COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE ARTICO c. ITALIE
(Requête no 6694/74)
ARRÊT
STRASBOURG
13 mai 1980
En l’affaire Artico,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. G. WIARDA, président,
G. BALLADORE PALLIERI,
M. ZEKIA,
Mme D. BINDSCHEDLER-ROBERT,
MM. L. LIESCH,
F. GÖLCÜKLÜ,
J. PINHEIRO FARINHA,
ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier adjoint,
Après avoir délibéré en chambre du conseil les 1er février et 30 avril 1980,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire Artico a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ».). A son origine se trouve une requête dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Ettore Artico, avait saisi la Commission le 26 avril 1974 en vertu de l’article 25 (art. 25) de la Convention.
2. La demande de la Commission, qui s’accompagnait du rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention, a été déposée au greffe le 11 mai 1979, dans le délai de trois mois institué par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47). Elle renvoyait aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration de la République italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision de celle-ci sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de l’État défendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c).
3. La Chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. G. Balladore Pallieri, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, vice-président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 17 mai 1979, à la demande du président et en présence du greffier adjoint, le vice-président a désigné par tirage au sort les cinqautres membres, à savoir M. M. Zekia, Mme D. Bindschedler-Robert, M. L. Liesch, M. F. Gölcüklü et M. J. Pinheiro Farinha (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).
4. M. Wiarda a assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement). Par l’intermédiaire du greffier adjoint, il a recueilli l’opinion de l’agent du gouvernement italien (« leGouvernement »), de même que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 6 juin 1979, il a décidé que l’agent aurait jusqu’au 7 novembre 1979 pour déposer un mémoire et que les délégués pourraient y répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le leur aurait communiqué.
Le texte français officiel du mémoire du Gouvernement n’est parvenu au greffe que le 11 décembre 1979. Le 17, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que les délégués présenteraient leurs observations lors des audiences.
5. Le lendemain, le président a fixé au 31 janvier 1980 la date d’ouverture de celles-ci après avoir consulté agent du Gouvernement et déléguées de la Commission par l’intermédiaire du greffier.
6. Les débats se sont déroulés en public le 31 janvier, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Chambre avait tenu immédiatement auparavant une brève réunion consacrée à leur préparation; elle avait autorisé l’emploi de la langue italienne par le représentant du Gouvernement et par la personne assistant les délégués de la Commission (article 27 par. 2 et 3 du règlement).
Ont comparu:
– pour le Gouvernement:
Me M. IMPONENTE, avocat de l’État
(avvocate dello Stato), délégué de l’agent;
– pour la Commission:
M. S. TRECHSEL, délégué principal,
M. M. MELCHIOR, délégué,
Me P. SOLINAS, conseil du requérant
devant la Commission, assistant les délégués en vertu de
l’article 29 par. 1, deuxième phrase du règlement de la
Cour.
La Cour les a ouïs en leurs déclarations et en leurs réponses à ses questions. Elle les a invités à produire plusieurs pièces; Commission et Gouvernement les lui ont fournies pour la plupart,avec d’autres, les 31 janvier et 20 mars respectivement.
7. Sur les instructions de la Cour, le greffier a demandé par écrit à la Commission un renseignement complémentaire le 11 février 1980. Elle le lui a donné le 12 mars par l’intermédiaire de son secrétaire.
FAITS
1. Les circonstances de l’espèce
a) Les condamnations et recours du requérant
8. M. Ettore Artico, ressortissant italien né en 1917, est expert comptable de profession.
Le 27 janvier 1965, le juge de première instance (pretore) de Vérone le condamna pour escroquerie simple à dix-huit mois d’emprisonnement et à une amende. Le 6 octobre 1970, il lui infligea onze mois de réclusion et une amende pour escroquerie avec récidive, usurpation d’identité (sostituzione di persona) et émission de chèques sans provision. Ces diverses infractions remontaient à mai-juin 1964. Les 16 décembre 1969 et 17 avril 1971, respectivement, le tribunal correctionnel de Vérone rejeta par défaut les appels que le requérant avait introduits les 28 janvier 1965 et 11 décembre 1970.
Les 11 octobre et 13 novembre 1971, le pretore lança des ordres d’écrou pour l’exécution des deux peines privatives de liberté. L’intéressé se les vit notifier le 22 décembre 1971; il avait étéarrêté dès le 8 pour d’autres faits.
9. Les 25-26 décembre 1971, M. Artico, alors détenu à Brindisi, attaqua derechef les deux sentences du pretore devant le tribunal correctionnel. Affirmant ne pas connaître les jugements de ce dernier, il joignit à ses appels des pourvois en cassation dirigés, entre autres, contre la « décision éventuelle de deuxième degré ». Il s’y plaignait surtout de ce que sa cause avait été entendue en son absence; il contestait en particulier la régularité de la procédure suivie pour lui signifier différents documents, ainsi que de déclarations constatant l’impossibilité de le retrouver (decreto di irreperibilità, article 170 du code de procédure pénale).
Par deux ordonnances du 6 mars 1972, le tribunal correctionnel estima les appels irrecevables car ils visaient des sentences qui avaient déjà fait l’objet de recours. Pour des raisons decompétence, il transmit en même temps les pourvois à la Cour de cassation.
