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CEDH, 11 mai 1989, Sargin et Yagci contre Turquie, 11 mai 1989, req. n°14116/88 et n°14117/88

Citer : Revue générale du droit, 'CEDH, 11 mai 1989, Sargin et Yagci contre Turquie, 11 mai 1989, req. n°14116/88 et n°14117/88, ' : Revue générale du droit on line, 1989, numéro 60342 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=60342)


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....

Décision citée par :
  • Christophe De Bernardinis, B. Le juge constitutionnel et les droits fondamentaux consacrés par la ConvEDH


  PARTIELLE

                         SUR LA RECEVABILITE

 

                      des requêtes Nos 14116/88 et 14117/88

                      présentées par Nihat SARGIN et Nabi YAGCI

                      contre la Turquie

                               __________

 

        La Commission européenne des Droits de l’Homme, siégeant en

chambre du conseil le 11 mai 1989 en présence de

 

        MM. J.A. FROWEIN, Président en exercice

            S. TRECHSEL

            F. ERMACORA

            G. SPERDUTI

            E. BUSUTTIL

            A.S. GÖZÜBÜYÜK

            A. WEITZEL

            H. DANELIUS

            G. BATLINER

            H. VANDENBERGHE

        Mme G.H. THUNE

        Sir Basil HALL

        MM. F. MARTINEZ

            C.L. ROZAKIS

        Mme J. LIDDY

        M.  L. LOUCAIDES

 

        M.  H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

 

        Vu l’article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de

l’Homme et des Libertés fondamentales ;

 

        Vu les requêtes introduites le 3 juillet 1988 par Nihat SARGIN

et Nabi YAGCI contre la Turquie et enregistrées le 18 août 1988 sous

les Nos de dossier 14116/88 et 14117/88 ;

 

        Vu le rapport prévu à l’article 40 du Règlement intérieur de

la Commission ;

 

        Vu les observations écrites présentées par le Gouvernement

turc le 11 janvier 1989 et les observations en réponse présentées par

les requérants le 1er mars 1989 ;

 

        Vu les observations orales des parties développées à

l’audience du 11 mai 1989 ;

 

        Après avoir délibéré,

 

        Rend la décision suivante :

 

EN FAIT

 

        Les faits, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent

se résumer comme suit :

 

        Le premier requérant, M. Sargin, de nationalité turque, né en

1926 a son domicile à Istanbul.  Il est docteur en médecine et

secrétaire général du Parti ouvrier turc, considéré illégal en

Turquie.  Il se trouve en détention à Ankara depuis le 16 novembre

1987.

 

        Le second requérant, M. Yagci, de nationalité turque, né en

1944 a son domicile à Berlin.  Il est journaliste et secrétaire

général du Parti Communiste turc, considéré illégal en Turquie.  Il se

trouve en détention à Ankara depuis le 16 novembre 1987.

 

        Dans la procédure devant la Commission, ils sont représentés

par quatre avocats, Maître Necla Fertan, avocat au barreau d’Istanbul,

Maître Ersen Sansal, avocat au barreau d’Ankara, ainsi que Maîtres

Güney Dinç et Sibel Uslu, avocats au barreau d’Izmir.

 

        En octobre 1987, les requérants ont organisé une conférence de

presse à Bruxelles pour annoncer leur intention de retourner en

Turquie après une longue absence, afin d’appuyer la « légalisation » de

leurs partis et de procéder à la constitution d’un nouveau parti :

le « Parti communiste unifié de Turquie« .

 

        Le 30 octobre 1987, le Procureur de la République près la Cour

de sûreté de l’Etat d’Ankara demanda à la Direction de Sûreté

d’Ankara que les requérants soient immédiatement arrêtés à leur retour

en Turquie s’agissant  de dirigeants d’une organisation communiste,

qu’ils soient interrogés par le parquet et soient placés en garde à

vue afin de recueillir les preuves nécessaires.  Le Procureur a

renouvelé sa demande le 14 novembre 1987.

 

        Les requérants furent arrêtés dès leur arrivée en Turquie, le

16 novembre 1987, sur ordonnance rendue par le Procureur de la

République de la Cour de Sûreté de l’Etat en vue de leur maintien en

garde à vue jusqu’au 23 novembre 1987.

 

        Sur demande de la Direction de la Sûreté d’Ankara, formulée

par lettre du 23 novembre 1987, le Procureur de la République de la

Cour de Sûreté ordonna la prolongation du délai de garde à vue des

requérants jusqu’au 30 novembre 1987.

 

        Le 2 décembre 1987, dès 5 heures du matin, les requérants

furent conduits de la Direction de Sûreté au siège du parquet de la

Cour de Sûreté.  Le Procureur de la République les entendit, à deux

reprises, les 2 et 3 décembre 1987, en enregistrant leurs dépositions

sur magnétoscope.

 

        Le 4 décembre 1987, à 14 heures, le Procureur de la République

près la Cour de sûreté de l’Etat a demandé au juge chargé de

l’instruction la mise en détention provisoire des requérants.  Le

Procureur leur reprochait d’avoir été les dirigeants d’une

organisation ayant pour but d’asseoir la domination d’une classe

sociale sur les autres, d’avoir fait de la propagande dans ce but,

d’avoir répandu de fausses nouvelles portant atteinte à l’honneur de

l’Etat, d’avoir excité au sein de la population l’hostilité et la

haine fondées sur la distinction de classe sociale, d’avoir porté

atteinte à l’honneur de la personnalité morale de la République turque

et de ses organes gouvernementaux.  Ces infractions sont punies par

les articles 141/1, 141/1-6, 140, 312/2-3, 158/2-3, 159/1 du Code

pénal turc.

 

        Le 5 décembre 1987, après avoir entendu les requérants à

partir de 8 heures 30 du matin, le juge chargé de l’instruction les

inculpa et ordonna leur détention provisoire.  Les conseils des

requérants ont formulé, le 10 décembre 1987, leur opposition à

l’ordonnance de la détention provisoire.  Ces oppositions ont été

rejetées, à l’unanimité, par la Cour de sûreté de l’Etat, le 16

décembre 1987, qui a estimé que l’ordonnance du 5 décembre 1987 était

conforme aux lois et aux procédures en vigueur.

