RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 14 février 1995 et 2 juin 1995 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. LE GOFF demeurant … ; M. LE GOFF demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision du 1er décembre 1994 par laquelle le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts, réuni en séance disciplinaire :
1°) lui a infligé une peine de suspension d’exercice de sa profession pour une durée d’un mois ;
2°) a réformé la décision du conseil régional de Paris en date du 28 juin 1994 en ce qu’elle avait de contraire à ladite décision ;
3°) a ordonné le remboursement des frais exposés par M. X… devant le conseil supérieur ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ratifiée par la France en vertu de la loi du 31 décembre 1974 et publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 ;
Vu la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 modifiée instituant l’ordre des géomètres-experts ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le règlement intérieur en date du 11 mai 1976 modifié ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Guyomar, Auditeur,
– les observations de Me Blanc, avocat de M. LE GOFF, et de Me Copper-Royer, avocat du Conseil supérieur de l’Ordre des géomètres-experts,
– les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de publicité des audiences devant le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts :
Considérant qu’aux termes de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales susvisée : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue … publiquement … par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera, … des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil … » ;
Considérant qu’il résulte des dispositions des articles 23 et 24 de la loi du 7 mai 1946 susvisée instituant l’ordre des géomètres-experts que les instances disciplinaires de l’ordre des géomètres-experts peuvent prononcer, outre les sanctions de l’avertissement et du blâme, les sanctions de suspension pour une durée maximum d’une année et la radiation du stage ou du tableau qui implique l’interdiction d’exercer la profession de géomètre-expert ; qu’ainsi, les décisions prises par lesdites instances sont susceptibles de porter atteinte à l’exercice du droit d’exercer la profession de géomètre-expert, lequel revêt un caractère civil au sens des stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il suit de là que les stipulations de l’article 6-1 précitées s’appliquent à la procédure suivie devant le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts et sont ainsi méconnues par les dispositions de l’article 58-02 du règlement intérieur de l’ordre, alors applicable, aux termes desquelles, au cours des réunions et audiences disciplinaires, « seuls les membres du conseil supérieur et le commissaire du gouvernement peuvent être présents » ;
Considérant qu’il n’est pas contesté que la décision attaquée a été prise après une audience non publique ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que cette procédure est irrégulière et que M. LE GOFF, qui est recevable à invoquer pour la première fois en cassation le moyen tiré du défaut de publicité de l’audience, est fondé à demander l’annulation de la décision du conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts en date du 1er décembre 1994 par laquelle le conseil supérieur lui a infligé une peine de suspension d’exercice de sa profession pour une durée d’un mois ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de renvoyer l’affaire devant le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts ;
Sur les conclusions de M. LE GOFF tendant à la condamnation du conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts à lui verser une somme de 14 472 F en application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts qui, n’ayant pas été partie en appel et n’ayant été appelé en la cause que pour produire des observations, n’est pas partie à la présente instance, soit condamné à payer à M. LE GOFF la somme de 14 472 F qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La décision susvisée du conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts en date du 1er décembre 1994 est annulée.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts statuant en formation disciplinaire.
Article 3 : Les conclusions de M. LE GOFF tendant à l’application des dispositions de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. LE GOFF, au conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts et au ministre de la culture et de la communication.