10. Les 10 et 14-15 mars, l’intéressé, à l’époque incarcéré à Venise, déposa auprès de celle-ci des notes où il développait ses arguments. Il formulait pour terminer une demande nouvelle qui, à la vérité, ne figurait point parmi les principaux moyens invoqués: d’après lui, il fallait dire pour droit que les délits auxquels avaient trait les sentences du pretore se trouvaient prescritsdepuis novembre – décembre 1971 par suite de l’expiration du délai légal de sept ans et demi (articles 157 et suivants du code pénal).
Dans des réquisitions des 3 et 10 juillet 1973, relatives uniquement à l’irrégularité alléguée et non au problème de la prescription, le ministère public conclut au défaut manifeste de fondement des pourvois.
Siégeant en chambre du conseil, la Cour de cassation les rejeta par deux ordonnances (ordinanze) du 12 novembre 1973, vu l’absence de vice de procédure; elle ne parla pas de la prescription.
11. En 1975 M. Artico, soulevant derechef cette question, saisit la Cour de cassation d’un recours en révision contre les sentences des 27 janvier 1965 et 6 octobre 1970, confirmées par le tribunal correctionnel les 16 décembre 1969 et 17 avril 1971. Par un arrêt du 5 août 1975, elle jugea la prescription acquise pour les délits d’escroquerie simple, d’usurpation d’identité et d’émission de chèques sans provision. En conséquence, elle annula les jugements du tribunal de Vérone sauf, pour celui de 1971, quant au délit d’escroquerie avec récidive.
Simultanément, la Cour déclara irrecevable une demande d’élargissement du requérant car il n’était pas établi que sa détention résultât des condamnations litigieuses.
12. M. Artico recouvra cependant sa liberté le 23 août 1975 en vertu d’une directive (provvedimento) de même date émanant du parquet de Milan. Celle-ci, après avoir cité l’arrêt de 1975 de la Cour de cassation, réévaluait à deux ans et huit mois la durée globale de l’emprisonnement à subir pour escroquerie avec récidive et pour divers autres délits; comme le requérant séjournait en prison depuis le 8 décembre 1971, cette période avait expiré dès le 7 août 1974.
Le 4 novembre 1977, la Cour de cassation rejeta comme tardive une demande d’indemnité présentée par M. Artico pour détention injustifiée.
Dans une directive du 15 mars 1978, le procureur de la République de Ferrare opéra un nouveau calcul de la période d’emprisonnement à purger par l’intéressé pour diverses infractions; il imputa sur d’autres peines la détention « indûment » subie du 8 août 1974 au 23 août 1975.
b) L’assistance judiciaire gratuite accordée au requérant
13. Dans sa note du 10 mars 1972 à la Cour de cassation, le requérant, représenté à l’origine par un avocat de son choix, Me Ferri, sollicitait l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite pour les besoins de ses pourvois. Le président de la deuxième chambre pénale (« le président de chambre ») la lui accorda le 8 août 1972 et en chargea un avocat de Rome, Me Della Rocca.
14. Le 4 septembre, M. Artico écrivit au président de chambre et au procureur général près la Cour de cassation (« le procureur général ») pour les informer qu’il n’avait pas eu de nouvelles deMe Della Rocca et pour réclamer des mesures tendant à lui assurer une assistance effective. Par une lettre du 8 septembre, Me Della Rocca l’avisa qu’il n’avait pas appris sa désignation jusqu’à son retour de vacances, affirma que d’autres obligations l’empêchaient d’y consentir et lui donna le nom d’un confrère auquel il lui conseilla vivement de recourir. Le 10 octobre, le requérant le pria de demander son remplacement selon les voies légales. Me Della Rocca lui répondit, le 18 janvier 1973, que le 17 octobre il avait saisi le président de chambre d’une telle demande en invoquant des raisons de santé qui ne lui permettaient pas d’assumer une tâche qualifiée par lui de fort lourde et absorbante (molto impegnative e gravi); il estimait avoir ainsi rempli son devoir et exprimait sa volonté d’être laissé en paix.
Le 30 janvier 1973, M. Artico écrivit au président de chambre et au procureur général: il réclamait le remplacement de Me Della Rocca et produisait une copie de la lettre que ce dernier lui avait envoyée le
18. Le greffe de la Cour de cassation paraît lui avoir adressé, le 26 février, une note selon laquelle Me Della Rocca restait responsable de sa défense car la loi n’autorisait pas un avocat d’office à se récuser. Le 6 mars, le requérant porta plainte auprès du procureur général en se référant, comme en des occasions ultérieures, à divers textes législatifs; il exigeait, outre le remplacement de Me Della Rocca, des sanctions pénales et disciplinaires contre cet avocat. Cette plainte, dont un double avait été communiqué au président de chambre, ne semble pas avoir reçu de suite. Le 12, M. Artico écrivit au premier président de la Cour de cassation afin, notamment, de lui signaler le défaut d’assistance judiciaire et de l’engager à intervenir. Le greffe lui indiqua, par un télégramme du 4 mai, que Me Della Rocca n’avait pas été remplacé et que les pourvois se trouvaient encore entre les mains du parquet. Trois jours après, l’intéressé écrivit derechef au procureur général pour protester, en particulier, contre la non-désignation d’un nouveau conseil; le 6 juin, le greffe lui expédia un télégramme analogue au précédent. Par une lettre du 19 juin au procureur général, dont il fit tenir une copie au président de chambre, le requérant souligna les graves conséquences de la situation pour la défense et demanda une fois de plus la nomination d’un autre avocat.