 

        Il ressort du dossier que, durant leur garde à vue, les

requérants furent examinés à trois reprises, les 17 et 18 novembre et

1er décembre 1987, par des médecins de l’Office de Médecine légale, ce

à la demande de la Direction de la Sûreté d’Ankara.  Dans les trois

rapports d’expertise, il était indiqué qu’aucune trace de torture

physique n’avait été relevée.  Dans le rapport daté du 1er décembre

1987, il est mentionné que les requérants se sont plaints de douleurs

à l’épaule.

 

        Après leur mise en détention provisoire, les requérants

déposèrent une plainte, datée du 9 décembre 1987, au parquet de

Yenimahalle-Ankara en se plaignant à la fois des mauvais traitements

qu’ils auraient subis pendant leur garde à vue et de la durée de

celle-ci.

 

        Les requérants demandèrent au parquet d’engager des poursuites

contre les agents de police qui, selon eux, leur auraient infligé des

mauvais traitements et les auraient privé de leur liberté de manière

illégale.

 

        Les avocats des requérants ont demandé, de leur côté, un

supplément d’information en date du 18 décembre 1987.  Dans leur

demande, ils ont fait valoir que les requérants avaient été placés en

garde à vue entre le 16 novembre 1987 et le 5 décembre 1987

illégalement et que pendant cette période, il leur avait été

impossible d’entrer en contact avec leurs avocats, avec leur famille

ou avec des personnalités étrangères.  Les avocats ont soutenu que la

prolongation de la garde à vue ainsi que les interrogatoires par la

police pendant dix-neuf jours avaient été contraires aux dispositions

de la loi n° 2845 concernant les Cours de sûreté de l’Etat.  En effet,

selon l’article 16 de cette loi, la durée maximum de la garde à vue,

dans le cas de délit « individuel » est de 48 heures et dans le cas de

délit « collectif » de 15 jours.  Ils ont ajouté que la garde à vue

n’avait d’autre but que d’extorquer des aveux par des mauvais

traitements et d’en effacer par la suite les traces.  Les avocats des

requérants ont demandé aussi que l’autorité judiciaire décide sans

prévenir la police d’une descente sur les lieux où les faits s’étaient

produits afin de pouvoir découvrir les instruments ayant servi à

infliger les mauvais traitements aux requérants.  Ils ont demandé

aussi que les requérants soient examinés par des médecins

indépendants, turcs ou étrangers, ayant une expérience en matière de

cas de torture, compte tenu de la difficulté de diagnostiquer les

traces de torture décelables à l’oeil nu.  Les avocats des requérants

ont conclu qu’il existait suffisamment de preuves pour entamer un

procès contre les agents de police responsables des agissements qui

leur étaient reprochés.

 

        Le 21 décembre 1987, le parquet de Yenimahalle-Ankara rendit

une ordonnance de non-lieu, après avoir entendu, le 14 décembre 1987,

les requérants en qualité de parties demanderesses ainsi que les

médecins de l’Office de Médecine légale, le chef de l’Institut de

Cardiologie et le titulaire de la chaire de médecine légale de la

Faculté de Médecine de l’Université d’Ankara, le chef de la police

d’Ankara et un médecin expert en toxicomanie en qualité de témoins.

 

        Dans l’ordonnance de non-lieu, le parquet relevait qu’aucun

des trois rapports d’expertise n’avait fait mention de traces de

torture, que le chef de la police politique responsable de

l’interrogatoire des requérants avait déclaré qu’il avait été à leurs

côtés pendant tout l’interrogatoire, qui d’ailleurs se serait déroulé

comme s’il s’était agi d’une « discussion entre amis ».  L’ordonnance

fait également état des déclarations du titulaire de la chaire de

médecine légale selon lequel seul le penthanol de sodium aurait pu

provoquer les troubles décrits par les requérants.  Le médecin a

affirmé toutefois qu’il était impossible d’injecter ce produit sans le

contrôle d’un médecin.  Par ailleurs, le parquet a été de l’avis que

la garde à vue avait eu lieu sur ordres du Procureur de la Cour de

sûreté de l’Etat d’Ankara des 16 novembre et 23 novembre 1987 et qu’il

n’y avait dès lors pas eu atteinte à la liberté.

 

        Le 7 janvier 1988, les avocats des requérants attaquèrent

l’ordonnance de non-lieu du parquet de Yenimahalle devant le président

de la Cour d’assises d’Altindag-Ankara.  Ils ont soutenu que le

parquet de Yenimahalle n’avait point examiné le bien-fondé des

allégations formulées dans leurs demandes alors qu’il aurait dû

ordonner un supplément d’information.  Les avocats des requérants ont

relevé en outre que les examens médicaux avaient été effectués en

l’absence de toute analyse préalable et de toute radiographie bien que

selon les rapports médicaux l’état physique et psychique des

requérants eût nécessité d’autres examens médicaux plus approfondis.

Ils ont fait valoir en outre que le parquet s’était borné à interroger

le chef de la police et n’avait tenu compte que de l’avis personnel de

celui-ci sans procéder à l’interrogatoire des autres policiers et

témoins.  Enfin, ils ont reproché au parquet de ne pas avoir ordonné

de descente sur les lieux ni de confrontation des requérants avec les

prétendus auteurs des mauvais traitements.

 

        En conclusion, les avocats des requérants ont demandé au

président de la Cour d’assises d’Altindag de charger de l’affaire le

juge d’instance compétent dans le but de compléter l’instruction,

et d’entamer une action pénale contre les agents de police.

 

        Le 18 janvier 1988, le président de la Cour d’assises

d’Altindag-Ankara statuant sur les dossiers à elle soumis, rejeta

l’opposition des avocats à l’ordonnance de non-lieu du parquet.  Dans

cette décision, il a été constaté que les requérants avaient déposé

une requête au parquet de Yenimahalle le 9 décembre 1987 dans laquelle

ceux-ci se sont plaints d’avoir été soumis à des mauvais traitements

et à la torture et d’avoir été privés illégalement de leur liberté

pendant l’enquête faite à la direction de sécurité d’Ankara.  Il y a

également été relevé que le Parquet avait interrogé les plaignants,

entendu les témoins, reçu le rapport d’expertise et examiné les

rapports des examens médicaux effectués pendant la garde à vue.

Estimant que le parquet avait dès lors recueilli les preuves

conformément à la procédure, le président de la Cour d’assises a

conclu qu’à défaut de preuves suffisantes sur la prétendue torture,

les prétendus mauvais traitements et la prétendue privation illégale

de liberté, les actes accomplis par le parquet avaient été conformes à

la loi et à la procédure.

