RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi, enregistré le 15 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présenté par le MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ; le MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 15 décembre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté la requête du préfet de police tendant d’une part, à l’annulation du jugement du 4 novembre 2005 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 15 septembre 2005 décidant la reconduite à la frontière de M. Okba B A, d’autre part au rejet de la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Paris ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 ;
Vu l’arrêté du 8 juillet 1999 relatif aux conditions d’établissement des avis médicaux concernant les étrangers malades prévus à l’article 7-5 du décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Bruno Chavanat, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de M. Okba B A,
– les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Ortscheidt, avocat de M. Okba B A ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision litigieuse : » Ne peuvent faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre (…) 10° L’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoi. (…) » ; qu’aux termes de l’article 7-5 du décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 alors en vigueur, pris en application de ces dispositions et codifié depuis aux articles R. 313-22 et R. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : » le préfet délivre la carte de séjour temporaire, au vu de l’avis émis par le médecin inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales compétente au regard du lieu de résidence de l’intéressé. (…) Cet avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l’intégration, du ministre chargé de la santé et du ministre de l’intérieur, au vu, d’une part, d’un rapport médical établi par un médecin agréé ou un praticien hospitalier et, d’autre part, des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans le pays d’origine de l’intéressé. (…) L’état de santé défini au 8° de l’article 25 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 précitée est constaté dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues aux deux premiers alinéas du présent article » ; qu’il résulte de ces dispositions que l’état de santé d’un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement, défini au 8° de l’article 25 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 auquel s’était substitué, à la date d’intervention de l’arrêté de reconduite à la frontière litigieux, l’article L. 511-4 10° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, doit être apprécié dans les mêmes conditions que celui des étrangers demandant un titre de séjour ; qu’aux termes de l’article 1er de l’arrêté du 8 juillet 1999, pris pour l’application de ces dispositions : » L’étranger qui a déposé une demande de délivrance ou de renouvellement de carte de séjour temporaire en application de l’article 12 bis (11°) ou qui invoque les dispositions de l’article 25 (8°) de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 est tenu de faire établir un rapport médical relatif à son état de santé par un médecin agréé ou un praticien hospitalier. » ; qu’aux termes de l’article 3 du même arrêté : » (…) le médecin agréé ou le praticien hospitalier établit un rapport précisant le diagnostic des pathologies en cours, le traitement suivi et sa durée prévisible ainsi que les perspectives d’évolution et, éventuellement, la possibilité de traitement dans le pays d’origine. Ce rapport médical est transmis, sous pli confidentiel, au médecin inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales dont relève la résidence de l’intéressé » ; que l’article 4 du même arrêté prévoit que : » Au vu de ce rapport médical et des informations dont il dispose, le médecin inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales émet un avis précisant : / – si l’état de santé de l’étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / – si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / – si l’intéressé peut effectivement ou non bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ; / – et la durée prévisible du traitement. / Il indique, en outre, si l’état de santé de l’étranger lui permet de voyager sans risque vers son pays de renvoi. /. Cet avis est transmis au préfet par le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales. » ; qu’enfin aux termes de l’article 6 : » A Paris, le rapport médical du médecin agréé ou du praticien hospitalier est adressé sous pli confidentiel au médecin-chef du service médical de la préfecture de police. Celui-ci émet l’avis comportant les précisions exigées par l’article 4 ci-dessus et le transmet au préfet de police. » ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 24 avril 1997 dont sont issues les dispositions précitées de l’article L. 511-4, qu’il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle envisage l’éloignement d’un étranger du territoire national, de vérifier, au vu de l’avis émis par le médecin mentionné à l’article 7-5 du décret du 30 juin 1946 précité, que cette décision ne peut avoir de conséquences d’une exceptionnelle gravité sur l’état de santé de l’intéressé et, en particulier, d’apprécier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu’entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays de renvoi ; que lorsque le défaut de prise en charge risque d’avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur la santé de l’intéressé, l’autorité administrative ne peut légalement décider l’éloignement de l’étranger que s’il existe des possibilités de traitement approprié de l’affection en cause dans le pays de renvoi ; que si de telles possibilités existent mais que l’étranger fait valoir qu’il ne peut en bénéficier, soit parce