15. Le 25 septembre 1973, le greffe de la Cour de cassation avertit Me Della Rocca que l’examen de la cause devait avoir lieu le 12 novembre. Le 5 octobre, il répondit à une dépêche de M. Artico par un télégramme l’informant de la date de l’audience et du non-remplacement de l’avocat. Par des lettres du lendemain au président de chambre et au procureur général, lesquelles mentionnaient plusieurs missives antérieures semblables, le requérant se plaignit de l’attitude de Me Della Rocca et de l’inertie des autorités; il présenta une nouvelle demande de remplacement. Le 2 novembre, il en envoya une dernière au président de chambre, avec copie au procureur général, alléguant la violation des droits de la défense et réclamant unajournement des débats; elle n’atteignit cependant que le 20 décembre la Cour de cassation qui dès le 12 novembre avait rejeté les pourvois (paragraphe 10 ci-dessus).
2. Les dispositions pertinentes du droit interne
a) Pourvois en cassation
16. Aux termes de l’article 524 de code de procédure pénale,
« On peut se pourvoir en cassation pour l’un des motifs suivants:
1) inobservation ou application erronée du droit pénal (…);
2) exercice par le juge d’une compétence réservée par la loi à des organes législatifs ou administratifs, ou non attribuée aux pouvoirs publics;
3) inobservation des règles du présent code dont le respect s’impose à peine de nullité, irrecevabilité ou forclusion.
(…)
Est irrecevable le pourvoi formé pour des motifs non prévus par la loi ou manifestement mal fondés. »
17. L’article 531 précise ce qui suit:
« Lorsqu’un moyen d’irrecevabilité du pourvoi est soulevé par une partie ou d’office, la Cour de cassation tranche la question à titre préliminaire en chambre du conseil (…).
(…)
Dans tous les cas susmentionnés, la Cour statue, sur les réquisitions écrites du ministère public, sans l’intervention de défenseurs.
Toutefois, dans les cas prévus au dernier alinéa de l’article 524, les réquisitions du ministère public sont déposées au greffe de la Cour; l’avocat du requérant est aussitôt avisé de leur dépôt. Il peut, dans un délai de quinze jours à compter de cette notification, demander par écrit au président de la chambre compétente que l’on débatte du pourvoi en audience publique. Si une telle demande est formulée, la Cour siège en audience publique.
Si le requérant n’a pas désigné de défenseur, la notification précitée est adressée au défenseur d’office désigné à cette fin par le président. »
b) Assistance judiciaire gratuite
18. L’assistance judiciaire gratuite obéit notamment aux règles du décret royal (Regio Decreto) no 3282 du 30 décembre 1923.
En matière pénale, y a droit quiconque se trouve dans un « état de pauvreté » (article 15); il faut entendre par là l’incapacité d’engager les dépenses nécessaires (article 16). Le président de lajuridiction de jugement décide de l’octroi de l’assistance judiciaire (article 15; voir aussi l’article 3 du décret royal no 602 du 28 mai 1931). S’il l’accorde, c’est l’autorité judiciaire appelée à entendre la cause qui désigne l’avocat d’office (article 29 du décret de 1923). Le parquet ou le président du tribunal saisi peuvent faire remplacer celui-ci soit de leur propre initiative, pour des raisons graves, soit s’il « justifie de motifs légitimes lui commandant de s’abstenir d’assurer la défense ou lui permettant d’en être dispensé » (article 32). De son côté, l’article 128 du code de procédure pénale ménage la possibilité de remplacer un avocat d’office « pour un motif justifié ».
Aux termes de l’article 5 du décret royal no 602 de 28 mai 1931, tout avocat empêché de s’acquitter de sa tâche doit en exposer par écrit les raisons; même après pareille déclaration, il lui faut remplir les devoirs de son office jusqu’à son remplacement.
Une partie assistée perd le bénéfice de l’aide judiciaire si elle utilise les services d’un avocat de son choix (article 128 du code de procédure pénale).
D’une manière générale, l’assistance judiciaire se trouve placée sous la surveillance du ministère public; il peut prendre les mesures se révélant indispensables pour assurer un traitementdiligent de l’affaire d’un assisté et réclamer, sans préjudice d’une action de celui-ci en dommages-intérêts, des sanctions disciplinaires contre les avocats négligents (article 4 du décret de1923).
c) Procédure en cas de prescription
19. L’article 152 du code de procédure pénale astreint le juge, en tout état de la cause, à constater d’office qu’une infraction se trouve éteinte; la prescription joue par l’effet de la loi, même sile recours est par ailleurs irrecevable.
Le Gouvernement reconnaît qu’en l’espèce la Cour de cassation aurait dû soulever elle-même la question quand elle statua sur les pourvois.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
20. Dans sa requête du 26 avril 1974 à la Commission, M. Artico allégeait la violation
– de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention, pour détention irrégulière;
– de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), parce que nul avocat ne l’avait assisté devant la Cour de cassation pendant l’instance qui s’acheva le 12 novembre 1973.
21. Le 1er mars 1977 la Commission a déclaré irrecevables, pour non-épuisement des voies de recours internes, les griefs relatifs à l’irrégularité prétendue de la détention; en revanche, elle a retenu la requête quant au défaut d’assistance judiciaire.
Dans son rapport du 8 mars 1979, elle formule à l’unanimité l’avis qu’il y a eu infraction à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c).
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
22. À l’audience du 31 janvier 1980, le Gouvernement a confirmé la conclusion figurant dans son mémoire:
« Nous demandons que cette Honorable Cour veuille déclarer irrecevable ou mal fondée la requête présentée par M. Ettore Artico contre le gouvernement italien. »
De son côté, le délégué principal de la Commission a prié la Cour
– « de rejeter pour les motifs exposés, mais en premier lieu pour forclusion, les exceptions préliminaires soulevées par le gouvernement italien »;
– « en ce qui concerne le fond (…), de décider s’il y a eu ou non violation de la Convention et, dans l’affirmative, de bien vouloir accorder au requérant une satisfaction équitable dont le montant est laissé à l’appréciation de la Cour ».