 

GRIEFS

 

        Les griefs des requérants peuvent se résumer comme suit :

 

1.      Les requérants allèguent en premier lieu la violation de

l’article 3 de la Convention et soutiennent avoir été soumis à des

tortures pendant leur garde à vue par les agents de la police

d’Ankara.  En outre, l’impossibilité à laquelle il se sont heurtés

pour faire intenter une action pénale contre les auteurs de ces actes,

confirme, selon eux, l’existence d’une pratique administrative et

systématique de la torture.

 

        Dans ce contexte, les requérants se plaignent que pendant leur

garde à vue dans les locaux de la police, ils ont été interrogés d’une

façon continue par trois équipes sans pouvoir dormir, toujours assis

sur une chaise, un bandeau sur les yeux, parfois les yeux dégagés mais

devant une source de lumière très forte.

 

        Ainsi, lors des interrogatoires on leur aurait extorqué des

noms de membres ou des sympathisants du parti communiste ou du parti

ouvrier lesquels par la suite ont été inculpés sur la base des

indications fournies par les requérants.

 

        Les requérants soutiennent aussi que des narcotiques ont été

versés dans leur thé et que des piqûres leur ont été administrées pour

les empêcher de résister psychiquement.

 

       Les requérants prétendent en outre avoir été soumis à deux

reprises à des jets d’eau froide sous pression dirigés vers la tête et

les testicules et d’avoir aussi été accrochés, bras attachés sur le

dos, à un crochet fixé au plafond.  Le second requérant se plaint

d’avoir été soumis à un électrochoc dans cette position.  Le premier

requérant prétend en outre avoir été menacé d’être jeté par la

fenêtre.

 

2.      Les requérants allèguent en outre une violation des

paragraphes 1, 3 et 4 de l’article 5 de la Convention tant pris

isolément que combinés avec l’article 3 de la Convention.  Ils

allèguent en particulier :

 

–       que la garde à vue pendant dix-neuf jours sans décision d’un

juge n’est pas conforme à l’article 5 par. 1 a).

 

–       qu’il y a aussi atteinte à l’article 5 par. 1 c) de la

Convention en ce que malgré leur déclaration, antérieure à leur retour

en Turquie et alors qu’il n’y avait pas d’état d’urgence ou pas de

flagrant délit, ils ont fait l’objet d’une arrestation non pas pour

être conduits devant le juge mais bien pour que leur soit infligée une

peine arbitraire.

 

–       qu’il y a violation de l’article 5 par. 1 a) et c) combinés

avec l’article 3 dans la mesure où ils ont été interrogés sous la

torture.

 

–       qu’il leur était impossible de se plaindre des mauvais

traitements infligés pendant leur garde à vue, parce qu’ils n’avaient

les moyens ni d’entrer en contact avec leurs avocats ni de déposer une

plainte au parquet, ce en violation de l’article 5 par. 4 de la

Convention considéré isolément ou combiné avec l’article 3.

 

3.      En outre, les requérants soutiennent qu’il y a eu violation de

l’article 6 par. 3 c) de la Convention en ce qu’il leur a été

impossible de communiquer avec leurs avocats et que l’on n’a pas

respecté leur droit de ne pas s’exprimer.  Les requérants ajoutent

qu’il y a eu atteinte à l’article 6 par. 3 c) combiné avec l’article

3 dans la mesure où ils ont été empêchés de prendre contact avec leurs

avocats, ce qui a facilité les mauvais traitements qui leur ont été

infligés.

 

        D’autre part, les requérants allèguent la violation de

l’article 6 par. 3 d) de la Convention considéré isolément ou combiné

avec l’article 3 en ce qu’il leur a été impossible d’interroger les

témoins à décharge dans le cadre de la plainte visant les auteurs des

mauvais traitements et des tortures qui leur ont été infligés, de se

faire examiner par des médecins indépendants (spécialistes du Centre

de Réhabilitation des Victimes de Torture au Danemark) aux lieu et

place des médecins officiels et de prouver, dans le cadre d’une telle

procédure, l’existence d’une pratique administrative de torture.

 

        Les requérants allèguent également la violation de l’article 6

par. 1 de la Convention en ce que la procédure relative à la plainte

dirigée contre la police s’est déroulée sans audience publique.

 

4.      Enfin, les requérants allèguent la violation des articles 9

par. 1, 10 et 14 de la Convention considérés isolément ou combinés

avec l’article 3 en ce que les mauvais traitements allégués et le

déroulement de l’instruction ont été la conséquence directe des

divergences de vue entre les requérants et les autorités turques sur

le régime politique en place.

 

PROCEDURE

 

        Les requêtes ont été introduites le 3 juillet 1988 et

enregistrées le 18 août 1988.

 

        Le 12 octobre 1988, la Commission a procédé à l’examen des

requêtes.  Elle a décidé de donner connaissance des requêtes au

Gouvernement turc, en application de l’article 42 par. 2 b) et

d’inviter celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la

recevabilité et le bien-fondé des griefs formulés au titre de

l’article 5 par. 1 c), 3 et 4 et de l’article 3 de la Convention.

 

        Le Gouvernement a présenté ses observations sur la

recevabilité des requêtes le 11 janvier 1989.  Les observations en

réponse sont parvenues le 1er mars 1989.

 

        Le 14 mars 1989, la Commission a décidé de tenir une audience

sur la recevabilité et le bien-fondé des requêtes.

 

        Le 11 mai 1989, l’audience a eu lieu.  Les parties y étaient

représentées comme suit :

 

        Pour le Gouvernement

 

      – M. le Prof.  Dr.  Suat BILGE, du Ministère des Affaires

        Etrangères, en qualité d’Agent du Gouvernement

 

      – M. le Prof.  Heribert GOLSONG, en qualité de conseil

 

      – Mme Dr.  Deniz AKCAY, du Ministère des Affaires Etrangères,

        en qualité de conseil

 

      – M. Münci ÖZMEN, du Ministère des Affaires Etrangères,

        en qualité de conseil

 

        Pour les requérants

 

      – Maître Güney DINC, Avocat au barreau d’Izmir

 

      – Maître Ersen SANSAL, Avocat au barreau d’Ankara

 

      – Maître Alain MARX, Avocat au barreau de Strasbourg

 

EN DROIT

 

1.      La Commission, vu la connexité des requêtes, en ordonne la

jonction conformément à l’article 29 de son Règlement intérieur.