qu’elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l’absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu’en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l’empêcheraient d’y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l’ensemble des informations dont elle dispose, d’apprécier si l’intéressé peut ou non bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans le pays de renvoi ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient le ministre, en jugeant que M. A pouvait utilement invoquer à l’encontre de l’arrêté de reconduite en litige, un moyen tiré de ce qu’il ne disposait pas des ressources suffisantes pour bénéficier effectivement en Tunisie des soins qui lui sont nécessaires, la cour administrative d’appel n’a pas méconnu la portée des dispositions précitées de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et n’a, par suite, pas entaché son arrêt d’une erreur de droit ;
Considérant toutefois que, pour rejeter les conclusions présentées devant elle, la cour s’est fondée sur ce qu’eu égard à l’évolution de l’état de santé de M. A postérieurement à l’intervention de l’arrêté de reconduite à la frontière en litige, l’exécution de cet arrêté ferait courir à ce dernier dans l’immédiat des risques méconnaissant les dispositions des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’à la supposer établie, une telle circonstance pouvait seulement faire obstacle, à la date à laquelle la cour a statué, à l’exécution de la reconduite mais était sans incidence sur la légalité tant de la mesure de reconduite que de la décision fixant le pays de renvoi ; que par suite, le MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE est fondé à soutenir qu’en s’appuyant sur des circonstances postérieures à la date de l’arrêté attaqué pour en apprécier la légalité, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit et à en demander, pour ce motif, l’annulation ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction alors en vigueur : » l’autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3° Si l’étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (…) » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. A, de nationalité tunisienne, s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois après la notification, le 31 mars 2005, de la décision du préfet de police lui refusant la délivrance d’un titre de séjour et l’invitant à quitter le territoire ; qu’il entrait ainsi dans le champ d’application de la disposition précitée ;
Considérant que si M. A a fait valoir devant le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’il ne pourrait en bénéficier en Tunisie où, en raison de sa nationalité, il devrait être renvoyé, il ressort toutefois des pièces du dossier et des informations d’ordre sanitaire disponibles sur la Tunisie recueillies par le préfet et qui ne sont pas pertinemment contestées que, si la gravité de la pathologie et la nécessité de bénéficier d’un traitement sont établies et d’ailleurs reconnues par le préfet, il existe en Tunisie des possibilités de traitement approprié du diabète et des autres pathologies dont souffre l’intéressé ; qu’en outre, si M. A, a pu, ainsi qu’il a été dit, utilement soutenir que, faute de disposer de revenus en Tunisie, il ne pourrait pas bénéficier effectivement des soins, particulièrement coûteux, qui lui sont nécessaires, il ressort des pièces du dossier qu’existe dans ce pays un dispositif assurant la prise en charge des soins dispensés aux personnes dépourvues de ressources ou dont les ressources sont inférieures à certains seuils ; que M. A ne fait état d’aucune circonstance exceptionnelle tirée des particularités de sa situation personnelle qui l’empêcherait d’en bénéficier ;
Considérant que, par suite, c’est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris s’est fondé sur le 10° de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour prononcer l’annulation de l’arrêté de reconduite à la frontière ;
Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. A devant le tribunal administratif de Paris et devant la cour administrative d’appel ;
Considérant que les dispositions précitées de l’arrêté du 8 juillet 1999 imposent notamment au médecin, chef du service médical de la préfecture de police, d’émettre, au vu d’un rapport médical établi par un médecin agréé ou un praticien hospitalier, un avis indiquant » si l’état de santé de l’étranger lui permet de voyager sans risque vers le pays de renvoi » ; qu’en se fondant sur un avis rendu par le médecin, chef du service médical de la préfecture de police qui ne comportait pas d’indication sur la possibilité pour M. A de voyager sans risque vers la Tunisie, l’arrêté de reconduite à la frontière a été pris suivant une procédure irrégulière et est, par suite, entaché d’illégalité ; qu’ainsi et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens présentés par M. A en première instance et en appel, le préfet de police n’est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté en date du 15 septembre 2005 ordonnant la reconduite à la frontière de M. A ;
Considérant que M. A a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Ortscheidt, avocat de M. A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de mettre à la charge de l’Etat le versement à la SCP Ortscheidt de la somme de 3 000 euros ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 15 décembre 2006 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.
Article 2 : La requête du préfet de police devant la cour administrative d’appel et le surplus des conclusions du MINISTRE D’ETAT, MINISTRE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE devant le Conseil d’Etat sont rejetés.
Article 3 : L’Etat versera à la SCP Ortscheidt, avocat de M. A, la somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DE L’INTEGRATION, DE L’IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE et à M. Okba B A.