EN DROIT
I. SUR LES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
23. Le Gouvernement conteste la recevabilité de la requête sur une triple base.
D’abord ratione temporis: la déclaration que l’Italie a souscrite en vertu de l’article 25 (art. 25) vaut uniquement, selon ses propres termes, pour la période postérieure au 31 juillet 1973 (Annuaire de la Convention, vol. 16, p. 11); or les faits incriminés remonteraient à une époque ne pouvant dépasser les 3 et 10 juillet 1973, dates du dépôt des réquisitions du procureur général (paragraphe 10 ci-dessus).
Il aurait de surcroît non-épuisement des voies de recours internes (article 26) (art. 26), l’intéressé n’ayant dénoncé l’attitude de Me Della Rocca ni auprès de l’Ordre des avocats, ni par une action en responsabilité civile ni par une plainte pour « défense infidèle » (article 380 du code pénal italien).
Du reste, si l’on voulait – à tort – imputer à l’État le défaut d’assistance judiciaire, une hypothétique « décision définitive » par laquelle la Cour de cassation aurait refusé de désigner un autreconseil ne saurait se situer qu’avant les 3 et 10 juillet 1973. Elle serait donc antérieure de plus de six mois à la saisine de la Commission – 26 avril ou 12 juillet 1974 -, de sorte que M. Articon’aurait pas respecté le délai de six mois institué par l’article 26 (art. 26) de la Convention.
24. La Cour a compétence pour connaître de telles questions préliminaires pour autant que l’État en cause les ait soulevées au préalable devant la Commission dans la mesure où leur nature et les circonstances s’y prêtaient (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, pp. 29-31, par. 47-55).
25. La deuxième exception italienne ne répond pas à cette exigence. Rien n’empêchait le Gouvernement de l’insérer dans des observations écrites ou orales destinées à la Commission; il l’a pourtant formulée pour la première fois dans son mémoire de décembre 1979 à la Cour. Il avait bien invoqué la règle de l’épuisement des voies de recours internes dès juillet 1976 et février 1977 devant la Commission, mais par des motifs tout différents et quant aux seuls griefs relatifs à l’article 5 (art. 5), que cet organe a d’ailleurs écartés le 1er mars 1977 en vertu de l’article 27 par. 3 (art. 27-3) (paragraphes 20 et 21 ci-dessus; annexe II au rapport, sous « Argumentation des parties », paragraphes 1 et 2b), et « En droit », paragraphe 1).
26. Il n’en va pas exactement de même des moyens d’irrecevabilité ratione temporis et de tardiveté car le Gouvernement paraît les avoir présentés à l’audience du 8 décembre 1978 devant la Commission. Cette dernière ne les a pas accueillis: en l’absence d’unanimité parmi ses membres, elle a estimé l’article 29 (art. 29) inapplicable en l’espèce. A la vérité, les paragraphes 5 et 6 de son rapport ne fournissent pas assez de précisions pour aider à déterminer si les thèses alors plaidées par le Gouvernement coïncidaient en substance avec celles qu’il soutient aujourd’hui; on peut cependant le présumer puisque les délégués de la Commission n’ont pas affirmé le contraire.
27. Les délégués ont souligné en revanche que l’audience du 8 décembre 1978 concernait le fond du litige et non la recevabilité, sur laquelle la Commission avait statué plus de vingt et un mois auparavant, le 1er mars 1977. Ils en ont déduit qu’il y a aussi forclusion pour les deux moyens dont il s’agit.
La Cour constate que la structure de mécanisme de sauvegarde instauré par les titres III et IV de la Convention tend à garantir un déroulement logique et harmonieux des procédures. Le travail de filtrage dont les articles 26 et 27 (art. 26, art. 27) chargent la Commission constitue la première des tâches de celle-ci (arrêt du 18 juin 1971 précité, p. 30, par. 51). L’article 29 (art. 29), en vigueur depuis le 21 septembre 1970, ménage certes un contrôle ultérieur de la recevabilité, mais il subordonne un rejet « a posteriori » à un vote unanime de la Commission. La rigueur de cette condition, dérogatoire au principe majoritaire consacré par l’article 34 (art. 34), montre que dans l’esprit de la Convention les États défendeurs doivent normalement, à peine de forclusion, soulever leurs exceptions préliminaires au stade de l’examen initial de la recevabilité.
Assurément, la raison d’en formuler une ne surgit parfois qu’après la décision retenant la requête: par exemple, un revirement de la jurisprudence nationale peut révéler l’existence d’une voie de recours jusque-là ignorée (arrêt du 18 juin 1971 précité, pp. 24-25, par. 37, pp. 31-32, par. 56-57, et pp. 33-35, par. 61-62) ou un requérant énoncer un grief nouveau dont le gouvernement en cause n’a pas encore eu l’occasion de contester la recevabilité (arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 8, par. 15, et pp. 19-20, par. 39-40; arrêt Schiesser du 4 décembre 1979, série A no 34, p. 10, par. 20-21, et pp. 16-17, par. 39-41). En pareil cas, les circonstances ne se prêtent pas à une invocation plus précoce de fins de non-recevoir; bien mieux, malgré l’apparente généralité des termes de l’article 29 (art. 29) l’État défendeur a droit à bénéficier par analogie des textes régissant le début de l’instance, c’est-à-dire à voir la Commission trancher à la majorité (article 34), (art. 34) par une décision complémentaire, les questions de compétence ou de recevabilité dont il la saisit dès que le changement de la situation juridique l’y amène (arrêt Schiesser précité, p. 17, par. 41).
