RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi, enregistré le 29 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DE L’INTEGRATION, DE L’IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE ; le ministre demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 3 avril 2008 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement du 12 octobre 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris a, d’une part, rejeté la demande de Mme Khadidia A, épouse B, tendant à l’annulation de l’arrêté du 26 juin 2007 du préfet de police refusant de renouveler son titre de séjour temporaire, l’obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination, et, d’autre part, enjoint au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » dans un délai d’un mois ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit aux conclusions du préfet de police ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu l’arrêté du 8 juillet 1999 relatif aux conditions d’établissement des avis médicaux concernant les étrangers malades prévus à l’article 7-5 du décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Bruno Chavanat, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A épouse B ;
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de Mme A ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : » Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit : (…) 11° A l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire (…). La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l’autorité administrative, après avis du médecin inspecteur de santé publique compétent au regard du lieu de résidence de l’intéressé ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police. » ; qu’aux termes de l’article R. 313-22 du même code en vigueur à la date de la décision litigieuse : » Pour l’application du 11° de l’article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d’un avis émis par le médecin inspecteur départemental de santé publique compétent au regard du lieu de résidence de l’intéressé et, à Paris, par le médecin, chef du service médical de la préfecture de police. / L’avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la population et des migrations, du ministre chargé de la santé et du ministre de l’intérieur, au vu, d’une part, d’un rapport médical établi par un médecin agréé ou un praticien hospitalier et, d’autre part, des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans le pays d’origine de l’intéressé. » ; qu’aux termes de l’article 1er de l’arrêté du 8 juillet 1999, pris pour l’application de ces dispositions : » L’étranger qui a déposé une demande de délivrance ou de renouvellement de carte de séjour temporaire en application de l’article 12 bis (11°) ou qui invoque les dispositions de l’article 25 (8°) de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 est tenu de faire établir un rapport médical relatif à son état de santé par un médecin agréé ou un praticien hospitalier. » ; qu’aux termes de l’article 3 du même arrêté : » (…) le médecin agréé ou le praticien hospitalier établit un rapport précisant le diagnostic des pathologies en cours, le traitement suivi et sa durée prévisible ainsi que les perspectives d’évolution et, éventuellement, la possibilité de traitement dans le pays d’origine. Ce rapport médical est transmis, sous pli confidentiel, au médecin inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales dont relève la résidence de l’intéressé » ; que l’article 4 du même arrêté prévoit que : » Au vu de ce rapport médical et des informations dont il dispose, le médecin inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales émet un avis précisant : / – si l’état de santé de l’étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / – si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / – si l’intéressé peut effectivement ou non bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ; /- et la durée prévisible du traitement. / Il indique, en outre, si l’état de santé de l’étranger lui permet de voyager sans risque vers son pays de renvoi. /. Cet avis est transmis au préfet par le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales. » ; qu’enfin aux termes de l’article 6 : » A Paris, le rapport médical du médecin agréé ou du praticien hospitalier est adressé sous pli confidentiel au médecin-chef du service médical de la préfecture de police. Celui-ci émet l’avis comportant les précisions exigées par l’article 4 ci-dessus et le transmet au préfet de police. » ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 11 mai 1998, dont sont issues les dispositions précitées de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qu’il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle envisage de refuser la délivrance d’un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande au titre des dispositions du 11° de l’article L. 313-11, de vérifier, au vu de l’avis émis par le médecin mentionné à l’article R. 313-22 précité, que cette décision ne peut avoir de conséquences d’une exceptionnelle gravité sur l’état de santé de l’intéressé et, en particulier, d’apprécier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu’entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l’étranger est originaire ; que lorsque le défaut de prise en charge risque d’avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur la santé de l’intéressé, l’autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s’il existe des possibilités de traitement approprié de l’affection en cause dans son pays d’origine ; que si de telles possibilités existent mais que l’étranger fait valoir qu’il ne peut en bénéficier, soit parce qu’elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l’absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu’en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l’empêcheraient d’y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l’ensemble des informations dont elle dispose, d’apprécier si l’intéressé peut ou non bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine ;
Considérant que, pour annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 12 octobre 2007 et l’arrêté du préfet de police du 26 juin 2007 refusant de renouveler le titre de séjour de Mme B, obligeant cette dernière à quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel elle devra être reconduite, la cour administrative d’appel s’est fondée sur la circonstance que l’intéressée, dont il n’est pas contesté qu’elle souffre d’un diabète insulinodépendant nécessitant une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, n’est pas en mesure, compte tenu du coût global du traitement et de la faiblesse de ses ressources en Côte d’Ivoire, de bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, la cour, en ne se bornant pas à vérifier si un traitement approprié à l’état de santé de Mme B était disponible dans son pays d’origine mais en recherchant si l’intéressée pouvait effectivement bénéficier d’un tel traitement, n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, contrairement également à ce que soutient le ministre, la cour, en relevant qu’il n’est pas établi que la famille de Mme B résidant en Côte d’Ivoire serait susceptible de lui apporter une aide financière pour prendre en charge le coût des soins, ainsi que le soutenait le préfet de police en première instance, n’a pas fait peser sur l’administration la charge de la preuve de l’absence de ressources dont l’intéressée est susceptible de disposer dans son pays d’origine afin de suivre le traitement indispensable à sa santé et n’a ainsi pas non plus commis d’erreur de droit ; qu’en jugeant que le coût global du traitement médical approprié à l’état de santé de Mme B correspond, en Côte d’Ivoire, au montant du revenu moyen d’un salarié de ce pays, la cour administrative d’appel a procédé à une appréciation souveraine des faits qui est exempte de dénaturation ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DE L’INTEGRATION, DE L’IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par Mme B et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DE L’INTEGRATION, DE L’IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE est rejeté.
Article 2 : L’Etat versera à Mme B la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DE L’INTEGRATION, DE L’IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE et à Mme Khadidia A épouse B.