 

2.      Devant la Commission, les requérants se plaignent des

conditions de leur détention entre le 16 novembre et le 5 décembre

1987 et notamment de traitements contraires à l’article 3 de la

Convention, d’avoir été privés de liberté de manière illégale

contrairement aux prescriptions de l’article 5 (art. 5) de la

Convention, d’atteintes aux droits de la défense garantis par

l’article 6 (art. 6) de la Convention, de faire l’objet de poursuites

en violation des articles 9 et 10 combinés avec l’article 14 (art.

9+14, 10+14) de la Convention.

 

I.      Quant aux griefs tirés de l’article 5 (art. 5) de la Convention

 

        Les requérants se plaignent d’une violation de l’article 5

par. 1 a), 1 c), 3 et 4 (art. 5-1-a-c, 5-3, 5-4).  Ils allèguent en

particulier :

 

      – que la garde à vue pendant dix-neuf jours sans décision d’un

juge n’est pas conforme à l’article 5 par. 1 a) (art. 5-1-a) ;

 

      – qu’il y a aussi atteinte à l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c)

de la Convention en ce que malgré leur déclaration, antérieure à leur

retour en Turquie et alors qu’il n’y avait pas d’état d’urgence ou pas

de flagrant délit, ils ont fait l’objet d’une arrestation non pour

être conduits devant le juge mais pour que leur soit infligée une

peine arbitraire ;

 

      – qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 1 a) et c) combinés

avec l’article 3 (5-1-a-c+3) dans la mesure où ils ont été interrogés

sous la torture ;

 

      – qu’il leur a été impossible de se plaindre des mauvais

traitements infligés pendant leur garde à vue, parce qu’ils n’avaient

les moyens ni d’entrer en contact avec leurs avocats ni de déposer une

plainte au parquet, ce en violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la

Convention considéré isolément ou combiné avec l’article 3 (art. 3).

 

        Les dispositions pertinentes de l’article 5 (art. 5) se lisent

comme suit :

 

        « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté.  Nul

        ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants

        et selon les voies légales :

 

        a. s’il est détenu régulièrement après condamnation par un

        tribunal compétent ;

 

        …..

 

        c. s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant

        l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons

        plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou

        qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de

        l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après

        l’accomplissement de celle-ci ;

 

        …..

 

        3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions

        prévues au paragraphe 1 c) du précédent article (art. 5-1-c),

        doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat

        habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a

        le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée

        pendant la procédure.  La mise en liberté peut être

        subordonnée à une garantie assurant la comparution de

        l’intéressé à l’audience.

 

        4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou

        détention a le droit d’introduire un recours devant un

        tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de

        sa détention et ordonne sa libération si la détention est

        illégale.

 

        ….. »

 

        Au regard de ces griefs, le Gouvernement soulève deux

exceptions préliminaires tirées respectivement du non-épuisement des

voies de recours internes et, mais à titre subsidiaire, de

l’inobservation du délai de six mois.  Il se réfère à l’article 26

(art. 26) de la Convention qui dispose que

 

        « La Commission ne peut être saisie qu’après l’épuisement des

        voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les

        principes de droit international généralement reconnus et dans

        le délai de six mois, à partir de la date de la décision

        interne définitive. »

 

A.      Sur l’épuisement des voies de recours internes

 

        De façon générale, le Gouvernement défendeur considère que la

réparation dans le sens de l’octroi d’une indemnité constitue le moyen

exclusif de constater l’illégalité de la détention et le cas échéant

d’en effacer les conséquences.  Ainsi, la réparation n’a pas un

caractère supplétif par rapport à d’autres formes de redressement mais

constitue le moyen par excellence dont il faut se servir pour obtenir

la constatation du tort subi et sa réparation (Requêtes Donnelly et six

autres, Nos 5577-5583/72, déc. 15.12.1975, D.R. 4 p. 4).

 

        Le Gouvernement défendeur soutient que les requérants n’ont

pas épuisé les voies de recours internes suivantes :

 

    a)  Le Gouvernement soutient en premier lieu que les requérants

n’ont pas demandé réparation pour la prétendue illégalité de la

privation de liberté, ce conformément à la loi no 466 sur

l’indemnisation des personnes illégalement arrêtées ou détenues

(première branche de l’exception).

 

    b)  Le Gouvernement indique ensuite que les requérants n’ont pas

introduit le recours administratif pour faute de service au titre

des agissements incriminés (2ème branche de l’exception).

 

    c)  Il soutient encore que les requérants n’ont pas introduit une

action civile en dommages-intérêts sur base de l’article 41 du Code

des Obligations (3ème branche de l’exception).

 

    d)  Le Gouvernement ajoute que les requérants ont omis de former

un recours devant le juge de paix sur base de l’article 19 en

combinaison avec les articles 138, 11 et 36 de la Constitution

turque (4ème branche de l’exception).

 

        En effet, en vertu de l’article 90 de la Constitution turque,

les traités internationaux dûment ratifiés ont force de loi.  Dès

lors, le Gouvernement relève que la Convention, ratifiée par la loi

6366 du 10 mars 1954, est de fait directement applicable en droit turc.

Il souligne de surcroît que par arrêt du 29 janvier 1980, la Cour

Constitutionnelle a déclaré que la Convention avait un caractère

impératif et obligatoire en droit turc.  Par ailleurs, parmi les moyens

de recours en Turquie découlant de la Convention, figure celui

consacré à l’avant-dernier paragraphe de l’article 19 de la

Constitution turque de 1982, largement inspiré de l’article 5 par. 4

(art. 5-4) de la Convention.  Cet article 19 qui ouvre une nouvelle

voie de recours en droit turc, stipule que « toute personne privée de

sa liberté pour quelque motif que ce soit a le droit d’introduire un

recours devant une autorité judiciaire compétente afin qu’elle statue

à bref délai sur son sort et, au cas où cette privation est illégale,

qu’elle ordonne sa libération ».  Le Gouvernement soutient que cette

disposition qui renferme une garantie d’habeas corpus peut être

directement invoquée devant les tribunaux, aux termes des articles

138, 11 et 36 de la Constitution turque.

 

    e)  Le Gouvernement indique encore que les requérants ont omis

d’intenter une action en réparation basée sur l’article 5 par. 5

(art. 5-5) de la Convention qui a autorité de loi en Turquie (5ème

branche de l’exception).