La présente espèce ne se range pourtant pas dans cette catégorie d’hypothèses. Rien n’empêchait le Gouvernement d’inviter la Commission, avant le 1er mars 1977, à repousser la requête ratione temporis ou pour inobservation du délai de six mois. Or il a, sans nécessité, attendu jusqu’au 8 décembre 1978 pour le faire, de sorte que seul un vote unanime pouvait lui donner gain de cause (article 29) (art. 29). Il a perdu ainsi l’avantage d’une décision à la majorité (article 34) (art. 34); il ne saurait l’avoir recouvré en s’adressant à la Cour (article 20 par. 1 du règlement), sans quoi on aboutirait à un résultat incompatible avec l’économie de la Convention et avec une saine administration de la justice.
28. La Cour déclare donc le Gouvernement forclos pour chacune des trois exceptions préliminaires dont il se prévaut.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 3 C) (art. 6-3-c)
A. Questions de preuve
29. Afin de constater les faits, la Commission a dû s’appuyer pour l’essentiel sur les assertions de M. Artico et sur les pièces produites par lui: sans contester formellement ces diverses données, le Gouvernement avait soutenu que la preuve incombait à l’intéressé; la Commission lui ayant demandé certaines précisions sur le déroulement de la procédure suivie en 1972 et 1973 devant la Cour de cassation, il avait répondu que le greffe de celle-ci ne pouvait les apporter car après le rejet des pourvois les dossiers avaient été retournés aux juridictions d’où ils provenaient (paragraphes 12 et 13 du rapport).
Devant la Cour, le Gouvernement adopte une attitude analogue. Il exprime des doutes sur l’authenticité de plusieurs documents produits par le requérant et sur l’existence même de la lettre que Me Della Rocca aurait adressée le 17 octobre 1972 au président de la deuxième chambre pénale de la Cour de cassation (paragraphe 14 ci-dessus). Il insiste aussi sur l’extrême difficulté de reconstituer en détail les démêlés de M. Artico avec la justice de son pays.
30. La Cour renvoie en la matière à son arrêt Irlande contre Royaume-Uni, du 18 janvier 1978: « dans les affaires dont elle connaît », elle « étudie l’ensemble des éléments en sa possession »,qu’ils émanent « de la Commission, des parties ou d’autres sources »; au besoin « elle s’en procure d’office » et elle « ne s’inspire pas de l’idée que la charge de la preuve pèse sur l’un des deux gouvernements en cause » (série A no 25, p. 64, par. 160). Ces considérations valent également voire à plus forte raison, mutatis mutandis, dans une espèce qui tire son origine d’une requête introduite en vertu de l’article 25 (art. 25): ni l’individu demandeur ni la Commission n’ont auprès de la Cour la qualité de parties (arrêt Lawless du 14 novembre 1960, série A no 1, pp. 11, 14 et 15-16; article 1 du règlement de la Cour).
En l’occurrence, l’intéressé a fourni un commencement de preuve suffisant. Parmi les pièces dont il a communiqué à la Commission une copie figuraient des télégrammes du greffe de la Cour de cassation et beaucoup d’entre elles étaient passées par les mains d’autorités pénitentiaires qui en ont gardé la trace dans leurs archives (registres des prisons de Brindisi, Milan et Venise). Le Gouvernement ne saurait donc se contenter de formuler à leur propos des réserves. Quant aux obstacles administratifs ou pratiques invoqués par lui, la Cour se refuse à les croire insurmontables dans une société moderne. Elle rappelle en outre que les États contractants doivent coopérer avec les organes de la Convention dans la recherche de la vérité (arrêt du 18 janvier 1978 précité, p. 60, par. 148 in fine, et p. 65, par. 161 in fine). Partant, elle tient pour acquis les faits résumés aux paragraphes 8 à 15 ci-dessus; elle les prendra pour base de l’examen du fond du litige.
B. Questions de fond
31. Le requérant allègue la violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), lequel se lit ainsi:
« Tout accusé a droit notamment à:
(…)
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;
(…). »
La Commission unanime souscrit en substance à cette thèse que combat le Gouvernement.
32. Le paragraphe 3 de l’article 6 (art. 6-3) renferme une liste d’applications particulières du principe général énoncé au paragraphe 1. Les divers droits qu’il énumère en des termes non exhaustifs représentent des aspects, parmi d’autres, de la notion de procès équitable en matière pénale (paragraphe 87 du rapport de la Commission; arrêt Deweer du 27 février 1980, série A no 35, p. 30, par. 56). En veillant à son observation, il ne faut pas perdre de vue sa finalité profonde ni le couper du « tronc commun » auquel il se rattache.
33. L’alinéa c) (art. 6-3-c), la Commission le relève aux paragraphes 87 à 89 de son rapport, consacre le droit de se défendre de manière adéquate en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, droit renforcé par l’obligation, pour l’État, de fournir dans certains cas une assistance judiciaire gratuite.
