DEUXIÈME SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 43751/02
présentée par Andre MARION et Colette MARION
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 23 mai 2006 en une chambre composée de :
MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
MmesA. Mularoni,
E. Fura-Sandström,
D. Jočienė,
MM.D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 4 décembre 2002,
Vu la décision de la Cour de se prévaloir de l’article 29 § 3 de la Convention et d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire,
Vu la décision partielle du 3 mai 2005,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, MM. André Marion et Mme Colette Marion née Bats, sont des ressortissants français, nés respectivement en 1942 et 1946 et résidant à Forges Les Bains. Ils sont représentés devant la Cour par Me N. Chaigneau, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Les requérants possèdent une propriété à Forges Les Bains contiguë à celle de Madame B. Ces propriétés sont séparées par un grillage contre lequel a été édifié le garage des requérants.
Le 16 décembre 1996, Madame B. saisit le tribunal d’instance de Palaiseau d’une action en bornage.
Par un jugement avant dire droit et contradictoire du 4 mars 1997, le tribunal d’instance de Palaiseau désigna un expert chargé de dresser contradictoirement le bornage entre les propriétés de Madame B. et des requérants. Celui-ci déposa son rapport d’expertise le 30 mars 1998.
Par un jugement contradictoire du 3 novembre 1998, le tribunal d’instance de Palaiseau homologua les conclusions de l’expert et condamna les requérants à reculer de dix centimètres leur clôture et leur garage dans le délai d’un mois à compter du jugement sous peine d’une astreinte définitive de 500 francs par jour de retard. Le tribunal ordonna l’exécution provisoire du jugement.
Le 6 novembre 1998 les requérants interjetèrent appel du jugement. Par un arrêt contradictoire du 15 novembre 2000, la cour d’appel de Paris confirma en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne l’astreinte qui sera provisoire, et ajouta l’obligation pour les requérants de
« procéder à l’enlèvement de toutes les plantations dans la zone des 10 centimètres dans les trente jours de la signification [de l’arrêt] sous astreinte, passé ce délai, de 500 francs par jour de retard ».
Par un acte du 7 juin 2001, Madame B. fit assigner les requérants devant le tribunal de grande instance d’Evry afin d’obtenir la somme de 69 500 francs au titre de la liquidation de l’astreinte au 31 mai 2001 et le prononcé d’une nouvelle astreinte de 1000 francs par jour de retard.
Les requérants déposèrent une requête en interprétation de l’arrêt du 15 novembre 2000 devant la cour d’appel de Paris. La procédure devant le tribunal de grande instance d’Evry fut renvoyée dans l’attente de l’arrêt d’interprétation.
Par un arrêt contradictoire rectificatif du 16 janvier 2002, la cour d’appel de Paris précisa
« que l’arrêt de la cour de céans du 15 novembre 2000 doit être interprété en ce qu’il signifie que la limite séparative sera reculée de 10 centimètres sur la propriété des [requérants] ainsi que leur garage, Mme [B.] conservant la faculté d’établir ou non une nouvelle clôture sur cette limite ; dit n’y avoir lieu à interprétation sur les autres points soulevés par les [requérants] ».
Par un jugement contradictoire du 19 mars 2002, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance d’Evry débouta Madame B. de sa demande de liquidation de l’astreinte prononcée à l’encontre des requérants.
Les requérants, soutenant que l’action réalisée par Madame B. était une action en revendication de propriété et non une action en bornage et contestant les moyens de preuve retenus par les juges et notamment le rapport d’expertise, se pourvurent en cassation le 30 janvier 2001. Le conseiller rapporteur fut désigné le 10 janvier 2002 et transmit son rapport le 5 mars 2002. Le dossier fut confié à l’avocat général le 21 mars 2002. Par un arrêt du 18 juin 2002, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants.
Madame B. interjeta appel du jugement du juge de l’exécution du 19 mars 2002. Par un arrêt du 4 avril 2003, la cour d’appel de Paris confirma le jugement
« en ce qu’il a débouté Madame B. de sa demande tendant à voir prononcer une astreinte de 152,45 euros au titre de la liquidation de l’astreinte [mais l’infirma en ajoutant la condamnation] in solidum des requérants à verser à Madame B. la somme de 1500 euros au titre de la liquidation de l’astreinte ».
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur près la Cour de cassation alors qu’il aurait été communiqué à l’avocat général.
EN DROIT
Les requérants se plaignent de l’iniquité de la procédure devant la Cour de cassation et invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :
« « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
Le Gouvernement expose qu’à la suite des arrêts Voisine c. France du 8 février 2000 et Meftah c. France du 26 juillet 2002, la Cour de cassation a mis en place de nouveaux dispositifs et a modifié les modalités d’instruction et de jugement des affaires. Il précise que, à compter du 5 février 2002, pour les affaires relevant de la matière civile, « lorsque le rapport ou encore la fiche d’orientation établis par le conseiller rapporteur sont déposés au greffe civil, ce dernier édite automatiquement un avis afin d’informer les avocats aux Conseils des parties au pourvoi de la date de ce dépôt et de la possibilité de venir consulter le rapport ou la fiche d’orientation dans les locaux du greffe ». Le Gouvernement produit en annexe un courrier du premier Président de la Cour de cassation adressé, le 23 janvier 2002, à la Présidente de l’ordre des avocats aux Conseils l’avisant de la mise en place de ces nouveaux dispositifs. Le Gouvernement constate que, bien que les requérants se soient pourvus en cassation le 30 janvier 2001, le nouveau dispositif était en vigueur le 5 mars 2002, date à laquelle le rapporteur a déposé son rapport. Il conclut par conséquent que les requérants ont pu, par l’intermédiaire de leur avocat, avoir connaissance du rapport du conseiller rapporteur et que leur grief doit être déclaré irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
Le requérant n’a pas souhaité formuler d’observations supplémentaires sur le fond de l’affaire.
La Cour, au vu des informations fournies par le Gouvernement et en l’absence de contestation du requérant sur ce point, en déduit que ce dernier a pu, par l’intermédiaire de son avocat, avoir connaissance du rapport du conseiller rapporteur.
Partant, la Cour n’aperçoit aucune apparence de violation de l’équité de la procédure. Elle considère que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention, après avoir mis fin à l’application de l’article 29 § 3 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare le restant de la requête irrecevable.
A.B. Baka
Président
S. Dollé
Greffière