 

    f)  Sans y insister particulièrement, et tout à fait

accessoirement, Le Gouvernement ajoute que les requérants n’ont pas

fait usage du recours prévu à l’article 343 du Code de procédure

pénale turc, notamment contre la décision rendue le 18 janvier 1988

par le Président de la Cour d’assises rejetant l’opposition à

l’ordonnance de non-lieu (6ème branche de l’exception).

 

        Il s’agit en l’occurrence d’une procédure qui habilite le

Ministre de la Justice à enjoindre par écrit au Procureur de la

République auprès de la Cour de cassation de se pourvoir en cassation

contre les ordonnances et les jugements rendus par un juge ou par les

tribunaux et ayant acquis force de chose jugée, et qui n’ont pas été

déférés à la Cour de cassation.  Selon le Gouvernement qui s’appuie

sur la pratique et la jurisprudence turque cette voie de recours est

accessible, adéquate et efficace au sens de la jurisprudence des

organes de la Convention.  Il précise qu’un éventuel arrêt de la Cour

de cassation qui annulerait le jugement entrepris pour des questions

de procédure constituerait un nouveau fait ou une nouvelle preuve, ce

qui aurait pour effet d’amener le parquet à intenter une action

pénale.

 

    g)  Dans ses observations écrites, le Gouvernement a indiqué que

les requérants auraient dû faire opposition sur base de l’article 126

du Code de procédure pénale turc contre l’ordonnance du Procureur de

la République auprès de la Cour de Sûreté de l’Etat ordonnant leur

garde à vue (7ème branche de l’exception).  Il précise qu’aux termes

de la disposition précitée, le Procureur aurait pu élargir les

requérants s’il avait estimé que la prolongation de la détention

provisoire ne s’imposait pas.

 

        Cette branche de l’exception n’a pas été reprise à l’audience.

 

    h)  Toujours dans le cadre des observations écrites le

Gouvernement s’est référé à la possibilité pour les requérants de

demander au juge de renvoyer l’affaire à la Cour Constitutionnelle

conformément à l’article 152 de la Constitution turque afin d’obtenir

une décision à titre préjudiciel sur la conformité avec la

Constitution des règles régissant leur détention.  Ce recours qui se

déclenche à l’initiative du juge devant lequel une partie à l’instance

peut solliciter le renvoi permettrait  une protection directe et

rapide des droits garantis à l’article 19 de la Constitution (8ème

branche de l’exception).

 

        Le Gouvernement défendeur soutient par ailleurs que la plainte

pénale déposée par les requérants et qui aurait pu conduire au

déclenchement de l’action publique ne peut remplacer les autres voies

de recours indiquées ci-dessus, par lesquelles les requérants auraient

pu obtenir réparation.  Les voies de recours dont les requérants se

sont servis étaient d’autant plus inadéquates que le juge qui avait eu

à connaître des allégations par le truchement des autres voies de

recours n’avait point besoin des conclusions éventuelles de l’action

pénale pour apprécier la légalité de la détention.

 

        Les requérants estiment avoir épuisé les voies de recours

internes.  Ils soutiennent qu’ils se sont prévalus de la voie de

recours normale en droit turc pour faire valoir les allégations de

tortures et de mauvais traitements, à savoir la demande en vue

d’intenter une procédure pénale contre les auteurs présumés de ces

agissements, ce en se fondant sur une série d’exemples tirés de la

pratique judiciaire.

 

        En ce qui concerne l’exception de non-épuisement soulevée par

le Gouvernement ils font valoir en particulier les arguments suivants.

 

        Quant à la possibilité d’invoquer directement devant les

tribunaux internes les dispositions de la Convention dont la violation

est alléguée (5ème branche de l’exception), les requérants considèrent

qu’il était du devoir des tribunaux internes d’appliquer toutes les

lois en vigueur, y compris la Convention, sans être liés en cela par

les demandes des parties à l’instance.

 

        En ce qui concerne la possibilité de recourir contre les

décisions du juge d’Altindag sur base de l’article 343 du Code de

procédure pénale (6ème branche de l’exception), les requérants

soutiennent que l’injonction écrite visée par cette disposition ne

constitue pas une voie juridique à proprement parler.  En effet, il

appartient au seul Ministre de la Justice d’ordonner au Procureur

général de se pourvoir en cassation.  D’autre part, même si la décision

attaquée avait été annulée à la suite d’une telle procédure, cela

n’aurait pas eu comme conséquence que des poursuites eussent été

engagées contre les prétendus responsables.

 

        En ce qui concerne la possibilité de faire opposition contre

l’ordonnance du Procureur de la République devant la Cour de Sûreté de

l’Etat (7ème branche de l’exception), les requérants soutiennent

qu’une telle opposition n’est pas susceptible de conserver les

personnes détenues suite à une ordonnance rendue par un juge.  Or, cet

article ne pourrait s’appliquer en l’espèce, car il n’y avait pas

ordonnance de détention rendue par un juge pour la période de la garde

à vue.

 

        Quant à la possibilité de saisir la Cour Constitutionnelle

(8ème branche de l’exception), les requérants font valoir qu’en droit

turc, un individu n’a pas le droit d’introduire directement un recours

devant cette Cour.  Les requérants ajoutent qu’il ne leur était pas

possible d’invoquer l’inconstitutionnalité des lois qui leur ont été

appliquées étant donné que leurs plaintes pénales ont fait l’objet

d’un non-lieu.  Par ailleurs, ils font valoir que les dispositions

prévoyant une durée maximum de garde à vue de quinze jours ne

pouvaient pas être attaquées devant la Cour Constitutionnelle dans la

mesure où c’est la Constitution elle-même qui fixe une telle limite.

 

        La Commission a examiné les arguments développés par les

parties au sujet de l’épuisement des voies de recours internes.

 

        En ce qui concerne les trois premières branches de l’exception

de non-épuisement, qui se réfèrent toutes à la possibilité de demander

réparation pour l’illégalité de la détention, la Commission constate

que les autorités judiciaires saisies de la plainte pénale, en

l’occurrence le parquet et le président de la Cour d’assises, ont

estimé que les décisions d’internement avaient été conformes à la loi

et à la procédure.  Elle relève par ailleurs que selon la

jurisprudence citée par le Gouvernement, les tribunaux turcs

n’accordent de réparation que dans le cas où les responsables d’actes

délictueux du genre de ceux qui sont ici en cause ont au préalable été

condamnés au pénal.