M. Artico se prétend victime d’une manquement à cette obligation. Pour le Gouvernement, au contraire, elle se trouvait remplie avec la nomination d’un avocat d’office; la suite ne regarderait en rien la République italienne. Quoiqu’il ait décliné la tâche dont le président de la deuxième chambre pénale de la Cour de cassation l’avait chargé le 8 août 1972, Me Della Rocca serait demeuré jusqu’au bout, « à tous les effets », le conseil du requérant. Celui-ci se plaindrait en somme que l’on ait négligé de désigner un remplaçant, mais il revendiquerait de la sorte un droit non garanti.
La Cour rappelle que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs; la remarque vaut spécialement pour ceux de la défense eu égard au rôle éminent que le droit à un procès équitable, dont ils dérivent, joue dans une société démocratique (arrêt Airey du 9 octobre 1979, série A no 32, pp.12-13, par. 24, et paragraphe 32 ci-dessus). L’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), les délégués de la Commission l’ont souligné à bon escient, parle d’ »assistance » et non de « nomination ». Or la seconde n’assure pas à elle seule l’effectivité de la première car l’avocat d’office peut mourir, tomber gravement malade, avoir un empêchement durable ou se dérober à ses devoirs. Si on les en avertit, les autorités doivent le remplacer ou l’amener à s’acquitter de sa tâche. Adopter l’interprétation restrictive avancée par le Gouvernement conduirait à des résultats déraisonnables, incompatibles avec le libellé de l’alinéa c) (art. 6-3-c) comme avec l’économie de l’article 6 considéré dans son ensemble (art. 6); l’assistance judiciaire gratuite risquerait de se révéler un vain mot en plus d’une occasion.
En l’occurrence, à aucun moment Me Della Rocca n’a exercé son ministère pour le compte de M. Artico. Dès l’origine il a déclaré ne pas être en mesure de le faire. Il a invoqué d’abord d’autres engagements, puis son état de santé (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour n’a pas à contrôler la pertinence de ces explications. Elle constate, avec la Commission (paragraphe 98 du rapport), que le requérant n’a pas joui d’une assistance effective devant la Cour de cassation; la décision susmentionnée du 8 août 1972 est restée pour lui lettre morte.
34. L’alinéa c) de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-c) assortit cependant de deux conditions la reconnaissance du droit qu’il énonce. Si la première, l’insuffisance des ressources financières de l’accusé, ne prête pas ici à controverse, le Gouvernement conteste la réalisation de la seconde: à l’en croire, les « intérêts de la justice » n’exigeaient pas de prêter à M. Artico l’assistance gratuite d’un défenseur. Les motifs des pourvois, affirme-t-il, cristallisaient l’objet de l’instance en cassation; le demandeur les avait présentés en décembre 1971 avec l’aide d’un membre du barreau de son choix, Me Ferri. Or, poursuit le Gouvernement, ils avaient trait à une question d’une extrême simplicité, la régularité de la citation à comparaître en justice, à telle enseigne que le procureur général conclut en juillet 1973 au défaut manifeste de fondement des recours (paragraphes 9-10 ci-dessus); partant, un avocat n’eût joué qu’un rôle « modeste » se limitant à recevoir la notification selon laquelle la Cour de cassation statuerait en chambre du conseil (paragraphe 17 ci-dessus).
D’après les délégués de la Commission, pareille opinion contraste avec celle du président de la deuxième chambre pénale de la Cour de cassation. Le 8 août 1972, au moment où ce magistrat accorda l’assistance judiciaire sollicitée le 10 mars, le dépôt des pourvois et de leurs motifs remontait à plusieurs mois; en outre le requérant avait envoyé au greffe, les 10 et 14-15 mars, des notes rédigées par lui-même où il développait ses arguments (paragraphes 9-10 ci-dessus). Le président n’en estima pas moins que la désignation d’un avocat d’office correspondait à un besoin authentique. Les délégués doutent qu’il soit loisible au Gouvernement de plaider aujourd’hui le contraire.
La Cour rappelle qu’en matière pénale la législation italienne reconnaît le droit à l’assistance judiciaire gratuite, sous réserve de certaines exceptions étrangères au cas d’espèce, à quiconque se trouve dans un état de pauvreté (article 15 du décret royal no 3282 du 30 décembre 1923; voir aussi l’article 125 du code de procédure pénale).
Au demeurant, les intérêts de la justice exigeaient bien l’octroi d’une assistance effective. D’après Me Della Rocca, celle-ci eût constitué une tâche fort lourde et absorbante (paragraphe 14ci-dessus). En tout cas la procédure écrite, qui devant la Cour de cassation d’Italie revêt une importance primordiale, n’était pas terminée à la date du 8 août 1972. Un défenseur qualifié aurait pu préciser les moyens de M. Artico, en particulier mettre l’accent voulu sur le problème crucial de la prescription, à peine effleuré à la fin des notes « volumineuses et prolixes » des 14-15 mars 1972 (paragraphe 10 ci-dessus et compte rendu de l’audience du 31 janvier 1980). De surcroît, lui seul aurait pu riposter aux réquisitions du parquet en provoquant une audience publique consacrée, entre autres, à une discussion approfondie de ce problème (paragraphe 17 ci-dessus).
35. Le Gouvernement objecte qu’il s’agit de simples spéculations. Or, selon lui, pour qu’il y ait infraction à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) le manque d’assistance doit avoir réellement lésél’accusé.
