASTIA N° 1600975 ___________ ASSOCIATION LIGUE DES DROITS DE L’HOMME ___________ M. Wyss Juge des référés ___________ Audience du 6 septembre 2016 Ordonnance du 6 septembre 2016 __________ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Le juge des référés Vu la procédure suivante : Par une requête enregistrée le 1er septembre 2016, la Ligue des Droits de l’Homme demande au juge des référés : – d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’arrêté en date du 16 août 2016 par lequel le maire de la commune de Sisco a interdit jusqu’au 30 septembre l’accès aux plages et la baignade à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ainsi que le port de vêtements pendant la baignade ayant une connotation contraire à ces principes, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ; – de mettre à la charge de la commune de Sisco une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : – sa requête est recevable ; – la condition d’urgence est remplie dès lors que, d’une part, l’arrêté préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à sa situation et aux intérêts qu’elle entend défendre et, d’autre part, l’arrêté contesté a vocation à produire ses effets jusqu’au 30 septembre 2016 ; – il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué ; – en effet, le maire n’a pas compétence pour réglementer la baignade sur le domaine public de l’Etat ; – l’arrêté aurait du être pris après enquête publique ; – il porte une atteinte grave à la liberté de manifester ses convictions religieuses, à la liberté de se vêtir dans l’espace public et à la liberté d’aller et de venir ; N° 1600975 – 2 – – la restriction apportée aux libertés n’est pas suffisamment justifiée par les événements survenus le 13 août 2016 dans la commune ; Par un mémoire en défense enregistré le 5 septembre 2016, la commune de Sisco conclut au rejet de la requête et demande qu’une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de la Ligue des Droits de l’Homme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; Elle soutient que : – les événements qui se sont déroulés le 13 août 2016 ont été extrêmement violents ; – l’arrêté pris le 16 août vise à apaiser la situation et à éviter le renouvellement de tels événements ; – il ne vise aucune tenue particulière et est d’une durée limitée ; Par mémoire en réplique enregistré le 6 septembre 2016, la Ligue des Droits de l’Homme conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ; Vu : – la décision attaquée ; – les autres pièces produites au dossier. Vu : – le code général des collectivités territoriales ; – le code général de la propriété des personnes publiques, – le code de justice administrative. Vu la requête n° 1600976 enregistrée le 1er septembre 2016 par laquelle la Ligue des Droits de l’Homme demande l’annulation de l’arrêté litigieux. Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience publique du 6 septembre 2016 à 14 H 00. A été entendu lors de l’audience publique : le rapport de M. Wyss. – les observations de . La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience. 1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) » ; 2. Considérant qu’en vertu de l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire est chargé, sous le contrôle administratif du préfet, de la N° 1600975 – 3 – police municipale qui, selon l’article L. 2212-2 de ce code, « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » ; qu’aux termes de l’article L. 2213-23 du même code : « Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés…Le maire réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance… » ; 3. Considérant qu’il résulte des dispositions précitées que les pouvoirs de police du maire s’étendent à la portion du rivage faisant partie du domaine public maritime ; qu’aucune disposition applicable ne subordonne l’édiction d’une mesure de police réglementant la baignade à la réalisation préalable d’une enquête publique ; 4. Considérant que les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage ; qu’il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public ; 5. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et des explications apportées à l’audience que, le 13 août 2016, une violente altercation est survenue entre deux groupes de baigneurs suite à la présence réelle ou supposée sur la plage d’une femme se baignant dans une tenue très couvrante, au cours desquels plusieurs personnes ont été blessées ; que les affrontements se sont ensuite déplacés à Bastia ; que ces événements, dont le retentissement a été très important et qui ont connu une très importante couverture médiatique, ont causé une vive émotion dans la commune qui n’est pas retombée ; que la présence sur une plage de Sisco d’une femme portant un costume de bain de la nature de ceux visés par l’arrêté du 16 août 2016 serait dans ces conditions de nature à générer des risques avérés d’atteinte à l’ordre public ; qu’il appartient au maire de prévenir ; que par suite, par son arrêté du 16 août 2016, dont l’effet est limité dans le temps au 30 septembre 2016, le maire de Sisco n’a pas pris une mesure qui ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée au regard des nécessités de l’ordre public ; 6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en l’état de l’instruction, aucun des moyens susvisés, invoqués par la Ligue des Droits de l’Homme ne se révèle propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige ; que, par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, les conclusions aux fins de suspension de l’exécution de cette décision doivent être rejetées ; 7. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Sisco qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à la Ligue des Droits de l’homme la somme qu’elle réclame en remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées en défense sur le même fondement ; N° 1600975 – 4 – O R D O N N E Article 1er : La requête de la Ligue des Droits de l’Homme est rejetée. Article 2 : Les conclusions de la commune de Sisco tendant à l’application de l’article L. 761- 1 du code de justice administrative sont rejetées. Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des Droits de l’Homme et à la commune de Sisco. Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des Droits de l’Homme et à la commune de Sisco. Fait à Bastia, le 6 septembre 2016. Le juge des référés, Signé JP. Wyss La greffière, Signé I. Manicacci La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Corse en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, La greffière, Signé I. Manicacci
TA Bastia, ord. réf., 6 septembre 2016, Association Ligue des droits de l’homme, requête numéro 1600975
Citer : Revue générale du droit, 'TA Bastia, ord. réf., 6 septembre 2016, Association Ligue des droits de l’homme, requête numéro 1600975, ' : Revue générale du droit on line, 2016, numéro 57663 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=57663)
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