 

        Dans ces conditions, la Commission est d’avis que les

requérants n’étaient pas tenus de tenter les voies indiquées par le

Gouvernement étant donné que les autorités judiciaires saisies de la

question de la légalité de la détention s’étaient déjà prononcées par

l’affirmative sur cette question excluant par là toute illégalité de

la privation de liberté subie par les requérants.

 

        Intenter des actions en indemnité n’eût, dans de telles

circonstances, servi de rien aux requérants.

 

        En ce qui concerne le recours devant le juge de paix sur base

notamment de l’article 19 de la Constitution turque (4ème branche de

l’exception), la Commission constate que la disposition indiquée par

le Gouvernement présente de larges similitudes avez l’article 5 par.

4 (art. 5-4) de la Convention, qui est d’ailleurs directement

applicable en droit turc.  La Commission rappelle cependant que les

voies de recours indiquées par le Gouvernement doivent exister avec un

degré suffisant de certitude, en pratique et en théorie, sans quoi

leur manquent l’accessibilité et l’efficacité voulues et qu’il incombe

à l’Etat défendeur de démontrer que ces diverses conditions se

trouvent réunies (Cour Eur.  D.H., arrêt De Jong, Baljet et Van den

Brink du 22 mai 1984, série A no 77, par. 39).  Or, en l’espèce, le

Gouvernement a été en défaut de citer un seul exemple où une personne

détenue en garde à vue a été libérée suite à un recours introduit

devant un juge sur base de l’article 19 de la Constitution.

L’existence de cette voie de recours est loin d’être établie avec un

degré suffisant de certitude.

 

        Par ailleurs, la Commission relève que les requérants

contestent à la fois l’illégalité de leur garde à vue en droit turc et

en général la durée maximum de celle-ci telle que prévue par la

Constitution et le Code de procédure pénal.  Même s’il existait une

voie de recours autre que la plainte pénale pour faire contrôler la

légalité de la garde à vue, une telle voie ne pourrait être considérée

comme efficace et adéquate pour ce qui est du grief spécifique

concernant la durée maximum de la garde à vue telle que prévue par la

Constitution elle-même.

 

        Quant à la possibilité d’intenter une action en réparation

basée sur l’article 5 par. 5 (art. 5-5) de la Convention (5ème branche de

l’exception), la Commission estime que dans les circonstances

particulières de l’affaire une telle voie, à l’appui de laquelle le

Gouvernement ne cite aucune décision rendue par un tribunal turc,

n’est pas efficace pour les motifs indiqués ci-dessus, à savoir que la

détention a été jugée légale en droit turc.

 

        Pour ce qui est de l’injonction écrite selon l’article 343 du

Code de procédure pénale (6ème branche de l’exception), la Commission

relève que les requérants ne pouvaient pas recourir à la Cour de

cassation contre la décision rendue par le président de la Cour

d’assises d’Altindag le 18 janvier 1988.  Le déclenchement de ce

recours est laissé au pouvoir discrétionnaire du Ministre de la

Justice.  La Commission estime que la demande faite au Ministre de la

Justice pour que ce dernier ordonne éventuellement au Procureur

général près la Cour de cassation de se pourvoir en cassation, est une

voie de recours extraordinaire et non un recours accessible de plein

droit que les requérants étaient tenus d’épuiser pour satisfaire aux

exigences de l’article 26 (art. 26) de la Convention (voir mutatis

mutandis No 1053/61, 19.9.1961, X. c/Autriche, D.R. 8 p. 6 ; No

9136/80, X. c/Irlande, 10.7.1981, D.R. 26 p. 242 ; No 8395/78, X.

c/Danemark, 16.12.1961, D.R. 27 p. 50).

 

        Quant au renvoi à la Cour Constitutionnelle (7ème branche de

l’exception), la Commission rappelle que les vois de recours dont

l’utilisation est exigée doivent être non seulement efficaces, mais

effectivement accessibles aux intéressés.

 

        En l’espèce, dans les circonstances particulières de cette

affaire, la Commission estime que le renvoi à la Cour

Constitutionnelle ne constitue pas un recours accessible au motif

qu’il appartient au tribunal dans le cadre de l’examen d’une affaire

de décider souverainement qu’une exception d’inconstitutionnalité

paraît suffisamment sérieuse pour qu’elle mérite d’être déférée à la

Cour.  L’intéressé, lui, ne peut pas saisir directement cette

juridiction.  Au demeurant, la Commission relève qu’une telle demande

ne pouvait en toute hypothèse être présentée car aucune procédure

n’avait été déclenchée par le parquet.

 

        En conclusion, la Commission est d’avis que les requérants,

pour contester la légalité de leur garde à vue, se sont servis du

recours qui, compte tenu de leurs griefs, est celui normalement utilisé

en droit turc et constitue, dès lors, une voie de recours adéquate et

suffisante.

 

        Le Gouvernement, pour sa part, n’a pas démontré qu’il existe

en droit turc d’autres recours qui dans de telles circonstances,

peuvent passer pour adéquats et suffisants.

 

        En effet, comme la Commission l’a relevé ci-dessus, les

autorités judiciaires turques saisies par les requérants avaient déjà

conclu à la légalité de la détention litigieuse.  On ne voit donc pas

pour quelles raisons ces derniers auraient été tenus, pour se

conformer à l’article 26 (art. 26) de la Convention, de recourir à

d’autres voies ayant le même objet et dont le résultat, sur la base

des mêmes éléments de fait, ne pouvait être, selon toute

vraisemblance, que la répétition d’une décision déjà rendue (cf.

mutatis mutandis No 2686/85, Kornmann, déc. 13.12.66, Annuaire 9

p. 495).

 

        Il s’ensuit que les exceptions soulevées par le Gouvernement

ne sauraient être retenues.

 

B.      Sur le respect du délai de six mois

 

        Le Gouvernement défendeur soutient que si l’on accepte la

thèse selon laquelle il n’existe aucune voie de recours

en droit turc pour faire contrôler la légalité de la garde à vue, il

faut considérer alors que les requêtes sont tardives au sens de

l’article 26 (art. 26) de la Convention car elles ont été introduites

en dehors du délai de six mois.  Dans ce cas, le délai commence à

courir le 7 décembre 1987, date à laquelle les requérants ont été

autorisés à se mettre en contact avec leurs défenseurs alors que les

requêtes n’ont été introduites que le 3 juillet 1988, c’est-à-dire

plus de six mois après.