La Cour souligne, après les délégués de la Commission, que le Gouvernement demande ici l’impossible: on ne saurait établir avec certitude qu’un remplaçant de Me Della Rocca eût excipé de la prescription et convaincu la Cour de cassation là où le requérant n’y avait pas réussi. Cette hypothèse apparaît pourtant plausible en l’occurrence. Surtout, la nécessité de pareille preuve ne ressort nullement du texte de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c); si on l’y introduisait par voie d’interprétation, elle le priverait d’une large part de sa substance. Plus généralement, l’existence d’une violation se conçoit même en l’absence de préjudice (arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A no 31, p. 13, par. 27); celle-ci ne joue un rôle que sur le terrain de l’article 50 (art. 50).
36. Le Gouvernement reproche à M. Artico de ne pas avoir recouru aux services du confrère vanté par Me Della Rocca (paragraphe 14 ci-dessus) et de ne pas avoir su rendre la Cour de cassation attentive au problème de la prescription car il ne l’aurait soulevé ni assez tôt, dès décembre 1971, ni avec suffisamment de force et de ténacité.
Ce dernier grief équivaut à prétendre que les intérêts de la justice ne commandaient pas la présence d’un défenseur, question déjà tranchée par la Cour (paragraphe 34 ci-dessus); en réalité il confirme plutôt le caractère indispensable de cette présence. Quant à la première critique, elle ne résiste pas davantage à l’examen car le requérant aurait perdu le bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite s’il avait suivi le conseil de Me Della Rocca (paragraphe 18 ci-dessus).
En fait, M. Artico a essayé avec persévérance de redresser la situation: il a multiplié plaintes et démarches auprès de son avocat en titre, au point de l’importuner voire à la longue de l’exaspérer, ainsi qu’auprès de la Cour de cassation (paragraphes 14-15 ci-dessus). On ne saurait certes imputer à un État la responsabilité de toute défaillance d’un avocat d’office, mais dans les circonstances de la cause il incombait aux autorités italiennes compétentes d’agir de manière à assurer au requérant la jouissance effective du droit qu’elles lui avaient reconnu. Deux solutions s’offraient à elles: remplacer Me Della Rocca ou, le cas échéant, l’amener à s’acquitter de sa tâche (paragraphe 33 ci-dessus). Elles en ont choisi une troisième, la passivité, alors que le respect de la Convention appelait de leur part des mesures positives (arrêt Airey précité, p. 14, par. 25 in fine).
37. La Cour en arrive ainsi à constater un manquement aux exigences de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c).
38. A l’origine, le requérant invoquait de surcroît l’alinéa b) de l’article 6 par. 3 (art. 6-3-b); il le combinait, comme du reste l’alinéa c) (art. 6-3-c), avec les articles 13, 14, 17 et 18 (art. 13, art. 14, art. 17, art. 18) (décision de recevabilité du 1er mars 1977, sous « Griefs » et « Argumentation des parties »). Eu égard à la conclusion figurant au paragraphe précédent, la Cour ne croit pasdevoir se prononcer sur des points que les comparants n’ont pas abordés devant elle.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)
39. Au nom de M. Artico, Me Solinas demande le versement
– d’honoraires d’avocat pour les services rendus devant la Commission et la Cour;
– de sommes équitables pour la détention irrégulière qu’aurait entraînée la violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) et pour tort moral.
De leur côté, les délégués de la Commission prient la Cour d’accorder à l’intéressé, en vertu de l’article 50 (art. 50), une satisfaction dont ils lui laissent le soin d’apprécier le montant.
Ayant recueilli aussi les observations du Gouvernement, la Cour estime que la question se trouve en état (article 50 par. 3, première phrase, du règlement).
A. Honoraires d’avocat
40. Dans une note du 27 février 1980, Me Solinas chiffre ses honoraires à 2.573.000 lires dont il y aurait lieu de retrancher des indemnités déjà touchées du Conseil de l’Europe, soit 6.949 FF 43 d’après un récapitulatif que le secrétaire de la Commission a fourni au greffe le 12 mars en réponse à une question de la Cour.
Ces deux documents et le paragraphe 4 du rapport montrent que le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire gratuite devant la Commission, puis auprès des délégués une fois la Cour saisie, pour toute la période postérieure à la décision de recevabilité du 1er mars 1977. Il ne prétend pas avoir payé ou devoir payer à Me Solinas, qui ne le représentait pas avant cette date, un supplément d’honoraires dont il puisse réclamer le remboursement. Partant, à cet égard il n’a pas supporté de frais et n’a souffert aucun dommage susceptible de réparation au titre de l’article 50 (art. 50). La Cour renvoie en la matière à son arrêt Luedicke, Belkacem et Koç du 10 mars 1980 (série A no 36, p. 8, par. 15).
B. « Détention irrégulière » et tort moral
41. Invoquant à l’appui de sa thèse diverses décisions (provvedimenti) de confusion (unificazione) ou cumul des peines (paragraphe 12 ci-dessus et compte rendu de l’audience du 31 janvier 1980), M. Artico affirme qu’on l’eût élargi le 7 août 1974, au lieu du 23 août 1975, si le 12 novembre 1973 la Cour de cassation l’avait renvoyé des fins de la poursuite pour cause de prescription. Les douze mois et seize jours indûment passés par lui en prison (indebita carcerazione) constitueraient la « conséquence directe et immédiate de la violation du droit à la défense ».
42. Le Gouvernement formule des réserves sur l’existence même d’une privation anormale de liberté: les opinions divergentes exprimées par les autorités qui examinèrent tour à tour le problème, dont la Cour de cassation en 1975 (paragraphe 11 in fine ci-dessus), et l’abondance extraordinaire (straordinaria prolificità) des condamnations infligées au requérant prouveraient l’extrême difficulté (difficoltà enorme) de retracer le curriculum vitae de ce dernier.
Les pièces du dossier donnent pourtant à penser que la levée d’écrou aurait bien eu lieu dès le 7 août 1974 si la Cour de cassation avait constaté la prescription quand elle se prononça sur les pourvois. Or les chances d’aboutir à une telle décision auraient augmenté si l’intéressé avait joui d’une assistance judiciaire effective. Sur ce point, la Cour se réfère aux paragraphes 30, 34 et 35 ci-dessus et marque son accord avec les délégués de la Commission; elle rappelle en outre que la perte de perspectives réelles justifie dans certains cas l’octroi d’une satisfaction équitable (arrêt König du 10 mars 1980, série A no 36, p. 17, par. 19).
43. Toutefois, le préjudice que le requérant estime avoir subi en raison de sa « détention irrégulière » ne découle qu’hypothétiquement et, au mieux, indirectement de l’infraction à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c); sa cause « directe et immédiate » réside en réalité dans une atteinte à la liberté physique.
A ce propos, il ne faut pas oublier que le 1er mars 1977 la Commission a déclaré irrecevable, pour non-épuisement des voies de recours internes, le moyen relatif à la violation alléguée de l’article 5 (art. 5): elle a considéré qu’après l’arrêt de révision du 5 août 1975, M. Artico aurait dû réclamer une indemnité devant la justice de son pays en vertu de l’article 571 du code de procédure pénale ou de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) de la Convention (paragraphe 21 ci-dessus et annexe II au rapport).
44. L’intéressé a introduit alors pareille demande, mais la Cour de cassation l’a repoussée le 4 novembre 1977 car le délai légal de dix-huit mois avait expiré le 5 février (paragraphe 12 ci-dessus et compte rendu de l’audience du 31 janvier 1980).
Le Gouvernement souligne que cet arrêt revêt un caractère définitif et que le requérant ne s’en plaint pas (decisione irrevocabile, definitiva, non impugnata); le problème d’une réparation pour détention illégale se trouverait par là même résolu.
L’argument ne convainc pas la Cour. Sans doute M. Artico a-t-il négligé d’utiliser en temps voulu des ressources offertes par la législation italienne, mais cela n’oblige pas la Cour à rejeter les prétentions qu’il formule à présent (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 10 mars 1972, série A no 14, pp. 7-10, par. 14-16 et 20; arrêt König précité, pp. 14-15, par. 15); elles se fondent du reste sur une base juridique différente, les répercussions du manque d’assistance judiciaire effective.
45. Il importe cependant de ne pas perdre de vue que le procureur de la République de Ferrare a imputé sur des peines ultérieures la période litigieuse d’un an et seize jours d’emprisonnement (paragraphe 12 ci-dessus). Le requérant allègue n’en avoir profité en pratique qu’à concurrence de seize jours: à l’en croire, une remise de peine (indulto) d’un an lui eût de toute manière été consentie grâce au décret présidentiel no 413 du 4 août 1978 (Gazzetta Ufficiale, 1978, pp. 5557-5560). En réalité, la directive (provvedimento) du parquet de Ferrare remonte à une date antérieure, le 15 mars 1978. A l’époque, l’imputation laissait subsister à la charge de l’intéressé un « solde négatif » d’un an, dix mois et vingt et un jours. Elle lui a donc procuré un avantage tangible, sans préjudice de celui qu’il a pu retirer ensuite du décret susmentionné. Sans lui assurer une réparation intégrale (restitutio in integrum), elle a compensé dans une large mesure le dommage subi par lui (arrêt Ringeisen du 22 juin 1972, série A no 15, p. 10, par. 26; arrêt Neumeister du 7 mai 1974, série A no 17, pp. 18-19, par. 40-41; arrêt Engel et autres du 23 novembre 1976, série A no 22, pp. 68-69, par. 10).
46. Quant à la nature du préjudice résiduel, la Cour relève que M. Artico n’a prouvé, ni même allégué, aucune perte matérielle. En revanche, la durée supplémentaire d’emprisonnement qu’a pu entraîner, de manière indirecte, l’absence d’assistance judiciaire effective (paragraphes 42-43 ci-dessus) lui a causé sans conteste un tort moral.
47. S’y ajoute celui qui a résulté directement de la violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) et pour lequel l’imputation de ladite durée sur des peines postérieures n’entre manifestement pas en ligne de compte: pendant plus d’un an le requérant est demeuré sans défenseur, autre que nominal, malgré des plaintes et démarches pressantes et répétées (paragraphes 13-15 ci-dessus). Il en a éprouvé selon toute probabilité une impression pénible d’isolement, de désarroi et d’abandon. En particulier, il s’est certainement senti désarmé quand le procureur général eut conclu, les 3 et 10 juillet 1973, au rejet des pourvois en chambre du conseil, car seul un avocat pouvait y parer en exigeant une audience contradictoire et publique (paragraphes 10 et 17 ci-dessus).
48. Aucun de ces éléments ne se prête à un calcul. Les appréciant dans leur ensemble en équité, comme le veut l’article 50 (art. 50), la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder à M. Artico une satisfaction dont elle fixe le montant à trois millions (3.000.000) de lires.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE
1. Déclare le Gouvernement forclos à contester la recevabilité de la requête;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c);
3. Dit que la République italienne doit verser au requérant une indemnité de 3.000.000 lires pour préjudice moral;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Rendu en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le treize mai mil neuf cent quatre-vingts.
Pour le Président
Léon LIESCH
Juge
Marc-André EISSEN
Greffier