 

        La Commission relève que l’ordonnance de non-lieu qui avait

rejeté les plaintes pénales des requérants a été confirmée le 18

janvier 1988 par le président de la Cour d’assises statuant en dernier

ressort.  Or, comme elle vient de le constater la voie de recours

utilisée par les requérants était en l’occurrence une voie efficace de

sorte que la date de la décision définitive est en l’espèce, celle de

la décision du président de la Cour d’assises.  Les requérants ayant

ainsi observé le délai de six mois pour la présentation de la requête,

l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue.

 

C.      Sur le bien-fondé

 

        En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 5 par. 1 c)

(art. 5-1-c), le Gouvernement rappelle que les requérants ont été

arrêtés sur ordre écrit du Procureur général auprès de la Cour de

Sûreté de l’Etat d’Ankara et ont été placés en garde à vue

conformément à deux ordres écrits dudit Procureur.  Le Procureur, qui

jouit des mêmes garanties statutaires que celles accordées aux

magistrats, est habilité par la loi à ordonner le placement en garde à

vue, ou à décider de la mise en liberté.  Ainsi, les requérants ont

fait l’objet d’une arrestation selon les voies légales.  Ayant en

outre fait l’objet d’inculpations précises il existait dès lors des

raisons plausibles de soupçonner qu’ils avaient commis des infractions

prévues par le Code pénal turc.

 

        A ce sujet, les requérants soutiennent que les conditions

énumérées par la disposition précitée ne sont pas réunies et que dès

lors, leur détention constitue une violation de la Convention.  Ils

expliquent que les délits qui leur ont été reprochés concernaient

notamment l’exercice de leur liberté d’opinion politique.  Les

requérants estiment que ces faits ne sauraient être considérés comme

étant des délits au sens de l’article 7 (art. 7) de la Convention

justifiant leur privation de liberté.

 

        Les requérants soutiennent également qu’on ne saurait leur

reprocher d’avoir eu l’intention de se soustraire aux poursuites étant

donné que bien avant leur retour en Turquie, ils avaient déclaré lors

d’une conférence de presse vouloir rentrer dans leur pays pour obtenir

la légalisation de leurs partis.

 

        Pour ce qui est des griefs se rapportant à l’article 5 par. 3

(art. 5-3) de la Convention, le Gouvernement soutient que les requérants ont

effectivement été traduits devant un juge, comme le prévoit l’article

5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.  En effet, après leur interrogatoire

préliminaire qui s’est terminé le 30 novembre 1987, et après avoir été

examinés le 1er décembre par un médecin légiste et transférés le 2

décembre à la Cour de Sûreté de l’Etat, les requérants ont été

interrogés par le Procureur les 2 et 3 décembre et ont été mis en

détention provisoire le 5 décembre 1987.

 

        Les requérants soutiennent que la durée de 19 jours de garde à

vue a été aussi bien contraire a la loi nationale qu’à la Convention,

compte tenu de la jurisprudence des organes de celle-ci.  Ils se

réfèrent à l’article 19 par. 5 de la Constitution qui prévoit que la

personne arrêtée ou détenue doit être traduite devant un juge au plus

tard dans les quarante-huit heures, et dans les cas d’infractions

collectives, dans les quinze jours hormis le délai de route.

L’article 129 du Code de procédure pénale reprend les mêmes

dispositions que celles figurant dans la Constitution en précisant

toutefois qu’en cas d’infraction non collective le délai de garde à

vue est au maximum de 24 heures.

 

        Le Gouvernement fait valoir que les requérants ont porté

plainte auprès du Procureur de la République de Yenimahalle contre

leur privation de liberté.   Le Procureur ayant décidé du non-lieu,

ils ont présenté leur opposition auprès du président de la Cour

d’assises d’Altindag.  Ainsi, ils ont effectivement utilisé à deux

reprises le recours prévu à l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention.

 

        Le Gouvernement met également accent sur les garanties

d’habeas corpus dont il est question à l’avant-dernier paragraphe de

l’article 19 de la Constitution de 1982 d’ailleurs directement

applicable en droit turc.  C’est une disposition qui ne figurait pas

dans la Constitution de 1961 et qui correspond largement à l’article 5

par. 4 (art. 5-4) de la Convention.  Par contre, les requérants n’ont

pas utilisé une telle voie de recours.

 

        Les requérants contestent cette dernière thèse en soutenant

qu’il n’existe dans le Code de procédure pénale, ni des dispositions

précisant l’instance compétente devant laquelle un tel recours aurait

pu être introduit afin de faire contrôler la légalité de la détention,

ni des dispositions régissant le déroulement d’une telle procédure.

Ils soutiennent qu’il existe à cet égard une lacune dans le système

juridique turc.

 

        La Commission constate que les requérants ont été privés de

liberté le 16 novembre 1987, qu’ils ont été entendus par le Procureur

de la République les 2 et 3 décembre et le 5 décembre par le juge

chargé de l’instruction qui ordonna leur détention provisoire.  Leur

garde à vue a donc duré dix-neuf jours.

 

        La Commission a procédé à un examen préliminaire des arguments

des parties.  Elle estime que les requêtes posent à cet égard des

questions de droit et de fait suffisamment complexes pour que leur

solution doive relever d’un examen au fond.

 

II.     Quant aux griefs tirés de l’article 3 (art. 3) de la Convention

 

        Les requérants se plaignent d’une violation de l’article 3

(art. 3) de la Convention et prétendent avoir été soumis à des

tortures et des traitements inhumains et dégradants lors de leur garde

à vue à la Direction de la Sûreté d’Ankara.

 

        L’article 3 (art. 3) de la Convention se lit ainsi :

 

        « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou

        traitements inhumains ou dégradants. »

 

A.      Sur l’épuisement des voies de recours internes

 

        Le Gouvernement défendeur soutient, à cet égard, que les

requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes dont ils

disposaient en droit turc.  En premier lieu, s’agissant d’actes

contraires au droit turc, les requérants auraient dû s’en plaindre en

introduisant un recours administratif devant le Conseil d’Etat pour

faute de service et en demandant une réparation des dommages tant

matériels que moraux.  Dans ce cas, le Conseil d’Etat n’a pas besoin

de connaître les auteurs de l’action illicite pour accorder une

indemnisation étant donné que la faute de service est directement

imputée à l’Etat.

 

        En deuxième lieu, le Gouvernement indique que les requérants

auraient eu la possibilité d’intenter une action civile en

dommages-intérêts sur pied de l’article 41 du Code des Obligations

turc, et ce en se fondant sur l’interdiction d’infliger à une personne

les traitements du genre de ceux dont se plaignent les requérants,

contenue à l’article 17 par. 3 de la Constitution.

 

        En troisième lieu, il ajoute que les requérants auraient pu

utiliser la voie de recours prévue à l’article 343 du Code de

procédure pénale.

 

        Le Gouvernement réitère enfin la thèse selon laquelle la

possibilité d’obtenir une indemnisation peut être considérée comme un

remède suffisant pour une prétendue violation de l’article 3 (art. 3).

En ce qui concerne l’existence d’une pratique administrative

consistant à autoriser ou à tolérer de telles violations, le

Gouvernement souligne que tel ne peut être le cas en l’espèce, les

autorités turques ayant pris toutes les mesures raisonnables pour

remplir leurs obligations découlant de la Convention.

 

        Selon les requérants, les problèmes posés par les conditions

de leur garde à vue constituent autant d’exemples d’une pratique

administrative et ne peuvent pas être résolus par l’octroi d’une

indemnisation.  Ils font valoir en outre, pour ce qui est du recours

administratif pour faute de service et de l’action civile en

dommages-intérêts, que ces recours n’avaient aucune chance d’aboutir

étant donné que l’identité des auteurs des prétendus mauvais

traitements n’était pas connue.

 

        La Commission rappelle que comme elle vient de le constater

ci-dessus, les voies de recours indiquées par le Gouvernement, à

savoir un recours administratif pour faute de service ainsi qu’une

action civile en dommages-intérêts à intenter contre les agents de

police responsables des mauvais traitements ne sont pas efficaces.

Elle rappelle que les autorités judiciaires saisies de la plainte

pénale, en l’occurrence le parquet et le président de la Cour

d’assises, ont estimé que les décisions d’internement et les

conditions de détention avaient été conformes à la loi et à la

procédure.

 

        La Commission fait observer qu’au regard des allégations

concernant l’article 3 (art. 3) de la Convention, l’affaire soulève

principalement une question de preuves et que la raison pour laquelle

les requérants n’ont pas réussi à introduire une plainte pénale réside

dans le fait que ni le Procureur ni le président de la Cour d’assises

n’ont conclu à l’existence de preuves suffisantes à l’appui de leurs

allégations.  Par conséquent l’impossibilité où se sont trouvés les

requérants de faire la preuve de leurs allégations fait présumer que

ni une action civile ni une action administrative n’auraient pu leur

donner satisfaction (cf. mutatis mutandis No 2686/85, Kornmann, déc.

13.12.66, Annuaire 9 p. 495).

 

        Quant à l’injonction écrite (article 343 du Code de procédure

pénale), la Commission rappelle qu’ainsi qu’elle vient de le relever

il ne s’agit pas là d’un recours ordinaire et accessible de plein

droit qui pourrait être considéré en l’occurrence comme étant efficace

au sens de l’article 26 (art. 26) de la Convention.

 

        Il s’ensuit que l’exception de non-épuisement des voies de

recours internes soulevée par le Gouvernement turc ne saurait être

retenue.

 

B.      Sur le bien-fondé

 

        Le Gouvernement s’est prononcé quant à cet aspect de la

requête uniquement au regard de la notion « manifestement mal fondé »

prévue à l’article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

 

        Le Gouvernement est d’avis que les requérants n’ont pas

produit le moindre élément ou commencement de preuve à l’appui de

leurs allégations de violation de l’article 3 (art. 3).  Par contre, il

existerait la présence de suffisamment de preuves établies dans le

sens opposé.  En effet, durant leur garde à vue l’interrogatoire des

requérants a été enregistré sur magnétoscope.  Par ailleurs, ils ont

été examinés à trois reprises par des médecins au début, deux jours

après leur arrestation et le 1er décembre, juste avant leur transfert

au parquet auprès de la Cour de Sûreté de l’Etat.  Ces rapports

médicaux n’auraient rien relevé qui pût faire croire à l’infliction de

mauvais traitements.  Le Gouvernement a soumis également des photos

des requérants prises lors de la détention dans les locaux de la

police ainsi que des expertises visant à démontrer l’impossibilité

pratique d’infliger les traitements dénoncés sans laisser de traces.

 

        Les requérants maintiennent avoir subi des mauvais traitements

tels que ceux détaillés dans leurs griefs.  Ils font valoir être dans

l’impossibilité d’identifier les agents de police qui leur auraient

infligé ces traitements, étant donné que leurs yeux étaient presque

toujours bandés et que l’identité des fonctionnaires n’était indiquée

dans les procès-verbaux de déposition que par leurs numéros.

 

        Les requérants soulignent en outre avoir été dans

l’impossibilité d’entrer en contact avec l’extérieur lors de leur

garde à vue et de ne pas avoir pu voir ni leur avocat, ni aucun de

leurs proches.  Selon eux, ils n’ont pas eu, non plus, la possibilité

d’introduire un recours devant une autorité compétente, de bénéficier

des services d’un notaire, pour donner pouvoir à un avocat, ainsi que

des services d’un médecin de leur choix.

 

        La Commission a procédé à un examen préliminaire des arguments

des parties.  Elle estime que les requêtes posent à cet égard des

questions de droit et de fait suffisamment complexes pour que leur

solution doive relever d’un examen au fond.

 

III.    Quant aux griefs tirés des articles 6, 9, 10 et 14

        (art. 6, 9, 10, 14) de la Convention.

 

        La Commission vient d’examiner les griefs des requérants se

rapportant aux articles 3 et 5 (art. 3, 5) de la Convention sur

lesquels le Gouvernement a été invité à présenter des observations sur

la recevabilité et le bien-fondé et sur lesquels ont porté les

plaidoiries des parties à l’audience de ce jour.

 

        La Commission estime ne pas devoir statuer d’emblée sur les

autres griefs des requérants dont elle ajourne par conséquent

l’examen.

 

        Par ces motifs, la Commission

 

        PRONONCE LA JONCTION DES REQUETES No 14116/88 et 14117/88 ;

 

        DECLARE RECEVABLES les griefs des requérants concernant les

        conditions de la détention lors de la garde à vue et les

        modalités de celle-ci, tous moyens de fond réservés ;

 

        AJOURNE L’EXAMEN DE LA REQUETE pour le surplus.

 

 

        Le Secrétaire                      Le Président en exercice

      de la Commission                        de la Commission

 

       (H.C. KRÜGER)                            (J.A. FROWEIN)

 

 

 

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